chasse aux chômeurs
Que prévoyait la « super note » De Wever pour les chômeurs ?
Au milieu de cet été, de premières informations ont fuité sur le contenu des négociations pour la formation d’un gouvernement Arizona. La démolition de l’assurance chômage faisait partie du menu.
Fin août, le formateur fédéral, M. Bart De Wever (N-VA) a provisoirement mis fin à sa mission de formation d’un gouvernement « Arizona », composé de la N-VA, du CD&V, de Vooruit ainsi que du MR et des Engagés, avant de reprendre celle-ci après l’intermède assumé par M. Prévot (Engagés). Durant cette courte période, quelques informations ont fuité sur le contenu des négociations en cours entre les partenaires de la possible majorité Arizona. L’Écho a – notamment – dévoilé l’épure budgétaire sur laquelle les membres de la coalition travaillaient. (1) Parallèlement, des éléments de la « super note » du formateur étaient dévoilés dans la presse et circulaient dans des « milieux bien informés ». Une nouvelle version de cette note a circulé au mois d’octobre. A défaut d’analyser l’ensemble du programme de gouvernement esquissé par ces documents, on peut présenter leur contenu concernant le sujet qui nous occupe : l’avenir de l’assurance chômage, les chômeurs et les bénéficiaires de l’aide du CPAS (puisque le projet d’accord lie ces deux matières).
D’un point de vue budgétaire, d’après le tableau publié par l’Écho, l’objectif final de l’Arizona serait de réduire le déficit fédéral annuel de 19,6 milliards, essentiellement par des mesures d’économie. Parallèlement, des moyens seraient trouvés pour des politiques nouvelles : 9 milliards de réforme fiscale, 500 millions pour les services de sécurité et « la politique de retour des migrants », 1,9 milliard pour la Défense et 200 millions pour les CPAS. Pour les matières qui nous occupent dans cet article, le tableau budgétaire prévoit 1.671 millions d’économies au titre des « réformes du chômage », 992 millions d’économies au niveau d’une « réforme du revenu d’intégration » dans le cadre d’une « nouvelle politique migratoire » (non détaillée), 1,4 milliard sur « l’enveloppe bien-être » et 2 milliards sur les pensions. Les 1.671 millions d’économies prévues sous la rubrique « réformes du chômage » dans le tableau budgétaire correspondent à 80 % du budget dépensé par l’ONEm en 2023 pour l’indemnisation des chômeurs complets indemnisés (CCI DE) depuis plus de deux ans (soit un peu plus de deux milliards d’euros).
Casser et régionaliser l’assurance chômage
A la lecture des documents qui ont fuité, il semble qu’une entente était déjà actée en août 2024 entre les partenaires pressentis sur trois principes généraux : réduire la couverture de l’assurance chômage, engager une régionalisation partielle de celle-ci, réduire la prise en compte des périodes chômées pour le calcul de la pension. Ces orientations sont confirmées dans la version de la super note qui a circulé en octobre. Il y aurait donc eu dès l’été :
1. Un accord pour réduire la solidarité entre les travailleurs occupés et les travailleurs au chômage (« rendre le travail suffisamment rémunérateur et renforcer le lien entre les périodes effectives de travail et les cotisations versées et la constitution de droits sociaux en matière de chômage, d’allocations de maladie, de pension, etc. »). Transposé dans un autre régime d’assurance, cela reviendrait, dans le domaine du risque d’inondation ou d’incendie, à n’indemniser le sinistre qu’à une hauteur limitée ou proportionnée à la durée de paiement des primes d’assurance avant le sinistre.
2. Un accord pour remettre en cause le caractère fédéral de l’assurance chômage, si pas de l’aide sociale et de l’assurance maladie invalidité (« prévoir au niveau fédéral le cadre, les conditions et la responsabilité financière afin que les entités fédérées puissent mettre en œuvre une politique d’activation performante et adaptée à la situation très différente de leur marché du travail. En responsabilisant financièrement les entités fédérées et en permettant une différenciation des règles en matière de chômage, de maladie de longue durée et d’aide sociale, chaque entité apportera sa contribution à l’augmentation du taux d’emploi en Belgique. […] Nous renforçons les politiques régionales sur mesure au niveau de la réglementation du chômage, avec plus d’autonomie, de responsabilisation et de coopération avec les entités fédérées. Les entités fédérées peuvent déterminer elles-mêmes les critères d’un emploi convenable (tels que la distance et le temps de trajet maximum), la disponibilité et l’exemption des demandeurs d’emplois (par exemple pour la formation ou le volontariat) et les niveaux de sanction et les faire contrôler par le service pour l’emploi régional (Forem, VDAB, Actiris, Arbeitsambt). Nous intégrons la disponibilité active, passive et adaptée dans une forme unifiée de disponibilité pour tous les chômeurs, qui peut ensuite être adaptée à chaque chômeur et être contrôlée par les services pour l’emploi régionaux. »).
Transposé dans d’autre domaines de l’assurance, cela reviendrait in fine (puisque la régionalisation du financement ne manquerait pas de suivre celle des règles) à ne mutualiser la couverture d’un risque, par exemple contre les inondations ou les incendies, que sur une base géographique limitée. Il n’y aurait dès lors plus de solidarité entre les localités et les régions plus ou moins à risque, plus ou moins touchées.
3. Un accord pour frapper les chômeurs, comme d’autres allocataires, de façon différée, au moment de leur pension (« Aujourd’hui, environ un tiers des droits à la pension se fonde sur des périodes non travaillées. Nous ne conservons cette équivalence que lorsqu’elle est socialement justifiée, par exemple pour les périodes de maladie, de congé de maternité et de congé parental ainsi que pour les divers congés de soins mais nous la supprimons progressivement pour les périodes de préretraite (RCC), de chômage de longue durée et d’emplois d’insertion, par exemple »).
Limiter l’octroi, diminuer les montants
Viennent ensuite des mesures sur lesquelles les partenaires de l’Arizona semblent avoir mis plus de temps pour s’accorder précisément. Concernant les chômeurs, ces mesures portent sur : 1. La limitation dans le temps des allocations de chômage. 2. La diminution du montant des allocations de chômage. 3. L’augmentation de l’impôt payé par les chômeurs et leur conjoint. 4. Des attaques spécifiques sur des régimes spéciaux de l’ONEm (Chômeurs temporaires, prépensionnés). 5. Des attaques sur les pensions des chômeurs et des allocataires.
Deux ans maximum
La limitation dans le temps des allocations de chômage est la mesure phare de ce volet du projet d’accord. « La durée des allocations de chômage est limitée à un maximum de 2 ans. Chaque service régional de l’emploi décide de manière autonome comment il oriente les bénéficiaires d’allocations de chômage vers le circuit économique normal par le biais d’une ultime offre. Le groupe souffrant d’un handicap professionnel (reconnu) se voit proposer un emploi dans l’économie sociale (entreprises de travail adapté). Cela nécessite un parcours de croissance de l’économie sociale au niveau régional et fait l’objet d’une compensation financière. […] Cette limitation de la durée des allocations de chômage ne s’applique pas aux demandeurs d’emploi âgés qui sont à moins de cinq ans de la date la plus proche possible de leur départ à la retraite, bien que ces demandeurs d’emploi soient également censés rester disponibles pour un nouvel emploi jusqu’à cette date. La période d’exemption de 5 ans est réduite progressivement de 6 mois chaque année. »
Appauvrir les chômeurs et leur famille
La diminution des allocations de chômage est envisagée par plusieurs biais. Le premier est une limitation de l’évolution des allocations en fonction du bien-être : « Au cours des prochaines années, nous freinons la croissance des allocations des personnes en âge de travailler qui sont inactives alors qu’elles sont en mesure d’effectuer un travail rémunéré ». Le second est l’introduction d’un plafonnement des différents types « d’avantages sociaux » (chômage, RI, logement social, tarif social gaz-électricité, etc.) : « Grâce à un registre central, nous enregistrons le montant des prestations sociales perçues par une personne. Nous plafonnons ces prestations sociales, y compris les allocations, à XX% du revenu minimum que cette personne percevrait sur le marché du travail, en tenant compte des personnes à charge. Les prestations sociales sont accordées sur base du revenu et non du statut ».
Le troisième est l’introduction d’une dégressivité encore renforcée du montant des allocations : « Une personne qui se retrouve sans emploi bénéficie pendant les trois premiers mois d’une protection financière plus élevée qu’aujourd’hui par le biais d’un ratio de remplacement et d’un plafond de revenu plus élevés. Au fur et à mesure que le temps passe, l’allocation diminue plus fortement qu’aujourd’hui. En l’occurrence, la durée de perception des allocations de chômage dépend du nombre d’années travaillées auparavant. »
Le quatrième est l’augmentation de l’impôt payé par les chômeurs et leur conjoint, qui est également sur la table, tout comme pour les titulaires du revenu d’intégration et à terme des pensionnés : « De nombreuses mesures dans notre système fiscal récompensent trop la passivité. […] La réduction d’impôt pour les allocations de chômage d’une personne sans emploi de manière consécutive depuis un an est supprimée à terme.. […] […] Le quotient conjugal est une technique fiscale qui prévoit une compensation pour le partenaire sans revenu. Il garantit que le partenaire qui n’a pas ou peu de revenus professionnels se voit attribuer théoriquement une partie des revenus professionnels de l’autre lors du calcul de l’impôt. D’un point de vue fiscal, il est avantageux d’être le partenaire de quelqu’un qui travaille sans travailler. Pour les non-retraités, le quotient conjugal sera supprimé. » La note d’août ajoutait : « Pour les retraités, nous envisageons un scénario d’extinction avec une large période de transition » : les pensionnés sont ainsi avertis de ce qu’une fois appliquée aux plus jeunes, l’extension de cette suppression du quotient conjugal finira par leur être appliquée également.
Chômeurs temporaires, prépensionnés…
Des attaques sur les régimes spéciaux d’indemnisation de l’ONEm sont également mentionnées. Les chômeurs temporaires pourraient être soumis au contrôle de leur disponibilité active : « Les chômeurs temporaires de plus de 3 mois doivent obligatoirement s’inscrire comme demandeurs d’emploi auprès du service régional de l’emploi qui leur propose une offre adaptée ». Il en est de même pour les allocations d’insertion, qui pourraient subir de nouvelles régressions : « Une limitation dans le temps identique aux allocations de chômage classiques s’appliquera désormais aux allocations d’insertion. Les nombreuses exceptions sont supprimées (par exemple l’allocation pour les jeunes isolés, les jeunes chefs de ménage et autres catégories ‘privilégiées’) » ainsi que pour les prépensions, dont seuls pourraient encore bénéficier les prépensionnés actuels : « Pour les RCC (l’ancienne prépension), les emplois de fin de carrière et tous les autres régimes qui encouragent la sortie anticipée du marché du travail dans les secteurs privé et public, il n’y aura plus de nouveaux entrants à partir de la date de l’accord de gouvernement ».
Quelques précisions sont données sur la nature des diminutions des pensions des chômeurs et des personnes ayant bénéficié d’allocations qui sont envisagées : « A partir du 01.01.25, les périodes assimilées qui représentent plus de 20% de la carrière ne seront plus prises en compte pour le calcul de la pension des travailleurs salariés et indépendants, comme c’est déjà le cas aujourd’hui pour les fonctionnaires. Les périodes de maladie et de maternité seront exclues de cette mesure. Toutes les périodes de chômage, d’allocations de garantie de revenus, de RCC, de pseudo-prépensions et d’emplois de fin de carrière seront assimilées à un salaire fictif limité à compter de la date de l’accord de gouvernement. L’équivalence totale au dernier salaire gagné en cas de maladie de longue durée (avec indemnité AMI) est également partiellement réduite. Après un an de maladie de longue durée nous prévoyons également une équivalence à un salaire fictif limité. Ainsi, nous rendons le retour au travail après une maladie de longue durée plus attrayant pour la constitution de la pension. […] La condition de carrière pour accéder à la pension minimum est relevée progressivement à partir du 1er janvier 2025 afin d’atteindre 35 ans au plus tard en 2029. Il s’agit de 35 années de carrière avec au minimum pour chacune d’elle 156 jours de travail avec prestations de travail effectif ».
CPAS : une compensation insuffisante et conditionnée
Enfin, si les CPAS revendiquent une prise en charge fédérale à 95 % du Revenu d’intégration, pour compenser le renvoi vers ceux-ci (et donc une mise à charge des communes) d’une grande partie des chômeurs exclus, il faut constater que le texte des négociateurs de l’Arizona était très loin de faire droit à cette revendication. Le tableau budgétaire paru en août limitait la compensation prévue pour les CPAS à 200 millions : « L’impact de la limitation des allocations de chômage dans le temps sur un afflux supplémentaire de bénéficiaires du revenu d’intégration sera compensé pour les CPAS par une augmentation du financement du revenu d’intégration par le gouvernement fédéral. Cette augmentation du financement dépend de la conclusion d’un PIIS et des résultats liés au nombre de bénéficiaires du revenu d’intégration qui trouvent un travail ». On s’en doute, s’ils prévoient de détruire la couverture du risque de chômage de longue durée au sein de la Sécurité sociale fédérale, les négociateurs de l’Arizona n’organiseront pas une prise en charge fédérale intégrale de celle-ci à travers les CPAS.
L’essence du programme de la coalition Arizona en formation tient manifestement en quelques mots : « les riches plus riches, les pauvres plus pauvres ». Il s’agit de casser les solidarités, de diviser le pays, de s’en prendre aux « étrangers ». Cela passe par la casse de tout ce qui unifie, protège, organise des mécanismes de répartitions des richesses : services publics, organisations syndicales, droit du travail, pensions et… assurance chômage. Un véritable programme de dislocation sociale qui ouvrirait un boulevard à l’extrême droite, le tout sur un arrière-fond de négation des impératifs climatiques et écologiques.
- Par Arnaud Lismond-Mertes (CSCE)
(1) Isabelle Dykmans et alii, « Formation fédérale: voici ce qui était sur la table avant l’échec des négociations », L’Écho, 23 août 2024.