chasse aux chômeurs

Une menace grave pour les CPAS et les communes populaires

Ces dernières années, les CPAS ont affronté des crises successives qui les ont fragilisés. L’exclusion massive de chômeurs pourrait être le clou de leur cercueil, en particulier dans les communes les plus pauvres.

Précarisation des étudiants, impact des restrictions d’accès au chômage sur la base des études, réfugiés syriens, COVID, réfugiés ukrainiens, explosion des prix de l’énergie… Ces dernières années, les crises ont déferlé sur les CPAS, à chaque fois appelés à intervenir en dernier recours pour éviter l’explosion sociale, avec une telle fréquence et une telle intensité que ces institutions peinent à garder la tête hors de l’eau. Il y avait en 2023 une moyenne de 190.025 bénéficiaires d’un revenu du CPAS (158.697 revenus d’intégration -RI-et 31.328 aides équivalentes au RI -AERI-) contre 102.781 en 2014 (85 % d’augmentation !). L’exclusion de l’ONEm des chômeurs de plus de deux ans, aujourd’hui en discussion, concerne potentiellement 141.238 chômeurs complets indemnisés (CCI DE) de plus de deux ans. (Lire ici) Deux tiers (93.770) d’entre eux sont des chefs de ménage et des isolés, c’est-à-dire qu’ils auront droit à un RI complet si ils n’ont pas d’autres ressources ou à un RI partiel s’ils ont des ressources inférieures au RI. L’hypothèse d’un renvoi au CPAS est d’autant plus probable que les chômeurs de longue durée sont par définition un public très éloigné de l’emploi, de par cette durée de chômage et du fait de leur âge : près de la moitié (49%) ont plus de cinquante ans.

Une répartition locale très différenciée

Si un tel transfert de charge de la solidarité, jusqu’ici assurée à 100 % au niveau national, vers le niveau local se confirmait, le nombre de bénéficiaires à charge du CPAS deviendrait alors difficile à assumer pour de nombreuses communes. Dans vingt-cinq CPAS, la part de la population (de 18 à 64 ans) prise en charge par le CPAS passerait à plus de 8 %, dont treize (presque la moitié) dépasserait les 10 %. Les chiffres sont éloquents : 16,18 % à Molenbeek-Saint-Jean, 14,42 % à Saint-Josse-Ten-Noode, 13,78 % à Liège, 13 % à Anderlecht, 12,81 % à Schaerbeek, 11,85 % à Saint-Gilles, 11,66 % à Seraing, 11,66 % à Dison, 10,91 % à Charleroi, 10,85 % à Verviers, 10,51 % à Forest, 10,27 % à Koekelberg et 10,22 % à Bruxelles. Suivent dans les 9 % Evere, Huy et Châtelet et, dans les 8 %, La Louvière, Farciennes, Mons, Boussu, Saint-Nicolas, Dinant, Jette, Watermael-Boitsfort et Namur.

En nombre de bénéficiaires, cela ferait donc 93.770 RI en plus. Le nombre de RI/AERI pour tout le pays augmenterait dès lors de près de 50 % pour atteindre 283.857 bénéficiaires (donc deux fois plus que le nombre de chômeurs qu’il resterait dont 16.949 à Liège (+36,28 %), 13.870 à Anvers (+64,92 %), 13.533 à Bruxelles (+63,60 %), 13.325 à Charleroi (+44,82 %), 11.045 à Schaerbeek (+36,19 %), 10.226 à Anderlecht (+40,56 %), 9.660 à Molenbeek-Saint-Jean (+37,25 %), 7.430 à Gand (+24,56 %), 5.515 à Namur (+35,57 %), 5.240 à Mons (+44,55 %), 4.849 à Ixelles (+65,49 %), 4.428 à Seraing (+35,04 %), 4.357 à La Louvière (+41,23 %), 4.285 à Saint-Gilles (+64,93 %), 4.000 à Forest (+60,64 %), 3.518 à Verviers (+42,26 %), 3.151 à Uccle (+68,86 %), 2.836 à Etterbeek (+41,31 %), 2.767 à Jette (+59,57 %), 2.692 à Saint-Josse-Ten-Noode (+44,11 %), 2.660 à Evere (+38,54 %), 2.514 à Tournai (+45,65 %), 2.294 à Malines (+23,53 %), 2.259 à Ostende (+38,76 %), 2.238 à Woluwé-Saint-Lambert (+44,95 %), 1.967 à Châtelet (+43,68 %), 1.897 à Bruges (+85,07 %), 1.885 à Louvain (+21,69 %), 1.804 à Mouscron (+45,37 %), 1.744 à Sint-Niklaas (+30,93 %), 1.613 à Herstal (+67,15 %), 1.556 à Courtrai (+20,53 %), 1.475 à Koekelberg (+51,59 %), 1.291 à Hasselt (+36,61 %), 1.249 à Alost (+35,91 %), 1.241 à Watermael-Boitsfort (+50,97 %), 1.238 à Saint-Nicolas (+41,81 %), 1.230 à Huy (+41,54 %), 1.171 à Auderghem (+50,71 %), 1.095 à Roulers (+24,15 %), 1.091 à Courcelles (+53,88 %), 1.078 à Turnhout (+42,22 %), 1.062 à Boussu (+45,08 %), 1.057 à Dison (+30,66 %), 1.051 à Berchem-Sainte-Agathe (+93,20 %), 1.043 à Binche (+65,56 %), 1.041 à Ganshoren (+88,25 %), 1.023 à Flémalle (+55,24 %)…

En partie à charge de la commune

Le remboursement du RI par le fédéral varie selon le nombre moyen de bénéficiaires lors de la pénultième (avant-dernière) année : 70 % pour les 29 communes du pays dont le CPAS compte actuellement plus de 1.000 RI, 65 % pour les 27 communes du pays dont le CPAS compte entre 500 et 999 RI, 55 % pour les 525 communes qui comptent moins de 500 RI. Le solde est à la charge du CPAS et donc, concrètement, de la dotation communale. Si le scénario évoqué plus haut du nombre de transferts du chômage aux CPAS se vérifiait, les CPAS changeant de catégorie de remboursement devraient, à législation inchangée, attendre deux ans avant de bénéficier effectivement du remboursement majoré. Les « gros » CPAS passeraient de 29 à 48 et les « moyens » de 27 à 34. En Région de Bruxelles-Capitale, Koekelberg, Watermael-Boitsfort, Auderghem, Berchem-Sainte-Agathe et Ganshoren passeraient dans les « gros » CPAS et Woluwé-Saint-Pierre dans les « moyens ». La plus grosse part des CPAS (499) en resterait toutefois à un remboursement à 55 %, avec donc un impact financier proportionnellement plus important sur les finances communales.

Les communes pauvres au pilori

La charge financière serait très difficile à supporter pour certaines communes. Sur la base du taux de remboursement actuel, qui serait donc à règles inchangées encore d’application pendant deux ans, l’impact en matière de participation au paiement du RI serait de plus de six cents millions pour l’ensemble du pays, là où la « super note » de M. De Wever version août (Lire ici) ne prévoyait qu’une « compensation » de seulement deux cent millions (via une majoration de 5 % du remboursement du RI). (1) Certaines communes seraient particulièrement touchées, dont celle d’Anvers. (Lire le tableau ci-dessous)

L’impact, en nombre de nouveaux bénéficiaires et en part du RI (30 à 45%) à assumer par les finances locales, serait colossal.
L’impact, en nombre de nouveaux bénéficiaires et en part du RI (30 à 45%) à assumer par les finances locales, serait colossal.

Ces six cents millions ne représentent que la part des nouveaux RI qui serait mise à charge du CPAS (et donc de la commune), à législation inchangée. Mais pour pouvoir traiter et suivre toutes ces nouvelles demandes, les CPAS devraient agrandir leurs locaux ou en trouver d’autres, dans les limites territoriales de leur commune évidemment, ce qui aurait également un coût. Ils devraient aussi engager des assistants sociaux (AS) supplémentaires, alors que le métier connaît déjà des difficultés de pénurie majeure. Rappelons que seules les personnes porteuses du titre d’assistant social peuvent légalement mener l’enquête sociale et rédiger le rapport proposant l’octroi ou le refus de l’aide. Il ne suffirait pas en outre de recruter des AS, il faudrait aussi engager à l’accueil et dans les services administratifs. Qu’il s’agisse de RI octroyés ou refusés, d’aides sociales octroyées ou refusées, toute demande devra être traitée, ce qui générera pour le CPAS un surcroît de travail et un besoin en personnel. Il faudrait aussi renforcer les services techniques et transversaux (RH, secrétariat, informatique, entretien…), augmenter en proportion les dépenses de fonctionnement (mobilier, équipement, informatique hardware et software, formation, énergie…), se tourner vers le marché locatif afin de permettre à ce personnel supplémentaire de travailler.

Le milliard que les CPAS n’obtiendront pas

Plusieurs CPAS, au vu des intentions des négociateurs, ont réalisé des simulations des surcoûts en personnel et en fonctionnement que tout cela entraînerait. Les estimations tournent autour de 25 % du coût des nouveaux RI. Au lieu de quelque six cents millions pour l’ensemble du pays, il faudrait donc compter sur sept cent cinquante à huit cent millions. En outre, qu’elles aient ou non droit au RI, les personnes exclues par l’ONEm pourraient solliciter le bénéfice d’aides sociales complémentaires, parfois à charge de subsides, parfois octroyées sur fonds propres du CPAS. Ce qui représenterait encore de nouveaux coûts pour ceux-ci. Le montant d’un milliard au total pour le coût à charge des CPAS de cette réforme n’est sans doute pas exagéré. Les fédérations des CPAS demandent le relèvement du taux de remboursement fédéral du RI à 95 %. Il paraît fort éloigné des intentions des négociateurs de l’Arizona de le leur accorder. L’octroi d’un financement correct d’un tel transfert de responsabilités de l’État fédéral aux communes ne rendrait pas la mesure plus acceptable du point de vue des personnes concernées. Il permettrait toutefois d’éviter la mise à mal des communes populaires et de leur CPAS. Mais elles pourraient être encore impactées négativement par d’autres mesures de l’Arizona, qui prêche la « responsabilisation » tant pour les chômeurs que pour les communes pauvres. C’est la morale des néolibéraux : aux plus riches d’assumer la responsabilité de leur richesse, aux plus pauvres celle de leur pauvreté. Le libre marché réglera tout : frapper les pauvres (dites « mettre fin à l’assistanat ») les incitera à devenir riches. Évident, non ?

(1) La version d’octobre de la note parle de compensation sans plus citer ce chiffre de 5 %.

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