dossier justice de la jeunesse

Cette réalité belge qui complique la donne

Pourquoi les « pouvoirs » du juge de la jeunesse et ceux de l’administration sont-ils tellement différents en Wallonie et à Bruxelles ? L’explication est à chercher dans la complexité des institutions belges.

Cette réalité belge qui complique la donne
Cette réalité belge qui complique la donne

La protection de la jeunesse est une compétence communautaire, et l’approche francophone diffère de la vision de la Flandre, plus « autoritaire » et moins orientée vers la prévention, la protection et l’approche sociale.
Depuis le début des années 1990, l’idée qu’il fallait tout miser sur la prévention, l’approche psychosociale et la collaboration avec les familles pour protéger les mineurs en danger a gagné du terrain en Communauté Wallonie-Bruxelles. Le « code Madrane » (1) (NDLR : du nom de son initiateur, Rachid Madrane, ancien ministre PS de la Jeunesse et de l’Aide à la jeunesse du gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles) a coulé cette approche dans le marbre en 2019.

En Wallonie, l’approche protectionnelle du décret s’applique intégralement : si le tribunal est saisi dans une affaire de mineur en danger – c’est-à-dire lorsque l’aide consentie prodiguée en amont par le service de l’aide de la jeunesse/SAJ, en collaboration avec les familles, se solde par un échec et ne permet pas de faire disparaître la situation de danger -, le juge de la jeunesse rend son jugement, et puis cède la main à l’administration et, plus précisément, au directeur ou à la directrice du service de protection de la jeunesse (SPJ) qui se chargera concrètement du dossier (choix de l’institution et/ou du suivi en famille, etc.).

Et Bruxelles là-dedans ?

« Je ne voudrais pas être juge de la jeunesse en Wallonie, reconnaît Michèle Meganck, juge de la jeunesse à Bruxelles. Car, même pour ce qui est des mineurs délinquants, dans le sud du pays, le « vrai » juge est le directeur ou la directrice du SPJ, que l’on pourrait qualifier de « juge non judiciaire ».

Les deux Communautés ayant une vision différente – le mantra de la déjudiciarisation est moins puissant en Flandre qu’en Communauté Wallonie-Bruxelles -, il a bien fallu trouver une « voie médiane », propre à Bruxelles (Région bi-communautaire), susceptible de convenir à la fois à la Communauté flamande et aux francophones. Et ce même si l’immense majorité des dossiers relèvent du rôle francophone (mais il faut noter qu’un dossier sur trois parmi ceux versés au rôle francophone exige l’intervention d’un interprète !), et que la capitale compte 14 juges francophones pour seulement trois néerlandophones.

C’est ainsi qu’à Bruxelles, le secteur de l’aide à la jeunesse est régi par une ordonnance particulière (2), qui laisse davantage les coudées franches aux magistrats puisque ce sont eux qui devront veiller à l’exécution concrète de leurs jugements.

Certes, au début du processus, c’est-à-dire pour ce qui est de l’aide consentie dans le cadre d’un dossier « mineur en danger », l’aide à la jeunesse bruxelloise fonctionne également sur la base du code Madrane : c’est le service de l’aide à la jeunesse (SAJ) – c’est-à-dire l’administration de l’aide à la jeunesse, et non pas le judiciaire -, qui s’occupe du mineur, et de sa famille. Comme en Wallonie, lorsqu’il apparaît que l’aide consentie dans le cadre d’un dossier « mineur en danger » n’est plus efficace, ou lorsqu’un dossier concerne un « mineur délinquant », l’intervention du parquet est requise et, à sa suite, celle du juge.

Dès ce moment, à Bruxelles, le code Madrane cède la place aux prescrits de l’ordonnance bruxelloise (3) : le juge s’empare du dossier et en reste le responsable de bout en bout. Il décide des mesures à prendre (son jugement est renouvelable annuellement), concrétise personnellement l’exécution de ses jugements, choisit l’institution en cas de placement, contacte les équipes pédagogiques en cas d’accompagnement au sein des familles, et revoit le jeune, sa famille et les différents intervenants à l’occasion de ses entretiens de cabinet, et ce autant de fois qu’il l’estimera nécessaire. Le service de protection de la jeunesse/SPJ doit, quant à lui, « simplement » veiller aux investigations et à la bonne exécution effective des décisions prises par le juge. Le jeune en danger pour lequel l’aide consentie a échoué faute de collaboration suffisante de la famille aura donc pour principal interlocuteur « son » juge de la jeunesse, qu’il sera amené à croiser plus ou moins régulièrement jusqu’à ses 18 ans.

La réalité du terrain apparaît néanmoins quelque peu différente : la marge de manœuvre des juges bruxellois semble plus étroite que celle prévue sur papier, notamment en raison du manque de places disponibles dans les institutions, et des mesures à destination des mineurs délinquants concoctées par l’administration de l’aide à la jeunesse censées « compléter » les mesures prises par les juges et vécues, par la majorité d’entre eux, comme des contraintes supplémentaires.

(1) Décret du 18 janvier 2019 portant le code de la prévention, de l’aide à la jeunesse et de la protection de la jeunesse.

(2) L’ordonnance de la Commission communautaire de la Région de Bruxelles-capitale du 29/04/2004 relative à l’aide à la jeunesse.

(3) Idem.

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