Forem

« Un tel décret pervertirait l’organisation de la recherche d’emploi »

Treunes Herz (nom d’emprunt) est conseiller de référence au Forem. Il nous explique le contenu actuel de sa fonction d’accompagnateur des demandeurs d’emploi et en quoi ce projet de réforme risque de la déshumaniser.

Au Forem, « jusqu’à présent, deux conseillers distincts s’occupaient des dossiers des chercheurs d’emploi ; le premier accompagnait la personne dans sa recherche d’emploi tandis que le second, contrôlait l’effectivité de ses démarches de recherche active d’emploi et pouvait sanctionner sur la base de rapports négatifs. », indiquait en juin 2020 la ministre de l’Emploi wallonne, Christie Morreale (PS), laquelle précisait sur ce point le contenu de son projet de réforme « La dualité de ce modèle est aujourd’hui révolue ; un conseiller.ère Forem unique accompagnera chaque personne. » (1). Entendons donc qu’une partie des demandeurs d’emploi bénéficie actuellement d’un accompagnement dans leur recherche de travail effectué par des « conseillers référents » du Forem. A cette fonction que l’on appelait antérieurement (avant que le paradigme de l’État social actif n’impose une redéfinition progressive du droit au chômage et de l’encadrement des chômeurs) le « placement », s’ajoute l’intervention des « évaluateurs » du service Contrôle du Forem, qui ont notamment pour mission d’effectuer le contrôle du respect des obligations de disponibilité sur le marché du travail des demandeurs d’emploi, dont celle de leur «  disponibilité active  », selon les dispositifs qui ont été prévus par le gouvernement fédéral à partir de 2004 (et dont le contrôle a été régionalisé à partir de 2016) (Lire l’interview d’une évaluatrice, p. 80).

Deux récents rapports sur l’accompagnement des chômeurs par le Forem (l’un de la Cour des comptes, l’autre du Dulbéa-ULB) ne laissent aucun doute sur l’opposition fondamentale des conseillers de référence du Forem au principe de cette réforme, qui détruirait leur relation de confiance avec les chômeurs et la nature même de leur métier. Le rapport de la Cour des comptes est limpide sur ce point : « Les résultats de l’enquête et des entretiens ont également mis en évidence une certaine ambivalence des conseillers référents à l’égard du contrôle et, plus particulièrement, de la part de contrôle qu’ils accepteraient d’assumer. Cette ambivalence s’explique par le fait qu’une majorité de conseillers ne souhaite pas assumer la responsabilité d’une sanction qui pourrait être infligée à un demandeur d’emploi qui ne remplit pas ses obligations. Par ailleurs, les conseillers estiment que la relation de confiance avec les demandeurs d’emploi se dégraderait s’ils devaient également les contrôler. Il n’est donc pas surprenant que 80 % des conseillers se disent opposés à une fusion des métiers de conseiller et d’évaluateur (60 % totalement opposés et 20,2 % plutôt opposés).(…) » (2).

« Très peu de personnes se tournent spontanément vers le Forem lorsqu’elles recherchent un emploi. »

L’étude commandée par le Forem au Dulbéa -ULB pour évaluer son dispositif de contrôle de la disponibilité des chômeurs confirme cette opposition : « (…) sur la base de nos échanges avec diverses parties prenantes du Forem, il y a beaucoup de réticences au niveau des conseillers référents à évoluer vers un métier de référent unique dans le sens où le contrôle ne constitue pas l’essence même de leur métier (perte de valeur du métier), à savoir venir en aide aux demandeurs d’emploi et répondre à leurs besoins individuels (distanciation des démarches entreprises avec les demandeurs d’emploi par rapport à la réglementation chômage). L’un des dangers d’évoluer (trop vite) vers une « fonction unique » serait un départ massif des conseillers référents du Forem, en tout cas, pour ceux qui se trouvent dans une tranche d’âge qui permet encore un départ. Cela pourrait entraîner une diminution importante des effectifs à disposition (déficits en capital humain). Pour les conseillers référents plus âgés qui n’auront pas la possibilité de partir du Forem, un risque de burn-out et/ou de départ en invalidité, voire une hausse de l’absentéisme, est à prévoir, ce qui pourrait également provoquer des déficits au niveau des ressources humaines. De manière plus générale, le risque de confusion des rôles (accompagnement/contrôle/aide) pourrait entraîner une perte de confiance au niveau des demandeurs d’emploi avec le risque que ceux-ci n’apportent plus tous les éléments pertinents à l’élaboration d’un plan d’action individualisé (perte de confiance des demandeurs d’emploi en l’organisme public). En pratique, en cas d’absence de balise professionnelle de travail pour les référents uniques, l’une des deux fonctions pourrait se renforcer au détriment de l’autre. (…) » (3). Le service de l’emploi flamand (le VDAB) qui pratique cette confusion de l’aide et du contrôle depuis le début de la régionalisation, est plus explicite encore, indiquant que ce type d’approche repose sur des conseillers « solides psychologiquement » qui « ne doivent pas avoir peur de se salir les mains » (4).

L’octroi de cette mission d’évaluation paraît en contradiction avec l’identité professionnelle des conseillers de référence que le Forem a lui-même revendiquée jusqu’ici, par exemple dans la vidéo de promotion de cette fonction où une conseillère indique : « Pour les personnes qui souhaitent travailler et postuler en tant que conseiller au Forem, la toute première chose que j’ai envie de leur dire, c’est qu’ils doivent avoir envie d’aider les personnes et d’être humains avec des humains » (5). Les dernières offres d’emploi parues pour cette fonction précisent toutefois que les conseillers devront « se tenir au courant des évolutions législatives et réglementaires liées à [leur] métier » et « montrer de la souplesse face aux changements et évolutions dans le travail » (6). Pour mieux comprendre la réalité du travail d’accompagnement actuellement réalisé par les conseillers de référence du Forem, nous avons donné la parole à l’un d’eux, Treues Herz (nom d’emprunt). Celui-ci confirme qu’appliquer la réglementation fédérale sur le contrôle de la disponibilité « ça n’a rien à voir avec le fait de faire une bonne recherche d’emploi. Ce sont des choses nettement différentes. Le projet de décret réformant l’accompagnement du Forem tend à les assimiler, ce qui constitue une confusion majeure qui pervertirait tant la bonne organisation de la recherche d’emploi que la relation de confiance avec les conseillers et les demandeurs d’emploi ».

Ensemble ! : En quoi consiste le métier de conseiller référent que vous exercez au Forem ?

Treues Herz (conseiller Emploi au Forem) : La fonction de conseiller référent prend sens dans le cadre global des missions du Forem. Celui-ci, en tant que service public de l’emploi de Wallonie, a avant tout pour objectif reconnu de mettre en relation les demandeurs d’emploi avec le marché et avec les offres d’emploi. La partie « entreprise » du Forem récolte les offres d’emploi. La partie « formation » du Forem vise à permettre aux demandeurs d’acquérir des compétences utiles pour accéder à l’emploi. Pour ma part je travaille dans la partie du Forem dédiée à l’accompagnement des demandeurs dans leurs démarches de recherche d’emploi. Le Forem est une grosse entreprise, où travaillent près de 5.000 personnes. La façon dont un conseiller référent travaille dans une antenne locale peut donc être très différente de celle d’un autre conseiller dans une autre sous-région. Ceci étant dit, la fonction de conseiller consiste à accompagner les personnes dans leurs démarches de recherche d’emploi. Cela constitue souvent un processus de moyen ou long terme : un tiers des 150 demandeurs d’emploi que je suis actuellement ont commencé cet accompagnement il y a plus d’un an.

Plusieurs publics cibles sont fixés par le Forem pour cet accompagnement. D’abord, les jeunes de moins de trente ans ayant terminé leurs études. La « garantie jeunesse » qui a été mise en place nous impose de les voir au minimum une fois par mois. Au besoin, les entretiens peuvent être plus rapprochés, par exemple pour ne pas attendre trois mois avant d’aboutir à un CV correctement élaboré. Un autre public cible, ce sont les demandeurs d’emplois classés « PCF ». On utilise tellement d’acronymes au Forem que je ne sais pas exactement ce à quoi l’intitulé correspond ! (NDRL. PCF signifie « politique concertée de formation ») Dans les faits, il s’agit de personnes qui ont perdu leur emploi depuis moins de trois mois, ou qui rebasculent dans le régime du chômage en provenant de la mutuelle. Enfin, notre public est également constitué de personnes qui s’adressent à nous sur base volontaire afin de bénéficier d’une aide pour rechercher de l’emploi. Une partie de ces demandes dites « volontaires » émanent de personnes à qui, dans le cadre du contrôle, les évaluateurs du Forem ont recommandé de prendre contact avec un conseiller de référence pour bénéficier d’un accompagnement. En principe, les deux premiers types d’accompagnement ont une durée d’un an. Si la personne requiert un accompagnement plus long, la poursuite justifiée de cet accompagnement requiert l’autorisation du responsable de l’antenne du Forem. Pour les accompagnements sur base volontaire, il n’y a pas de durée pré-définie. Là où je travaille, environ 50 % des personnes que j’accompagne sont des jeunes, 40 % des « PCF » et 10 % sont des personnes qui s’adressent à nous de leur « propre » initiative. Très peu de personnes se tournent spontanément vers le Forem lorsqu’elles recherchent un emploi. Si elles ont besoin d’un conseil en la matière, elles s’adressent généralement à leurs amis, aux membres de leur famille, à leurs connaissances, etc.

Les accompagnements que je réalise commencent toujours par un entretien de bilan en face à face d’environ une heure, où l’on évoque l’ensemble de la vie du demandeur d’emploi. Cela dépasse parfois très largement le champ professionnel, car pour comprendre les choix d’une personne il faut comprendre ce qu’elle a vécu. On parle donc de ses études, de ce qui l’a amenée à faire ses choix, de ses désirs, de ses envies, etc. C’est essentiel pour déterminer la façon dont le Forem pourra l‘aider. Sa priorité actuelle est-elle de chercher de l’emploi ou non ? Si non, pourquoi ? Quels sont les obstacles qu’elle rencontre ? C’est sous cette forme que j’essaie d’établir une relation de confiance avec le demandeur d’emploi. Au terme de cette rencontre, je dois être capable d’avoir une première idée de ses perspectives , de ses freins éventuels à son accès à l’emploi, des objectifs qu’on peut se fixer à court ou à long terme, etc.

Par ailleurs, lors de ce premier entretien je dois expliquer au demandeur d’emploi qu’il a des obligations en termes de disponibilité active sur le marché de l’emploi, qui seront contrôlées par un service séparé du Forem (lire p. 80) et qui consistent à faire des recherches hebdomadaires d’emploi, à faire ce que les évaluateurs lui demanderont, c’est-à-dire notamment, après un certain temps, d’élargir sa recherche d’emploi tant au niveau du secteur qu’au niveau géographique, etc. Ces informations sont également transmises par le Forem sous forme écrite aux demandeurs d’emploi, mais pour beaucoup ça reste abstrait et peu compréhensible. J’aborde donc ce sujet dans le détail. Par exemple, pour les jeunes, je leur rappelle que, s’il ne sont convoqués par le service de contrôle qu’au cinquième mois après leur inscription en tant que demandeurs d’emploi, ce n’est pas seulement concernant ce mois-là qu’il leur faudra apporter des preuves de recherche d’emploi, mais que cette obligation démarre le jour de leur inscription, que ce qui est attendu c’est de prouver qu’ils ont effectué une recherche d’emploi régulière et diversifiée plutôt que juste une recherche d’offres en fin de semaine, etc. Je leur conseille également de tenir un agenda de leurs recherches d’emploi et de noter toutes les démarches qu’ils effectuent dans cette perspective, d’en conserver des preuves écrites, etc. Une fois que j’ai terminé cette présentation, j’explique aux demandeurs d’emploi que je ne travaille pas au service de contrôle, que mon but n’est pas de préparer leurs entretiens au service de contrôle et qu’avec moi, nous travaillerons sur tout autre chose, avec un tout autre objectif. Ce que nous ferons ensemble, c’est la construction de leur plan d’action de recherche d’emploi, comme ils l’auront décidé et à partir des objectifs qu’ils auront fixés. Au terme de cet entretien de bilan (au besoin, mais rarement prolongé par un second), les demandeurs d’emploi sont invités à signer le plan d’action que nous avons convenu. S’ils ne signent pas la proposition de plan d’action, leur dossier est transmis pour sanction éventuelle au service de contrôle.

Est-ce que le plan d’action que vous fixez avec les demandeurs d’emploi doit être respecté de façon obligatoire ?

Non, pas en tant que tel. Il peut être consulté par le service de contrôle pour mieux comprendre la situation du demandeur d’emploi, mais son respect n’a pas de caractère obligatoire, puisqu’il a été rédigé sur une base volontaire. Le service de contrôle a accès à certaines informations relatives aux demandeurs d’emploi encodées par les conseillers référents. Certains conseillers n’encodent aucune information dans les zones accessibles au service de contrôle, de peur que ces informations puissent être retournées contre les demandeurs d’emploi. D’autres y mentionnent beaucoup de détails, sans souci de l’usage qui pourra en être fait. D’autres ont une pratique intermédiaire. Pour ma part, j’encode dans le système informatique les informations essentielles mais je conserve beaucoup de notes relatives aux demandeurs d’emploi sous forme manuscrite et non partagée. Une partie importante des informations qui me sont confiées par le demandeur d’emploi le sont dans le cadre d’une relation de confiance personnelle ne regarde que lui et moi dans la perspective du projet que nous construisons ensemble.

Qu’est-ce qui suit cet entretien de bilan dans le cadre de l’accompagnement du Forem ?

Ce qui suit, c’est une série d’entretiens, de discussions sur les actions réalisées ou non, de nouveaux plans d’actions et rendez-vous jusqu’à la mise à l’emploi ou à la fin de la durée prévue pour l’accompagnement, qui est en principe d’un an. Par exemple, si le demandeur d’emploi n’a pas les compétences pour exercer l’emploi qu’il recherche, on va soit discuter de son orientation, soit des formations utiles et accessibles. Les actions à mener peuvent également porter sur les outils, méthodes et moyens de recherche d’emploi. Cela va du CV et des lettres de motivation au site du Forem, à ceux d’agences d’intérims ou des services publics, en passant par l’utilisation des réseaux sociaux, au suivi des candidatures ou encore au renvoi vers des partenaires du Forem pour actions plus intensives, etc.

Qu’entendez-vous par « mise à l’emploi » ?

Les critères du Forem en la matière sont très laxistes. On ne se demande pas si l’emploi est à temps plein ou partiel, s’il est bien ou sous-payé, s’il s’agit d’un CDI ou d’un intérim, etc. Les statistiques qui sont mises en avant par le Forem et les gouvernements concernent essentiellement le nombre de personnes remises à l’emploi « par le Forem », peu importe s’il s’agit d’un intérim d’un jour et si le lendemain elles viennent se réinscrire au Forem. Quoiqu’il en soit, après trois mois de remise à l’emploi, l’accompagnement ne peut plus être poursuivi.

Si vous recevez une personne analphabète, vous pouvez l’inviter à suivre une formation d’alphabétisation ?

Oui, mais ce n’est pas par là que je vais commencer, car dans ma région il faudra un an et demi à deux ans pour qu’une place de formation de ce type se libère. Je ne vais donc pas attendre un tel délai avant de commencer à mettre des choses en place. En outre, se pose la question des déplacements pour accéder à ce type de formation lorsque l’on habite dans un milieu rural. Le tout dans un contexte où les allocations de chômage permettent parfois à peine de survivre et où ces frais de déplacement pour suivre une formation ne sont pas pris en charge par le Forem…

Avant d’arriver chez les conseillers référents, les personnes ont dû s’inscrire en tant que demandeurs d’emploi. En quoi cela consiste-t-il ?

Effectivement, soit cette inscription s’est faite dans le cadre d’un entretien en vis-à-vis dans une antenne du Forem ou en Maison de l’emploi, soit en ligne par internet. Dans le cadre d’une réinscription, celle-ci peut également se faire par téléphone. Dès cette première démarche, le demandeur d’emploi doit déclarer une catégorie de métier dans laquelle il recherche de l’emploi (par ex. : maçon, etc). Il n’est pas possible de ne pas remplir cette case, par exemple parce qu’il se pose des questions en termes d’orientation professionnelle. C’est un problème, car la catégorie de recherche d’emploi mentionnée lors de l’inscription du demandeur va le suivre dans toute sa relation administrative avec le Forem, quasi sans pouvoir être modifiée. Normalement, lors de l’inscription, on mentionne toutes les expériences professionnelles antérieures. Il arrive qu’un jeune ait fait un job étudiant de caissier ou de friturier au Quick, et dès lors que lui-même ou la personne qui l’inscrit mentionne « caissier » ou « friturier » comme métier rattaché au jeune. Cela aura pour conséquence que, s’il n’a pas fait de recherches dans ces catégories de métier, ça risque de lui être reproché lorsqu’il sera contrôlé, puisque ce sont des métiers dans lesquels il est inscrit et dans lesquels il y a des embauches. Donc, si je réalise moi-même l’inscription comme demandeur d’emploi d’un jeune, je vérifie si les catégories de métier de ses éventuels jobs antérieurs correspondent réellement aux démarches d’emploi qu’il souhaite faire. Sans quoi, j’évite de mentionner ces expériences professionnelles dans son dossier d’inscription, car ça va le poursuivre comme une tache dans son dossier durant toute sa relation avec le Forem. Toutes les personnes qui réalisent les premières inscriptions des demandeurs d’emploi ne sont pas attentives à cet aspect, or il est très difficile de retirer une catégorie de métier liée à un demandeur d’emploi dans son dossier, il faut qu’il produise un certificat médical indiquant qu’il n’est plus capable d’exercer ce métier. Lorsque l’on apprend que le projet de décret relatif à l’accompagnement entend promouvoir la réalisation de l’inscription en tant que demandeur d’emploi en ligne par les personnes elles-mêmes et éventuellement seulement avec une possibilité d’assistance du Forem et non par le personnel du Forem lui-même, on peut imaginer les problèmes et les dégâts que cela va générer pour les personnes concernées. Aujourd’hui, il existe déjà une possibilité de s’inscrire en ligne via le site web du Forem comme demandeur d’emploi, mais c’est une procédure qui n’est pas privilégiée et qui s’avère extrêmement complexe, surtout pour une première inscription.

Quels types de demandeurs d’emploi recevez-vous ?

Il y a de grandes différences entre ceux-ci. Parmi les jeunes, certains ont un niveau de bachelor, d’autres ont arrêté leur parcours scolaire en 4e professionnelle… Les premiers sont plus autonomes dans leur recherche que les seconds, mais les personnes que nous recevons actuellement sont rarement réellement autonomes. Elles se font souvent de fausses idées sur le marché de l’emploi. Par exemple, certaines nous disent qu’elles souhaitent faire un travail administratif au sortir de leurs études secondaires mais dans les faits, même si elles ont les qualifications nécessaires par rapport aux réalités des tâches à assumer, il y a aujourd’hui tellement de bacheliers sur le marché pour ce type de postes qu’elles n’ont de fait pas le niveau de qualification suffisant pour avoir des chances raisonnables d’y accéder. En outre, beaucoup de jeunes qui sortent de leur études ont un grand manque de confiance en eux, ou sont dans une attitude d’attente plutôt que d’action…

Est-ce qu’il y a une catégorisation des personnes selon leur « proximité par rapport à l’emploi » ?

Non, il n’y a plus aujourd’hui ce type de classement. C’est d’ailleurs difficile de définir ce que c’est que « être éloigné de l’emploi ». Il m’est souvent arrivé de penser qu’une personne allait mettre très longtemps pour trouver un emploi et puis, à un moment, la personne change et elle trouve un emploi. Il peut aussi arriver, par exemple, que l’employeur ait eu un parcours similaire à celui du demandeur d’emploi et ait envie de lui tendre la main, etc. Mis à part peut-être au Selor, les engagements se font largement sur des bases subjectives. Les freins à l’accès à l’emploi se situent tant chez la personne qui recherche un emploi que chez l’employeur.

Comment se passe la convocation des demandeurs d’emploi en vue d’un accompagnement ?

La convocation est adressée par courrier, au besoin recommandé. Dans certaines régions, le rendez-vous est fixé de commun accord avec le demandeur d’emploi, par exemple en convenant préalablement de la date par téléphone. Dans d’autres régions le demandeur d’emploi est convoqué sans concertation sur le moment fixé. Le taux absentéisme est moindre quand le choix de la date et du moment ont été concertés… Or, en cas de non-réponse à une convocation, en l’absence de justification jugée valable transmise dans les temps, la personne peut être sanctionnée. La personne a droit à deux « jokers » en la matière. Au-delà elle se verra à la fois désinscrite en tant que demandeuse d’emploi et sanctionnée par le service de contrôle au titre d’un manque de disponibilité « passive » sur le marché du travail. (7)

Comment expliquez-vous qu’il y ait un important absentéisme aux convocations des demandeurs d’emploi chez les conseillers référents, alors que ces absences peuvent donner lieu à de lourdes sanctions ?

Il y a différents types de raisons à ces absences : la reprise du travail, le changement de situation administrative, etc. Il y a également les problèmes de réception des convocations, de boîtes aux lettres, les oublis… et puis également parfois le manque de motivation pour se rendre au rendez-vous, vu l’incohérence ressentie entre les demandes de certains conseillers et la situation réelle du demandeur d’emploi…

Est-ce qu’aujourd’hui la distinction entre le contrôle et l’accompagnent est bien comprise par les usagers ?

Ce n’était pas toujours le cas lors des premiers mois du transfert du contrôle de l’ONEm vers le Forem en 2016, mais aujourd’hui je pense que c’est le cas. Les documents de convocation sont très clairs sur ce point et mettent bien en évidence s’il s’agit d’un entretien d’accompagnement ou d’un entretien de contrôle. C’est l’une des modifications essentielles qu’apporterait le projet de réforme : le contrôle de la disponibilité active serait partiellement intégré dans l’accompagnement.

En quoi les entretiens d’accompagnement pratiqués par les conseillers référents du Forem sont-ils différents des évaluations dans le cadre du contrôle de la disponibilité active, qui eux aussi peuvent se conclure par des formes de « plan d’action » (dits « recommandations ») remis aux demandeurs d’emploi ?

Les évaluateurs vérifient l’application de la réglementation sur le contrôle de la disponibilité active selon les critères de la réglementation fédérale en vigueur en la matière et selon les instructions qu’ils ont données dans ce cadre. Ça n’a rien à voir avec le fait de faire une bonne recherche d’emploi. Ce sont des choses nettement différentes. Le projet de décret réformant l’accompagnement du Forem tend à les assimiler, ce qui constitue une confusion majeure qui pervertirait tant la bonne organisation de la recherche d’emploi que la relation de confiance avec les conseillers et les demandeurs d’emploi.

La note de la Cour des comptes sur l’accompagnement des demandeurs d’emploi par le Forem indique que 80 % des conseillers référents actuels ne souhaitent pas se voir confier une mission de contrôle. Est-ce un chiffre que vous confirmez ?

Cette estimation de la Cour des comptes provient d’un sondage qu’elle a réalisé parmi les conseillers. Ce ne sont pas des chiffres inventés. Si les conseillers avaient souhaité effectuer un travail de contrôle, ils auraient postulé pour effectuer ce type de fonction et non celle qu’ils exercent aujourd’hui. Le type de relation que les demandeurs d’emploi ont avec les conseillers référents est très différent de celle qu’ils ont avec les évaluateurs en charge du contrôle, notamment au point de vue de la confiance. Dans les grandes villes, les évaluateurs travaillent avec un vigile dans leurs locaux, ça en dit beaucoup sur la nature de leur relation avec les demandeurs d’emploi. Ce n’est jamais le cas dans les services d’accompagnement. Conseiller ou évaluer, ce sont des types de relations très différentes. Un demandeur d’emploi peut-il tout dire à une personne dont la mission est de l’évaluer ? Ou bien doit-il réfléchir à chaque mot qu’il prononce pour éviter de donner un élément qui puisse lui être défavorable dans le cadre de son évaluation ? Lorsque l’on se situe dans ce registre, on n’est plus vraiment dans le cadre d’une relation de confiance.

Le type d’accompagnement que vous pratiquez actuellement semble avoir un sens pour une durée d’un an ou d’un peu plus, mais le projet de réforme prévoit d’accompagner 100 % des demandeurs d’emploi, et donc potentiellement de maintenir cet accompagnement deux, cinq ou dix ans ! Est-ce que cela aurait un sens ?

C’est évident que pour une personne qui est peu qualifiée, qui n’a plus travaillé depuis de nombreuses années, qui est âgée et qui habite dans un trou perdu sans moyens de transport ni connexion internet… ce n’est pas le conseiller référent du Forem lui-même qui va l’aider à trouver un emploi, même s’il l’accompagne pendant dix ans. C’est possible de l’aider, mais cela requiert une intensité de suivi que le Forem ne peut prendre en charge et c’est donc en renforçant les possibilités de prise en charge intensive par des partenaires que ces personnes pourront réellement être aidées à accéder à l’emploi, si tant est que ce soit possible sans une modification de la situation du marché de l’emploi. Avec une personne dans cette situation, tout ce que je peux faire en tant que conseiller référent, c’est lui apprendre à bien faire des recherches d’emploi selon les critères qui seront appliqués par le service de contrôle de la disponibilité active, afin de préserver son droit aux allocations. L’accompagner pendant plusieurs années n’aurait pas vraiment de sens, car elle se trouve dans un schéma social tel qu’avec les moyens dont je dispose je ne pourrai arriver à aucun résultat probant. Il y a des asbl qui font un boulot pertinent et formidable avec ce type de public, mais dans ma région elles n’ouvrent que huit places par an et les demandeurs d’emploi doivent souvent faire trente ou quarante kilomètres pour s’y rendre. Je pourrais remplir ces huit places à moi seul avec des personnes que j’accompagne actuellement et pour qui ce serait pertinent. C’est l’un des problèmes du projet de réforme. Il ne prévoit pas de moyens supplémentaires pour les dispositifs pertinents par rapport à ce public mais il prévoit d’en consacrer beaucoup pour que le Forem les accompagne continuellement d’une façon dont on sait d’avance qu’elle ne pourra pas déboucher sur un résultat positif. Si le gouvernement wallon voulait toucher efficacement ce public, il pourrait mettre d’autres choses en place : développer l’offre des partenaires, veiller ce que cette offre couvre les zones qui ne le sont pas actuellement, prendre en charge les frais de déplacement des demandeurs d’emploi lorsqu’ils suivent une formation, etc. Mais c’est une toute autre voie qui semble avoir été choisie par la direction du Forem et par le gouvernement wallon, qui pose une question plus fondamentale : si ce projet de réforme est adopté, le Forem pratiquera-t-il encore de l’accompagnement humain, réalisé par des humains pour des humains ? Je crains malheureusement qu’à l’avenir les conseillers du Forem se transforment de plus en plus en de simples aiguilleurs de flux informatiques. Des conseillers du Forem vont suivre des personnes, puis elles vont basculer dans une autre catégorisation des demandeurs d’emploi et le flux informatique les orientera vers un autre type de suivi et de conseiller, etc. Tant les demandeurs d’emploi que les conseillers risquent de perdre la maîtrise de cette nouvelle forme «d’ accompagnement ». Le choix, prévu par le projet de décret, de privilégier les canaux numériques (site web, téléphone, SMS, mails, conférences Teams…) pour l’organisation des relations entre le Forem et le demandeur d’emploi, que ce soit au niveau de l’inscription, de la communication ou même des accompagnements va poser des problèmes aux demandeurs d’emploi. Outre les questions d’accès (disposition d’un ordinateur personnel, d’une connexion internet), il faut prendre en compte qu’une part de la population ne sait ni lire ni écrire, ou du moins pas suffisamment pour bien comprendre le sens de ce que le Forem va leur demander d’accomplir en ligne. En outre, en passant par des canaux numériques plutôt que par des entretiens en vis-à-vis, on se coupe d’une partie de la communication, non verbale, par laquelle passe l’échange entre le conseiller et le demandeur d’emploi. En face à face, un conseiller peut souvent se rendre directement compte qu’un demandeur d’emploi n’a pas compris quelque chose et peut alors le reformuler. Dans le cadre d’un échange numérique, un terme ou un principe mal interprété par le demandeur d’emploi le mènera vers la faute et la sanction, sans garde-fou.

(1) Communiqué de presse de la ministre Morreale, 26.06.20. Notons que le « Jusqu’à présent » qualifie la situation depuis 2016, date où le Forem a repris de l’ONEm le contrôle de la disponibilité active.

(2) Cour des Comptes (Chambre française), « La mise au travail des demandeurs d’emploi par le Forem », 18 mars 2020, p. 49.

(3) Renoir, Malory et Tojerow, Illan (Dulbéa-ULB), « Évaluation de l’ensemble du dispositif de la disponibilité des chômeurs, tel que mis en œuvre au sein du Forem », Policy paper n°19.03, juin 2019.

(4) Cité in Renoir, Malory, ibid…, p. 132.

(5) Le Forem, Découvrez le métier de conseiller au Forem, 2019.

(6) Le Forem Recherche 60 conseillers (H, F, X), octobre 2020

(7) Cette « double peine » disparaît enfin en 2021. Lire ici

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