chasse aux chômeurs
Mieux au CPAS ?
Selon le président du MR, les personnes aidées par les CPAS sont privilégiées par rapport aux travailleur.euse.s à bas salaires et les CPAS mieux placés pour remettre à l’emploi les chômeurs de longue durée. Vrai ou faux ?
Les partisans d’une limitation dans le temps des allocations de chômage motivent volontiers celle-ci par l’idée qu’il suffirait de couper les allocations de chômage pour mettre les bénéficiaires à l’emploi. (Lire, par exemple, la position du MR dans le débat du conseil communal de Schaerbeek) Leur slogan : ce sont les allocations qui seraient la cause du chômage. Parallèlement, des estimations fallacieuses sont lancées dans le débat public sur le différentiel de revenu entre les rémunérations des travailleurs et le niveau des allocations. C’est ainsi que le président du MR, Georges-Louis Bouchez, n’a pas hésité à faire campagne avec des formules du type : « Quand le RIS est à plus de 1.700 €, allez expliquer à des ouvriers d’Infrabel qui gagnent 1.300 euros qu’il faut travailler ! » (X, 22.11.23). Le MR se présente comme le défenseur de « la valeur du travail » face à la gauche, accusée de cultiver « l’assistanat et le trop plein d’allocations sociales ». « L’argumentation » est complétée par l’idée que la remise à l’emploi des chômeurs de longue durée serait mieux prise en charge par les CPAS qu’elle ne l’est actuellement par les services régionaux de l’emploi. Toujours selon les termes de M. Bouchez : « si une personne est au chômage depuis plus de deux ans, son employabilité a fortement baissé, et il vaut mieux qu’elle soit orientée vers une structure plus individualisée, comme le CPAS, pour bénéficier d’un accompagnement pas à pas effectué par des assistants sociaux ». (1) Que penser de ces déclarations ?
Casser les allocations pour casser les salaires
L’idée que les partisans de la limitation dans le temps des allocations de chômage seraient les défenseurs de la « valeur travail » et des travailleurs à bas salaires est un contre-sens manifeste. Ce sont au contraire les défenseurs des intérêts du capital, qui visent à maintenir les salaires au niveau le plus bas. Exclure un sans-emploi du chômage, diminuer son allocation ne fera en rien progresser la rémunération des travailleur.euse.s à bas salaires. Tout au contraire, cela fera pression à la baisse sur les plus bas salaires et sur les conditions de travail. Pousser les sans-emploi, sous peine de mourir de faim, à accepter n’importe quel travail, à n’importe quelles conditions ne fera qu’inciter les employeurs à offrir des conditions de rémunération ou de travail moins attractives, par exemples en termes de sous-statuts, de flexibilité et de rémunération au plancher. Les chasses aux chômeurs participent au maintien de salaires très bas, c’est bien pour cela qu’elles sont soutenues par le patronat et combattues par les organisations syndicales. Et c’est bien pour ça que la droite actuellement triomphante les promeut. L’amélioration du pouvoir d’achat des bas salaires passe par des revalorisations salariales et par la lutte contre les sous-statuts, pas par des exclusions d’allocataires. La défense bien entendue de la « valeur du travail » et des salariés passe par l’augmentation de leur rémunération et par la défense de leurs droits sociaux, dont l’assurance contre le chômage. Couper les allocations de chômage a pour seul but de développer le segment des « travailleurs pauvres »… ce qui est tout le contraire d’une reconnaissance de la valeur des prestations de travail.
« Des ouvriers d’Infrabel qui gagnent 1.300 euros »
Par ailleurs, les exemples donnés par la droite de comparaisons entre les revenus du travail et ceux des allocataires sont souvent biaisés. Travaille-t-on vraiment pour 1.300 euros par mois chez Infrabel ? Cette assertion est fausse, pour l’ensemble du marché de l’emploi, dès lors que l’on parle d’emploi salarié à temps plein et d’autant plus fausse que le salaire est basé sur un barème correct. Même le minimum interprofessionnel, le revenu minimum mensuel moyen garanti (RMMMG) qui est le minimum salarial absolu pour les entreprises sans grille barémique fixée par convention collective, actuellement de 2.029,88 euros bruts par mois, offre un net clairement supérieur aux allocations sociales minimales. En effet, les bas salaires (et plus encore les très bas) bénéficient d’un soutien public se composant d’un bonus à l’emploi (social) qui consiste en une réduction dégressive des cotisations personnelles de Sécurité sociale et d’un bonus à l’emploi (fiscal) qui consiste en une réduction du précompte professionnel. Ce soutien public est un pis-aller, il serait évidemment nettement préférable de relever les bas salaires en brut plutôt que de compenser leur faiblesse par des réductions de cotisations sociales et de contributions fiscales. Mais, en attendant, le dispositif permet de recevoir un net quasi équivalent au brut. Concrètement, pour un RMMMG de 2.029,88 euros bruts, un isolé gagnera en net 1.929,84 euros (contre un RI de 1.288,46 € – soit une différence de 641,38 € – et une allocation de chômage en fin de dégressivité de 1.409,46 € – soit une différence de 520,38 €). Il est vrai cependant que, pour un chef de ménage (par exemple avec conjoint sans revenu et deux enfants à charge), la différence entre l’allocation minimale et le RMMMG en net n’est que de 283,5 € en chômage minimum et de 281,35 € par rapport au RI et que ce sont les chefs de ménage, surtout ayant un ou plusieurs jeunes enfants, qui doivent faire face à des frais supplémentaires, par exemple de crèche. Mais le problème réside dans la faiblesse du RMMMG, pas dans la hauteur de l’allocation minimale qui est inférieure au seuil de pauvreté !
Il faut dire cependant que le bonus à l’emploi s’applique aux travailleurs du privé et aux contractuels du public, pas aux statutaires. C’est peut-être pour ça que le président du MR choisit l’exemple d’Infrabel qui propose lui des packages salariaux de statutaires. Pour autant, son exemple ne tient toujours pas la route pour un temps plein (2), même pour le plus bas des barèmes offerts par l’entreprise ferroviaire (pour les mécaniciens) et même en ne tenant compte que du traitement brut, sans les nombreux avantages complémentaires compris dans le package. En effet, le junior (zéro année d’ancienneté) comme isolé aura un net de base de 1.732 €, le chef de ménage avec conjoint sans revenu et deux enfants à charge 2.054 € (dès deux ans d’ancienneté, il n’y a évidemment plus photo avec l’allocation, idem pour tous les autres barèmes). Mais le salaire de base est complété par une allocation de résidence et une prime de productivité de base qui font monter le salaire à 1.900 € nets, des primes pour travail de nuit (4 par mois) et de week-end (1 samedi et 1 dimanche par mois) qui font 157 € nets de plus, ajoutons 110 € nets de plus en chèques repas, soit un salaire net minimum réel de 2.168 €. A quoi s’ajoutent le pécule de vacances, la prime de fin d’années, 13 jours de congés en plus des 20 légaux, une assurance hospitalisation, le voyage illimité en train partout en BENELUX et des billets de train gratuits ou à prix réduit pour les membres du ménage, 4 billets ‘aller simple’ pour toutes les destinations Eurostar (Paris, Londres,…) ainsi qu’un tarif avantageux pour les voyages en train en Europe, des avantages exclusifs auprès de 80 partenaires (billets de cinéma, parcs d’attractions, hôtels…), une affiliation à la mutuelle du chemin de fer qui offre un revenu garanti en cas de maladie, une pension statutaire, une prise en charge de 50% de l’abonnement de transport en commun pour les déplacements domicile-travail et une réduction de 80% sur les abonnements scolaires (train et transport en commun), une augmentation biennale selon les barèmes statutaires. Le tout représente bien plus que le Revenu d’intégration même augmenté des « nombreux avantages » des allocataires dénoncés par M. Bouchez.
Par ailleurs, il faut (heureusement) relativiser le nombre de travailleurs actuellement à ces niveaux de salaires. Selon une récente étude de Statbel, 10 % des salariés seulement gagnent moins de 2.443 euros bruts par mois (1er décile de salaires), dont chez Infrabel les seuls mécaniens qui, au pire, sont juste en-dessous de 2.400 € en tout début de carrière. Or, pour un chef de ménage (par exemple avec conjoint sans revenu et deux enfants à charge) à 2.443 euros bruts, le différentiel entre les allocations et le salaire net est de quelque 550 € par mois (557,05 envers le chômage minimum et 554,9 par rapport au RI). Les slogans sur le manque d’écart entre allocations et salaires ne concernent donc que très peu de personnes et servent surtout à justifier des salaires faibles plutôt qu’à stimuler la remise au travail. En boutade, on pourrait même dire que si le gouvernement veut fixer l’écart entre l’allocation et le salaire à 500 €, cela reviendrait à réduire certains salaires !
De la Sécurité sociale au CPAS : qui perd, qui gagne
Qu’en est-il de l’idée qu’il serait préférable que les chômeurs de longue durée soient pris en charge par les CPAS plutôt que par la Sécurité sociale ? Qu’est-ce qui changerait pour les personnes concernées ? La majorité (presque deux tiers) des chômeurs de plus de deux ans bénéficient d’une allocation forfaitaire (et donc minimale). Pour les chômeurs admis sur la base de prestations à temps plein, le forfait intervient en fin de dégressivité dont la vitesse dépend de la durée de la carrière : au plus tôt après 17 mois pour un jeune chômeur qui a travaillé un an et au plus tard après 48 mois pour celui qui a presté durant au moins 17 ans. (3) Ce forfait est quasi équivalent au Revenu d’intégration (RI) pour les chefs de ménage, seule l’allocation de chômage de l’isolé admis sur la base de prestations à temps plein est plus élevée de 121 euros. (Lire le tableau ci-dessous)
Pour les chômeurs admis sur la base des études, l’allocation est forfaitaire dès le début. Du point de vue des finances publiques, le transfert de milliers de chefs de ménage et d’isolés vers les CPAS serait donc un pur passage d’une caisse à l’autre. Plusieurs différences importantes doivent toutefois être pointées. Le montant du RI octroyé tient compte de certaines ressources du demandeur (prise en compte de l’épargne, des ressources des cohabitants, etc.), ce qui n’est pas le cas en chômage. (4) La plupart des cohabitants exclus n’auront donc pas droit à l’aide du CPAS et la mesure provoquerait un appauvrissement d’une ampleur inédite. En outre, basculer d’un système d’assurances solidaires vers un système d’assistance, fondé sur l’état de besoin, entraîne le fait d’être soumis à une procédure d’octroi de l’aide beaucoup plus intrusive dans la vie privée. Enfin, il faut relever que le « changement de caisse » de l’indemnisation n’est pas anodin. L’une est celle de la Sécurité sociale, gérée à 100 % au niveau fédéral, de façon paritaire entre les organisations syndicales et patronales, l’autre est un système qui repose dans une large partie sur les communes et sur leur participation financière. Ce renvoi des chômeurs de longue durée vers les CPAS poserait donc des problèmes majeurs aux communes les plus pauvres. Enfin, même s’il semble qu’il n’existe pas de comparaison scientifique entre les deux systèmes, il est probable qu’à allocation égale, le coût d’un dossier CPAS (qui exige enquête sociale, rapport social, révision au minimum tous les ans, etc.) soit plus élevé qu’un dossier chômage…
Les CPAS mieux placés pour aider à retrouver un emploi ?
Certains partisans de la réforme, comme le président du MR Georges-Louis Bouchez, clament que les exclus qui ne trouveraient pas immédiatement du travail seraient mieux aidés par le CPAS qu’ils ne le sont aujourd’hui par les organismes régionaux de placement (Forem, Actiris, VDAB), car les CPAS seraient plus à même de prendre en charge les sans-emploi de longue durée. Certes, depuis 1993, année qui marque le début de l’activation et de la contractualisation de bénéficiaires du CPAS, ces derniers ont développé des services d’insertion socioprofessionnelle. Cet axe a été renforcé par la loi de 2002 sur le droit à l’intégration sociale et par une loi de 2016 la modifiant, élargissant toutes deux la contractualisation. Mais, dans la réalité, notamment parce qu’il s’agit précisément d’un public très éloigné de l’emploi, qui peut souvent être dispensé de disposition au travail pour raisons de santé ou d’équité, l’aide apportée par les CPAS se concrétise dans une écrasante majorité des cas par un Revenu d’intégration plutôt que par une mise à l’emploi. Les CPAS n’arrivent généralement pas à remplir l’objectif (modeste) qu’ils se fixent eux-mêmes de mettre 10 % de leurs bénéficiaires à l’emploi. (5) Comment peut-on imaginer que les communes pauvres, qui devraient faire face au plus gros afflux de chômeurs exclus avec moins de moyens pourraient mieux les aider à retrouver un emploi ? Et rappelons aussi que le CPAS ne met à l’emploi que le temps nécessaire pour obtenir le droit… au chômage ! Quel sens de transférer des chômeurs au CPAS dans le but de les renvoyer au chômage ?
Le même Georges-Louis Bouchez a évoqué le transfert d’agents du Forem vers les CPAS pour assurer cette tâche. Proposition étrange : s’il juge ces travailleurs inefficaces au sein du Forem, pourquoi obtiendraient-ils des « super pouvoirs » en passant au CPAS ? Et proposition hors sol : la plupart des agents du Forem ne sont pas des assistants sociaux, qui sont les seuls légalement à pouvoir mener les enquêtes sociales et à rédiger les rapports qui en découlent…
- Par Yves Martens (CSCE)
(1) G.-L. Bouchez : « Limiter dans le temps les allocations de chômage, c’est une mesure sociale », Ensemble ! n°109, décembre 2022.
(2) Il est clair que les barèmes des salaires et la protection sociale sont prévus dans une logique de travail et donc de salaire à temps plein. Cependant, tant en chômage (allocation de garantie de revenus) qu’en aide sociale (exonération socioprofessionnelle pour le revenu d’intégration), des dispositifs permettent d’obtenir un complément d’allocation qui, cumulé au salaire, vise à rendre le travail attractif. Ces dispositifs pourraient être améliorés, mais ce n’est manifestement pas la piste envisagée.
(3) Il existe des exceptions partielles à la dégressivité. Le chômeur conserve le montant qu’il a perçu au cours d’une phase de la deuxième période si, durant cette phase, il se trouve dans l’une des situations suivantes :
– avoir un passé professionnel en tant que salarié de 25 ans au moins ;
– avoir une inaptitude permanente au travail d’au moins 33 % ;
– avoir atteint l’âge de 55 ans.
Son allocation ne diminue donc plus à partir de ce moment.
(4) Pour les détails et des exemples concrets de différences entre les deux régimes, lire « De l’ONEm au CPAS : moins et pas pour tous », Arnaud Lismond-Mertes et Yves Martens, Ensemble ! n°110, juillet 2023, p. 7.
(5) Ajoutons que la mise à l’emploi par le CPAS se fait souvent à de mauvaises conditions, nous y reviendrons dans le prochain numéro.