Forem

Forem : non à une chasse aux chômeurs wallons

Analyses, témoignages et réactions d’acteurs clés. Ensemble ! ouvre le débat sur l’avant-projet de décret wallon réformant l’accompagnement des chômeurs et sur les graves dangers qu’il recèle.

Dans le numéro d’octobre 2020 d’Ensemble !, nous avions déjà tenté d’ouvrir un débat public sur l’avant-projet de décret réformant l’accompagnement des chômeurs qui avait été adopté en première lecture par le gouvernement wallon le 25 juin. Outre notre analyse propre de ce projet, que nous estimions « orienté flicage et sanctions » (1), nous avions publié une interview de Jean-François Tamellini, secrétaire général de la FGTB wallonne, qui nous avait indiqué que son organisation « évaluerait l’évolution du projet » en fonction, notamment, de la prise en compte des demandes syndicales, qui avaient été (pour partie) intégrées dans l’avis remis par le Conseil économique, social et environnemental de Wallonie (CESE W) (2) dans la version adoptée en seconde lecture par le gouvernement wallon. Enfin, nous avions publié une analyse de la position critique de la CGSP-Forem, qui pointait notamment l’inspiration « clairement libérale » du projet (3).

Deuxième lecture et deux questions parlementaires

Trois mois plus tard, où en sommes-nous ? Le 12 novembre 2020, le gouvernement wallon a adopté une nouvelle version du projet de décret en seconde lecture, qui ne tient que médiocrement compte des demandes syndicales intégrées au sein de l’avis du CESE-W. Hormis la reprise du communiqué de presse de la ministre de l’Emploi, en juin, lors de l’adoption de l’avant-projet de décret en première lecture, aucun grand média n’a encore consacré un seul article ou une seule émission à ce sujet, pourtant essentiel pour le maintien des allocations de milliers de chômeurs. Au Parlement wallon, le débat s’est à ce jour résumé à deux questions orales. Une première que le député Manu Disabato (Ecolo) adressait en novembre à la ministre mais sans rien remettre en cause du projet de réforme (il est membre de la majorité), tout en pointant cependant qu’il « faudra que je relise votre réponse parce que je n’ai pas très bien compris quel avait été l’avis des travailleurs du Forem sur la réforme proposée » (4). La seconde, en décembre, de la députée Laure Lekane (PTB), qui a relayé certaines questions que nous soulevions dans nos articles d’octobre, mais en se contentant d’indiquer que son parti suivra « attentivement la suite du processus de réforme pour nous assurer que la voix des conseillers et des demandeurs d’emploi soit complètement prise en considération » (5), sans émettre la moindre prise de position propre du PTB par rapport au projet de réforme.

#Forem #Pause

La grogne est cependant perceptible, tant parmi les partenaires du Forem qu’au Bureau de l’Interrégionale wallonne, où le sujet fait débat, ainsi qu’au Comité régional wallon de la CSC. Devant la quasi-nullité de la prise en compte des demandes syndicales par le gouvernement, le soutien initial sur des principes généraux de réforme présentés comme favorables aux demandeurs d’emploi, qui avait été défendu par certains membres du Comité de gestion du Forem, semble sérieusement émoussé, si pas céder le pas à la perplexité, voire prêt à tourner en contestation ouverte. Ainsi, en décembre 2020, l’Action des Travailleurs sans emploi de la CSC a interpellé les mandataires politiques pour leur faire part de ses préoccupations par rapport à ce projet, tandis qu’elle menait une (discrète) campagne « symbolique » de sensibilisation pour demander de faire une « pause » dans le processus d’adoption de ce projet de décret. A ce stade, la FGTB wallonne n’a souhaité organiser aucune mobilisation sur ce thème, misant encore sur les possibilités de concertation avec le gouvernement wallon. Face à cet effritement (temporaire?) du soutien à son projet de réforme, la ministre de l’Emploi a décidé de postposer la mise à l’ordre du jour du gouvernement wallon de l’adoption de l’avant-projet de décret en troisième lecture (c’est-à-dire sous la forme, censée prendre en compte l’avis du Conseil d’État, sous laquelle les projets de décrets sont finalement déposés au parlement au nom de l’ensemble du gouvernement) qui était initialement prévue en décembre. De nouvelles concertations ont été annoncées avec les partenaires du Forem et avec les interlocuteurs sociaux, afin que cette présentation du décret en troisième lecture au gouvernement puisse être concomitante d’une approbation, en première lecture, de projets d’arrêtés d’exécution. L’objectif, pour la ministre de l’Emploi, étant de pouvoir revendiquer le soutien des acteurs concernés lorsque le texte sera présenté au parlement, ou du moins que ceux-ci n’y manifestent pas publiquement une franche opposition.

Lancer un dossier dans la mare

Si des discussions sont en cours avec les représentants des acteurs concernés, le débat public sur ce sujet est à ce stade toujours inexistant. Mis à part les cabinets ministériels, les directions des organisations et quelques militant.e.s (peut-être lecteurs.trices d’Ensemble !), personne ne connaît ce projet de réforme et encore moins ses détails. Le personnel du Forem, à travers ses organisations syndicales, est sans doute celui qui en est le mieux informé. Mais pour le reste, ni les demandeurs d’emploi ni les travailleurs des secteurs partenaires ou les citoyen.ne.s n’en ont connaissance, ni a fortiori d’une façon précise.

Ce second dossier d’Ensemble ! entend apporter une nouvelle contribution à l’ouverture d’un large débat public, qui nous semble nécessaire et… urgent. Car il est probable que si un projet de décret devait être déposé au parlement wallon, la discipline imposée aux députés de la majorité gouvernementale fera qu’il sera extrêmement difficile d’obtenir son retrait ou même des modifications autres que cosmétiques.

Vous trouverez tout d’abord dans ce dossier nos analyses propres. Celle de l’avant-projet adopté en seconde lecture et des principaux risques qu’il comporte, selon nous, pour les demandeurs d’emploi : la déshumanisation de l’accompagnement, le flicage et les sanctions (lire ici). Celle, ensuite, de l’évolution des différents types de sanctions des demandeurs d’emploi entre 2015 et 2019 dans les trois régions, qui constitue un des éléments importants du débat. Notamment parce que certains présentent cette réforme comme une simple transposition d’un « modèle d’accompagnement du VDAB » qui serait moins sanctionnant (lire ici). Vous y trouverez également des témoignages. Celui, d’une part, d’un conseiller de référence du Forem, actuellement chargé de l’accompagnement, qui explique la nature de sa fonction et en quoi le fait de mêler l’aide et le contrôle pervertirait son travail, tant du point de vue de la recherche d’emploi elle-même que de la relation de confiance avec les demandeurs d’emploi (lire ici).

Si possible l’abandon de ce projet, à défaut sa refonte

Celui, d’autre part, d’une évaluatrice, qui travaille au sein du service Contrôle du Forem et qui nous explique le contenu de sa fonction et ses craintes par rapport au projet de réforme (lire ici). Suivent une série d’entretiens avec des acteurs clés concernés par le projet. Tout d’abord, avec Christie Morreale (PS), la ministre de l’Emploi, qui a accepté de nous présenter son point de vue à travers une interview réalisée sous forme de questions et réponses écrites. Selon elle, cette réforme « réduira le nombre de sanctions » (lire ici). Puis Bruno Antoine, président de la CSC wallonne et membre du Comité de gestion du Forem, qui nous a notamment indiqué qu’il « aurait préféré que l’avant-projet de décret, tel qu’il a été adopté en seconde lecture, prenne davantage en compte les attentes syndicales » (lire ici). Ensuite Vincent Pestieau, Secrétaire régional de la FGTB Charleroi Sud Hainaut, qui estime pour sa part qu’à ce stade « ce projet n’emporte pas notre adhésion », qu’il « n’a manifestement pas encore été suffisamment concerté et que son dépôt au Parlement serait totalement prématuré » (lire ici). Quant-à Anne-Hélène Lulling, la Secrétaire générale de l’Interfédé, elle exprime l’opposition du secteur des Centres d’insertion socioprofessionnelle wallons « Cet avant-projet de décret ne répond pas à nos attentes » (lire ici). Enfin, vous trouverez dans ce dossier notre réplique aux réponses de la ministre Morreale (lire ici) ainsi que, en guise de conclusion, ce que nous pensons souhaitable par rapport à ce projet : si possible son abandon pur et simple, à défaut sa refonte en prenant en compte quelques axes d’amendements structurels que nous proposons (lire ici).

(1) Arnaud Lismond-Mertes et Yves Martens (CSCE), « Forem : non à un accompagnement orienté flicage et sanctions », Ensemble ! n°103, p. 6, octobre 2020.

(2) Jean-François Tamellini (FGTB-W), « Nous évaluerons l’évolution du projet », Ensemble ! n°103, p. 15, octobre 2020.

(3) Yves Martens et Arnaud Lismond-Mertes (CSCE), « Vers une explosion sociale prévisible », Ensemble ! n°103, p. 18, octobre 2020.

(4) Parlement de Wallonie, Question orale de M. Disabato sur « Le suivi de l’accompagnement des demandeurs d’emploi », CRAC n° 65 (2020 – 2021), 17 novembre 2020.

(5) Parlement de Wallonie , Question orale de Mme Lekane sur « La réforme du Forem», CRAC n° 93 (2020 – 2021), 15 décembre 2020.

Partager cet article

Facebook
Twitter