Forem

« J’entends les craintes et perçois les dangers »

Après qu’en décembre 2020 les sections des Travailleurs sans emploi de la CSC ont mené des actions symboliques en demandant de faire une «pause » dans le projet de réforme du Forem , le président de la CSC Wwallonne, Bruno Antoine, précise le point de vue de son organisation.

Bruno Antoine (président de la CSC wallonne) : « Il y a régulièrement dans ce dossier des démarches précipitées »

Suite à la très faible prise en compte par le gouvernement wallon des demandes syndicales par rapport à l’avant-projet de décret réformant l’accompagnement des demandeurs d’emploi par le Forem – en partie reprises dans l’avis qui avait été remis par le Conseil économique, social et environnemental de Wallonie (CESE W) – dans la version de l’avant-projet de décret adoptée en seconde lecture le 12 novembre 2020, les sections des Travailleurs Sans Emploi de la CSC (TSE-CSC) ont pris l’initiative d’interpeller par courrier les mandataires politiques wallons pour attirer leur attention sur les « trop nombreux risques de sanctions et d’exclusion des demandeurs d’emploi que comportait le projet de décret » en dénonçant le « peu de temps accordé à la réflexion et à la concertation ainsi que l’absence de budget lié à une telle réforme sans oublier l’absence de responsabilisation des employeurs ».

Tout en marquant leur soutien par rapport à l’objectif de la réforme, qui leur a été présentée comme traduisant une volonté de « remettre en question l’activation avec son contrôle systématique », les TSE -CSC ont fait part de leurs interrogations, par exemple « sur le contenu de la mission qui consiste à coacher », en faisant remarquer que « si celui ou celle qui est censé.e nous aider est le.la même qui sanctionne, cet accompagnement n’est qu’une forme de contrôle de la disponibilité permanente dans laquelle le demandeur d’emploi qui ne maîtrise pas les codes de l’administration a tout à craindre ». Ils ont également exprimé une série de préoccupations générales, quant au fait que l’on « garde le principe de la liberté de choix dans les formations et les métiers » ou par rapport à leurs craintes concernant la mise en place de « catégories informatiques qui excluent », indiquant que « bon nombre de demandeurs d’emplois se voient obligés de rentrer dans une case prévue par le logiciel du Forem en gommant leur particularités non- reconnues, l’accompagnement ne pouvant dès lors produire de résultat puisqu’il est déconnecté de la réalité ». Enfin, ils ont communiqué une série de revendications plus ponctuelles par rapport au projet de réforme : que « l’accompagnement syndical, ainsi qu’une défense, soient prévus et garantis le plus tôt possible dans le processus d’accompagnement du Forem (dès que le plan d’actions devient formel?) », qu’une « possibilité de recours interne au Forem soit prévue, organisée et proposée à l’issue de toute décision qui pourrait mener à une sanction » (1)., etc. Parallèlement à ces démarches, les TSE -CSC ont réalisé des actions symboliques (Covid oblige) pour appuyer leur démarches : la réalisation et la diffusion de selfies devant des bâtiments du Forem avec le signe « pause ».

« L’administratrice générale du Forem a sa vision propre de la concertation sociale »

Pour connaître plus précisément la position de la CSC wallonne, nous avons rencontré son président, Bruno Antoine, qui est également membre du Comité de gestion du Forem. Diplomate, celui-ci nous a indiqué qu’il « aurait préféré que l’avant-projet de décret, tel qu’il a été adopté en seconde lecture, prenne davantage en compte les attentes syndicales », déplorant tantôt des « démarches précipitées tant dans le chef du Forem que du gouvernement wallon , pouvant mener à des erreurs préjudiciables aux demandeurs d’emploi ou au personnel Forem » avant de relever que l’état d’esprit de la ministre actuelle de l’Emploi actuelle, Christie Morreale (PS) lui paraissait « plus positif que celui de son prédécesseur, M. Jeholet (MR) ». Il nous a toutefois confirmé que la CSC wallonne avait lancé une campagne de sensibilisation des mandataires politiques concernant ce projet de réforme et qu’à ce stade, certains éléments de ce projet de réforme laissaient la CSC perplexe, comme par exemple le fait que le développement de l’informatisation et de la digitalisation des accompagnements « tend à être présenté par les promoteurs de cette réforme comme l’outil qui va permettre de résoudre les problèmes de l’accès à l’emploi »…

Les Travailleurs sans emploi CSC ont réalisé et diffusé des selfies devant le Forem avec le signe « pause ».
Les Travailleurs sans emploi CSC ont réalisé et diffusé des selfies devant le Forem avec le signe « pause ».

Ensemble ! : Quand le projet de réforme de l’accompagnement du contrôle des chômeurs a-t-il été élaboré et qui en est à l’origine ?

Bruno Antoine (CSC-W): En mai 2019, la direction générale du Forem a pris l’initiative d’organiser une rencontre avec le VDAB (c’est-à-dire l’homologue flamand du Forem) à laquelle les représentants des organisations patronales et syndicales qui siègent au Comité de gestion du Forem ont été associés. Lors de cette visite, on nous a présenté la façon dont l’accompagnement et le contrôle des chômeurs étaient organisés au VDAB. Suite à cette démarche, un débat sur l’évolution de l’organisation du contrôle et de l’accompagnement s’est ouvert au sein du Forem, dans lequel la CSC wallonne a notamment insisté pour que le personnel soit entendu et écouté. Il y avait donc à la base un accord assez large pour réfléchir à cette question.

Mais c’est seulement au nom de la direction du Forem, et non de son Comité de gestion que, le 28 juin 2019, Mme Vanbockestal, l’administratrice générale du Forem, a présenté aux formateurs du futur gouvernement wallon une proposition de réforme dont les grandes lignes rejoignent l’avant-projet de décret aujourd’hui en discussion…

C’est exact. L’administratrice générale du Forem a sa vison propre de la concertation sociale, qui n’est pas la même que celle des organisations syndicales, et en tous cas de celle de la CSC wallonne. Nous avons un dialogue suivi avec la direction du Forem, mais il y a régulièrement dans ce dossier des démarches précipitées tant dans le chef du Forem que du gouvernement wallon pouvant mener à des erreurs préjudiciables aux demandeurs d’emploi ou au personnel Forem.

Le Forem ou le gouvernement ont-ils commandité des études préalables examinant les avantages, les inconvénients et les risques liés aux grands axes de ce projet de réforme ? Ont-ils évalué précisément le nombre d’accompagnements qui devront être annuellement délivrés par le Forem une fois que la réforme sera pleinement mise en place ? Ont-ils déterminé le cadre de personnel du Forem qui sera nécessaire pour assumer ces nouvelles missions ?

Ce sont des questions pertinentes que nous abordons au sein du Comité de gestion du Forem, ou que les délégations syndicales du Forem abordent dans le cadre de la concertation sociale propre à l’entreprise. Je n’ai pas eu connaissance d’études préalables. A ce stade, sur base de l’avant-projet de décret adopté par le gouvernement en seconde lecture en novembre et sans que des projets d’arrêtés d’exécution n’aient été rédigés, il n’y a aucune réponse donnée en la matière. Concernant l’accompagnement de 100 % des demandeurs d’emploi, ce n’est pas un problème pour nous à condition qu’il s’agisse d’un bon accompagnement. La question nous semble surtout de ce point de vue celle de la nature de cet accompagnement et des moyens qui seront prévus pour que le Forem et ses partenaires puissent le prendre en charge dans de bonnes conditions. Concernant la digitalisation, qu’est-ce qu’elle apportera en bien ou en mal aux demandeurs d’emploi ? Quels sont les demandeurs d’emploi qui en tireront un bénéfice et quels sont ceux qui en feraient les frais ? Nous n’avons pas non plus de réponse fiable. Nous aurions préféré que l’avant-projet de décret, tel qu’il a été adopté en seconde lecture, prenne davantage en compte les attentes syndicales, en partie reprises dans l’avis remis par le Conseil économique, social et environnemental de Wallonie (CESE W). Cet avant-projet ne suffit pas toutefois pas pour organiser la mise en œuvre opérationnelle du projet de réforme. C’est seulement lorsque les arrêtés d’exécution seront adoptés que la réforme prendra véritablement ses contours. Les questions qui précèdent devront donc encore être examinées dans le cadre de l’élaboration de ces arrêtés, qui devront être concertés avec les interlocuteurs sociaux.

Quel type d’évolution de l’accompagnement et du contrôle des chômeurs la CSC wallonne souhaite-t-elle et comment jugez-vous l’actuel avant-projet de décret actuel ?

Nous sommes demandeurs d’une réforme de l’accompagnent des demandeurs d’emploi qui positionne le Forem comme un partenaire de ceux-ci, qui travaille avec et pour eux. Le demandeur d’emploi doit pouvoir librement exprimer la façon dont il perçoit ses problèmes et sa situation par rapport au marché de l’emploi sans être jugé. Nous souhaitons que les membres du Forem qui accompagnent les demandeurs d’emploi puissent le faire d’une façon plus souple qu’actuellement, sans être sans cesse dans une dynamique de contrôle. Il faut sortir d’une simple logique de contrôle de la réalisation de plans d’action. Nous soutiendrons les projets de décret et de réforme s’ils vont dans ce sens, mais nous avons actuellement une série de réserves par rapport à leur état actuel.

Tout d’abord, la façon dont le Forem est légalement positionné par les gouvernements wallons successifs correspond plus à un « service public de l’entreprise » qu’à un « service public de l’Emploi ». La réforme continue à faire porter l’ensemble des responsabilités sur les épaules des demandeurs d’emplois, qui doivent constamment se justifier et apporter des preuves de leurs recherches d’emploi, tandis que les obligations imposées aux entreprises sont quasi nulles. A cet égard, il serait pertinent de développer des dispositifs qui responsabilisent les employeurs dans l’accès à l’emploi, comme par exemple la méthode d’intervention sur les offres et les demandes (IOD) développée par certaines missions régionales pour l’emploi. Il est regrettable que ce type d’approche ne trouve aucune place dans le projet actuel de réforme, qui reste orienté par l’idée de fournir aux employeurs des candidats qui répondent à 100 % à leurs attentes (même si elles sont parfois même surdimensionnées).

Le second élément problématique du projet de réforme est qu’il prévoit de privilégier l’accompagnement des demandeurs d’emploi sous la forme digitale et à distance (site web, mail, téléphone, vidéo-conférence…) par rapport à l’accompagnement présentiel (rendez-vous avec un conseiller du Forem). Or, la CSC wallonne souhaite au contraire que ce soit l’accompagnement présentiel qui soit privilégié par rapport à l’accompagnement numérique. Le développement de l’informatisation et de la digitalisation des accompagnements tend à être présenté par les promoteurs de cette réforme comme l’outil qui va permettre de résoudre les problèmes de l’accès à l’emploi. Nous n’en sommes pas convaincus et cet aspect nous paraît à baliser ou à revoir. L’accompagnement digital risque de se réduire à l’application de procédures standardisées qui ne prennent pas réellement en compte la situation particulière de chaque demandeur d’emploi. Il faut donc être très prudent à cet égard. Nous sommes inquiets par rapport à la fuite en avant qu’il y a dans cette matière, qui a été favorisée par le contexte particulier de crise sanitaire que nous avons connu ces derniers mois. La fracture numérique, ce n’est pas qu’une question de matériel, c’est aussi une question culturelle. Gérer leur relation au Forem à travers le digital, cela ferait basculer les demandeurs d’emploi dans une logique administrative tout à fait différente de celle qui prévaut actuellement et que beaucoup risquent de mal maîtriser, avec des conséquences négatives pour le maintien de leur droit aux allocations.

Troisièmement, nous sommes perplexes par rapport à la façon dont le projet de décret organise la relation entre le Forem et ses partenaires (CISP, etc.). Ceux-ci ont une grande connaissance des demandeurs d’emploi, plus particulièrement ceux et celles en grande difficulté. Le décret nous paraît faire fausse route en les positionnant d’une façon subordonnée par rapport au Forem.

Nous sommes également en attente de réponses par rapport à l’adéquation entre le nouveau dispositif organisé par le projet de décret et ses objectifs ambitieux en matière d’accompagnement des demandeurs d’emploi, d’une part, et les moyens humains et financiers prévus pour sa mise en œuvre, d’autre part. Le Forem disposera-t-il du cadre de personnel suffisant pour mettre en œuvre cette réforme ? Quels seront les moyens disponibles pour développer des formations et des dispositifs d’aide en nombre suffisant, en particulier pour le public éloigné de l’emploi pour lequel le projet prévoit un suivi intensif ? Concernant la collecte d’informations sur le demandeur d’emploi dans le « dossier unique » prévu par la réforme, si nous pouvons entendre l’intérêt d’une centralisation des informations, il nous paraît qu’il faut encore garantir que cette collecte d’information ne se retournera pas contre les demandeurs d’emploi.

Enfin, nous demandons à être rassurés par rapport à l’égalité de traitement des demandeurs d’emploi par le Forem au point de vue de leur lieu de résidence. Les moyens et objectifs doivent être répartis entre les directions territoriales du Forem, d’une façon qui prenne mieux en compte les réalités, qui ne se résument pas au seul nombre de demandeurs d’emploi à suivre.

Les dispositions de l’avant-projet de décret donnent à la réforme une série de caractéristiques qui nous font craindre qu’elle génère une explosion des sanctions (en particulier dans le cadre de la disponibilité passive) . Avez-vous reçu de la ministre de l’Emploi une garantie que la réforme projetée n’augmentera pas le nombre de sanctions?

La réponse à cette question appelle plusieurs considérations. C’est exact qu’il faut être prudent et qu’en multipliant le nombre d’accompagnements, on multiplie les risques de sanctions, tout comme lorsque l’on multiplie le nombre de tests Covid, on multiplie le nombre de cas positifs détectés. Par contre, aujourd’hui, toute une série de sanctions qui sont délivrées par le Forem sont dues à une approche administrative rigide du contrôle de la disponibilité active et passive. Telle action qui avait été convenue n’a pas été réalisée, et du coup on sanctionne le demandeur d’emploi. Or, dans l’esprit qu’on nous a dit être celui du nouvel accompagnement qui devrait être mis en place au sein du Forem, si cette intention se traduit effectivement dans les textes réglementaires et dans les instructions données par la ministre de l’Emploi, il est prévu que le Forem portera avant tout son attention aux raisons pour lesquelles le demandeur d’emploi n’a pas respecté le plan d’action convenu, dans une optique d’aide, plutôt que délivrer automatiquement des sanctions. Idem, selon cet esprit, il ne devrait plus sanctionner bêtement le demandeur d’emploi parce qu’il n’a pas répondu à une convocation. Par ailleurs, la possibilité pour les organisations syndicales de défendre concrètement les demandeurs d’emploi dans le cadre du processus de contrôle, et ce à un stade suffisamment précoce, est évidemment un élément essentiel pour éviter des sanctions A cet égard, nous demandons que la défense syndicale puisse intervenir dès que l’accompagnement bascule du registre des conseils indicatifs délivrés par le Forem aux demandeurs d’emploi au registre d’une liste d’actions imposées qui doivent être accomplies sous peine de sanctions. Par ailleurs, l’état d’esprit par rapport à cette question de la ministre actuelle de l’Emploi actuelle, Christie Morreale (PS), nous paraît plus positif que celui de son prédécesseur, M. Jeholet (MR). Cecila dit, à ce stade, il n’y a effectivement aucun engagement formel de la ministre que le nombre de sanctions diminue.

L’avant-projet de décret, il est prévoit que pour rester reconnu en tant que demandeur d’emploi par le Forem, le chômeur devra « se présenter aux rendez-vous fixés, en présentiel ou à distance, à la date et à l’heure indiquées » et que le Forem sera notamment chargé de sanctionner le non-respect de cette obligation…

On peut toujours voir le verre à moitié vide ou à moitié plein. A partir du moment où il y a une règle d’évaluation, je préfère que celle-ci soit explicite. L’application de cette règle dépendra des arrêtés d’exécution du décret et de la façon dont le Forem mettra en œuvre l’ensemble de la réglementation.

Vu la façon dont le Forem a jusqu’ici mis en place le contrôle de la disponibilité active, n’est-il pas peu raisonnable de compter sur sa direction pour utiliser de façon favorable aux chômeurs la marge de liberté qui lui sera laissée par le dispositif légal et réglementaire ?

J’entends les craintes et je perçois les dangers. Si la réforme est adoptée, elle doit être liée à la mise en place d’un système d’évaluation de ses résultats avec des indicateurs examinés mois après mois, afin de pouvoir au besoin corriger le tir. Il faudra donc instaurer au Forem d’une part une véritable culture de l’évaluation et de l’autre une culture de l’agilité, c’est-à-dire de ne pas attendre trois ans pour changer les choses quand on constate qu’il y a un problème. Pour le reste, en tant qu’organisation syndicale, nous défendons l’idée d’un service public fort et sommes attachés à ce que la coordination du placement et de l’accompagnement des demandeurs d’emploi reste dans les mains d’un opérateur public comme le Forem, même si nous attendons de celui-ci qu’il évolue.

Une certaine forme de digitalisation des accompagnements a déjà été mise en place au sein du Forem dans le cadre de la crise sanitaire. Est-ce que le Forem a déjà produit une évaluation précise de celle-ci et du type de problèmes qu’elle pose ?

A ma connaissance, il n’y a encore eu aucune évaluation approfondie de l’accompagnement à distance ou digital qui a été mis en place par le Forem dans le cadre de la crise sanitaire. Beaucoup de problèmes se posent et de questions restent à régler concernant ce projet de réforme. Nous continuons donc à mettre la pression pour le faire évoluer, tant à travers les contacts que nous avons avec le cabinet de la ministre de l’Emploi qu’au sein du comité de gestion du Forem. La CSC wallonne a lancé une campagne de sensibilisation des mandataires politiques via des interpellations par région par nos équipes de militants TSE avec les permanents CSC et les responsables de fédération CSC. « De l’analyse à l’action », la CSC wallonne ne reste pas au balcon et n’est pas attentiste.

(1) Lettre de l’Action des Travailleurs Sans Emploi de la CSC aux mandataires politiques concernant le projet de réforme du Forem ; décembre 2020.

(2) Khadija Khourcha (TSE-CSC), « Réforme de l’accompagnement FOREM – Etat des lieux et position des TSE », décembre 2020.

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