Forem

Un projet néfaste pour les chômeurs wallons

Le projet de décret réformant l’accompagnement du Forem n’est pas le dispositif bienveillant qu’il prétend être. L’adopter, ce serait mettre en danger les chômeurs.euses wallon.ne.s

Fin 2019, lors d’une réunion d’échange avec des évaluateurs où le projet de réforme du Forem a été abordé, l’administratrice générale adjointe du Forem (Sonia Pennetreau) aurait déclaré qu’elle « cherchait de nouvelles sources de litiges » (sic) (lire p. 80, c’est-à-dire de nouvelles possibilités de sanctions des « demandeurs d’emploi » dans le cadre du contrôle de leur obligation de « disponibilité passive ». Voilà qui donne un éclairage tout différent sur le projet de réforme en discussion que celui de la ministre wallonne de l’Emploi, Christie Morreale (PS), qui n’a pas hésité à nous déclarer qu’elle avait « la conviction que cette réforme réduira significativement le nombre de sanctions délivrées à l’encontre des demandeurs d’emploi » (lire p. 92). Qui a tort, qui a raison ? C’est ce que nous allons tenter d’élucider après avoir fait le point, tout d’abord, sur l’état de la procédure d’adoption de ce projet de réforme de l’accompagnement des demandeurs d’emploi wallons par le Forem et, ensuite, sur l’auteur réel de ce projet de décret.

La concertation sociale bafouée

Une fois approuvé en première lecture par le gouvernement wallon, le 25 juin 2020, l’avant-projet de décret « relatif à l’accompagnement orienté coaching et solutions des chercheurs d’emploi » porté par la ministre Morreale a poursuivi le parcours prévu pour le mener sur les bancs du parlement wallon. Les avis des organes consultatifs ont été demandés et reçus, dont celui rendu par les interlocuteurs sociaux (représentants des patrons et des travailleurs) à travers le Conseil économique, social et environnemental de Wallonie (CESE W). Ensuite, le gouvernement a adopté, le 12 novembre 2020, une seconde version de l’avant-projet de décret, censée tenir compte des avis reçus. Sur base de cette version, le gouvernement a sollicité l’avis du Conseil d’État sur la qualité du texte du point de vue juridique (son respect des droits fixés et garantis par la Constitution, etc.), qui a dû être rendu dans les trente jours. L’étape suivante devait être son approbation en troisième lecture, initialement annoncée pour le mois de décembre, mais actuellement reportée, le temps de mener de nouvelles concertations. Si ce projet de décret est adopté en troisième lecture par le gouvernement, il sera alors immédiatement transmis au parlement wallon et la procédure de discussion et d’adoption parlementaire pourra commencer.

La concertation sociale s’est donc révélée avoir été un jeu de dupes

Fin septembre 2020, lorsque nous avons réalisé son interview dans le cadre du dossier publié dans le numéro précédent de cette revue (1), Jean-François Tamellini, le Secrétaire général de la FGTB wallonne nous exprimait son espoir que les attentes de son organisation par rapport à ce texte soient prises en compte dans le cadre de la version de l’avant-projet adopté en seconde lecture (2). Son raisonnement était qu’un un nombre significatif de ces demandes étaient reprises dans l’avis rendu par le CESE W, que cet avis avait été unanimement approuvé par les représentants des organisations syndicales et patronales, et qu’il s’agissait dès lors d’une forme d’accord social que le gouvernement devrait respecter. Aujourd’hui, le verdict a été rendu à travers la version de l’avant-projet de décret adoptée en seconde lecture par le gouvernement le 12 novembre. La ministre n’a apparemment retenu de l’avis qu’une seule chose, qu’il était favorable à l’avant-projet, sans tenir aucun compte des demandes et remarques sous réserve desquelles ce soutien était exprimé (comme nous l’avons analysé en détail ailleurs) (3). La concertation sociale s’est donc révélée avoir été un jeu de dupes, ce qui a généré une certaine amertume, tant au niveau de la CSC que de la FGTB (lire p. 104 et 108). Au point que la ministre Morreale a aujourd’hui dû renoncer à mettre à l’ordre du jour du gouvernement l’approbation du projet en troisième lecture, le temps de mener de nouvelles concertations, notamment sur les projets d’arrêtés d’exécution en préparation. En effet, l’avant-projet de décret, pourtant très précis sur certaines questions, prévoit de confier au gouvernement de très vastes habilitations pour fixer la réglementation dans de nombreux domaines essentiels. Soutenir le projet de décret sans connaître le contenu prévu des arrêtés d’application reviendrait donc à « acheter un chat dans un sac ». Or, les organisations syndicales, une première fois roulées dans la farine à travers la prise en compte partielle et partiale de l’avis rendu par le CESE W, ne semblent plus être prêtes à faire une confiance aveugle aux bonnes intentions proclamées par la ministre Morreale.

La signataire mais pas l’auteure

Avant d’aborder la question du contenu de l’avant-projet de décret et de réforme, il faut encore clarifier celle de son auteur. La ministre Morreale (PS) est la signataire de l’avant-projet de décret, mais ce ne sont ni le Parti socialiste, qui avait écrit dans son programme électoral de 2019 qu’il s’engageait à « veiller à dissocier les fonctions d’accompagnement et celle de contrôle des demandeurs d’emploi » (4), ni la ministre de l’Emploi qui sont les inspirateurs et les auteurs véritables du projet, qui n’est d’ailleurs pas mentionné comme tel dans l’accord de majorité wallon. La conception du projet peut sans conteste être attribuée à la direction du Forem. En effet, dès le 26 juin 2019, le Comité de direction du Forem a annoncé par courriel à l’ensemble de son personnel que « le Forem souhaite opter pour l’accompagnement adapté des demandeurs d’emploi » et lui a annoncé les grands axes de la réforme aujourd’hui prévue par l’avant-projet de décret actuellement en cours d’adoption (lire le reproduction du « Message du Comité de direction à l’ensemble du personnel » du 26.06.19, p. XX). Il n’est pas sans intérêt de relever que ce message constituait déjà une instrumentalisation perverse de la concertation sociale, puisqu’il annonçait au personnel que « le Comité de direction a déjà entrepris de manière informelle des discussions avec les syndicats internes » , laissant entendre l’existence de concertations préalables, alors que dans les faits le courriel d’annonce de la réforme a été envoyé à l’ensemble du personnel à peine 15 minutes après la fin de la réunion du Comité de concertation où le projet a été présenté pour la première fois aux organisations syndicales internes du Forem. Ce qui nous paraît encore plus remarquable, c’est que cette communication ait été faite avant la mise sur pied du nouveau gouvernement wallon (officiellement investi le 13 septembre 2019) et avant même la transmission officielle de ce projet aux négociateurs de la future majorité (5). Ce projet a donc été élaboré et publiquement présenté par la direction du Forem lorsque celle-ci était toujours sous la tutelle et la responsabilité politique de celui qui fut, au sein d’un gouvernement MR-cdH, ministre de l’Emploi de juillet 2017 à septembre 2019… c’est-à-dire de M. Pierre-Yves Jeholet (MR). Aujourd’hui encore, au sein de la direction du Forem, ce projet est, nous dit-on, notamment mené par des personnes qui sont loin d’être étiquetées socialistes ou non marquées politiquement. Dont Sonia Pennetreau, administratrice générale adjointe et directrice du service du service Contrôle (ex-membre du cabinet d’André Antoine lorsque celui-ci était ministre de l’Emploi en 2011, cdH), déjà citée, et Geneviève Galloy, directrice du Département Accompagnement et services ouverts (ex-directrice de cabinet adjointe au sein du cabinet Jeholet, MR). L’auteur véritable du projet décret et de réforme n’est donc pas, comme on pourrait le croire, l’actuelle ministre de l’Emploi, qui en est plutôt la mère porteuse, même si elle en est la signataire et la responsable politique.

Une numérisation déshumanisante

L’article 11 de l’avant-projet de décret prévoit que « Le Forem privilégie l’utilisation des canaux numériques pour toute interaction, découlant de l’exécution du présent décret, avec le chercheur d’emploi dont l’autonomie numérique, (…), permet un accompagnement à distance. ». A lire la presse française, les résultats de l’application de ce type de stratégie « digital first » par Pôle Emploi, l’homologue d’outre-Quiévrain, sont particulièrement inquiétants. Le 6 mars 2017, Libération titre : « Pôle emploi : une grève contre la déshumanisation croissante », évoquant un mouvement de contestation contre le « passage vers le tout numérique qui fait craindre une perte du contact dans la relation entre chômeurs et conseillers ».

Un an et demi plus tard, le 27 septembre 2018, c’est au tour du journal l’Humanité de titrer « Pôle emploi. Le numérique, un plus pour les usagers ? Pas sûr ! » et de relater les mésaventures digitales des chômeurs : « les nouveaux inscrits doivent indiquer les critères permettant de renseigner une offre raisonnable d’emploi. À partir de là, ils reçoivent automatiquement les offres, et ce même s’ils sont en attente d’une formation ou lancés dans un projet de création d’entreprise. « Les demandeurs d’emploi ne savent pas qu’ils doivent répondre et qu’ils peuvent être sanctionnés s’ils ne le font pas », déclare Sandra, conseillère dans le Val-de-Marne. ». Le quotidien poursuit : « La loi sur la liberté de choisir son avenir professionnel – bel exercice de novlangue gouvernementale – projette l’expérimentation d’un carnet de bord numérique sur lequel les demandeurs d’emploi vont devoir consigner leurs démarches chaque mois. Il n’y aura plus qu’à les passer à la moulinette d’un algorithme pour radier en masse ». Quant au guide des droits des chômeurs CGT, il mentionne aujourd’hui : « Lors de l’inscription, une adresse électronique est exigée. Juste après, il est conseillé de refuser la dématérialisation et de dire qu’on veut recevoir les courriers par voie postale : il faut décocher la case concernant l’adresse électronique et cliquer sur « Non ». (…) Pôle Emploi, via ses conseillers et contrôleurs, met de plus en plus la pression sur les travailleurs privés d’emploi via des envois automatiques et des convocations dématérialisées illégales. Pour la même raison, il est recommandé de ne pas donner son numéro de téléphone au Pôle Emploi, qui peut s’en servir pour mettre la pression, envoyer des SMS n’importe quand, voire tenter des entretiens téléphoniques, plus anxiogènes et intrusifs que les entretiens en agence. (…) ». Si le projet décret est approuvé, les organisations syndicales belges en viendront-elles à être confrontées aux mêmes types de problèmes en Wallonie et à devoir donner des conseils similaires à leurs affiliés ?

Lunettes roses, lunettes bleues

Autant que sur son auteur réel, la confusion règne sur la motivation et les objectifs du projet. La ministre Morreale a plusieurs fois indiqué que celui-ci reposait « sur un changement de paradigme », mais sans mentionner en quoi au juste consistait cette modification fondamentale. Dans l’interview écrite publiée dans ce numéro, elle nous déclare que « l’objectif de la réforme est de proposer, au départ de ses besoins et de son profil, un accompagnement sur mesure à chaque demandeur d’emploi. » (lire p. 92). Mais en quoi cela n’a-t-il pas toujours été le but des accompagnements réalisés par le Forem, et en quoi le projet de décret proposé permettra-t-il concrètement de mieux l’atteindre ? Mystère. Chaussant ses lunettes roses, la ministre nous a également affirmé qu’elle était « convaincue que cette philosophie, qui est explicitement transcrite dans le projet de décret qui porte la réforme, augmentera la qualité de l’accompagnement proposé aux travailleurs sans emploi et diminuera le nombre de sanctions délivrées dans le cadre du contrôle de la disponibilité». Mais si la diminution du nombre de sanctions est l’un des objectifs du projet de réforme, comme elle le laisse entendre aux organisations syndicales et aux acteurs associatifs, pourquoi cette diminution prévue n’est-elle pas chiffrée, ou à tout le moins estimée ? Pourquoi la ministre n’a-t-elle jamais, dans les deux notes qu’elle a présentées au gouvernement wallon, mentionné un objectif ou une attente en matière de diminution des sanctions ? Mystère. Lunettes bleues : la note initiale de la ministre avance un tout autre type d’objectifs, dans un registre libéral mettant le focus sur les «métiers en pénurie » et les « fonctions critiques », et donc in fine en se référant à l’idée que les offres d’emplois nécessaires pour résoudre le problème du chômage sont « déjà là » et qu’il suffit d’activer et d’orienter les chômeurs vers celles-ci : « Faute d’une orientation professionnelle réfléchie et encadrée, beaucoup trop de jeunes et de moins jeunes entreprennent des parcours d’insertion chaotiques et un écart trop important entre les compétences recherchées par les employeurs et celles développées par les chercheurs d’emploi conduit à de nombreux postes vacants non satisfaits ou qui le sont dans des délais largement supérieurs à la moyenne. C’est pourquoi (…), j’ai souhaité m’atteler sans délai à la réforme de l’accompagnement proposé aux chercheur-euse-s d’emploi » (6). Enfin, lorsque la ministre s’est trouvée face aux parlementaires wallons, c’est toujours dans cette perspective d’un accroissement de la politique « d’activation » des demandeurs d’emploi qu’elle a présenté son projet de réforme. J’ai, a-t-elle déclaré, « l’impression qu’il y a des services qui sont exceptionnels au sein du Forem. (…) Il existe des tas de services, mais il n’y a pas assez de demandeurs d’emploi qui y sont. Il faut que cela grouille de monde. Il faut que, dans les carrefours emploi-formation, un demandeur d’emploi qui cherche aujourd’hui de l’emploi sache que le Forem est un vrai partenaire avec des tas de solutions et que, dès lors, il peut y passer beaucoup de temps, parce qu’il va avoir plusieurs cordes à son arc qui vont lui permettre de trouver un emploi. » (7). La réforme a-t-elle pour but de rabattre les demandeurs d’emplois vers les métiers dits en pénurie (c’est-à-dire soit dont les qualifications exigées pour les exercer sont rares et pointues, soit dont les conditions de travail sont exécrables) ou encore vers des services « exceptionnels » du Forem mais qui seraient actuellement désertés par les demandeurs d’emploi ? Mystère.

En se référant aux éléments de langage de la ministre, repris ici et ailleurs, on pourrait conclure que le projet de décret qu’elle défend vise à remplacer « l’accompagnement individualisé » actuellement pratiqué par le Forem par une nouvelle forme d’accompagnement dit « adapté », ou encore « orienté coaching et solutions » (sic), en application de la réforme « TIM – Talents, Impulsion Mobilisation » (sic) qui permettra de faire rapidement le « matching » (sic) de l’offre et la demande d’emploi en appliquant une nouvelle stratégie « digital first » (sic). Que cela signifie-t-il ? Mystère.

Un alignement du Forem par rapport à l’État social actif

En procédant à un examen attentif du texte du projet de décret lui-même, tel qu’adopté en seconde lecture, on peut cependant identifier le changement de paradigme organisé par ce projet de décret. Initialement et jusqu’à aujourd’hui, la mission du Forem est/était essentiellement d’aider les demandeurs d’emploi à trouver un travail. Le Forem a/avait bien reçu des missions de contrôle des demandeurs d’emploi, notamment en termes de contrôle de la disponibilité active et passive (suite au transfert de compétences organisé par la VIe réforme de l’État) mais ces missions sont restées périphériques par rapport à l’organisation même de l’institution, à sa culture d’entreprise et à l’identité professionnelle de ses travailleurs, qui sont restées fondées sur l’idée (dépassée?) d’un service public qui a avant tout vocation à répondre aux demandes des citoyens. Le contrôle est actuellement organisé dans le cadre d’un service distinct, suivant des procédures distinctes et mis en œuvre par un personnel distinct (évaluateurs, dits « ex-personnel de l’ONEM ») par rapport à l’organisation du cœur même du métier du Forem, qui est sa mission de placement (lire p. 80). Le projet de réforme redessine l’entreprise en organisant l’emprise de la mission de contrôle sur l’ensemble de la relation entre le demandeur d’emploi et le Forem. Si ce projet est adopté, le Forem ne sera plus essentiellement un organisme au service des demandeurs d’emploi mais un organisme de prescription aux demandeurs d’emploi de comportements à suivre pour préserver leur droit au chômage. Il s’agit d’un alignement de l’ensemble de l’institution par rapport à la nouvelle conception du droit aux allocations de chômage mise en place au niveau fédéral à partir de 2004, selon laquelle les allocations doivent être « contractualisées », c’est-à-dire donner lieu à une contrepartie (« activation ») contrôlable et contrôlée. (8) Ainsi, pour désigner les personnes qui s’adressent au Forem, l’avant-projet remplace les termes « demandeur d’emploi » par ceux de « chercheur d’emploi ». Il n’y a là rien d’anodin. Désigner le chômeur comme « demandeur » revenait à positionner le Forem en tant qu’organisme qui a pour mission de répondre à sa « demande ». Le désigner comme « chercheur » revient à d’emblée considérer que son statut n’est pas lié à son manque d’emploi mais bien à ses « efforts de recherche ». A partir de là, il devient logique que le Forem ait moins pour mission de répondre à cette « demande » que d’évaluer ces efforts afin de s’assurer que le chômeur mérite d’être reconnu dans ce statut de « chercheur » et, le cas échéant, qu’il le sanctionne ou l’exclue, si celui-ci ne parvient pas à apporter les preuves qu’il est non seulement « demandeur » mais également « chercheur » d’emploi.

Emploi nulle part, contrôle partout

Cette emprise du contrôle sur l’ensemble de la relation entre le Forem et le demandeur (dit « chercheur.euse ») d’emploi organisée par le projet de décret s’articule à travers les éléments suivants :

– 1. La « collaboration » avec le Forem deviendrait l’un des éléments nécessaire pour être reconnu en tant que demandeur d’emploi. Jusqu’ici l’obligation de collaboration n’était qu’un élément pris en compte pour l’octroi des allocations dans le cadre du contrôle de la disponibilité. L’article 12 de l’avant-projet de décret donnerait une base légale pour permettre au gouvernement wallon et au Forem d’instituer une série de nouvelles conditions, liées à sa « collaboration » avec le Forem, qui s’ajouteraient aux dispositions fédérales existantes pour être reconnu en tant que demandeur d’emploi, et donc pour bénéficier des allocations de chômage. Ce même article confierait d’avance au Forem la compétence pour sanctionner les manquements éventuels à ces nouvelles obligations.

– 2. Le Forem pourrait imposer au demandeur d’emploi une redéfinition « valable » de son positionnement métier ainsi que des compétences dont il dispose. En effet, selon le projet de décret, et en particulier son article 9, seuls le Forem et ses partenaires sont censés disposer d’une vision « valable » et « objective » du positionnement métier du demandeur d’emploi et de ses compétences. A ceci font écho les préoccupations exprimées par les TSE CSC quant au respect du « principe de la liberté de choix dans les formations et les métiers » (lire p. 104) ou celles de l’Interfédé par rapport au fait que la réforme « s’axe sur la réalisation d’une prétendue objectivation de la situation des demandeurs d’emploi après quelques tests sommaires, dans laquelle le côté humain et les attentes des demandeurs d’emploi pourraient être écartés » (lire p. 111).

– 3. Le Forem constituerait sur le demandeur d’emploi une gigantesque base de données, alimentée en permanence par le demandeur d’emploi lui-même,par les partenaires du Forem et par certains employeurs avec lesquels le demandeur pourra être mis en contact (voir notamment articles 4, 12, 16 et 27 à 29). L’ensemble de ces informations pourraient être utilisées pour contrôler le demandeur d’emploi (et lorsque cela ne serait pas dans le cadre du contrôle de la disponibilité active, ce qui restera à vérifier dans les faits, ce sera dans le cadre du contrôle de la disponibilité passive). Il est à noter que l’éventualité de la demande d’un accord du demandeur d’emploi pour l’utilisation par le Forem de ces données ne changerait pas fondamentalement le problème lié à leur collecte et à leur centralisation informatisée. La plupart des demandeurs d’emploi de ne comprendront probablement pas grand-chose à l’utilisation ultérieure qui pourra être faite des données dont ils autoriseront l’usage par le Forem. En particulier, ils ne mesureront pas les risques que certaines données pourraient représenter pour le maintien futur de leur allocation.

– 4. Le Forem mettrait fin au cloisonnement actuel entre « l’aide » et le « contrôle ». Les conseillers du Forem devraient alors assumer les deux missions et participer à l’évaluation de la disponibilité active, en contractualisant l’octroi des allocations et en transmettant, le cas échéant, des « propositions d’évaluation négative » au service Contrôle. Il n’y aurait plus, selon les dispositions de l’article 15 de l’avant-projet de décret, un processus distinct pour l’accompagnement et un processus distinct pour l’évaluation de la disponibilité active, ni de distinction des personnels (même si la délivrance des sanctions resterait confié à un personnel spécifique) (lire p. 100). Cette fusion du placement et de l’évaluation de la disponibilité active aurait pour conséquence, comme nous l’a indiqué le conseiller de référence que nous avons interviewé, de générer « une confusion majeure qui pervertirait tant la bonne organisation de la recherche d’emploi que la relation de confiance avec les conseillers et les demandeurs d’emploi » (lire p. 73). L’accompagnement à la « vraie recherche d’emploi » étant, selon celui-ci, d’une nature très différente du contrôle de la disponibilité active. C’est-à-dire, selon les critères fixés par la réglementation fédérale, de l’examen des preuves apportées par le demandeur d’emploi qu’il « recherche lui-même activement un emploi par des démarches personnelles régulières et diversifiées ».

– 5. Le Forem instaurerait le « dossier unique » en ligne (créé dès l’inscription) comme moyen privilégié de communication avec le demandeur d’emploi. De même, le Forem privilégierait l’inscription en ligne ainsi que l’accompagnement à distance par rapport à l’accompagnement en vis-à-vis (articles 4 et 11), ce qui non seulement déshumaniserait cet accompagnement mais le rendrait plus prégnant et intrusif dans la vie même des demandeurs d’emploi. Tant les organisations syndicales que l’Interfédé ont fait part de leurs préoccupations en cette matière (lire p. 104, p. 108 et p. 111). Ces inquiétudes semblent confirmées par les résultats de l’application de dispositifs similaires par Pôle Emploi, l’homologue français du Forem (lire l’encadré p. XX). Ici encore, le problème posé par cette stratégie « digital first » ne se résoudrait pas avec le droit reconnu au demandeur d’emploi de bénéficier d’une « assistance » du Forem pour éventuellement pouvoir s’inscrire dans ses locaux, d’une communication par courrier ou encore d’un accompagnement présentiel. En effet, le demandeur d’emploi étant dans une relation de dépendance vis-à-vis de Forem et menacé de sanctions en cas de manque de « collaboration » vis-à-vis de l’institution, il est illusoire de penser que celui-ci disposera d’un véritable libre choix en la matière si le Forem fait pression pour qu’il accepte les modalités numériques de communication.

Une multiplication prévisible des sanctions et des exclusions

Il faut notamment prévoir qu’il s’ensuivra une augmentation des sanctions et des exclusions, à tout le moins dans le cadre du contrôle de la « disponibilité passive » (lire p. 80), si pas en matière de disponibilité active (ce qui reste à confirmer et dépendrait notamment du contenu des dispositions d’application qui seraient prises par le gouvernement en exécution de la délégation prévue par le projet de décret, de leur évolution ainsi que des instructions de la direction du Forem). Jusqu’ici seule l’absence à des rendez-vous présentiels au Forem était susceptible de sanction. En outre, le rendez-vous devait avoir été notifié par recommandé pour pouvoir donner lieu à une sanction. Le projet de décret prévoit de pouvoir également sanctionner des absences à des rendez-vous à distance (Gsm, Teams, etc.), et le développement du « dossier unique » en ligne qui offrira un accès sécurisé avec une identification légale (carte d’identité) permettra à moindre frais des communications aussi fiables que les recommandés. Idem, jusqu’ici, pour donner lieu à une sanction en cas d’absence de suivi, une offre d’emploi devait avoir été transmise au chômeur soit en présentiel soit par un envoi recommandé. Ici également, il est probable que les offres d’emploi qui auront été adressées sur l’espace en ligne sécurisé du demandeur d’emploi pourront donner lieu à un contrôle du fait que le demandeur d’emploi y a bien répondu. Idem, dans toute une série de situations contrôlées non totalement matériellement objectivées, le demandeur d’emploi pouvait échapper à la sanction au « bénéfice du doute », ce serait beaucoup moins le cas lorsque les flux d’informations directes et informatisées se seront multipliés en direction du Forem et que la relation identifiée avec l’usager pourra se faire via un site web sécurisé.

Le projet de réforme prévoit que ce changement de paradigme ira de pair avec une extension de l’accompagnement à tous les demandeurs d’emploi suivis par le Forem (contre seulement environ 38% de ceux-ci pour le moment, selon nos calculs, lire p. 100). Il prévoit par ailleurs que l’accompagnement sera plus intensif pour les demandeurs d’emploi les plus « éloignés » du marché du travail (âgés, peu qualifiés, chômeurs de longue durée…). Selon l’antienne activatrice entonnée par la ministre de l’Emploi, l’extension de l’accompagnement et son intensification ciblée conduiront à une multiplication des contacts entre le Forem et le demandeur d’emploi, des informations transmises au Forem et des actions demandées aux demandeurs d’emploi, ce qui engendrerait selon elle une multiplication des mises à l’emploi. Or le taux d’absentéisme à certaines convocations du Forem peut être élevé (parfois jusqu’à une personne convoquée sur deux). Selon nous, cette extension et intensification des convocations va donc surtout générer une explosion des sanctions pour absence aux rendez-vous avec le conseiller référent, dans le cadre du contrôle de la disponibilité passive. Certains objecteront peut-être qu’aujourd’hui près de 100 % des demandeurs d’emploi sont déjà régulièrement convoqués par les évaluateurs du Forem dans le cadre du contrôle de leurs efforts de recherche d’emploi (disponibilité active). C’est exact, mais si les absences à ce type de convocations-là sont préjudiciables aux demandeurs d’emploi, elles ne donnent toutefois pas lieu à des sanctions du Forem au titre du contrôle de la disponibilité passive. Un processus similaire semble prévu au niveau de la transmission d’offres d’emploi. De récents documents du Forem évoquent le développement « d’outils de matching » informatisés qui devraient permettre de « passer de 60.000 demandeurs d’emploi actuellement à 300.000 demandeurs d’emploi [sic] à mettre en relation avec au moins une offre d’emploi pertinente, sans impact négatif sur la charge de travail des agents » (9). Il est douteux que cette multiplication par cinq des offres d’emploi transmises par le Forem, grâce à une sélection effectuée par des outils « d’intelligence artificielle », ait un impact réel sur l’accès à l’emploi des chômeurs wallons. Mais vu que la non-réponse à une offre d’emploi transmise par le Forem peut donner lieu à des sanctions par le Forem, ce nouveau dispositif pourrait néanmoins avoir un impact important sur le maintien du droit aux allocations de chômage. On notera encore que toutes ces nouvelles sanctions seraient la plupart délivrées au titre du contrôle de la « disponibilité passive » du demandeur d’emploi, et que ce type de sanctions frappent plus rapidement et lourdement les demandeurs d’emploi que celles octroyées dans le cadre du contrôle de la disponibilité active, d’autant que les règles internes prévues en cas de « récidive » prévoient des exclusions définitives.

Dans les faits, l’hyper-activation promue par ce projet ne créera pas d’emploi et, in fine, combinée avec les autres dimensions de la réforme, la multiplication des contacts, informations, actions prescrites et transmissions d’offres d’emploi ne pourra que donner lieu (outre à un harcèlement généralisé) à une multiplication des sanctions et des exclusions. Sous le couvert d’un projet de décret « relatif à l’accompagnement orienté coaching et solutions des chercheurs d’emplois », c’est donc bien un décret relatif à l’accompagnement orienté « contrôle et exclusion » que la ministre propose d’adopter. Nous estimons donc que cet avant-projet de décret et de réforme sont à tous le moins mal conçus par rapport aux objectifs proclamés favorables aux demandeurs d’emploi. Leur adoption en l’état reviendrait à ouvrir une chasse aux chômeur.eus.es wallon.ne.s. Ce serait d’autant plus inacceptable dans la situation de crise économique et sociale qu’a déclenchée la crise sanitaire du Covid. Oui, il faut réformer le contrôle de la disponibilité active au Forem, qui a raté la régionalisation de cette compétence et qui aboutit actuellement dans ce domaine à un surcroît de sanctions totalement anormal par rapport aux pratiques des autres régions, comme nous l’avons déjà souligné depuis plusieurs années (ainsi en 2019, 5.239 sanctions en disponibilité active ont été délivrées par le Forem contre 262 à ce titre par le VDAB et 367 par Actiris, lire p. 88). (10). Une réforme de l’accompagnent et du contrôle réalisés par le Forem est nécessaire, mais pas celle-là et pas sans un véritable débat public préalable, éclairé par des études d’impact.

(1) Arnaud Lismond-Mertes et Yves Martens (CSCE), « Forem : non à un accompagnement orienté flicage et sanctions », Ensemble ! n°103, p. 6, octobre 2020.

(2) Jean-François Tamellini (FGTB-W), « Nous évaluerons l’évolution du projet », Ensemble ! n°103, p. 15, octobre 2020.

(3) Arnaud Lismond-Mertes et Yves Martens (CSCE), Réflexions sur l’avant-projet de décret « relatif à l’accompagnement orienté coaching et solutions des chercheurs d’emplois » tel qu’adopté en seconde lecture par le gouvernement wallon, novembre 2020, dispo sur www.ensemble.be

(4) Programme PS pour les élections de juin 2019, Union européenne, Fédéral, Fédération Wallonie-Bruxelles, Wallonie, p. 203

(5) François-Xavier Lefèvre, « Le Forem prépare sa refonte pour mieux encadrer les chômeurs », in L’Echo, 28 juin 2019.

(6) Christie Morreale, Note au gouvernement wallon, 25 juin 2020

(7) Parlement Wallon, Question orale de M. Disabato sur « Le suivi de l’accompagnement des demandeurs d’emploi », CRAC n° 65 (2020 – 2021), 17 nombre 2020.

(8) L’adhésion à l’État social actif en tout cas de Sonia Pennetreau n’a rien de neuf. Elle nous l’avait clairement exprimée lors de l’interview qu’elle nous avait donnée lors de la régionalisation du contrôle. Lire : « Etre loyal et capitaliser sur l’accompagnement ! » dans Ensemble ! n°90, p. 10.

(9) Forem, Accompagnement adapté – Outil de matching, 4.12.20

(10) Yves Martens, « Sanctions 2016 : la Wallonie championne », Ensemble ! n°93, mars 2017, p. 37; Yves Martens, « Chômage: comprendre les différences entre régions pour les sanctions », janvier 2018, www.revuepolitique.be ; Yves Martens, « A chaque région sa façon de chasser les chômeurs », Ensemble ! n° 102, juin 2020, p. 106

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