dossier justice de la jeunesse

« Un dogme », la déjudiciarisation de l’aide à la jeunesse ? Non ! Une valeur essentielle ! »

Le législateur a privilégié l’approche non judiciaire de l’aide à la jeunesse : ce n’est donc qu’en dernier recours que des jeunes en grande difficulté et leur famille doivent comparaître devant un juge. L’administration, qui adhère totalement à cette approche, exerce les pouvoirs qui sont les siens et ne met pas des « bâtons dans les roues » des magistrats. Une lecture tout différente de celle des juges…

Les jeunes fragilisés subissent de plein fouet les dysfonctionnements du secteur de l’aide à la jeunesse. Pourtant, autour d’eux, s’activent beaucoup de personnes de bonne volonté.
Les jeunes fragilisés subissent de plein fouet les dysfonctionnements du secteur de l’aide à la jeunesse. Pourtant, autour d’eux, s’activent beaucoup de personnes de bonne volonté.

On confond parfois « aide à la jeunesse » et « justice de la jeunesse ». Pourtant, les juges de la jeunesse ne représentent qu’une branche des piliers érigés autour des jeunes en grande difficulté. L’autre branche, et la plus importante, est constituée des autorités administratives. Et entre ces deux-là, le rabibochage semble compliqué (1). Tel est, du moins, le point de vue des magistrats qui n’hésitent pas à monter au front pour vilipender l’approche d’une « fonction publique dogmatique et toute puissante » qui leur accolerait l’étiquette de « Mères ou Pères Fouettard » (lire ici).
L’administration, quant à elle, fait une tout autre analyse de la situation : « Il faut, tout d’abord, arrêter de parler de l’ ‘‘administration’’, s’énerve Jean-Marie Delcommune, directeur général adjoint expert en matière de jeunes en difficulté et/ou en danger au sein de l’Administration générale de l’aide à la jeunesse (lire son portrait). Deux acteurs interviennent dans le secteur : d’un côté, il y a les ‘‘autorités communautaires, les conseillers de l’aide à la jeunesse et les directeurs de la protection de la jeunesse qui traitent plus ou moins 90% des dossiers de l’aide et de la protection de la jeunesse ; de l’autre, il y a les juges, c’est-à-dire les ‘‘autorités judiciaires’’, qui traitent environ 10% des dossiers, ceux qui concernent les mineurs délinquants et ceux qui concernent, à Bruxelles uniquement, les jeunes en danger non collaborants pour lesquels une mesure d’aide ou de protection s’impose. »

« Le décret de 1991, réactualisé par le code Madrane en 2018, organise des cadres d’intervention distincts aux autorités judiciaires et aux autorités administratives, poursuit-il : « Il ne s’agit pas de se faire concurrence, mais bien d’œuvrer chacun dans son champ de compétences. En 1991, le législateur a décidé de favoriser la prévention et l’accompagnement, dans leur milieu familial, des jeunes en danger. Quand un mineur est signalé en danger, on fait tout pour éviter que les parents et le jeune ne se retrouvent devant une autorité judiciaire. Les juges nous reprochent d’être ‘‘dogmatiques’’ : la déjudiciarisation n’est pas un dogme mais une valeur. Ce principe fondamental de la déjudiciarisation, la Communauté française a décidé de le consacrer dans le décret relatif à l’aide à la jeunesse de 1991 et de le réaffirmer dans le décret-code de 2018. Aussi, les professionnels des services de l’aide à la jeunesse et de la protection de la jeunesse, travaillent sans relâche, avec les jeunes et leur famille, prioritairement dans leur milieu de vie, pour éviter au maximum les placements ou d’autres contraintes ‘‘mal comprises’’. »

Déjudiciariser = respecter, collaborer, rendre acteur

Là où les juges vitupèrent le « dogme » de la déjudiciarisation des matières liées à l’aide à la jeunesse, les autorités communautaires et leur service, qui traitent des dossiers sur le terrain, se félicitent de la philosophie qui le sous-tend, à savoir la prévention et la collaboration avec les familles fragilisées. « Les parents sont parfois dépassés, aux prises avec de tels problèmes qu’ils ne répondent pas- ou plus – aux besoins de leurs enfants, ou même se montrent violents à leur endroit ou entre eux. Est-ce que les faire comparaître devant un juge va nécessairement les aider ?, questionne Jean-Marie Delcommune. N’est-il pas plus utile de leur permettre de réfléchir sur ce qui s’est passé et de voir, avec eux, de quelles aides ils auraient besoin pour que cela ne se produise pas ? Permettre aux gens de redevenir acteurs de leur situation, je suis convaincu que c’est plus porteur que de les contraindre, les sanctionner. Co-construire avec les familles un programme d’aide consentie, instaurer un climat de confiance réciproque, ce n’est pas la voie de la facilité, c’est exigeant, cela prend du temps. La situation de danger n’est pas levée comme par enchantement : elle s’estompera au fil de la mise au travail de la famille, avec l’aide du conseiller et des délégués du SAJ. Mais, même s’ils sont très rares, on n’est jamais à l’abri d’un accident. Quand cela tourne mal, les médias et le monde politique s’emparent du sujet avec fracas, et les SAJ et les SPJ sont alors accusés de tous les maux. On ne parle que trop rarement des dossiers, et ils sont nombreux, qui connaissent une issue positive. C’est comme cela, et c’est frustrant ; on doit vivre avec ça. »

La sanction du juge : nécessaire et parfois féconde

Va donc pour l’aide consentie : lorsqu’un mineur est signalé « en danger », le SAJ élabore un programme d’aide avec la famille – en-dehors, donc, de toute approche judiciaire. Dans le meilleur des cas – « plus de 50% des situations sont prises en charge dans l’aide consenti » -, la famille ainsi soutenue se met en mouvement, et la situation évolue favorablement. Mais il arrive, bien sûr, que les choses se passent moins bien. « Si la situation de danger pour l’enfant persiste, et que les parents ne collaborent pas, soit parce qu’ils restent dans le déni, soit parce qu’ils ont des problèmes de santé mentale, alors le conseiller de l’aide à la jeunesse transmet le dossier au procureur du roi (2), lequel saisit alors le juge de la jeunesse, qui va imposer une aide contrainte. Tout cela est bien réglementé : il est logique qu’une mesure contrainte reste de la compétence exclusive de l’autorité judiciaire, ce qui garantit les droits des justiciables concernés, précise le directeur général adjoint expert de l’administration générale. En outre, le fait qu’un juge tranche, en décidant par exemple de placer le jeune en dehors de son milieu familial, ça peut être fort utile : la contrainte vient marquer un arrêt et peut provoquer un déclic salutaire au sein de la famille. Mais une fois cette décision prise, le travail continue : il faut en effet que les proches se réapproprient la contrainte et en fassent quelque chose de constructif pour l’avenir. Sinon, les choses s’enkystent, les jeunes restent longtemps en institution, les liens familiaux sont mis à mal, et la situation se dégrade au lieu de s’améliorer. »

Les compréhensibles frustrations des juges wallons

Puisque nous sommes en Belgique, rien n’est simple : là où, en Wallonie, le code Madrane s’applique totalement, Bruxelles est quant à elle régie par l’ordonnance bruxelloise de 2004 pour ce qui est de l’aide contrainte (3) (lire ici). La différence ? Les autorités judiciaires de la capitale assurent elles-mêmes la mise en œuvre de leurs ordonnances et de leurs jugements, décident des outils à mettre en place pour assurer l’accompagnement socioéducatif des familles et/ou de l’institution où placer le mineur. La fonction de « directeur du SPJ » (NDLR : curieusement, la fonction est toujours nommée au masculin, alors que l’immense majorité des directeurs de SPJ sont des… directrices) n’existe pas à Bruxelles, où le SPJ est le service social du tribunal. . « Bruxelles ne symbolise donc pas le système de déjudiciarisation de l’aide à la jeunesse que l’on nous envie à l’étranger, souligne Delcommune. Les pouvoirs du juge de la jeunesse et son champ de compétences y sont plus larges qu’en Wallonie. »

En Wallonie, en revanche, lorsqu’il a rendu son jugement et décidé du cadre de l’aide contrainte (4), le boulot du juge de la jeunesse s’arrête là : c’est en effet le directeur ou la directrice du service de la protection de la jeunesse (SPJ) qui, avec ses délégué.e.s, s’empare du dossier et met en œuvre concrètement le jugement rendu par le juge. « Et, de nouveau pour que la contrainte soit féconde, il faut que les familles se la réapproprient », précise Jean-Marie Delcommune.

De quoi susciter les frustrations de certains juges à la jeunesse, surtout ceux qui œuvraient déjà avant l’entrée en vigueur du décret du 4 mars 1991, date à laquelle les compétences en matière de protection de la jeunesse sont passées de l’escarcelle de l’Etat fédéral à celle des entités fédérées. Avant cela, donc, les autorités judiciaires (fédérales) s’occupaient, de manière exclusive, des enfants en danger, d’ailleurs appelés à l’époque « enfants du juge ». Les juges étaient actifs à toutes les étapes, décidaient concrètement de l’application de leurs jugements, et suivaient les dossiers de « leurs » mineurs jusqu’à leur majorité. « Je comprends que les juges de la jeunesse qui exerçaient déjà à cette époque, et qui appréciaient justement de pouvoir suivre ces jeunes de près, à chaque étape, se sentent frustrés et acceptent difficilement le modèle actuel de l’aide à la jeunesse », consent le directeur général adjoint expert de l’administration générale de l’aide à la jeunesse.

« Je suis un militant de conviction. »

Trois ans plus tard, il prendra la direction d’un service d’accompagnement psycho-socio-éducatif, avant de faire un passage en tant que conseiller au cabinet Lebrun (NDLR : Michel Lebrun fut ministre social-chrétien de l’Aide à la jeunesse entre 1992 et 1995).

La passion véritable l’a gagné au milieu des années 1990, alors qu’il était conseiller de l’aide à la jeunesse au service de l’aide à la jeunesse (SAJ) de Bruxelles, fonction qu’il a exercée durant vingt-trois ans, de 1995 à 2018. Il a donc connu les premières années de la mise en application du décret de 1991. Il a connu, aussi, les effets du « code Madrane » qui, en 2018, est venu confirmer le modèle actuel de l’aide à la jeunesse, notamment en renforçant les droits fondamentaux des enfants (les droits à l’information et à la participation), en réaffirmant le principe de la déjudiciarisation et en consacrant la priorité donnée à la prévention.

Quels étaient les objectifs du décret de 1991 voté par la Communauté française au moment où elle a hérité de l’aide à la jeunesse (elle était auparavant une compétence fédérale) ? Il s’agit principalement de freiner une ingérence vécue comme excessive du judiciaire dans la vie du jeune mineur en difficulté ainsi que de sa famille, et de freiner le recours aux placements en institution en renforçant l’action dans le milieu de vie. « A l’époque, s’enthousiasme Jean-Marie Delcommune, ce décret était vraiment révolutionnaire : on passait des ‘‘enfants du juge’’ à une politique axée sur la prévention, des contraintes imposées aux familles fragilisées à la co-construction, avec celles-ci, d’un programme d’aide négociée. C’était un positionnement innovant, et très progressiste, qui reste envié à l’étranger. »

Mais au début, tout était à construire, on partait d’une page blanche, les procédures n’étaient pas définies, et « nous avons tâtonné, déplacé le curseur une fois dans un sens, une fois dans l’autre, nous avons pris des risques. Nous quittions la logique institutionnelle – les juges retiraient facilement les mineurs en danger de leur famille au nom de la sécurité de l’enfant, ce qui était inévitablement perçu comme une sanction par les parents – pour une autre, privilégiant le maintien du lien parents-enfants, le maintien de la fratrie, et ce même dans les situations compliquées. Cela impliquait bien sûr la mise au point d’un travail de prévention, d’un accompagnement de ces familles dans leur milieu de vie. Mais parfois, maintenir à tout prix la famille peut avoir des conséquences néfastes pour l’enfant, lorsque la situation de danger est trop importante. Nous nous sommes réajustés, une fois dans un sens, une fois dans l’autre, afin que les besoins du jeune soient pris prioritairement en compte. »

Lorsqu’il évoque les années 1980-1990, ces années marquées par de profonds changements de mentalité et mouvements de réforme qui aboutiront notamment à l’adoption du décret de 1991 relatif à l’aide à la jeunesse, les yeux de Jean-Marie Delcommune scintillent toujours de la lueur de la passion : « J’y crois, à ces valeurs-là, de respect et de bienveillance à l’égard des familles en difficulté, j’ai toujours tenté de mettre la personne au cœur de mon action. Reconnaitre les personnes, plus particulièrement les plus vulnérables d’entre elles, en tant qu’actrices de changement et sujets de droit, a toujours été au centre de mon engagement. »

Depuis 2018 – et pour quelques mois seulement encore, car il est en fin de carrière -, Jean-Marie Delcommune est directeur général adjoint expert au sein de l’Administration générale de l’aide à la jeunesse. Avec pour seul objectif, dit-il, de « transmettre ces valeurs. Je me considère toujours comme un militant. »

Ne pas confondre « précarité » et « danger »

Parmi les griefs qui sont souvent faits aux autorités administratives sociales, il en est un auquel Jean-Marie Delcommune est particulièrement sensible : « Lorsque les conseillers de l’aide à la jeunesse estiment que la famille ne collabore pas, ou lorsque la justice ordonne le placement d’un jeune hors de son milieu familial, c’est le plus souvent parce que cette famille, en raison d’une extrême précarité socioéconomique, ne parvient pas à assurer les besoins de l’enfant », dénoncent les associations actives en matière de lutte contre la pauvreté ATD Quart-Monde et LST (Luttes Solidarités Travail). « Il est vrai que la frontière entre précarité socioéconomique des familles et mise en danger d’enfants est souvent ténue », reconnaît Delcommune. Et c’est là que réside tout l’intérêt du code Madrane qui, en 2018, est venu réaffirmer que tout doit être mis en place pour permettre aux parents de répondre aux besoins de leurs enfants, et que le placement d’enfants ne peut intervenir qu’en tout dernier recours. « Il est effectivement révoltant d’arracher un mineur à sa famille, de mettre à mal le lien familial pour ‘‘protéger’’ l’enfant de la précarité sociale. » Le groupe Agora, créé à la fin des années 1990 au sein de l’Administration générale de l’aide à la jeunesse, permet justement le dialogue entre des professionnels de l’aide à la jeunesse, des personnes en situation de pauvreté, ainsi qu’ATD Quart-Monde et LST (Luttes Solidarités Travail) : « Les autorités administratives sont, notamment grâce à ces échanges, de plus en plus sensibilisées à l’importance d’éviter des placements pour cause de pauvreté. Bien sûr, il est parfois compliqué de placer le curseur au bon endroit : personne n’est à l’abri d’une erreur, d’une mauvaise évaluation de la situation. »

Rachid Madrane (PS), le « père » du décret tellement décrié par les juges de la jeunesse. Nous avons sollicité son interview, mais il n’a pas donné suite à notre demande.
Rachid Madrane (PS), le « père » du décret tellement décrié par les juges de la jeunesse. Nous avons sollicité son interview, mais il n’a pas donné suite à notre demande.

Les urgences mieux gérées

Un autre reproche, asséné cette fois par les juges aux « fonctionnaires » de l’aide et de la protection de la jeunesse : ceux-ci ne sont joignables que durant les heures « de bureau » ; pas le soir ni le week-end. Résultat ? Lorsqu’une situation de mineur en danger est signalée le soir ou durant le week-end, c’est le juge qui doit s’en emparer et rendre une ordonnance de placement– à titre provisoire – dans l’urgence. « Il est vrai que le cadre du travail du personnel de l’administration et des magistrats est différent, et que cette différence peut nuire à la bonne intelligence des rapports entre les uns et les autres, ainsi qu’à l’efficacité du travail, reconnaît Jean-Marie Delcommune. On réfléchit depuis plusieurs années à la façon de remédier à ces manquements et là, la décision est prise : il a été décidé d’instaurer un service de garde au sein des services de l’aide et de la protection de la jeunesse, et la ministre Glatigny va libérer une enveloppe budgétaire pour son financement. » (lire l’interview de Valérie Glatigny)

« Immobilisme » ?, « rétention d’informations » ?

Les magistrats – juges de la jeunesse mais aussi procureurs du roi, chargés d’instruire les dossiers avant de saisir le juge – pestent souvent contre le fait que les autorités communautaires, au moment de céder un dossier au judiciaire, n’en transmettent qu’un résumé lapidaire, et gardent pour elles de nombreuses informations importantes. Avant d’arriver à un constat d’échec de l’aide consentie, le conseiller de l’aide à la jeunesse et ses délégués ont réalisé tout un parcours avec le jeune et ses proches, et ce parcours était basé sur la confiance : le SAJ a recueilli des informations, parfois intimes, en rassurant la famille sur le fait qu’on voulait l’aider. Et puis, du jour au lendemain, parce que la famille ne parvient pas à mettre en place ce qu’il faudrait pour remédier à la situation de danger pour l’enfant, les confidents d’hier livreraient tous les éléments dont ils disposent aux autorités judiciaires ?! Ce serait ressenti par les bénéficiaires de l’aide comme une terrible trahison, s’emballe le directeur général adjoint expert. Le conseiller de l’aide à la jeunesse, s’appuyant sur les constations de ses délégués actifs sur le terrain, au sein des familles, transmet au judiciaire, dans son rapport de synthèse, uniquement les informations utiles qui permettent d’objectiver la non-collaboration du jeune et de sa famille ainsi que la persistance de la situation de danger pour le mineur. Il n’est pas toujours nécessaire, dans le respect du secret professionnel, de tout dire, de tout dévoiler, mais bien de faire ressortir les éléments-clés qui ont amené à l’échec et donc au passage à l’aide contrainte. En outre, s’il le juge nécessaire, le parquet peut demander un complément d’enquête, envoyer la police sur place, interroger les voisins, l’école, etc.

Il arrive aussi que les professionnels en contact avec le mineur en danger (direction d’école, association, etc.) expriment leur frustration de n’être pas tenus au courant de l’évolution d’un dossier de mineur en danger qu’ils auraient eux-mêmes signalé, et dont ils s’inquiètent. « En vertu du secret professionnel, nous ne pouvons évidemment pas dévoiler les détails d’un dossier, d’une prise en charge, recadre Jean-Marie Delcommune. Mais cela ne veut pas dire que nous négligeons le dossier : nous devons cependant rassurer les auteurs d’un signalement, leur dire que nous nous en occupons, et qu’au besoin, nous reviendrons vers eux. La mise en place d’une aide consentie exige du temps, celui de l’écoute et de la négociation. Certains peuvent y voir une preuve d’immobilisme ; il n’en est rien. »

Quatre piliers autour des mineurs en danger

Les « mandants », dans le secteur de l’aide et de la protection de la jeunesse, sont ceux qui ont autorité sur le dossier, ceux qui ont le pouvoir de prendre des décisions. Muguette Poncelet, directrice au SPJ de Neufchâteau, préfère parler des « quatre piliers » érigés autour du mineur et de sa famille, et dont la coordination est essentielle.

> 1. Le conseiller de l’aide à la jeunesse (en réalité, le plus souvent, la conseillère, car les femmes sont majoritaires dans le secteur) est le/la responsable du service de l’aide à la Jeunesse (SAJ) qu’il dirige. Il/elle élabore le programme d’aide en accord avec les bénéficiaires de l’aide (aide négociée), qui va servir de base au/à la délégué.e (le travailleur social qui va mettre en place ce programme d’aide en collaboration avec la famille du mineur en danger ou en grande difficulté). Il/elle appartient aux rangs des autorités administratives, tout comme le directeur de la protection de la jeunesse.

> 2. Le directeur de la protection de la jeunesse (en réalité, le plus souvent, la directrice) est le/la responsable du service de la protection de la jeunesse (SPJ- auparavant service de protection judiciaire) qu’il dirige. Il/elle met en œuvre les mesures ordonnées par le tribunal de la jeunesse, en cas d’échec de l’aide consentie. En Wallonie, depuis le décret du 4 mars 1991 relatif à l’aide et à la protection à la jeunesse, le directeur de la protection de la jeunesse met en place le dispositif de l’aide contrainte : c’est lui/elle qui va décider à quel type de service ou à quel établissement il va confier le mineur en danger, quelle équipe va accompagner la famille sur le plan socioéducatif, etc… Il élabore, après avoir rencontré la famille et le jeune, un document intitulé « application de mesure(s) » dans lequel sont reprises ses décisions, et confie à un.e délégué.e de son service la coordination de l’aide ainsi définie. C’est lui/elle aussi qui prendra toute nouvelle décision utile pour l’enfant en cours d’année après avoir rencontré les bénéficiaires concernés par les mesures d’aide. Ainsi, dans le sud du pays, le juge de la jeunesse n’intervient plus du tout dans la situation du jeune après qu’il ait prononcé son jugement. C’est au directeur de la protection de la jeunesse uniquement qu’il appartiendra d’organiser, avec son service, l’aide imposée à la famille. Il/elle est donc le principal interlocuteur du jeune et de son entourage. Si la situation évolue bien, le directeur de la protection de la jeunesse pourra d’ailleurs décider (via une procédure dite « en homologation ») de la fin de l’aide contrainte et si besoin, du retour vers l’aide acceptée. Cependant, si l’état de danger pour l’enfant persiste au terme d’une année d’intervention, il/elle décidera de solliciter, auprès du procureur du roi, le renouvellement des mesures de contrainte pour une année supplémentaire.
A Bruxelles, la fonction de directeur de la protection de la jeunesse n’existe pas. Ainsi, après avoir rendu son jugement, le juge bruxellois devra décider de l’institution d’hébergement et des services et outils qui devront être déployés pour soutenir le jeune et ses parents. Le ou la responsable du SPJ (le « délégué-chef ») se contente de veiller à la bonne exécution du jugement du tribunal.

> 3. Le Procureur du roi est interpelé par le conseiller de l’aide à la jeunesse au SAJ lorsque celui-ci estime que les responsables légaux d’un mineur en danger, ou le mineur lui-même, ne collaborent pas à la mise en œuvre du programme d’aide consentie. Sur la base du rapport de synthèse transmis par le SAJ, le Parquet saisira le juge, le cas échéant après avoir ordonné un complément d’enquête.

> 4. Le juge (ou la juge) est le magistrat qui, en cas d’intervention d’urgence (un bébé à retirer immédiatement à ses parents, par exemple, parce que son intégrité physique et /ou psychique est actuellement et gravement compromise) ou au terme d’un processus de l’aide consentie s’étant soldé par un échec, va rendre un jugement sur le cas dont il aura été saisi. A Bruxelles, c’est lui/elle qui veillera aussi à l’exécution concrète de son jugement ; en Wallonie, c’est le/la directeur.trice de la protection de la jeunesse qui va prendre le relai.

Pour ce qui est des mineurs délinquants, leur cas relève d’office du secteur judiciaire (mais toujours dans une optique davantage protectionnelle que répressive), et donc c’est le/la juge qui a la main. Lui/elle aussi, en principe, qui choisit les mesures à mettre en place et l’institution qui, le cas échéant, accueillera le jeune. Le code Madrane et ses arrêtés d’exécution ont cependant attribué au directeur de la protection de la jeunesse et à son service, la mission de suivre le jeune et d’évaluer son parcours et son évolution.

(1) Lire la première partie du dossier dans le n°106 d’Ensemble !: « Les juges de la jeunesse (de plus en plus) sur le fil ».

(2) Sur les spécificités du procureur du roi dans le domaine de l’aide à la jeunesse, lire l’interview de Julie Helson.

(3) L’ordonnance de la Commission communautaire commune de la Région de Bruxelles-capitale du 29 avril 2004 relative à l’aide à la jeunesse s’applique uniquement à Bruxelles.

(4) En cas d’échec du processus de l’aide consentie, le juge peut décider de l’une des trois mesures suivantes : soit soumettre l’enfant et sa famille à un accompagnement éducatif ; soit retirer l’enfant de son milieu familial et le confier à une institution ; soit permettre au jeune (de 16 ans au moins) de vivre en autonomie.

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