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Travailler à la Poste, une mission – normalement – au service du public
La Poste – renommée bpost – est, historiquement, l’une des plus importantes entreprises publiques de Belgique, aujourd’hui bien malmenée. Sa libéralisation et son entrée en bourse, notamment, ont complètement modifié ses missions et sa philosophie interne.

Depuis des temps ancestraux, les sociétés humaines ressentent le besoin de communiquer entre elles. Jusqu’à un passé récent, pas le choix : pour assurer cette communication, les messages devaient être transportés physiquement, d’un point à un autre. Au cours des siècles, des systèmes d’acheminement postal vont se mettre en place, un peu partout sur la planète. Quelques traces historiques révèlent l’existence d’un tel système dès l’Égypte ancienne, mais le premier correctement documenté est romain, durant le premier siècle avant notre ère. Sur les routes, où évoluaient les cavaliers transportant les enveloppes et colis, s’échelonnaient différents points de relais entre les portions du chemin à parcourir : c’est à cette organisation que l’on doit l’appellation du système.
Le mot « poste » est emprunté à la langue italienne, où posta désignait la place réservée aux chevaux frais et reposés, prêts à prendre le relais de la mission d’acheminement du courrier. Le mot posta, lui, tient son origine du latin pausata – lieu de repos – désignant les stations où se croisaient les messagers (1). Aujourd’hui, le mot générique « poste » désigne le système d’acheminement du courrier, mais également le bâtiment d’une localité où sont assurés différents services concernant les missions de l’entreprise. Au cours de l’Histoire, l’opérateur postal sera privé ou public, selon les cas, mais signalons que durant le 19ème siècle, la plupart des opérateurs postaux ont été nationalisés pour devenir, logiquement vu la nature de ses missions, un service public fondamental. Si les moyens de communication numérique ont récemment chamboulé les missions des entreprises postales, elles restent cependant des actrices incontournables de la vie sociale.
Les lectrices et lecteurs l’auront compris, pour notre nouveau « récit de vie dans le monde du travail », nous partons à la rencontre d’un facteur, l’acteur social chargé d’acheminer le courrier dans les foyers de notre pays. Comme de coutume avec ces récits de vie, nous présentons brièvement ici l’entreprise dans laquelle évolue notre témoin, afin de pouvoir maîtriser quelque peu le contexte dans lequel s’incarnera son récit (disponible en p.XXX).
Un parallèle parlant
Nous envisageons ce récit comme constitutif d’un « duo » avec celui d’un accompagnateur de train, paru en nos pages en 2020, par certains parallèles qui méritent d’être soulignés entre les deux entreprises où évoluent nos travailleurs (2). Avant tout, ces deux entreprises répondent à des besoins élémentaires des sociétés humaines, mais, de manière plus contemporaine et locale, La Poste et la Société nationale des chemins de fers belges (SNCB) sont toutes deux aujourd’hui soumises à de profonds bouleversements. Les deux fleurons du secteur public de notre pays sont aujourd’hui placés en situation de concurrence par la libéralisation des services, promue par l’Union européenne, et sont de plus engagées dans des processus de privatisation plus ou moins avancés selon le cas. Cette évolution belge suit une tendance lourde, sous la poussée des milieux conservateurs et libéraux, observable dans tous les États européens.
Notre facteur témoin effectue ce métier depuis 1989, il a donc vécu les bouleversements, nombreux, opérés dans le service public postal depuis une grosse trentaine d’années. À l’instar de l’accompagnateur de train, nous le constaterons dans son récit, œuvrer dans l’intérêt exclusif du public, à son « service », ou agir dans une ambiance de rentabilité, au profit personnel d’actionnaires privés, impliquent des vécus radicalement différents pour les professionnels concernés. En outre, dans les deux cas, les changements imposés par le monde politique ont pour effet de mettre en place une pression constante sur les travailleurs. À la base « amoureux » de leur métier, un désabusement certain peut voir le jour, débouchant éventuellement sur un véritable malaise et de grosses « pertes de sens », voire sur une colère virulente…
Il faudrait être particulièrement déconnecté de l’actualité belge pour ne pas se rendre compte du fait que l’organisation des déplacements en chemin de fer, ou des modes de distribution du courrier, entraînent de gros mouvements sociaux parmi le personnel, et des grèves à répétition. Pour cette raison, il nous a semblé important de terminer en compagnie d’un représentant syndical, membre de la Centrale générale des services publics (CGSP), secteur poste (lire en p.XXX).
Trois décennies de transformation
Les services postaux sont présents depuis la création de la Belgique en 1830, comme service public national baptisé « Administration de la Poste ». En 1971, le nom de l’entreprise postale devient « Régie des postes », une appellation en vigueur durant vingt-et-un ans, avant un nouveau changement en 1992, lorsqu’elle se renomme simplement « La Poste ». Depuis cette date, les changements dans l’organisation de l’entreprise vont être incessants, et ne semblent pas prêts à ralentir de sitôt… Une transformation tellement marquante que le mot « mutation » est souvent d’usage pour désigner les modifications apportées dans l’organisation des services postaux. Nous ne pourrons bien entendu présenter ici exhaustivement les faits marquants de cette mutation, mais nous allons tenter de résumer brièvement quelques moments-clefs, afin de pointer les éléments nécessaires pour comprendre l’état d’esprit qui anime notre travailleur – et nombre de ses collègues – aujourd’hui (3).
En 1992 s’entame une nouvelle décennie, après le tournant néo-libéral des années 1980, mené dans les pays occidentaux par un mouvement conservateur vantant la toute-puissance des marchés et de la concurrence. Les économistes néolibéraux considèrent en effet que le marché est le meilleur régulateur de l’économie, et préconisent dès lors le désengagement de l’État d’un maximum de secteurs économiques. Ils bénéficient de l’oreille complice de nombreux… représentants des États, parfois élus sur base d’un programme libéral, mais pas nécessairement. C’est dans ce contexte que l’entreprise est renommée La Poste et, s’il ne s’agit pas encore de libéraliser dans l’immédiat les services postaux, l’entreprise devient cependant une Entreprise publique autonome (EPA), en conséquence de la loi du 21 mars 1991 réformant certaines entreprises publiques économiques. À partir de là, elles seront encadrées par un « contrat de gestion » établi entre l’entreprise et l’État belge, seul actionnaire. Au niveau fédéral belge, il existe quatre entreprises autonomes : Proximus (anciennement Belgacom), Skeyes (anciennement Belgocontrol), la Société nationale des chemins de fer belges (SNCB) et La Poste donc, rebaptisée bpost en 2010.
Dès l’entrée en vigueur du premier contrat de gestion, le 14 septembre 1992, commencent à fuser les menaces de fermeture de bureaux de poste, jugés « obsolètes » car n’employant qu’un seul fonctionnaire. En 1994, c’est chose faite : sur près de 1.700 bureaux, 103 doivent fermer leurs portes. L’entreprise rassure en affirmant que les personnes vivant à proximité de ces bureaux seront toujours servies par les 13.000 facteurs, mandatés pour réaliser toutes les opérations effectuées auparavant dans ces bureaux. Ce ne sera pas la seule vague de fermeture de bureaux de poste : en 1998 par exemple, 200 nouvelles fermetures de petits bureaux sont annoncées. Parallèlement, inévitablement, ces fermetures s’accompagnent d’une baisse des effectifs au sein de l’entreprise.
L’Union européenne prône l’ouverture des services postaux à la concurrence et annonce, comme pour la SNCB, une future privatisation totale, un choix idéologique lié à l’influence des partisans du néo-libéralisme dans les instances européennes et nationales. En 1997, la libéralisation du marché postal est réalisée, avec l’adoption par le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne de la directive 97/67/CE concernant des « règles communes pour le développement du marché intérieur des services postaux de la Communauté et l’amélioration de la qualité du service » (4). La libéralisation cible au départ certains types d’envois postaux, pour s’étendre progressivement vers d’autres gammes de – désormais – « produits ». Dans ce contexte, nous allons progressivement glisser de modes de gestion d’une administration publique en situation de monopole, à des types managériaux inspirés du secteur privé. Les usagers des services postaux, dans ce bain idéologique, deviennent des « clients », et la notion de rentabilité s’impose aux services postaux. Ces transformations sont censées incarner une « modernisation » et une « efficacité » autoproclamées. Les manipulations des idéologues les plus hardis vont jusqu’à utiliser le terme de « normalisation » pour désigner le processus en cours !
En 2000, La Poste devient une société anonyme de droit public, soit près de cinq ans après Belgacom et huit ans après la Société nationale des chemins de fer belges (SNCB). Dans la foulée, des « diversifications » des activités sont annoncées : la distribution du courrier a pour vocation semble-t-il à ne devenir qu’une activité parmi d’autres, une « subdivision » parmi des activités bancaires ou d’assurances. C’est au début des années 2000, également, que l’entreprise postale se dote de l’instrument technologique qui va radicalement transformer la vie des facteurs : le logiciel Géoroute. Cet outil patronal de réorganisation des tournées de distribution du courrier est unanimement cité par les travailleurs comme un « instrument de mal-être au travail » (sur Géoroute,lire en p.XXX).
En 2004, La Poste commence à tester le transfert des tâches assurées jusque-là par les fonctionnaires de l’entreprise, au sein de « points-poste », créés en partenariat avec des grandes surfaces, des banques, ou encore des librairies Press Shop. Le gouvernement belge décide d’ouvrir le capital de La Poste, en accueillant au départ des acteurs comme la poste danoise, ou des fonds d’investissement privés. Comme dans le cas de Belgacom, devenue depuis Proximus, l’État conserve 51 % des actions de l’entreprise, tel que c’est toujours le cas aujourd’hui. Les moins jeunes d’entre-nous s’en souviennent : durant cette mutation, le nombre des boîtes aux lettres publiques diminue drastiquement. Si auparavant nous allions au bout de la rue déposer notre enveloppe dans la boîte rouge, aujourd’hui, lorsqu’on doit poster un courrier, on ne sait souvent plus où il faut se rendre…
En 2011, arrive la libéralisation totale du marché postal. Le nombre de personnes employées chute de 6.566 unités entre 2008 et 2013, soit une baisse de 18,6 % en cinq ans. Elle n’occupe plus que 28.747 personnes à la fin de l’année 2016, une réduction des effectifs réalisées surtout par le non-renouvellement de travailleurs pensionnés. En 2013, changement radical : la société entre en Bourse, ce qui accentue encore les préoccupations de rentabilité pour valoriser l’entreprise, en poussant à la nécessité d’engranger des bénéfices pour les actionnaires. Entre 2001 et 2015, les bureaux de poste passent de 1.342 à 656 : d’un seul coup, il en reste donc moins de la moitié… Dans de nombreux villages de Belgique, impossible d’encore se rendre à la poste pour acheter des timbres, envoyer des recommandés, ou retirer son colis.
Les changements ont également des répercussions sur la qualité des emplois en interne. Les derniers statutaires ont été nommés à la fin de la décennie 1990 pour faire place aux contractuels, « avant qu’une nouvelle catégorie, les facteurs ‘‘auxiliaires’’, ne soit créée. Le nombre d’intérimaires a aussi explosé au fil des années. En 2013, les frais liés à l’intérim s’élevaient à 31 millions d’euros. Dix ans plus tard, ce montant a été décuplé (326,3 millions) » (5). Bien entendu, ces changements de statuts, et la cohabitation de différents types de contrats, ne sont pas propices à la plus grande cohésion des travailleurs au sein de l’entreprise. La Poste continue à explorer des pistes de diversifications, principalement dans le marché du colis, lié au développement de l’e-commerce, bpost étant parfois sur ce segment en concurrence avec de grosses multinationales. bpost acquiert régulièrement des entreprises, avec plus ou moins de « flair ». En 2017 par exemple, elle rachète la société américaine Radial – une société active dans le secteur de l’e-commerce et des colis -, pour 700 millions d’euros.
L’actuel dirigeant de l’entreprise, Chris Peeters, prend ses fonctions en novembre 2023. Dès son arrivée, il annonce – tiens donc – que l’entreprise a besoin d’une grande transformation pour assurer son avenir. Son discours, sans surprise, permet de suite de comprendre qu’il ne rompt nullement avec les idéologies libérales en vigueur depuis les années 1990. Courant 2024, bpost a perdu la « concession presse », c’est à dire la distribution des journaux et périodiques en Belgique, une activité subsidiée par l’État. Dès l’annonce du risque de cette perte, à la fin de l’année précédente, des conséquences se font ressentir en Bourse. « L’action de bpost a en effet plongé de 12 % ce lundi. Cela correspond à plus de 100 millions d’euros de capitalisation boursière partis en fumée en une seule journée. Pour bpost, la perte des deux concessions, presse et magazines, signifierait un chiffre d’affaires amputé de quelque 7,8 % et des soucis en vue pour une partie des activités de 3.000 collaborateurs » (6).
Bien entendu, l’arrivée massive des outils numériques depuis la seconde moitié des années 1990 va bouleverser le secteur, avec une baisse constante des volumes de courrier à distribuer, des adaptations internes à cette nouvelle situation s’avèrent donc légitimes. Mais nous verrons avec notre témoin que cette prétendue « modernisation » va se faire, à chaque étape, au détriment des dimensions sociales de son activité professionnelle. Trouve-t-on dans la définition du terme « modernisation », sous-entendant a priori une amélioration positive, un accroissement abyssal du mal-être des travailleurs ?
Stratégie #Reshape2029
Durant nos rencontres, nous sentions bien que nos interlocuteurs nourrissaient certaines inquiétudes quant aux intentions, pas encore totalement définies sur un long terme, de Chris Peeters, patron de bpost depuis novembre 2023. Au moment de clôturer ce dossier, début juin, bpost group a publié un communiqué de presse nous permettant d’en savoir plus sur les actes à venir de l’entreprise, pour un terme fixé à quatre années. Lors de son « Capital Markets Day », les dirigeants de l’entreprise réunis autour de Chris Peeters ont présenté la stratégie du groupe et ses perspectives financières aux analystes et investisseurs.
Sous le titre « bpostgroup lance #Reshape2029, en vue de devenir un expert régional et numérique de la logistique des colis » (7), nous trouvons le jalon stratégique de long terme annonçant, sans surprise, de – nouveaux – profonds changements dans l’entreprise postale belge. Au milieu d’un salmigondis incompréhensible de termes anglo-saxons, arrosés d’intense novlangue managériale – le tout nullement adressé au commun des mortels -, nous identifions certains éléments plus qu’inquiétants, rejoignant hélas directement les propos de nos interlocuteurs.
Le communiqué cite le patron Chris Peeters qui résume ainsi les changements à venir : « bpostgroup est actif dans l’e-commerce et la logistique depuis près de dix ans. Avec notre ambition pour 2029, nous voulons accélérer cette transformation et devenir un expert régional et numérique de la logistique des colis. Cela signifie que nous revoyons nos processus opérationnels pour placer le colis au cœur de nos activités, tout en continuant d’offrir des produits postaux. Pour y parvenir, nous avons mis en place #Reshape2029, une stratégie de transformation solide qui permettra de repositionner le groupe sur le marché et d’atteindre une croissance durable en termes de chiffre d’affaires, de marge bénéficiaire et de pertinence sur le marché. » En d’autres mots, les nouvelles transformations renversent la vapeur au sein de l’entreprise qui, d’opérateur postal doté de capacités logistiques, devient un leader logistique offrant également des services postaux. Priorité aux colis. Dans un monde du commerce en ligne à outrance, les services postaux classiques passent donc au second plan.
Nous l’avons signalé plus haut, dans son récit, notre facteur expose à quel point l’arrivée d’actionnaires privés a transformé la philosophie de son travail, en opposition totale avec la défense du service public qui animait auparavant ses gestes quotidiens. Rien de rassurant à ce sujet, car pour sa « politique de dividendes », #Reshape2029 « vise à offrir des rendements réguliers et attractifs à ses actionnaires » et vise plus largement une croissance rentable pour « créer de la valeur à long terme pour ses actionnaires ».
Pour les travailleurs, cette communication de l’entreprise engendre une extrême inquiétude, qui durera jusqu’en 2029 puisque « le profil de marge reflète également un changement progressif du mix produit, avec une part décroissante du courrier, partiellement compensée par des gains d’efficience opérationnelle, notamment dans la gestion des flux et des tournées de distribution, dans l’utilisation des actifs et dans l’organisation des effectifs. » Si d’aventure certains en Belgique ont en allergie le mot « grève », qu’ils se préparent à l’entendre durant toutes les phases de mise en œuvre de #Reshape2029. Après la lecture de ce communiqué, personne ne pourra décemment jouer les vierges effarouchées…
La presse a donné un écho à cette communication managériale, dans lequel nous constatons de quoi serait fait un éventuel #Reshape2035 : l’individu hautement rémunéré pour gérer l’entreprise postale n’évoque même plus des transformations toxiques du travail des facteurs, mais laisse plutôt entendre qu’ils seront dans le futur… rayés de la carte ! Chris Peeters, « Le CEO (Chief Executive Officier – Président directeur général) anticipe même, sans avancer de date, une disparition totale de la distribution de courrier, à l’instar de ce qui se produit au Danemark » ! (8)
Tous les éléments de la prose patronale ont été positivement accueillis par les investisseurs. Pour les facteurs mis à l’honneur dans notre nouveau récit de vie, les transformations de l’entreprise représentent donc clairement une « Mutation – Destruction ».
Des récits de vie pour une immersion dans le monde du travail
La rubrique « Récit de vie » désire pénétrer les réalités du travail, de plus en plus polymorphes dans notre société, mais aussi de plus en plus précaires. Par des rencontres / dialogues, nous découvrons les réalités présentes derrière les apparences, et pour chaque situation professionnelle, un témoin privilégié nous livre son expérience. Chaque rencontre est précédée d’une présentation du métier concerné, afin d’introduire les notions nécessaires à la bonne compréhension de l’entretien, et/ou de comprendre l’actualité dans laquelle les réflexions du témoin peuvent s’implanter.
Dans cette optique, nous avons déjà exposé les récits d’un livreur à vélo de plats cuisinés (dans notre n°93), d’une infirmière en soins palliatifs (n°94), de rédactrices de comptes rendus des débats parlementaires (n°97), d’un jeune en contrat financé par le Forem au sein d’un restaurant Mc Donald’s (n°99), ou encore d’un accompagnateur de train à la SNCB (n°103). (1) L’activité a tellement changé depuis notre premier témoignage (recueilli en 2015), que nous avons récemment ajouté à cette liste un nouveau récit de livreur à vélo, cette fois sans-papier, qui a pédalé pour l’entreprise Deliveroo (n°115) (2).
Avis aux lectrices et lecteurs : s’il vous arrive à l’esprit des idées de métiers à explorer et des témoins à nous faire rencontrer, dans l’esprit de cette rubrique, n’hésitez pas à envoyer un message à cette adresse : gerald.hanotiaux@asbl-csce.be
(1) Ces numéros sont disponibles en pdf sur notre site, à la rubriques « Archives ».
www.ensemble.be
(2) Lire « Livraison de plats à vélo, exploitation sans limite, y compris judiciaire », « Pour travailler avec Deliveroo, j’ai loué un faux compte à un étudiant » et « Consommer les travailleurs », n° 115, mars 2025. www.ensemble.be
Un système postal moderne néà Bruxelles
À Bruxelles, si vous vous rendez aux environs du site de Tour et Taxis – LA zone 2025 bruxelloise de gentrification décomplexée -, ayez une pensée pour la Poste. Si les lieux sont parfois erronément associés aux champs où paissaient les chevaux, chargés dans le passé d’acheminer le courrier, le nom du site est cependant bien lié à l’Histoire postale. Les terrains marécageux présents dans le passé à cet endroit, proches des frontières de la vieille ville de Bruxelles, ont été un temps traversés par une petite rue portant le nom de « Tour et Taxis », resté ensuite pour désigner les quartiers portuaires qui s’y sont développés. Mais d’où vient ce nom, quelque peu énigmatique ?
Francisation du nom Von ThurnundTassis, le nom de cette rue faisait alors référence à une famille qui possédait des parcelles sur ces terrains, une famille… précisément à l’origine du développement des services postaux modernes, il y a un peu plus de cinq siècles, à Bruxelles.
Au treizième siècle, Omedeo Tasso est responsable d’un service d’acheminement de courrier entre plusieurs villes de la région de Lombardie, en Italie. Au quatorzième, la famille participe à la création de la Compagnie des courriers de la Sérénissime, à Venise. Plus tard, en créant une liaison internationale entre Milan et Innsbruck en Autriche, le descendant Francesco Tasso est remarqué. « Une convention est conclue en 1501 entre le fils de Maximilien, l’archiduc Philippe le Beau, parti pour l’Espagne, et François de Tassis afin de créer des liaisons postales entre Bruxelles et les cours d’Allemagne, de France et d’Espagne. L’archiduc décède en 1506 et c’est son fils, Charles Ier d’Espagne (futur Charles Quint) qui conclut un nouveau traité avec François de Tassis, le 12 novembre 1516, octroyant la direction et le monopole international de la poste à la famille de Tassis » (1). Ces événements feront alors de Bruxelles la plaque tournante du trafic postal.
Pendant plus de trois-cent-cinquante ans, les différentes branches de la famille Von Thurn und Tassis vont contrôler des services postaux sur de nombreux territoires, couvrant la Belgique, mais aussi l’Espagne, l’Allemagne, l’Italie, les Pays-Bas, ou encore l’Autriche et la Hongrie. Mais le modèle est condamné par le développement des États-Nations, et ce monopole va lentement se décomposer… La famille ne gérera finalement plus qu’une simple entreprise privée, dont les intérêts s’opposent à ceux des nations modernes, désireuses de contrôler ce service essentiel dans un monde en transformation. Leur dernier service postal sera acheté et nationalisé par les autorités prussiennes en 1867.
En ce qui concerne notre pays, dès sa naissance en 1830, les missions postales sont constituées en services publics de l’État, au sein d’une organisation nommée « Administration de la poste ».
(1) « La poste internationale est née à Bruxelles il y a 500 ans », Agence Belga, 14 décembre 2016.
Un avenir incertain
Funeste constat : d’acteur incontournable dans nos villes et villages, un repère incarnant le lien social, amoureux de son travail, le facteur se transforme toujours plus en un rouage technique, au statut de plus en plus précaire. Il évolue à présent au sein d’une entreprise chargée de réaliser des bénéfices pour des actionnaires, avec en ligne de mire une privatisation totale… Les membres de notre société, scrutant par le passé l’arrivée de leur facteur, sont eux devenus de purs « clients ». Nul doute que le nouveau gouvernement, prévu pour durer jusque 2029, ne va rien arranger. La nouvelle ministre de la Fonction publique, Jacqueline Galant (MR), a exprimé clairement sa philosophie dès son entrée en fonction, déclarant vouloir mettre en place une administration basée, plus encore qu’aujourd’hui, sur le mode de fonctionnement du secteur privé. « L’administration n’ayant pas de concurrence, il n’y a pas de remise en question permanente. On doit considérer le citoyen comme un client et pas comme un usager. Car le citoyen ou l’entreprise paie des taxes. Ils doivent donc avoir un service adapté aux montants des taxes qu’ils paient » (9)
Fanatiques. Tel est le qualificatif qui convient à celles et ceux propulsés à la tête de nos institutions politiques. Là où il est question des contributions au fonctionnement d’une société, au bien-être collectif et au déploiement de services élémentaires, cette ministre déplore… un manque de concurrence ! Des fanatiques de l’idéologie libérale, pour lesquels que quoi nous fassions ou pensions, notre existence se résume en un mot : client.
- Par Gérald Hanotiaux (CSCE)
(1) Pour d’autres données historiques, lire l’encadré « Un système postal moderne né à Bruxelles ». Pour ces éléments, nous nous sommes basés sur l’encyclopédie en ligne Wikipédia et d’autres sites historiques présentant les entreprises postales, tels que ceux de l’Association philatélique de Montpellier, ou encore www.histoirepostale.net.
(2) Lire « Travailler à la SNCB : une mission au service du public » et « Accompagnateur de train, rouage humain d’une entreprise en démantèlement »,Ensemble n°103, Octobre 2020.
(3) Les lecteurs et lectrices intéressés par de plus amples détails pourront se reporter au dossier du Centre de recherche et d’information socio-politiques (CRISP), dont s’inspire la description des différentes étapes évoquées ici. Structuré par analyse des faits survenus durant les mandats des personnalités nommées à la direction de l’entreprise, le document contextualise chacune de ces étapes au sein des rapports de force politique du moment, tout en évoquant les mouvements syndicaux éclatant en réaction. « De La Poste à bpost : histoire d’une mutation (1991-2015) », Jean Vandewattyne, John Cultiaux, Rebecca Deruyver, Courrier hebdomadaire n° 2326-2327, 2017.
(4) Journal officiel des Communautés européennes, 21 janvier 1998.
(5) « La métamorphose de bpost », Julien Bialas, Le Soir, 16 avril 2024.
(6) « Que risque bpost s’il perd la distribution des journaux ? », Michel Lauwers et Stéphane Wuille, L’écho, 27 novembre 2023.
(7) À lire sur le site de bpostgroup : https://press.bpost.be/bpostgroup-lance-reshape2029-en-vue-de-devenir-un-expert-regional-et-numerique-de-la-logistique-des-colis#
(8) « Moins de courriers, plus de colis : bpost fait sa révolution », Julien Bialas, Le Soir, 4 juin 2025.
(9) « On doit considérer le citoyen comme un client et pas comme un usager », Stéphane Vande Velde, Le Soir, 1er mars 2025.