portrait de militante
Zoé Genot : « Ne lâchez rien ! »
Retour sur vingt-cinq ans de militance. La députée Ecolo bruxelloise quitte son siège et annonce ne pas se représenter aux élections en 2024. Elle retrace pour nous son parcours politique, et à travers lui une tranche de l’histoire récente de son parti et de la Belgique.

« Une forte en gueule que près de vingt années dans les hémicycles n’auront définitivement pas réussi à endormir » relevait le journal Le Soir en 2019 (1). Près de cinq ans plus tard, Zoé Genot annonce qu’en janvier 2024 elle rejoindra la direction de la Confédération des Employeurs du secteur Sportif et SocioCulturel (CESSOC), et qu’elle allait donc se « mettre en retrait de la vie politique ». Depuis 1999, communique-t-elle, « j’ai eu le privilège de vous représenter aux parlements fédéral et régional, de me battre à vos côtés pour plus de justice sociale (les droits des chômeurs, les conditions de travail des plus précaires), pour plus de droits pour les sans-papiers (quelle joie quand je rencontre un.e des 52.000 régularisé.e.s de 2000), d’avoir été la première politique francophone à porter l’ouverture de l’adoption aux couples de même sexe (oui, c’était un vote super émouvant…), d’avoir permis à toutes les citoyennes avec ou sans couvre-chef d’assister aux débats à la Chambre, d’avoir négocié l’interdiction des loyers abusifs… » Non sans évoquer « des moments très difficiles à soupeser les compromis obtenus, à pester sur des blocages, ou à essayer de nier des marées de trolls aux relents racistes ». Pour conclure sur une note qui se veut optimiste : « Je partirai plus forte de cette expérience de vie et contente de savoir qu’il y a une nouvelle génération engagée et déterminée dans la place. Ne lâchez rien ! » (2)
C’est une figure historique de « l’aile gauche » d’Ecolo qui fait ainsi un pas de côté. Son parcours de parlementaire a commencé en 1999, au niveau fédéral, au moment où les écologistes belges entrent pour la première fois au gouvernement, dans le cadre de la coalition « Arc-en-ciel » (associant libéraux, socialistes et écologistes) : « On n’y connaissait rien et on imaginait qu’on allait changer le monde », dit-elle. Suivront deux législatures, dans l’opposition, au niveau fédéral. Puis, à partir de 2014, encore deux législatures au niveau régional bruxellois, une dans l’opposition, l’autre dans la majorité. Si elle a passé pas mal d’années sur les bancs du parlement, Zoé Genot a toujours assumé le fait d’être et de rester une « militante », présente dans les manifestions, au risque éventuel de l’une ou l’autre arrestation administrative. « A l’époque de Herman De Croo, j’étais obligée de prévenir le président du Parlement quand j’étais en détention. Ce dernier appelait alors la police en disant : « Gardez-la, elle ne voudrait pas avoir l’impression de bénéficier d’un traitement de faveur » », relatait-elle au Soir. (3) Tout au long de ces années, le Collectif solidarité contre l’exclusion (CSCE) a de nombreuses fois eu l’occasion de collaborer avec elle. Notamment pour s’opposer aux chasses aux chômeurs ouvertes à partir de 2004. Ce qui a immédiatement donné lieu au dépôt d’une proposition de loi « anti-chasse aux chômeurs », qui avait été élaborée par la Plate-forme www.stopchasseauxchomeurs.be. (4) Ou encore pour tenter, dès 2007 et encore en 2010, de mettre à l’agenda politique le relèvement des allocations sociales au-dessus du seuil de risque de pauvreté, et la suppression du « statut cohabitant ». Ce qui avait également pris la forme du dépôt d’une proposition de loi, dont les principes avaient été proposés par le CSCE. (5)
Un quart de siècle de vie politique belge
Zoé Genot a donc toute sa place dans la galerie des « portraits de militant.e.s » que nous publions depuis 2014, en très bonne compagnie aux côtés des féministes Irène Kaufer et Hedwige Peemans-Poullet (6), de Louis Van Geyt (ancien président du Parti communiste belge) (7), de Bernadette Schaeck, animatrice de l’Association de Défense des Allocataires Sociaux (aDAS) (8), de l’enfant caché Jacques Bude (9), de l’ancien Secrétaire de notre association, Claude Adriaenssens (10) ou encore de Jean Peeters, curé et infatigable militant de la cause des SDF. (11) nec ullamcorper mattis, pulvinar dapibus leo.


Comme lors de nos autres « portraits de militant.e.s », nous avons essayé de lever le voile sur le parcours militant de Zoé Genot, le fil qui le relie, sa cohérence, ses péripéties et ses ruptures. Nous sommes en effet persuadés que les projets progressistes de transformation sociale ne peuvent prendre corps dans la réalité que si une série de personnes les endossent, s’engagent et se mettent en avant pour les porter. Mettre en lumière ces engagements et la façon dont ils s’insèrent dans un parcours de vie nous semble essentiel pour comprendre comment notre monde peut changer (en mieux) et pour transmettre le flambeau. L’interview que Zoé Genot nous a accordée est exceptionnelle à plusieurs titres. Évoquer ses vingt-cinq ans de parcours politique personnel, c’est en même temps dérouler le fil du dernier quart de siècle de vie politique de notre pays, et en particulier de celui de l’évolution d’Ecolo. Au détour de son récit, la député révèle à répétition la dureté du monde politique et des médias : de la banalisation du négationnisme du génocide des Arméniens à l’incapacité de faire entendre une voix différente lorsque le système médiatique s’emballe, ou encore à la triste prévalence du racisme et de l’islamophobie : « Chaque fois que je suis intervenue en télévision en faveur d’une régularisation des sans-papiers ou du droit d’asile, j’ai reçu plein de messages du type « J’espère qu’ils vous violeront ». Lorsque vous intervenez sur des sujets liés à l’islam, les réactions sont encore pires. »
Nous avons également profité de cette interview pour demander à Zoé Genot d’expliquer, à la fois ce qu’était l’engagement dans un parti politique comme Ecolo, et en quoi consistait, concrètement, le travail d’un.e parlementaire. Enfin, nous l’avons titillée sur une question qui hante Ecolo depuis sa création, à savoir son positionnement de classe, son rapport à « la gauche » et aux autres partis qui se disent de gauche. C’est-à-dire essentiellement par rapport au PS jusqu’il y a peu, mais aussi aujourd’hui, par rapport au PTB. Celle-ci concède qu’une réflexion sur les classes sociales qui paient et qui bénéficient de chaque décision « manque parfois un peu au sein d’Ecolo ». Quant à savoir si l’urgence climatique impose une rupture, une planification écologie de l’économie et la remise en cause de la propriété privée des grands moyens de production, elle n’en semble pas convaincue, préférant miser sur une économie de marché couplée à « des régulations très fortes ».
Ensemble ! : « Militant » : est-ce un terme qui convient pour qualifier votre engagement politique, y compris en tant que députée ?
Zoé Génot : Oui. Lorsque j’ai un échange avec un public scolaire, je dis souvent aux élèves qu’ils deviennent des « militants » dès qu’ils s’engagent pour obtenir quelque chose qui va au-delà de leur personne propre – par exemple un terrain de basket ou un meilleur traitement de la section professionnelle. Agir de façon isolée, ça ne permet pas vraiment d’être acteur de transformation sociale. Il y a donc toujours une dimension collective au militantisme, que ce soit à l’échelle d’un tout petit collectif ou d’un parti politique. Les outils sont différents si l’on est élève ou parlementaire, mais quand on essaie de faire bouger les choses collectivement, on est un.e militant.e.
Quel est le déclic qui vous a fait franchir le pas de l’engagement ? Est-ce une prédisposition familiale ?
Ça vient sans doute de loin. Lorsque j’étais enfant, j’ai été choquée par la situation des chiens de chasse du petit village où je vivais, en France, du côté de Dijon. Toute l’année, ces chiens étaient attachés près de leur niche dans les cours des maisons ; personne ne les promenait. Je me suis auto-déclarée « association d’aide aux chiens ». Je surveillais les moments où les gens partaient faire leurs « grandes courses » à la ville et, profitant de leur absence, je rentrais dans les cours pour emmener les chiens en promenade. Je vivais dans une famille assez politisée. Mon père, Français, était un menuisier-autodidacte-anarchiste, ma mère était Belge, infirmière, et bien à gauche… Ils n’étaient plus vraiment militants lorsque j’étais enfant, mais des livres et des récits militants de leur jeunesse circulaient à la maison. Mon père avait refusé d’aller se battre pour défendre l’ « Algérie française » et avait rencontré des anarchistes dans les cachots des réfractaires. En 1988, ce furent les « 20 ans de Mai 68 ». J’avais quatorze ans et j’ai commencé à lire tout ce que je trouvais sur 1968. C’est sans doute à ce moment-là que j’ai contracté le « virus du militantisme ». Je me disais : « Moi aussi, je veux faire bouger les choses, être sur les barricades » ! A seize ans, j’ai dû faire un travail de fin d’études secondaires. J’ai choisi comme sujet « Mai 68 ». Que s’était-il passé ? Qu’est-ce que ça avait changé dans la société ? Etc. J’avais déménagé à 11 ans en Belgique et entrepris mes études secondaires à l’Athénée de Dinant. Personne ne