Forem

« Nous décidons quotidiennement si des demandeurs d’emploi pourront manger »

Armen Beschutzer (nom d‘emprunt) est évaluatrice au sein du service Contrôle du Forem. Elle nous explique le contenu de sa fonction et ses craintes par rapport au projet de réforme de l’accompagnement.

La réalité des contrôles, de leurs principes et de leur application est encore mal connue (Extrait de « Bureau de chômage »)

Le principe de l’assurance chômage veut que celle-ci n’indemnise que les personnes privées de travail et de rémunération « par suite de circonstances indépendantes de leur volonté ». Sur cette base, la réglementation fédérale prévoit toute une série d’obligations en matière de « disponibilité passive » sur le marché du travail, plus ou moins discutables, qui doivent être respectées pour pouvoir bénéficier des allocations de chômage (lire l’encadré). En outre, à partir de 2004, avec l’introduction du « contrôle de la disponibilité active », que nous avons d’emblée dénoncée comme une forme de chasse aux chômeurs, un nouveau type d’obligations a été ajouté pour obtenir ou conserver le droit aux allocations, qui consiste à obliger les bénéficiaires à apporter des preuves qu’ils recherchent « activement un emploi par des démarches personnelles régulières et diversifiées » (lire l’encadré). Si la réglementation est restée fédérale, depuis la VIe réforme de l’État (à partir de 2017 à Bruxelles, 2016 dans les autres régions) , le contrôle du respect de ces obligations est devenu pour l’essentiel une compétence des régions . La réglementation fédérale leur laissant d’importantes marges de manœuvre en la matière, la façon dont chacune des régions a organisé ce contrôle a donné lieu à des résultats parfois contrastés en matière de nombre de sanctions et d’exclusions délivrées dans ce cadre (lire l’article p. 88). Le projet de réforme de « l’accompagnement » des demandeurs d’emploi actuellement porté au sein du gouvernement wallon par la ministre Christie Morreale (PS) aurait des conséquences importantes sur l’organisation du contrôle des demandeurs d’emploi wallons. Nous pensons que ce projet de réforme risque de générer plus de sanctions et des sanctions plus importantes (lire p. 66), tandis que la ministre de l’Emploi estime que celle-ci devrait diminuer le nombre de sanctions délivrées (lire p. 92). Qui a raison ? Pour en juger, il faudra non seulement sous-peser le détail des textes légaux et réglementaires en préparation mais aussi se référer précisément à la pratique actuelle du Forem en la matière.

Les demandeurs d’emploi wallons font régulièrement l’expérience des évaluations et des contrôles du Forem. Cependant, même si en 2015 un film documentaire, tourné à Charleroi, a été consacré au contrôle de la disponibilité active (1) (à une époque où il était encore exercé par l’ONEm), la réalité actuelle de ces contrôles, de leurs principes et de leur application est encore mal connue. S’agissant d’un élément essentiel pour comprendre les enjeux et les risques liés au projet de réforme actuellement en discussion, nous sommes particulièrement heureux qu’Armen Beschutzer (nom d‘emprunt), évaluatrice au sein du service Contrôle du Forem. ait accepté de nous expliquer le contenu de sa fonction et ses craintes par rapport au projet de réforme de l’accompagnement.

Obligations des demandeurs d’emploi indemnisés en matière de disponibilité passive

La notion de chômage volontaire et les obligations des demandeurs d’emploi indemnisés en matière de disponibilité passive sont principalement fixés aux articles 51 à 53bis, 56 et 58 de l’arrêté royal (fédéral) du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage, qui dispose que :

« Art. 51. Le travailleur qui est ou devient chômeur par suite de circonstances dépendant de sa volonté peut être exclu du bénéfice des allocations conformément aux dispositions des articles 52 à 54.
Par « chômage par suite de circonstances dépendant de la volonté du travailleur », il faut entendre :
1° l’abandon d’un emploi convenable sans motif légitime;
2° le licenciement pour un motif équitable eu égard à l’attitude fautive du travailleur;
3° le défaut de présentation, sans justification suffisante, auprès d’un employeur, si le chômeur a été invité par le Service de l’Emploi compétent à se présenter auprès de cet employeur, ou le refus d’un emploi convenable;
4° le défaut de présentation, sans justification suffisante, au Service de l’Emploi et/ou de la Formation professionnelle compétent, si le chômeur a été invité par ce service à s’y présenter;
5° le refus du chômeur de participer ou de collaborer à un plan d’action individuel tel que visé à l’article 27, alinéa 1er,14° qui lui est proposé par le service régional de l’emploi compétent;
6° l’arrêt ou l’échec du plan d’action individuel visé au 5° à cause de l’attitude fautive du chômeur; (…)

Art. 56. § 1er. Pour bénéficier des allocations, le chômeur complet doit être disponible pour le marché de l’emploi. Par marché de l’emploi, il faut entendre l’ensemble des emplois qui, compte tenu des critères de l’emploi convenable fixés en vertu de l’article 51, sont convenables pour le chômeur.
Le chômeur qui n’est pas disposé à accepter tout emploi convenable du fait qu’il soumet sa remise au travail à des réserves qui, compte tenu des critères de l’emploi convenable, ne sont pas fondées, est considéré comme indisponible pour le marché de l’emploi. (…) ».

En outre, l’article 58 du même arrêté prévoit notamment que :

« Art 58. §1 : (…) Le chômeur ne peut plus bénéficier des allocations à partir du jour où son inscription comme demandeur d’emploi a été radiée d’office par le service régional de l’emploi compétent, notamment à la suite du fait qu’il :
1° n’est plus disponible pour le marché de l’emploi;
2° ne s’est pas présenté à ce service quand il a été convoqué;
3° n’a pas averti ce service de son changement d’adresse;
4° n’a pas accompli les formalités requises par ce service aux fins de maintenir l’inscription comme demandeur d’emploi. (…) ».

Cet entretien expose comment certains travailleurs.euses tentent d’investir cette fonction d’un contenu positif, en tenant de donner aux demandeurs d’emploi le maximum de chances de préserver leur droits, d’une manière compatible avec la réglementation et la politique du Forem, voire en lui apportant une aide ou des conseils utiles dans le cadre de leur recherche d’emploi. Ses déclarations dessinent cependant un portrait cru de la misère sociale que ces travailleurs rencontrent au quotidien et sur la violence intrinsèque inhérente à l’application de cette réglementation ainsi que, parfois, de la façon dont le Forem la met en œuvre. Évoquant tantôt le fait que les évaluateurs du Forem « prennent quotidiennement des décisions qui reviennent à décider si le mois prochain des demandeurs d’emploi que nous recevons pourront manger. », tantôt le profil social précaire des personnes qui risquent le plus d’être sanctionnées (« Celles qui ne maîtrisent pas assez les outils informatiques ou le français, qui ne comprennent pas bien ce qu’il faut faire ou ne pas faire, celles qui ont été convoquées à un rendez-vous au Forem mais qui, à la fin du mois, n’ont plus d’argent pour payer un trajet en bus ni de crédit téléphonique pour prévenir de leur absence, etc. » ou encore la nécessité absolue de la présence de vigiles dans les locaux où s’effectuent le contrôle sous peine du « retour des coups de poings sur la table, des chaises et des ordinateurs qui volent, des carreaux cassés, etc. ». Enfin, Armen Beschutzer nous a indiqué qu’elle craignait que la réforme engendre « une augmentation drastique des sanctions dans le cadre du contrôle de la disponibilité passive », nous révélant à cet égard un véritable scoop : « Fin 2019, lors d’une réunion d’échange avec des évaluateurs où le projet de réforme avait été abordé, l’administratrice générale adjointe du Forem (qui est également la directrice du service à gestion distincte du service Contrôle) [Ndlr : c’est-à-dire Mme Sonia Pennetreau] a indiqué qu’elle « cherchait de nouvelles sources de litiges » (sic), c’est-à-dire des sanctions dans le cadre du contrôle de la disponibilité passive. ». Voilà qui devrait donner à penser aux personnes qui soutiennent ce projet de réforme.

Anne Schiltz et Charlotte Grégoire ont pu filmer la façon dont l’ONEm pratiquait le contrôle, un avant la régionalisation.

Ensemble ! : En quoi consiste le contrôle de la disponibilité active actuellement effectué par le Forem ?

Armen Beschutzer (Évaluatrice au Forem): La « disponibilité active » sur le marché du travail est une obligation relative aux « efforts de recherche d’emploi » qui, à partir de 2004, a progressivement été imposée par la réglementation fédérale pour le maintien des allocations aux chômeurs complets indemnisés (Dispo C), sous peine de sanctions ou d’exclusion. En 2014, cette obligation a été également imposée aux jeunes qui demandent à accéder pour la première fois aux allocations de chômage (dites dans ce cas « allocations d’insertion ») et sont dits en « stage d’insertion » (Dispo J). A l’époque, le contrôle de la disponibilité active était assumé au sein de l’ONEm et les critères d’évaluation portaient essentiellement sur des objectifs quantitatifs de nombre de candidatures effectuées mensuellement, de nombre d’actions entreprises, etc. Ces critères ont évolué au fil du temps. Au départ il fallait répondre à quatre offres d’emploi par mois, puis c’est passé à six puis à huit. Heureusement, la réglementation prévoit qu’il faut également prendre en compte la situation personnelle et familiale du demandeur d’emploi, son niveau de diplôme ainsi que l’évolution du marché de l’emploi régional.

En 2016, dans le cadre de la VIe réforme de l’État, la mission de contrôle de la disponibilité active a été transférée au Forem et affectée à un service contrôle à gestion distincte , également en charge de la disponibilité passive, qui fonctionne toujours d’une façon séparée des autres services du Forem et avec un personnel (les anciens « facilitateurs » de l’ONEm) différent de celui qui s’occupe de l’accompagnement des demandeurs d’emploi. L’organisation de ce contrôle par le Forem a été un peu différente de celle de l’ONEm. L’évaluation y porte aujourd’hui moins sur des éléments purement quantitatifs que sur la qualité de la recherche d’emploi. Outre la vérification que la personne a bien effectué des démarches de recherche d’emploi chaque semaine pendant la période de l’année qui précède le contrôle, on vérifie également qu’elle dispose d’un CV et d’une lettre de motivation corrects, que ses recherches d’emploi sont cohérentes avec son profil, et que ses recherches sont diversifiées quant aux méthodes, aux secteurs d’activité, au niveau géographique, etc. La réalisation du plan d’action établi avec le conseiller référent, les éventuels éléments de contextualisation notés par le conseiller référent ainsi que la suite donnée aux recommandations de l’évaluateur précédent, s’il y en a, sont également examinés. C’est au demandeur d’emploi qu’il incombe d’apporter la preuve de ses recherches. Seuls sont pris en compte les éléments de preuve datés, puisqu’il faut pouvoir vérifier la disponibilité active semaine après semaine pendant l’ensemble de la période considérée. Si la personne n’apporte pas de preuves de recherche concernant une période d’un mois, on ne va pas nécessairement lui infliger une évaluation négative, comme cela aurait été fait à l’ONEm. Par contre, si la personne apporte des preuves de recherches intensives pendant les quatre premiers mois de la période contrôlée et plus rien concernant les huit mois suivants, le tout sans justification liée à un évènement exceptionnel étayé par des preuves, l’évaluateur ne peut que délivrer une évaluation négative.

« C’est au demandeur d’emploi qu’il incombe d’apporter la preuve de ses recherches. »

Dans le cadre de la « Dispo C », les demandeurs d’emploi sont en principe convoqués une fois par an pour contrôler leur « disponibilité active » durant l’année écoulée. Si l’évaluation est positive, la personne conserve le bénéfice de ses allocations et ne sera reconvoquée qu’un an plus tard. Une première évaluation négative ne donne pas lieu à une suspension des allocations, mais l’évaluateur transmet des « recommandations » à la personne quant aux actions à entreprendre et celle-ci est reconvoquée six mois plus tard. Si cette seconde évaluation (basée entre autres sur le suivi des recommandations) est à nouveau négative, le demandeur d’emploi subira une sanction supprimant (allocataire d’insertion ou chômeur cohabitant) ou diminuant (chômeur isolé ou chef de ménage) ses allocations pour une durée de 13 semaines. Dans ce cas, un troisième entretien est convoqué six mois plus tard, si l’évaluation est à nouveau négative, la sanction est une exclusion définitive. Selon le statut des personnes, soit le retrait du droit aux allocations est immédiat (dans le cas des allocations d’insertion et des cohabitant.e.s admis.e.s sur base du travail), soit il est précédé par une diminution des allocations pendant six mois (pour les allocations de chômage des personnes isolées ou chefs de ménage). Un nombre important d’évaluations négatives sont délivrées sur base d’absences aux entretiens. Il arrive régulièrement que les personnes ne viennent pas au premier entretien où elles ont été convoquées et reçoivent un simple avertissement. Ensuite, elles ne viennent pas au second entretien et sont sanctionnées. Nous ne les rencontrons alors réellement pour la première fois que dans le cadre du « troisième entretien », c’est-à-dire à un moment où ce sera une exclusion définitive qui sera en jeu. Chaque demandeur d’emploi est informé par écrit des décisions prises. Dans ce courrier, il est indiqué que la personne peut se présenter au Forem dans les trente jours pour refaire un entretien d’évaluation ou introduire un recours auprès du tribunal du Travail.

Pour la « Dispo J », la procédure est un peu différente, les jeunes étant évalués au 5e et au 10e mois de stage. Les critères d’évaluation sont globalement identiques, même si on est un peu plus souple pour les jeunes qui ont parfois du mal à comprendre le monde du travail, les aspects administratifs inhérents à la vie d’adulte et en particulier les obligations qui leur sont imposées pour ouvrir leur droit aux allocations d’insertion. Pour des jeunes qui sont sortis de l’enseignement secondaire professionnel sans diplôme, qui n’ont ni qualification reconnue ni permis de conduire… leur premier entretien a peu de chance de donner lieu à une évaluation positive. Ces jeunes-là sont généralement complètement désorientés, ne savent pas où ils en sont, connaissent peu de choses par rapport au monde du travail. Ils devraient bénéficier d’une prise en charge précoce intensive, ce n’est pas à travers deux entretiens de contrôle espacés de cinq mois, ni même un entretien mensuel avec un conseiller emploi que l’on peut espérer les voir accéder à l’emploi. Ils sont trop souvent laissés dans un état d’abandon qui me semble criminel. Le Forem pourrait faire vis-à-vis de ce public beaucoup de choses qu’il ne fait pas actuellement. Par exemple, leur proposer une formation sociale et citoyenne qui leur explique ce que sont les mutuelles, les syndicats, comment fonctionne le marché du travail, ce que c’est qu’une agence d’intérim, etc. Tous ces repères sont loin d’être évidents pour certains jeunes. Idem, pourquoi le Forem n’organise-t-il pas, pour ceux qui n’ont pas terminé leurs études secondaires, des formations leur permettant de préparer le jury central ? Aujourd’hui la préparation du jury central, qui peut être lourde, n’est pas valorisée dans le cadre du stage d’insertion : le jeune reste à 100 % tenu de chercher de l’emploi…

L’autre mission du service de contrôle du Forem, c’est le contrôle de la « disponibilité passive ». De quoi s’agit-il ?

La « disponibilité passive » (Dispo P) sur le marché du travail concerne l’obligation faite aux demandeurs d’emploi indemnisés de répondre aux offres d’emplois convenables remises par un conseiller du Forem, de se présenter aux rendez-vous fixés par le Forem, de collaborer au plan d’action « convenu » avec un conseiller du Forem, de ne pas abandonner une formation entamée etc. Le contrôle de la disponibilité passive est actuellement également assuré par le service de contrôle à gestion distincte du Forem, dans le cadre de ce que l’on appelle des « auditions litiges » menées par un évaluateur. C’est un type de contrôle qui est plus pénible à assumer par ceux-ci car il ne s’agit que de l’examen de « faits litigieux » et les sanctions délivrées dans ce cadre sont lourdes et rapides. Le demandeur d’emploi ne s’est pas présenté à un rendez-vous chez son conseiller référent du Forem, il s’est vu remettre une offre d’emploi en mains propres par son conseiller référent et n’a pas signalé au Forem qu’il y avait répondu, le conseiller référent a signalé qu’il ne collaborait pas à la réalisation de son plan d’action, ou encore le chômeur a refusé de bénéficier d’un outplacement… lorsqu’un de ces cas lui est signalé, l’évaluateur convoque la personne, l’interroge sur ce fait précis, examine les éléments de preuve qu’elle communique ainsi que les éléments de défense éventuellement mis en avant par l’accompagnateur syndical qui peut l’assister, dresse un procès-verbal d’audition et, en cas d’évaluation jugée négative, propose à son chef de service l’adoption d’une sanction. Les sanctions vont du simple avertissement, en cas de prise en compte de circonstances atténuantes, à des sanctions qui vont de 4 à 52 semaines de suspension du droit aux allocations de chômage. Si la personne commet le même type de fait litigieux dans les deux années qui suivent, la réglementation considère qu’il y a une récidive et dans ce cas, la personne perd tout droit aux allocations de chômage.

« La cause la plus courante de sanction dans le cadre de la disponibilité passive est l’absence à un rendez-vous fixé par le Forem. »

La cause la plus courante de sanction dans le cadre de la disponibilité passive est l’absence à un rendez-vous fixé par le Forem chez le conseiller référent. C’est un motif de sanction qui pose un certain nombre de questions. La boîte aux lettres des demandeurs d’emploi n’est pas toujours en bon état, leurs conditions de logement étant parfois difficiles, mais légalement les demandeurs d’emploi sont responsables de leur boîte aux lettres. En outre, dans le cadre de l’application actuelle faite de la réglementation par le Forem, l’absence injustifiée donne lieu à une radiation de l’inscription en tant que demandeur d’emploi (2), donc si le demandeur d’emploi ne comprend pas qu’il a été radié et qu’il doit se réinscrire rapidement, les jours où il n’a pas été inscrit seront perdus du point de vue de son allocation de chômage.. L’ONEm récupère les allocations versées pendant cette période de radiation et applique en plus la sanction prévue par le Forem. Il y a dans ce registre un manque de proportion évident entre les fautes et les sanctions délivrées. J’ai connu le cas d’une personne radiée pendant près d’un an suite à une absence à une convocation… Elle n’avait pas compris qu’elle avait été radiée et devait faire une démarche de réinscription comme demandeuse d’emploi. Heureusement, car cette procédure générait énormément de sanctions, concernant le suivi des offres d’emploi formellement transmises par les conseillers référents, l’obligation pour le demandeur d’emploi de renvoyer un talon réponse au Forem signalant qu’il avait bien répondu à l’offre a été supprimée..

« Le taux d’absentéisme est élevé, jusqu’à 50 %. »

Chaque évaluateur reçoit par année approximativement un millier de demandeurs d’emploi. Environ neuf rendez-vous d’évaluation sont fixés chaque jour, mais le taux d’absentéisme est élevé, jusqu’à 50 %. Le profil le plus fréquent des demandeurs d’emploi contrôlés est celui de personnes faiblement diplômées, ayant peu d’expérience professionnelle, peu de qualifications reconnues et pas de permis de conduire, etc. Ce sont donc souvent les mêmes offres d’emploi auxquelles ces personnes postulent, ce qui fait que les évaluateurs acquièrent par ce biais une bonne connaissance de cette partie du marché de l’emploi.

La réglementation fédérale et les documents d’instructions du Forem laissent une importante marge d’appréciation aux évaluateurs pour juger de la « disponibilité active » des demandeurs d’emploi. Comment cette marge est-elle régulée au sein du Forem ?

Les chefs de service de contrôle des différents bureaux de Wallonie ont des réunions hebdomadaires, notamment pour uniformiser les pratiques, tout en continuant à tenir compte des particularités sous-régionales … Il y a également des échanges internes au sein de chaque équipe régionale ainsi qu’entre les évaluateurs à l’échelle de l’ensemble de la Wallonie. Par ailleurs, lorsque les évaluateurs ont des hésitations sur la façon de trancher un dossier, ils sont invités à consulter soit deux collègues soit leur chef de service. Au besoin, une décision peut être analysée en équipe. En outre, les décisions d’exclusion définitive ne sont jamais prises immédiatement par l’évaluateur sans un avis extérieur, et in fine c’est seulement le chef d’équipe qui prend ce type de décision. Ceci dit, la plupart des avis négatifs sont pris par rapport à des personnes qui ne se sont pas présentées au rendez-vous d’évaluation. Dans ce cas-là, il y a souvent peu matière à discussion… Enfin, il y a également des interventions plus verticales de la direction du service Contrôle à gestion séparée, qui peut communiquer de nouvelles instructions que les évaluateurs « doivent » appliquer, du type : « Jusqu’à présent, les évaluateurs du Forem délivraient des évaluations positives sans rendez-vous dans tels cas, désormais la nouvelle règle sera de ne plus les délivrer dans ces cas-là », etc. Il y a néanmoins généralement un espace de discussion que les évaluateurs peuvent utiliser ou imposer. Nous prenons quotidiennement des décisions qui reviennent à décider si des demandeurs d’emploi que nous recevons pourront manger le mois prochain… Il paraît dès lors légitime à un certain nombre d’évaluateurs de demander une discussion argumentée avec leurs chefs de service ou avec la direction par rapport à des directives qui leur paraîtraient trop problématiques, et au besoin à les remettre en cause.

Une des caractéristiques du projet de réforme en discussion, c’est qu’il prévoit de confier aux conseillers de référence en charge de l’accompagnement une mission d’évaluation de la disponibilité active. Ces conseillers y sont souvent opposés au motif que cela casserait leur relation de confiance avec les demandeurs d’emploi. Est-ce un constat que vous partagez ?

J’estime que dans ma position actuelle d’évaluatrice, je pratique déjà non seulement du contrôle mais également de l’aide et que je peux établir une certaine forme de relation de confiance avec les demandeurs d’emploi. La confiance, ça se travaille et je pense que ce qui est essentiel à cet égard, c’est l’honnêteté. Le tout est de bien préciser d’emblée le cadre de la relation, les règles du jeu et de vérifier que la personne les a bien comprises. Ce qui me paraît essentiel, c’est que la personne qui réalise le contrôle précise le cadre de son intervention et ses limites pour que la personne sache ce qu’elle peut attendre, ce qu’elle peut dire, faire… ou pas. C’est ce que je fais en début d’entretien : rappeler quel est mon rôle et sur quelle base le demandeur d’emploi sera évalué. Certes, lorsque que l’aide et le contrôle sont mêlés, la confiance n’est pas aussi étendue, mais elle peut néanmoins être présente. C’est une forme de relation et de confiance qui est courante dans d’autres secteurs du travail social, comme par exemple dans le secteur de l’aide à la jeunesse. Quand, lors de leur premier rendez-vous avec un demandeur d’emploi, des conseillers référents du Forem n’expliquent pas au demandeur qu’ils reçoivent qu’en cas d’absence à un rendez-vous il risque d’être lourdement sanctionné, la confiance du demandeur d’emploi est gravement trahie. Dissocier l’aide et le contrôle ne suffit donc pas pour garantir la relation de confiance.

La salle d’attente, lieu de tensions et d’angoisse. (Extrait de « Bureau de chômage »)

Le conseiller de référence que nous avons interviewé parallèlement nous a indiqué que ce qui était demandé aux demandeurs d’emploi dans le cadre du contrôle de la disponibilité, tel que fixé par la réglementation fédérale, n’était d’aucune utilité pour trouver un emploi. Est-ce une appréciation que vous partagez ?

Cela me paraît exact pour une part et faux pour une autre, cela dépend du type de public. Je partage le constat que les actions qui sont imposées aux demandeurs d’emploi dans le cadre du contrôle de la disponibilité active ne sont pas vraiment pertinentes en termes d’accès à l’emploi pour les personnes âgées ou fragilisées. Je me souviens, par exemple, d’une dame d’une cinquantaine d’années que j’avais reçue et qui avait été vendeuse de vêtements et admise au chômage sur base d’un temps partiel au taux cohabitant, qui touchait à ce titre 250 euros par mois. Elle avait néanmoins les mêmes obligations que tous en matière de contrôle de la disponibilité active. Cette dame était très stressée par le contrôle et expliquait qu’elle se présentait systématiquement en à face à face dans des magasins pour proposer ses services. Dans un secteur où l’on est « périmée » à 35 ans, elle subissait à répétition des refus et des humiliations. Ce que j’ai mis en place avec elle dans ce cas, c’est tout d’abord de voir comment elle pourrait apporter les éléments nécessaires en termes de recherches d’emploi pour lui permettre de conserver ses allocations. En l’occurrence, de continuer à postuler mais sur base de réponses écrites à des offres d’emploi et non en subissant continuellement des refus en face à face. Ensuite, je l’ai envoyée vers son conseiller référent pour voir s’il était possible pour elle de reconstruire un véritable projet professionnel. Dans certains cas, les actions à réaliser dans le cadre du contrôle de la disponibilité active et la vraie recherche d’emploi, ce sont des choses différentes. Dans d’autres situations ce n’est pas le cas. Par exemple, je constate que lorsque nous examinons les preuves de recherche d’emploi, nous voyons que des demandeurs d’emploi utilisent des outils (CV, lettre de motivation, etc.) inadéquats. Dans ce cas, lorsque nous les incitons à retravailler ces outils de base pour leur recherche d’emploi, nous leur apportons une aide effective. Ce sont des interventions qui auraient pu être faites par un conseiller référent, mais ceux-ci ne reçoivent actuellement pas tous les demandeurs et négligent parfois d’examiner concrètement les démarches qu’ils effectuent.

Le projet de réforme évoque une volonté de mettre en place un accompagnement intensif des demandeurs d’emploi les plus éloignés du marché du travail, est-ce que cela vous paraît pertinent ?

Il faut garder à l’esprit qu’il y a, par définition, peu d’offres d’emploi accessibles pour ce type de demandeurs d’emploi. On manque également de places offertes dans les services de formation et chez les partenaires du Forem, où il y a bien souvent un critère d’âge en matière d’accès. L’accompagnement peut être positif s’il sert à identifier les obstacles à l’accès à l’emploi et les soutiens susceptibles d’être mobilisés pour les lever. S’il s’agit d’un accompagnement focalisé sur la recherche d’emploi telle que cadrée par les obligations de disponibilité active, forçant les demandeurs à effectuer des recherches dont on sait à l’avance qu’elles ne mèneront à rien, alors l’intensification serait de la maltraitance pure et simple. Lorsqu’aux difficultés proprement liées au marché du travail s’additionnent une série de problèmes liés à la santé, à la famille, à l’endettement, etc. il ne faut pas trop espérer que les recherches d’emploi puissent être concluantes sans que des solutions aient été trouvées à ces autres questions. Il faut également garder à l’esprit que, si la réglementation n’est pas modifiée sur ce point, les absences à des rendez-vous fixés dans ce cadre, qui pourraient être nombreuses, devraient donner lieu à des sanctions dans le cadre de la disponibilité passive… Actuellement, les absences à des rendez-vous avec un évaluateur dans le cadre du contrôle de la disponibilité active ne donnent pas lieu à des sanctions dans le cadre de la disponibilité passive. Si, demain, la réglementation n’est pas modifiée sur ce point, l’élargissement de l’accompagnement des demandeurs d’emploi par les conseillers référents à 100 % de ceux-ci risque de considérablement élargir le nombre de convocations susceptibles de donner lieu à des sanctions en « Dispo P ». A ce stade, l’avant-projet de décret ne donne aucune garantie en la matière et il pourrait dès lors générer une explosion des sanctions de ce type.

« L’administratrice générale adjointe du Forem a indiqué qu’elle « cherchait de nouvelles sources de litiges » (sic). »

Fin 2019, lors d’une réunion d’échange avec des évaluateurs où le projet de réforme avait été abordé, l’administratrice générale adjointe du Forem (qui est également la directrice du service à gestion distincte du service Contrôle) a indiqué qu’elle « cherchait de nouvelles sources de litiges » (sic), c’est-à-dire des sanctions dans le cadre du contrôle de la disponibilité passive. Par exemple, aujourd’hui, si un demandeur d’emploi est inscrit à une séance d’information préalable à une formation du Forem de magasinier et ne se rend pas à cette séance d’information, il est noté absent mais n’est pas sanctionné par le Forem. L’administratrice générale adjointe semble souhaiter que, demain, si le demandeur d’emploi n’a pas prévenu de son absence à la séance d’information, il puisse être sanctionné en disponibilité passive, en rattachant ce type de faits à la catégorie « défaut de présentation aux rendez-vous du Forem » de la réglementation fédérale. La base réglementaire fédérale existe pour permettre au Forem de considérer que toute absence à un rendez-vous d’un demandeur d’emploi puisse donner lieu à une sanction. En cas de réforme, son champ et ses modalités d’application seront un enjeu majeur en termes de nombre de sanctions délivrées.

Obligations des demandeurs d’emploi indemnisés en matière de disponibilité active

Les obligations de demandeurs d’emploi indemnisés en matière de disponibilité active sont principalement fixées à l’article 58 de l’arrêté royal (fédéral) du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage, qui dispose notamment que :

« Art. 58.§ 1er. Pour bénéficier des allocations, le chômeur complet doit rechercher activement un emploi et doit être et rester inscrit comme demandeur d’emploi. La preuve de cette inscription doit être apportée par le chômeur.
Le chômeur complet satisfait à l’obligation de rechercher activement un emploi visée à l’alinéa 1er s’il peut démontrer que, pendant toute la durée de son chômage :
1° il participe et collabore activement et positivement aux actions d’accompagnement, de formation, d’expérience professionnelle ou d’insertion qui lui sont proposées par le service régional de l’emploi compétent, notamment dans le cadre du plan d’action individuel convenu avec le conseiller emploi du service régional précité;
2° il recherche lui-même activement un emploi par des démarches personnelles régulières et diversifiées. (…) ».

De la façon dont se présente le projet de réforme, comment en percevez-vous l’impact prévisible sur les sanctions délivrées par le Forem ?

L’exemple du VDAB dont la direction du Forem dit vouloir s’inspirer pour sa réforme donne à penser qu’il y aura une diminution des sanctions au titre de la disponibilité active. Par contre, il est à craindre, notamment pour les raisons précitées, que la réforme produise une augmentation drastique des sanctions dans le cadre du contrôle de la disponibilité passive, en particulier pour les personnes les plus fragilisées et éloignées du marché de l’emploi. Celles qui ne maîtrisent pas assez les outils informatiques ou le français, qui ne comprennent pas bien ce qu’il faut faire ou ne pas faire et manquent à leurs obligations. Celles qui ont été convoquées à un rendez-vous au Forem mais qui, à la fin du mois, n’ont plus d’argent pour payer un trajet en bus ni de crédit téléphonique pour prévenir de leur absence, etc. Ce serait une catastrophe pour les personnes concernées car les sanctions délivrées dans le cadre du contrôle de la disponibilité passive seront d’emblée plus élevées que celles qui sont délivrées dans le cadre de la disponibilité active. La première sanction dans le cadre du contrôle de la Dispo C, c’est un simple avertissement, tandis que le refus d’un plan d’action ou le défaut de présentation au rendez-vous du Forem, par exemple, engendrent directement une suspension des allocations de 4 à 52 semaines comme infraction par rapport à l’obligation de Dispo P. Vu la façon dont elle est actuellement conçue, la réforme devrait donner lieu à beaucoup plus de sanctions et il s’agira de sanctions beaucoup plus lourdes que ce n’est le cas aujourd’hui.

L’avant-projet de décret ne prévoit pas de possibilité de défense syndicale avant que le demandeur d’emploi soit convoqué par le service de contrôle et sous la menace directe d’une sanction. Est-ce que cela vous paraît poser un problème ?

Un des éléments importants pour les droits des demandeurs d’emploi, sur lequel il faut veiller dans le cadre de la mise en place du projet de réforme, c’est que dès que le demandeur d’emploi est convoqué à un rendez-vous où il est susceptible de se voir imposer un plan d’action formel dont le non-respect serait sanctionné (dans le cadre du contrôle de la disponibilité active), il doit en être clairement informé oralement et prévenu par écrit dans la convocation qui doit être adressée sous forme de courrier postal, au besoin par recommandé. En outre, le demandeur d’emploi doit pouvoir être accompagné à cet entretien par un représentant de son organisation syndicale, ou par un avocat. Enfin, l’imposition d’un tel plan formalisé doit faire l’objet d’une décision précisément motivée par des faits et des articles réglementaires. Il faut également que cet entretien soit organisé en vis-à-vis. Cela ne semble pas prévu ou garanti dans le projet de réforme actuel et ce sont des points sur lesquels il faut être très vigilant. Ce qui est en jeu, c’est le maintien des allocations des demandeurs d’emploi et ce sont des droits essentiels qui leur sont actuellement garantis dans le cadre du contrôle de la disponibilité active par le service Contrôle. Il serait extrêmement grave qu’il y ait sur ces points un recul des droits des demandeurs d’emploi à l’occasion d’une réforme qui prétend mieux les protéger. Les demandeurs d’emploi ne peuvent être traités comme des sous-citoyens. Quand l’administration est susceptible de prendre une décision qui va porter atteinte à leurs droits, ils doivent en être clairement informés à l’avance, pouvoir préparer et présenter leurs moyens de défense, la décision notifiée doit être accompagnée d’une motivation précise et complète, etc. Si le suivi du plan d’action formalisé est obligatoire, c’est dès l’imposition de ce plan que les demandeurs d’emploi doivent pouvoir être accompagnés et défendus.

Certains estiment qu’il faut faire confiance à la direction du Forem pour se saisir des marges de manœuvre que lui laisseront le décret et les arrêtés d’application au bénéfice des demandeurs d’emploi. Cela vous paraît-il pertinent ?

La direction du Forem est souvent fort déconnectée par rapport à ce qui se pratique sur le terrain. Elle veille tout d’abord peu au bien-être de ses travailleurs, par exemple en matière d’équipement dans le cadre de la crise sanitaire actuelle. Autre exemple, le débat semble ouvert sur le maintien ou non de la présence de vigiles dans les locaux des services en charge de l’évaluation. Or, la présence de vigiles est absolument nécessaire pour protéger non seulement le personnel concerné mais même les demandeurs d’emploi dans la salle d’attente. Sans leur présence, ce serait le retour des coups de poings sur la table, des chaises et des ordinateurs qui volent, des carreaux cassés, etc. Apparemment, la direction n’a pas vraiment conscience de la réalité de notre travail, des conditions dans lesquelles il se déroule. Rien que l’ouverture d’un débat sur ce sujet témoigne d’une grande méconnaissance de la réalité et insécurise le personnel concerné. Autre exemple : dans le cadre de la crise sanitaire, le Forem a mis en place un dispositif « d’accompagnement instantané » mettant, dans les deux jours de la perte d’emploi liée à la crise, les demandeurs d’emploi en contact téléphonique avec un conseiller référent du Forem. Dans ce cadre, des conseillers ont voulu effectuer une analyse fine des compétences des personnes qu’elles devaient contacter, de leur passé professionnel, etc. afin de pouvoir les orienter vers des offres d’emploi adéquates. La réaction de la direction a été négative. Les conseillers ont été priés de ne pas approfondir l’analyse du profil des personnes, ce qui prendrait « trop de temps », mais de seulement atteindre des objectifs chiffrés en termes de nombre d’offres d’emplois transmises, réellement adéquates ou pas. La direction souhaitant avant tout pouvoir annoncer dans les médias un chiffre ronflant de nombre d’offres d’emploi transmises… Les députés seraient donc mal inspirés de se défausser en faisant « confiance » à la direction du Forem. Ils doivent, en cas d’adoption d’un décret, assumer leur responsabilité, s’approprier la connaissance du dossier et garantir suffisamment, dans le texte même de la loi, la protection des droits des demandeurs d’emploi. Il s’agit ni plus ni moins de questions vitales pour les personnes concernées, qui ne devraient pas être remises dans les mains du gouvernement et encore moins dans celles de la direction du Forem.

(1) Anne Schiltz et Charlotte Grégoire, « Bureau de chômage », Eklektik Productions (BE), 2015.

(2) Le Forem vient de décider, à partir du 1er janvier 2021, de supprimer sa pratique de radiation pour « défaut de présentation au Forem », appliquée au moment où un conseiller ouvre un litige en dispo P. Il met ainsi fin à sa pratique de sanctions exacerbées sur ce point, extrêmement défavorable pour les demandeurs d’emploi par rapport aux dispositions appliquées par ses homologues bruxellois ou flamands (lire p. 88).

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