Forem

Exclure pour inclure ?

Nous avons déjà maintes fois dénoncé la culture de la sanction qui règne dans les organismes en charge des travailleurs sans emploi. La réforme du Forem est-elle de nature à changer aussi ce paradigme-là ?

De moins de 5.000 en 2015, le litige de non-présentation au VDAB a généré 7.222 sanctions fermes en 2019 et jusqu’à 8.208 en 2017.

« On fait dire ce qu’on veut aux chiffres ». « Il y a deux moyens de ne pas dire la vérité : le mensonge et les statistiques ». « 99 % des stats sont fausses ». Les clichés et les punchlines ne manquent pas dès que l’on parle de données chiffrées. Il n’empêche. Si l’on cite ses sources, qu’on contextualise les données et que l’on ne cache pas les biais de l’interprétation que l’on en fait, alors l’exercice peut être pertinent. Pour notre part, depuis 2004, nous analysons principalement deux types de données : le nombre et les types de sanctions et le nombre et les « catégories » de sans-emploi. Un travail qui était peu voire pas effectué. Ce qui nous a valu de heurter de front la communication officielle et de nombreuses attaques. Et pourtant…

Validations multiples

Si nos analyses chiffrées étaient souvent balayées oralement par les ministres ou les responsables des administrations, aucun texte étayé n’a jamais pu les remettre en cause. Notre manie de regrouper les différents types de sanctions n’a plus eu de raison d’être quand l’ONEm (de guerre lasse ?) a fini par publier des tableaux qui correspondaient parfaitement aux nôtres (y compris en ce qui concerne les données rétroactives, donc pour les années où nos données étaient contestées). Il faut dire que notre démarche a toujours été d’aller chercher ce qui n’était pas dit à partir de ce qui l’était. Nous regardons les différents rapports en nous disant : « Tiens, si l’ONEm met tel élément en avant, quel serait celui a priori également intéressant qui n’est pas cité ? » En particulier, nous avons souvent réalisé des graphiques alternatifs à ceux que le rapport mettait en avant. Et donc, en effet, à partir des mêmes éléments, il est possible de dire bien des choses différentes. Autre difficulté : chaque fois qu’une nouvelle mesure est prise, il faut un certain temps pour qu’elle déploie ses effets. Les premiers chiffres sont donc peu significatifs. La seule manière d’estimer ses effets est donc de réaliser des projections. Ce que nous avons fait de manière prudente et toujours en exposant notre méthode. Et à chaque fois, nos prévisions ont été confirmées voire dépassées par les résultats effectifs des mesures.

Comparaisons ardues

Il est devenu de plus en plus difficile de comparer les données des sanctions chômage d’une année à l’autre étant donné non seulement la multiplication des dispositifs existants, avec à la clé de nouvelles sanctions, le remplacement de certains processus par d’autres, la modification du type de sanctions (le plus souvent de leur durée), etc. (1) Mais le bouleversement le plus profond, c’est évidemment la régionalisation d’une grande partie des dispositifs qui donnent lieu aux sanctions : la dispo active et l’essentiel de la dispo passive. (2) (Lire l’encadré pour comprendre les divers dispositifs de contrôle de la disponibilité.) Depuis le 1er janvier 2016, c’est le Forem (pour la Région wallonne), le VDAB (pour la Région flamande) et l’ADG (pour la Communauté germanophone) et non plus l’ONEm, qui contrôlent la disponibilité des chômeurs de leur ressort, dans le respect des dispositions d’un cadre normatif demeuré fédéral. Pour les chômeurs résidant dans la Région de Bruxelles-Capitale, l’ONEm a continué, en 2016, à exercer cette compétence qu’Actiris n’a reprise opérationnellement qu’à partir du 1er janvier 2017. L’essentiel de la matière « disponibilité passive » a également été transférée aux régions . L’ONEm ne décide plus dans ce cadre que sur les questions du caractère dit volontaire ou non du chômage à la suite d’un licenciement ou d’un abandon d’emploi. Un tel transfert a demandé énormément de temps et d’énergie avec un bénéfice paradoxal pour les sans-emploi : une diminution drastique du nombre de sanctions : un total de 52.181 en 2019 pour 111.930 en 2015, soit près de la moitié (-46,62 %). Même après donc quatre années (trois à Bruxelles), le nombre de sanctions reste nettement inférieur à ce qu’il était du temps de l’ONEm. Mais l’augmentation est constante et il faut donc s’attendre à ce que, tôt ou tard, le rythme de croisière de la machine à exclure soit atteint, s’il n’y a pas de volonté politique inverse. A cet égard, on se doute que les chiffres 2020 ne seront pas du tout représentatifs, la crise sanitaire ayant gelé ou ralenti une partie des sanctions (essentiellement la dispo active). Nous avons néanmoins pensé qu’il était intéressant de mettre en regard la photo de la situation 2015 (dernière année où tout le contrôle était aux mains de l’ONEm) (p. XX) et celle de 2019 (dernière année dont les chiffres sont complets) (p. XX). A noter que, pour la dispo active, le nombre de sanctions en 2015 était déjà nettement plus faible qu’au cours des années précédentes, le transfert étant déjà en préparation durant cette année-là, ce qui a amené l’ONEm à terminer les procédures en cours sans en commencer de nouvelles. Par exemple, le nombre de sanctions en « dispo classique » était en 2015 de 9.801 pour 16.849 en 2014, soit une diminution de quasi 42 % ! La mise en place du système dans chaque région signifie qu’il n’y a quasiment pas eu de sanction durant la première année (l’évaluation au 1er entretien n’entraîne qu’un avertissement et les régions ont redémarré les procédures au 1er entretien). En outre, étant donné que les jeunes en stage d’insertion doivent obtenir deux évaluations positives durant l’année de leur stage, les moyens du contrôle ont été focalisés principalement sur ce public cible, a fortiori pendant les périodes de mise en place ou de circonstances exceptionnelles (comme la situation de pandémie).

Moins de chômeurs, moins de sanctions

La baisse des sanctions entre 2015 et 2019 s’explique pour une bonne part, comme nous l’avons dit, par la régionalisation des dispositifs qui les provoquent, le temps d’adaptation et donc de répit qui en a découlé, ainsi que par les modifications dans l’organisation du contrôle de la disponibilité active qui sont intervenues au VDAB et chez Actiris. Au Forem, un système de talon réponse à renvoyer il faut en oupour prouver qu’on avait répondu à une offre d’emploi tre pointer les décisions qui sont intervenues concernant les sanctions en disponibilité passiveengendrait 4.141 sanctions en 2015 pour non présentation auprès d’un employeur, qui avaient frappé 4.141 demandeurs d’emploi au Forem en 2015 (alors quepour la même année 28 leau VDAB ne sanctionnait à ce titre que 28 personnes et zéro chez Actiris zéro !). Les organisations syndicales ont fini par obtenir la fin de ce système ce qui a ramené Een 2019, le nombre de sanctions pour ce motif a été réduit à 233 au Forem, suite aux pressions exercées par les organisations syndicales. Nous avons aussi mentionné la plus grande utilisation des avertissements au lieu de sanctions fermes directes.

Mais la baisse de sanctions tient également à la baissediminution du nombre de CCI DE (chômeurs complets indemnisés demandeurs d’emploi). Une série de dispositifs, dont principalement la « garantie jeunes », ont conduit à ne plus considérer comme « demandeurs d’emploi » des chômeurs qui sont toujours indemnisés, à dès lors les soustraire au contrôle de la dispo active et à limiter le risque de sanctions en dispo passive. (1) La fin de droit aux allocations d’insertion a aussi joué un rôle important : ce sont, entre début 2015 et fin 2019, pas moins de 52.237 personnes bénéficiaires du chômage sur la base de leurs études, qui ont perdu ce droit et n’ont par définition plus été soumises ensuite à des sanctions. 35.081 de ces exclus sont Wallons, soit plus de deux tiers du total ! Enfin, la conjoncture a aussi joué un rôle non négligeable. La Belgique, comme l’ensemble de l’Union européenne, a connu durant ces années une certaine embellie économique qui a eu un effet positif sur l’emploi . La diminution du nombre de CCI DE entre 2015 àet 2019, de 417.431 à 329.360 (- 21,10 %), explique à elle seule une partie des 53,3 % de diminution des sanctions observée sur la même période.

Si l’État fédéral a permis aux régions de relâcher la pression sur les sanctions en matière de disponibilité active (ce que le VDAB et Actiris ont fait bien plus radicalement que le Forem), c’est dans un contexte où il continuait à poursuivre parallèlement la démolition générale du droit à l’assurance chômage : les conditions pour accéder et rester au chômage sont devenues plus restrictives et l’application des mesures relative à la « dégressivité » a rapproché de plus en plus d’allocations de chômage du montant du Revenu d’intégration (et donc de l’aide sociale et des CPAS). Il ne faut donc pas croire que la situation des sans-emploi est devenue plus rose depuis 2015, elle a même à certains égards empiré.

L’examen de cette évolution du nombre de sanctions entre 2015 et 2019 appelle encore deux remarques. Tout d’abord, la diminution de moitié du nombre de sanctions (ou de 30 % si l’on tient compte de la diminution du nombre de demandeurs d’emploi ne signifie pas que les chômeurs sont devenus « moins fraudeurs » au cours de ce cinq années. C’est , pour la plupart, ces sanctions de frappent pas de véritables « fraudeurs » mais sont une forme de maltraitance administrative des demandeurs d’emploi. L’évolution du nombre de sanctions ne mesure donc pas l’évolution de la fraude, mais l’évolution de cette forme de maltraitance, au gré de rapports de force politiques. Ensuite, même diminué de moitié, le nombre de sanctions annuelle en 2019 était toujours d’un sixième de celui du nombre de demandeurs d’emploi indemnisés. Il ne s’agit donc pas d’un processus qui vise quelques individus déviants mais bien d’une des dimensions de la condition actuellement faite aux chômeurs, indemnisés (médiocrement) mais toujours précaires, car régulièrement menacés d’être privés de leur source de revenus. Ce type de développement des sanctions ne constitue pas une forme de « défense » de la sécurité sociale contre de véritables fraudeurs, comme certains le prétendent, mais bien plutôt une forme de sape de l’idée même « d’assurance » chômage et de « sécurité » sociale.

(1) Lire notamment sur notre site ensemble.be notre étude de 2019 « La « garantie jeunes » en Région bruxelloise (2013 – 2018) : échec ou réussite ? »

Tableau réalisé par nos soins sur base des données compilées du Rapport annuel 2015 de l’ONEm, Vol 1, pp. 106, 108 et du Rapport annuel 2015 de l’ONEm, Vol 2, pp. 118, 119, 138.

Des systèmes différents

A la faveur de la régionalisation, chaque organisme de l’emploi a adopté sa propre approche. Le Forem en suivant quasi à la lettre la façon de procéder de l’ONEm est le seul à continuer à sanctionner surtout en dispo active (88,53 % de tout le pays en 2019) alors que la Flandre au contraire frappe principalement en dispo passive (65,17 % de tout le pays en 2019). Si l’on comptabilise l’ensemble des sanctions prises en 2019 par les organismes régionaux, le Forem arrive clairement en tête avec un « score » de 10.741 (soit 46,15 % du total national) contre 9.205 (39,55 %) pour le VDAB et 3.216 (13,82 %) pour Actiris. Le chiffre wallon est néanmoins fortement influencé par de très nombreuses (3.619 en 2019) radiations d’inscriptions, pour absence à des convocations, de personnes pourtant toujours chômeuses, alors que les autres régions utilisent à peine ce dispositif (23 radiations au VDAB en 2019 et zéro à Actiris). La pratique de radiation du Forem, dont on nous annonce qu’elle sera abandonnée en 2021, menait souvent à une double sanction : l’obligation de rembourser à l’ONEm les allocations considérées comme indûment perçues (à partir du moment de la radiation jusqu’à la réinscription) et une sanction dite litige (le nom des sanctions en dispo passive). Dorénavant, le sans-emploi wallon ne risquerait plus que cette dernière. C’est un acquis important, obtenu de haute lutte par les organisations syndicales et en particulier la FGTB wallonne qui la réclamait depuis des années, pour diminuer le nombre de sanctions des sans-emploi wallons. Cependant, la réforme du Forem largement expliquée par ailleurs dans ce dossier, calquée sur ce qui se fait au VDAB, devrait mécaniquement faire glisser les sanctions de la dispo active vers la dispo passive.

Tableau réalisé par nos soins sur base des données compilées du Rapport annuel 2019 de l’ONEm, Vol 2, p. 73

Une bombe prévisible

Avec le risque d’une augmentation importante. En effet, le litige principal en dispo passive, c’est l’absence à une convocation de l’organisme régional de l’emploi. Il va de soi que plus l’on convoque, plus l’on compte d’absences à ces rendez-vous. A fortiori si sont considérés comme une convocation non seulement celle envoyée par courrier au domicile mais aussi un courriel, un SMS, un message WhatsApp, ou tout autre moyen technologique utilisé pour contacter le chômeur. Cette crainte de l’inflation des sanctions pour non-présentation au Forem est confortée par le fait que c’est exactement ce qui s’est passé au VDAB (lire le graphique) dont le Forem prévoit de copier le « modèle » : de moins de 5.000 (avertissements compris) en 2015, ce litige a généré 7.222 sanctions fermes en 2019 et jusqu’à 8.208 en 2017. (3) Le VDAB en 2019 a pris 62,24 % de ces décisions (par rapport à l’ensemble de la Belgique). Ce litige représentait alors 81 % de l’ensemble des sanctions en dispo passive infligées par le VDAB, alors que le refus d’emploi s’élevait à seulement 2,11 % des cas. Mécaniquement, la réforme risque de donner les mêmes effets en Wallonie, potentiellement encore amplifiés par une série de caractéristiques propres à cette région : chômage de plus longue durée, déplacements plus difficiles, etc. Il faut par ailleurs nuancer la baisse des sanctions pour non-présentation au Forem. Si elles sont passées de 4.266 en 2015 à 1.510 en 2019, c’est parce que nous ne comptabilisons que les sanctions effectives et pas les avertissements. La possibilité de ne donner qu’un avertissement existait déjà mais elle était peu utilisée par le Forem (et même ailleurs, seulement 10,22 % des sanctions en 2015, cf. note 2). Suite à la pression des syndicats, le Forem a en effet enfin accepté de laisser plus souvent un « joker » aux absents en leur donnant dans plus de cas un avertissement. C’est ainsi qu’aux 1.510 sanctions effectives de 2019 s’ajoutent 2.269 « cartes jaunes » qui auraient été pour la plupart rouges en 2015.

Il est une autre inquiétude dont il est sans doute plus difficile d’estimer dans quelle mesure elle risque de se concrétiser : ce sont les effets sur les autres litiges de la situation du marché de l’emploi wallon bien différente de celle de la Flandre. Car si un organisme de l’emploi manque de propositions d’emplois et/ou de formations à offrir, le risque est grand que les chômeurs soient soumis à des injonctions inadéquates et donc plus difficiles à respecter : pourquoi postuler pour un emploi pour lequel l’on sait que l’on n’a aucune chance ou suivre une formation qui ne vous convient pas du tout ? De même, l’échec (ou le refus ou l’arrêt) d’un parcours d’insertion risque d’être plus fréquent dans un contexte où un conseiller du Forem doit gérer bien plus de dossiers que son homologue du VDAB. Ce litige ne concernait en 2019 que 17 cas au Forem pour 556 au VDAB. Or, non seulement adopter la « méthode VDAB » va faire flamber cette cause de sanction mais cela risque d’être dans des proportions d’autant plus importantes que le Forem n’a pas les mêmes ressources, ni humaines ni de propositions, que celles du VDAB.

Et l’activation ?

Jusqu’ici les absences à un rendez-vous du Forem avec un conseiller référent donnent lieu à des sanctions en dispo passive et celles avec un évaluateur donnent seulement lieu à des sanctions en dispo active. La question est dès lors : si les conseillers référents reprennent à leur charge l’évaluation de la dispo active, les absences à ces rendez-vous d’évaluation donneront-ils lieu à des sanctions seulement en dispo active, ou rien qu’en dispo passive, ou bien encore à une double sanction pour une même absence ? Ce point, comme beaucoup d’autres dispositions dont l’impact sur les allocations sera très important, mériterait d’être précisé dans le projet qui contient beaucoup de détails inutiles et ne dit rien sur maints points importants pour la protection sociale des demandeurs d’emploi.

Qu’entend-on par disponibilité ?

L’une des conditions pour bénéficier du chômage a toujours été que le chômage soit involontaire. Cela signifie qu’on ne peut pas devenir volontairement sans-emploi (donc abandonner un emploi sans raison jugée valable) mais qu’on ne peut pas non plus rester volontairement chômeur. Il s’agit donc d’être disponible sur le marché de l’emploi. Cela s’est traduit dès 1945 par le fait qu’un chômeur ne peut pas refuser une offre d’emploi (convenable). Mais, au fil du temps, toutes sortes d’obligations supplémentaires se sont ajoutées à cette exigence de base (qui elle est logique). De nombreux autres comportements ont été au fur et à mesure pénalisés (absence à une convocation, refus ou abandon d’une formation, etc.) pour former ce que l’on qualifie de disponibilité passive. Le cadre fédéral fixe la palette de sanctions effectives entre 4 et 52 semaines, l’organisme régional pouvant définir ses propres règles de gradation à l’intérieur de cette fourchette. Des exclusions définitives sont aussi possibles, principalement en cas de récidive. Cette dimension « passive », où le sans-emploi doit « seulement » respecter des obligations, a été critiquée (malgré la multiplication de ces contraintes et leur interprétation souvent univoque en défaveur du sans-emploi) par les tenants de l’État social actif. De nombreuses critiques sont aussi venues de Flandre se plaignant que les sanctions étaient bien plus faibles dans les autres régions. S’en est suivi, en 2004, un accord de coopération qui a instauré la transmission électronique des données des régions vers l’ONEm. Avant cela, c’était un conseiller, donc un humain, qui décidait s’il transmettait ou non le dossier à l’ONEm, en fonction de la situation. La transmission électronique (et automatique) des données litiges a provoqué une hausse énorme des sanctions pour atteindre en l’année 2008 un pic de plus d’un demi-million de semaines d’exclusion. Toujours en 2004 s’est ajoutée à la dispo passive la notion de disponibilité active, où le chômeur doit faire lui-même la preuve de sa disponibilité, en prouvant qu’il recherche en permanence de l’emploi. Ce dispositif, mesure « phare » de l’État social actif initiée par le ministre socialiste flamand Frank Vandenbroucke, a généré, de 2005 à 2019, 119.139 sanctions provisoires et 53.499 exclusions définitives. Au sein même de la disponibilité active, il y a plusieurs procédures distinctes, en fonction du public concerné, désigné par une initiale.

La Dispo J pour « Jeunes » concerne le contrôle de la disponibilité active des jeunes en stage d’insertion professionnelle, ex-stage d’attente. C’est le gouvernement Di Rupo qui a imposé aux jeunes en attente d’allocations sur la base de leurs études d’obtenir deux évaluations positives de leurs efforts de recherche d’emploi pour que leur stage soit considéré comme « réussi » et qu’ils accèdent aux allocations dites d’insertion. C’est la première fois qu’une telle obligation a été imposée à des personnes ne bénéficiant même pas encore d’une allocation et c’est un puissant vecteur de non-recours au droit (alors que les mêmes gouvernements ne cessent de prétendre qu’ils veulent lutter contre ce phénomène). Il n’y a donc pas de sanction financière au sens d’une allocation suspendue ou réduite (raison pour laquelle cette mesure n’apparaît pas dans notre tableau de sanctions). Mais la pénalisation est réelle puisque l’accès aux allocations est repoussé tant que ces deux « bons bulletins » ne sont pas décrochés. Le même gouvernement Di Rupo avait durci la procédure de contrôle de la disponibilité active des allocataires d’insertion, pourtant déjà plus sévère en termes de sanctions dès le début du dispositif en 2004. C’est pourquoi on lit, dans le tableau reprenant les chiffres de 2015, les mentions « Suspension de 6 mois » et « Prolongation de la suspension de 6 mois » qui étaient les sanctions infligées à ce public particulier pendant le gouvernement Di Rupo et le début du gouvernement Michel. Lors de la régionalisation du contrôle, effectif en 2016 (2017 à Bruxelles), il a été décidé de cesser d’appliquer une procédure différente aux personnes qui bénéficient du chômage sur la base des études et elles sont donc depuis soumises comme les chômeurs sur la base du travail à la dispo dite classique ou générale.

La Dispo C (pour « Classique ») ou Dispo G (pour « Générale ») est le contrôle de la disponibilité active des bénéficiaires d’allocations de chômage ou d’insertion. Ce contrôle est dit classique ou général car c’est la procédure qui découle de celle mise en place aux débuts du contrôle en 2004. Là aussi les sanctions ont été modifiées lors de la régionalisation. Le changement principal est qu’une évaluation négative au second entretien débouche à présent sur une sanction de treize semaines pour quatre mois auparavant.

L’ONEm frappe encore

Il s’agit dans cet article d’analyser les sanctions qui émanent des organismes régionaux mais il ne faut pas oublier qu’il en existe toujours qui sont directement infligées par l’ONEm. Il s’agit de certains litiges, liés aux raisons du chômage (principalement l’abandon d’emploi) qui concernent deux fois plus la Flandre que la Wallonie et qui expliquent qu’au total, il y a plus de sanctions en Flandre (24.753) qu’en Wallonie (20.137) alors que le Forem sanctionne plus (10.741) que le VDAB (9.205). Signalons aussi les sanctions administratives dont le nombre est à peu près le même en Flandre et en Wallonie. A noter que, suite à un durcissement décidé par le gouvernement Michel, depuis le 1er janvier 2015, la durée minimale de la période d’exclusion du bénéfice des allocations de chômage en cas de sanction administrative est passée de 1 à 4 semaines. Par ailleurs, la possibilité pour le directeur du bureau du chômage d’assortir les sanctions administratives d’un sursis est supprimée depuis la même date. (4)

De la transparence !

Avant la régionalisation, le Rapport annuel de l’ONEm fournissait chaque année non seulement le nombre de sanctions litiges mais aussi leur durée en mentionnant le nombre de semaines d’exclusion effective et celui des semaines avec sursis. C’est évidemment une donnée essentielle, surtout quand l’éventail de sanctions va de 4 à 52 semaines ! De même, le nombre d’exclusions définitives était indiqué. Depuis la régionalisation, l’ONEm se contente de compiler le nombre de sanctions sans en donner la durée en commentant par cette formule lapidaire : « Des informations plus détaillées en la matière relèvent des services régionaux de l’emploi ». Or, ces services régionaux se contentent de rapports publics qui sont lacunaires et contiennent même moins d’infos que le rapport de l’ONEm ! Le minimum de transparence indispensable afin d’évaluer sérieusement les effets de la régionalisation et a fortiori la réforme annoncée au Forem nécessite donc que les organismes régionaux de l’emploi sortent de l’opacité qu’ils cultivent en la matière, fournissent des rapports publics comprenant des données détaillées sur les sanctions et les différentes catégories de chômeurs. Il faut aussi qu’ils répondent avec précision aux questions des parlementaires, des syndicats, des journalistes et même de tout citoyen. Actuellement, c’est tout le contraire : il règne une omerta sur tout ce qui touche les sanctions. L’on sait par exemple qu’il existe une « grille des sanctions » au Forem mais même les syndicats n’en ont pas connaissance ! Cette attitude n’est pas acceptable et n’incite pas, comme on nous le demande, à faire confiance aux « bonnes intentions » du Forem…

La confiance se mérite

La ministre de l’Emploi semble accorder beaucoup de confiance au Forem. Pourtant, les membres de la direction de cet organisme sont empreints de la culture de la sanction et de l’activation à tout crin, renâclent presque systématiquement quand les syndicats demandent des aménagements pourtant argumentés et manquent d’empathie et même de respect pour les sans-emploi qui leur fournissent leur poste et à qui ils sont censés offrir un service public de qualité. Comment faire confiance à des gens qui estiment qu’il faut exclure pour inclure et qui croient à la soi-disant valeur/vertu pédagogique de la sanction?

(1) Lecteur/lectrice intéressé(e), vous trouverez tous les détails sur ces questions en téléchargeant sur le site ensemble.be notre étude de 2015 « Etude des sanctions dans l’assurance chômage, y compris les fins de droit et le non accès ».

(2) Pour bien comprendre les différences entre les régions et les divers dispositifs de contrôle de la disponibilité, lire « A chaque région sa façon de chasser les chômeurs », Ensemble ! n° 102, p. 106, juin 2020.

(3) Pour 2015, la répartition des sanctions litiges par région n’est connue qu’avertissements inclus alors que pour les années suivantes les rapports mentionnent les sanctions effectives d’une part, les avertissements de l’autre. Etant donné qu’en 2015, 10,22 % des sanctions étaient en fait des avertissements, nous avons appliqué un ratio de 89,78 % aux chiffres par région de l’époque (5.437 en Flandre, 4.266 en Wallonie, 2.318 à Bruxelles) même si, évidemment, on se doute que les avertissements n’ont pas été prononcés uniformément dans les trois régions. Il nous a semblé plus fidèle à la réalité des choses de procéder de la sorte plutôt que d’inclure pour 2019 les avertissements qui auraient gonflé les chiffres du Forem alors même que cette sanction est déjà prise en compte dans les radiations. (Rapport annuel 2015 de l’ONEm, Vol 1, p. 106 pour les données avertissements inclus et Rapport annuel 2016 de l’ONEm, Vol 2, p. 80 pour les données hors avertissements)

(4) Rapport annuel 2015 de l’ONEm, Vol 1, p.41.

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