Depuis une trentaine d’années, l’entreprise postale belge connaît de profondes transformations, dont chaque étape entraîne des mouvements sociaux parmi les travailleurs. Nous faisons le point avec la Centrale générale des services publics (CGSP), secteur postal.
Nous l’avons évoqué dans notre présentation de l’entreprise postale belge : chacune des étapes de transformation de l’entreprise déclenche un intense stress parmi les travailleurs (lire ici). Les grèves des facteurs et factrices sont récurrentes, souvent motivées par les réorganisations des tournées, aujourd’hui soumises aux diktats du logiciel Géoroute (lire ici). Avec ce système, tous les deux ans, les travailleurs doivent encaisser de nouvelles modifications, une nouvelle pression sur leurs tâches quotidiennes, et… une perte de sens dans la mise en pratique de leur profession. Là où, par le passé, le facteur connaissait son secteur et ses habitants, les tournées sont à présent en permanence susceptibles de changer, imposant en outre une charge de travail accrue. Cette situation précipite de nombreux travailleurs et travailleuses dans la maladie, les communications syndicales vont jusqu’à évoquer les envies suicidaires de leurs affiliés… Ils n’y arrivent plus, tout simplement. Implacable constat.
L’élément déclencheur des mouvements de grève du début de cette année est à nouveau celui-là, alimenté par les inquiétants discours de Chris Peeters, nouveau patron de bpost depuis novembre 2023. Lorsqu’on prend connaissance de ses propos, il y a lieu de se demander si l’ancien patron d’Elia – gestionnaire du réseau de transport d’électricité – a déjà discuté avec un facteur expérimenté tel que notre témoin (lire ici). Nous sommes réellement dans une caricature de dialogue de sourds « patron-travailleurs ». Face aux craintes et à la colère des travailleurs en grève, la question lui est posée, le 11 février 2025,de savoir s’il est prêt à discuter des réorganisations présentées pour les tournées… Le plus simplement du monde, il a répondu qu’il « n’est pas question, comme cela pouvait être le cas par le passé, de rediscuter aujourd’hui. Par contre, après la réorganisation, si on constate qu’il y a des problèmes, évidemment on discutera. Le dialogue social doit se focaliser sur ça. Où est-ce qu’il y a des problèmes ? Où doit-on opérer des changements ? Sauf qu’aujourd’hui, nous n’en sommes pas là. On annonce des changements et on a déjà des grèves » (1). Déconnexion totale de la réalité : les travailleurs devraient donc attendre le constat des dégâts – qu’ils vivent par ailleurs depuis plus de deux décennies – avant de se mobiliser pour éviter leur nouvel avatar, voué à les enfoncer encore plus profondément.
Le discours hors-sol du patron se fracasse sur les constats des représentants des travailleurs en colère. Le même jour, Grégory Vandersmissen, permanent de la Confédération des syndicats chrétiens (CSC) pour bpost, décrivait l’état d’esprit des travailleurs en évoquant une réunion avec la direction. « Ça s’est passé très mal, et donc je pense que la grogne va se poursuivre si l’entreprise ne fait pas un geste d’apaisement, et malheureusement les actions risquent de se poursuivre et de s’étendre, peut-être même dans d’autres régions que la Wallonie. Pour eux c’est comme ça, ils ont un but d’efficience et de rentabilité, qu’importe le chemin qu’ils vont emprunter pour y parvenir. Et malheureusement pour y parvenir il faut passer par la force de travail. Le travail ce sont les travailleurs, moi j’ai des collaborateurs qui ont plus de trente ans d’ancienneté dans l’entreprise, plus de 60 ans d’âge, et qui pleurent tous les jours et n’y parviennent pas, ont des pensées suicidaires. L’entreprise ne se rend pas compte qu’aujourd’hui elle met son personnel à bout (…) » (2). Blocage total.
Relevons au passage ce constat : la novlangue patronale semble hélas avoir pénétré les discours syndicaux, relevés ici en plein conflit social. Le mot « collaborateurs » a pour vertu de gommer les rapports de hiérarchie, telle une métaphore d’un monde où tous travailleraient ensemble, dans la joie, à un même but. Le terme « grogne », lui, grand habitué des discours politiques, médiatiques et patronaux, semble avoir définitivement remplacé celui de « grève », pourtant un droit fondamental, acquis historique des luttes sociales.
Pour accompagner ce récit de vie d’un facteur, nous avons voulu proposer un bref topo syndical de la situation chez bpost. Pour ce faire, l’équipe du secteur poste de la Centrale générale des services publics (CGSP), section bruxelloise, nous reçoit non loin de la place De Brouckère. Geoffrey Hoyois, le secrétaire de l’interrégionale, feuillette notre revue et commence par nous faire part de ses réflexions sur la presse. « Il n’y a plus de « presse de gauche » généraliste, nous en parlons souvent en interne. Si on ne peut plus nulle part passer nos messages, les chances sont minces de pouvoir faire face aux dégâts d’un gouvernement tel que celui qui vient d’être installé… »
Ensemble ! Avant d’évoquer les récentes grèves chez bpost, je souhaiterais vous faire réagir à quelques éléments évoqués par notre témoin facteur. Il déplore ce qu’est devenu son métier, en particulier la disparition de ses dimensions sociales, attrait principal du choix de carrière à la poste.
Pour avoir été moi-même facteur, je rejoins ces constats. Auparavant, nous avions des services de distribution plus concentrés, couvrant une zone permanente. Aujourd’hui, nous faisons des services un peu partout, avec des logiques parfois étranges, tout a été éclaté. Le facteur n’est plus que le titulaire d’une activité de la poste, dont le contenu pourra être modifié constamment. Dans le temps, le facteur avait « ses » habitants, il avait son quartier, n’en changeait jamais puisqu’il n’y avait pas les Géoroute (NDRL : Logiciel de réorganisation des tournées, lire ici). Même si des adaptations pouvaient être appliquées aux tournées, elle ne subissaient aucun grand chambardement. Le facteur était vraiment un personnage important du quartier, il avait son uniforme, était connu et attendu. Aujourd’hui, l’équipement a totalement changé, on a plus l’impression d’avoir un sportif de haut niveau avec des poches un peu partout, pour y mettre un maximum de documents, le MOBI (NDRL : Un smartphone nécessaire pour enregistrer les opérations)… Depuis trente ans, en effet, on a vu vraiment ce métier se dévaloriser, et avec elle l’image du facteur comme une personnalité importante dans la communauté.
Supprimer les dimensions sociales du rôle du facteur, cela répond à une volonté claire ? C’est pensé directement comme ça ?
C’est pensé dans le sens où, par exemple, on nous fait croire qu’il faut supprimer le paiement des pensions à domicile parce qu’il est dangereux d’avoir l’argent sur soi. Ils n’ont donc retenu que l’aspect négatif de ce rôle, primordial pour les personnes âgées. Et donc : mettez-ça sur un compte ! Au sein de la population vieillissante, les personnes qui ont connu l’ancienne poste, ils ne reconnaissent plus rien. Aujourd’hui, le rôle social d’un facteur, c’est quoi ? « Bonjour, j’ai un recommandé pour vous. Bonjour, j’ai un colis pour vous. » Point.
Au niveau de la charge de travail, les changements sont également radicaux. Prenons un exemple : dans le temps, ici à Bruxelles, j’avais un service de 800 boîtes à distribuer. Aujourd’hui, un facteur couvre à Bruxelles 1.400 à 1.500 boîtes en moyenne. Ça a doublé, vu la diminution du nombre des lettres, certes, mais quand on double un service, on double les kilomètres. On double également la vitesse d’exécution, car il faut aller plus vite pour respecter les parcours élaborés par Géoroute. Alors la poste a mis un véhicule à disposition du facteur. Dans le temps, à Bruxelles, tout le monde était à pied, maintenant le facteur a souvent un véhicule. Pour Bruxelles, ce n’est par exemple pas toujours évident de se garer, donc ce véhicule ne compense pas vraiment le fait d’être à pied, en voiture il y a d’autres impératifs. Il faut avant tout arriver à se garer, pour les colis, dont le nombre a explosé, il faut les porter deux fois, en retournant à la camionnette quand la personne n’est pas là, et puis pour parfois trois lettres, il faut parcourir 500 mètres pour les mettre dans les boîtes. Donc le métier a changé, ça a fortement augmenté au niveau de la charge physique, et les services sont devenus longs. Très longs…
Par ailleurs, la poste a supprimé de nombreux bureaux, tout est regroupé dans de grands centres. Quand j’étais facteur, je descendais du bâtiment de la poste derrière la place Flagey à Ixelles, et je commençais à distribuer en face de la porte, ou dans un quartier un peu plus loin. Aujourd’hui, par exemple, les facteurs de Watermael-Boitsfort préparent leur courrier à Anderlecht, et le temps pour rejoindre le lieu de la tournée est calculé à la seconde près : ils ont vingt-trois minutes pour y aller. Je défie quiconque d’effectuer cette distance en vingt-trois minutes à 8h du matin, en Région bruxelloise. Le temps calculé est rarement correct.
Nous parlons ailleurs avec vous de Géoroute et des possibilités de surveillance par les nouveaux outils imposés aux facteurs (lire en p.XXX), ces nouveautés jouent-elles également un rôle dans l’individualisation des travailleurs ?
Si on supprime les dimensions sociales des travailleurs, comme c’est le cas avec le minutage précis des tâches avec Géoroute, ou si on pense aux possibilités de traçage du travailleur par la technologie, oui, le facteur est coupé d’un certain public. Si la technologie peut aider à certains endroits, à d’autres elle crée énormément de dangers, par exemple ici une déstructuration du métier. Le tri du courrier, qui arrive aujourd’hui pré-trié par une machine, cela représente un gain de temps, certes, mais ça s’est accompagné de changements au niveau du lieu où les facteurs préparent leurs tournées. Dans le temps, les cases en métal étaient alignées dans un grand espace, le facteur pouvait au besoin donner un coup de main à un collègue. À présent, chacun est dans une case de tri, seul. Quand ce changement est arrivé, je me suis senti comme enfermé dans une « cage d’oiseau », appelons ça comme ça. Les collègues, on ne les voit plus. À ce moment-là, nous avons compris être entrés dans une ère du « chacun pour soi », dans ce métier. On a donné un véhicule à chacun, pour qu’il soit « autonome », mais cette autonomie accroît le chacun pour soi. Autre exemple : avant, tout le monde commençait en même temps, aujourd’hui certains facteurs commencent à 6h30, d’autres à 6h45, etc. Il y a des collègues qu’on ne voit jamais.
Tout ce que vous évoquez forme un cocktail détonnant. Ce qui étonne, finalement, dans un tel contexte, c’est que les mouvements de grève puissent étonner qui que ce soit. Quel fut le point de départ du dernier mouvement social, en début d’année ?
Plusieurs points sont à noter. On peut citer la perte, par bpost, de la distribution de la presse et des périodiques, subsidiée par l’État. Ces services n’étant plus rentables, ça allait filer vers des concurrents, ou même des filiales. En perdant les journaux, forcément des travailleurs auront du temps de travail en moins… On entendait déjà parler d’une -nouvelle- réorganisation profonde. Tout est lié, on allait donc voir les tournées, en compensation, à nouveau alourdies.
Sinon, il s’agit des réorganisations Géoroute. Nous les vivons depuis une vingtaine d’années, à chaque fois ce sont des coups sur la tête. Il arrive un moment où les travailleurs disent stop. Avec ce système, tous les 24 mois le travail change, tout est réorganisé. On entend parfois même parler de projets de réorganisations tous les six mois, voire tous les trois mois. Déjà aujourd’hui, alors que notre facteur n’a pas encore commencé à intégrer tous les noms de sa tournée, il est déjà en train de rechanger de rues. Tout ça alors que l’entreprise dit vouloir rendre le facteur visible. Elle désire ce contact, elle veut un rôle social pour son facteur, elle le dit ! C’est écrit dans ses projets vers 2029. Simplement, c’est très concret : prétendre désirer un rôle social pour le facteur, tout en alourdissant encore les tournées, c’est une ineptie, ça ne peut pas coller.
Donc les facteurs, que se sont-ils dit ? Si on veut réorganiser jusqu’en 2029, avec un nouveau patron qui a son plan, c’est qu’on lui a assigné de réaliser à tout prix « ses objectifs ». Quels sont-ils ? Ce n’est pas très compliqué, nous savons qu’il s’agit de réduire le personnel, pour diminuer les coûts, puisque les actionnaires veulent des dividendes. Uniquement pour les facteurs, on parlait comme première annonce de 1.100 travailleurs en moins. Pour le moment, on ne parle pas de licenciements, mais de travailleurs qui partent à la pension, non remplacés… L’entreprise utilise cet argument pour effectuer du chantage : on garde l’emploi, il n’y a pas de plan social, mais en contrepartie il faut faire des réorganisations. Quand le collègue qui part dessert 1.400 boîtes, on va alors en refiler 700 à un facteur, et 700 à un autre. À un moment, on arrive au bout de la logique, quand l’élastique est trop tendu, on sait ce qui arrive, il casse. Et l’élastique, c’est un travailleur, c’est lui qui vit ça au quotidien.
Donc l’impulsion de la grève vient des facteurs ?
Principalement, oui. Il faut comprendre que le stress et les pressions sont permanentes. Bien entendu c’est difficile de partir en grève, les facteurs freinent parfois car ils devront distribuer plus par après pour résorber le courrier et les colis accumulés… On les comprend, mais quand le stress et les conditions se dégradent encore, ils y vont. À un moment, si on n’en passe pas par là, la pression sera trop forte.
Avec le MOBI, des applications sont ajoutées pour « permettre au facteur d’aller plus vite », mais le facteur doit chaque fois se réorganiser, rapidement. Il est devenu un peu le petit robot de MOBI : « Aujourd’hui : nouvelle application, cliquez là, et là… » Avant, pour un colis, si la personne n’était pas là, on mettait un avis de passage – aujourd’hui supprimé -, et la personne allait au bureau de poste. Aujourd’hui il faut regarder sur le MOBI pour savoir où la personne a demandé que l’on dépose le colis : chez le voisin ?, ok ! Puis, au moment de livrer, finalement non, ça a changé, c’est à déposer au point-poste… Ça devient très problématique. Les machines, il faut déjà avoir envie de les utiliser, puis apprendre à le faire, mais surtout il peut y avoir des problèmes informatiques. Dernièrement, on me signalait un bug pour les recommandés : un agent a scanné tous ses recommandés du jour, mais ça ne correspondait pas, il a fallu aller rechercher les noms, essayer de se dépatouiller dans le problème… Donc, parfois, la technologie en crée, des problèmes.
À un moment, celui qui « bugge », c’est le travailleur. Et parallèlement, on lui demande toujours plus de « qualités », il ne faut plus être malade, par exemple. Si vous êtes malade, il y aura les « entretiens de maladie », il y a également les « entretiens de fonctionnement », il y a les plaintes clients… L’agent est vraiment devenu le dernier maillon sur lequel on tombe. Donc quand on annonce une nouvelle réorganisation, à un moment, ça craque. D’autant qu’aujourd’hui, quand on alourdit un service, les colis vont avec, et c’est fatigant physiquement. Certains colis font jusque 30 kilos, il faut aller le chercher au milieu de la camionnette, puis on arrive au seuil de la porte, la personne n’est pas là, il faut ramener le colis. Ou alors la dame a 67 ans, l’ascenseur est en panne, on fait quoi ? Le bon facteur, il le monte, ce colis, mais quand il fait 20 kilos… Ou alors, ils doivent sortir d’immenses paquets de croquettes pour chiens… Avec toutes ces réorganisations, le métier de facteur est devenu assez pénible physiquement, de plus en plus lourd.
Qu’est-ce que vous tireriez comme bilan des dernières grèves ? Comment la direction a-t-elle réagi ?
L’avancée est qu’au moins ils reconnaissent qu’il faut discuter. Mais, problème, de nos jours discuter avec des patrons signifie souvent dans leur chef : « Faites ce que je vous dis », et point à la ligne. Avec son chantage, Chris Peeters, le nouveau patron, n’a pas du tout l’intention de dire « Pauvre petit facteur, j’ai de la peine pour vous »… Non, son positionnement est : « Soit on enlève 1.100 personnes, soit, dans deux ou trois ans, l’entreprise n’existe plus ». Nous devrons donc rester vigilants, et imposer des concertations en permanence, pour toutes les étapes projetées dans la transformation de l’entreprise postale.
Pour conclure, si l’on devait se projeter dans le temps, comment voyez-vous l’évolution à dix ans ?
La grande question aujourd’hui est de savoir si le nouveau gouvernement va vendre l’entreprise, pour les 51 % de l’actionnariat encore aux mains de l’État belge. C’est la grosse question, qui plane tous les jours au-dessus des travailleurs de l’entreprise postale. Car les partis au pouvoir envisagent sérieusement de faire des économies en vendant les actions publiques des entreprises, ils ont parlé de vendre les « bijoux de famille » de l’État, notamment dans un but de réarmer militairement la Belgique. Cela dit, on entend ça depuis longtemps. Pour nous, bien entendu, ce n’est pas la bonne chose à faire, ce serait une bêtise de vendre bpost, car il y a moyen de mener la poste vers une bonne entreprise, en conservant impérativement les dimensions sociales du métier de facteur. Mais le moins qu’on puisse dire, aujourd’hui, est que nous ne sentons pas cette volonté dans l’esprit du nouveau patron.
Notre interlocuteur syndical a évoqué l’influence que peuvent avoir les modèles dérégulés des entreprises multinationales, dites de plateformes, sur l’entreprise postale belge. Acteur-clef du phénomène : Amazon, active dans la distribution des colis. Leur modèle peut-il, comme pour d’autres secteurs, avoir un « effet de contagion » au sein des missions postales ? (1)
Geoffrey Hoyois : Amazon est le plus gros distributeur de colis du monde, c’est un peu devenu le « grand patron » dans ce domaine. Si demain elle se retire du partenariat avec la poste, ça aura des conséquences pour nous… Syndicalement, ça devient parfois compliqué. Si on désire bien entendu maintenir l’emploi, on désire surtout un emploi correct. Or les patrons utilisent à l’envi cet argument : « Si on perd des clients, ce sera des emplois en moins ». Amazon, en cas de grève à la poste, peut décider de « dévier » ses colis. Ils prennent contact avec l’entreprise, pour évaluer l’état de la grève, et choisissent par exemple de se diriger vers le centre de tri d’Anvers, si la Wallonie est en grève et la Flandre pas. Il peut donc déjà y avoir un jeu de « concurrence interne », mais sinon ils ont des « plans B », et peuvent dévier vers des sociétés privées : DHL, UPS, ou d’autres, qui reprendront l’acheminement des colis. Plus globalement, Amazon voudrait pour bpost une organisation tout à fait flexible, agissant à leur demande. On doit résister, freiner…
Notre grande force tient dans la qualité de nos services, et dans le fait d’être présents partout, par nos missions historiques. Même dans un monde d’immédiateté, face à des modèles dérégulés, le facteur reste encore pour le moment le travailleur le plus crédible. Il y a quelques années, Amazon avait décidé de se tourner vers des indépendants, mais l’entreprise a dû faire marche arrière, suite à des plaintes du public. Chez bpost, notre agent sonne à la porte, attend pour livrer le colis, ou laisse un avis de passage, aujourd’hui transformé en e-mail… Il doit trouver des solutions pour garder le colis, ou le déposer dans un site sécurisé avec photo. Nous devons, toujours, prouver avoir fait le maximum. Dans les sociétés privées, nous avons des retours de travailleurs évoquant une grande précarité, avec souvent un salaire au « colis distribué », par exemple… Si la personne n’est pas là, ils auront alors tendance à laisser le colis sur le seuil de la porte, et si on le vole, tant pis. C’est impossible chez nous.
Amazon est par après revenue vers bpost pour négocier une collaboration. Dans ce type de négociation, chacun vient avec ses exigences. Si bpost négocie un certain volume de colis, Amazon pourra par exemple demander en échange de se conformer au maximum à leurs pubs et slogans, du type « À peine commandé, déjà chez vous ». En surfant sur le besoin d’immédiateté insufflé dans les mentalité du public, Amazon demande donc de voir les livraisons s’effectuer également les dimanches… Et bpost livre le dimanche ! Amazon désire la livraison en soirée, pour attirer des clients sur la possibilité de voir leur commande honorée le lendemain de l’encodage… Nos agents vont donc livrer jusque 22h !
Amazon, par son modèle, influe donc bien sur l’organisation interne de l’entreprise postale belge, et au passage sur l’organisation sociale et les règles de travail dans notre pays.
(1) Dans notre précédent numéro, un interlocuteur syndical nous présentait longuement les risques posés par les modèles économiques des entreprises dites « de plateforme » (car l’organisation du travail passe essentiellement par des plateformes en ligne) en exposant les réalités des livreurs à vélo de plats cuisinés. Par la concurrence déloyale déployée, leur modèle peut connaître une « contagion » vers les autres entreprises d’un secteur d’activité. Lire l’interview de Martin Willems, syndicaliste à la Confédération des syndicats chrétiens (CSC) et auteur de l’ouvrage « Le piège Deliveroo. Consommer les travailleurs ». Ensemble n°115.
(1) « Nous voulons éviter un plan social, mais si on commence à perdre des clients, ça devient très compliqué », entretien avec Julien Bialas, Le Soir, 11 février 2025.
(2) Grégory Vandersmissen, Journal de 13h sur La Première radio, 11 février 2025.