portrait de militante

Zoé Genot : « Ne lâchez rien ! »

Retour sur vingt-cinq ans de militance. La députée Ecolo bruxelloise quitte son siège et annonce ne pas se représenter aux élections en 2024. Elle retrace pour nous son parcours politique, et à travers lui une tranche de l’histoire récente de son parti et de la Belgique.

« Une forte en gueule que près de vingt années dans les hémicycles n’auront définitivement pas réussi à endormir » relevait le journal Le Soir en 2019 (1). Près de cinq ans plus tard, Zoé Genot annonce qu’en janvier 2024 elle rejoindra la direction de la Confédération des Employeurs du secteur Sportif et SocioCulturel (CESSOC), et qu’elle allait donc se « mettre en retrait de la vie politique ». Depuis 1999, communique-t-elle, « j’ai eu le privilège de vous représenter aux parlements fédéral et régional, de me battre à vos côtés pour plus de justice sociale (les droits des chômeurs, les conditions de travail des plus précaires), pour plus de droits pour les sans-papiers (quelle joie quand je rencontre un.e des 52.000 régularisé.e.s de 2000), d’avoir été la première politique francophone à porter l’ouverture de l’adoption aux couples de même sexe (oui, c’était un vote super émouvant…), d’avoir permis à toutes les citoyennes avec ou sans couvre-chef d’assister aux débats à la Chambre, d’avoir négocié l’interdiction des loyers abusifs… » Non sans évoquer « des moments très difficiles à soupeser les compromis obtenus, à pester sur des blocages, ou à essayer de nier des marées de trolls aux relents racistes ». Pour conclure sur une note qui se veut optimiste : « Je partirai plus forte de cette expérience de vie et contente de savoir qu’il y a une nouvelle génération engagée et déterminée dans la place. Ne lâchez rien ! » (2)

C’est une figure historique de « l’aile gauche » d’Ecolo qui fait ainsi un pas de côté. Son parcours de parlementaire a commencé en 1999, au niveau fédéral, au moment où les écologistes belges entrent pour la première fois au gouvernement, dans le cadre de la coalition « Arc-en-ciel » (associant libéraux, socialistes et écologistes) : « On n’y connaissait rien et on imaginait qu’on allait changer le monde », dit-elle. Suivront deux législatures, dans l’opposition, au niveau fédéral. Puis, à partir de 2014, encore deux législatures au niveau régional bruxellois, une dans l’opposition, l’autre dans la majorité. Si elle a passé pas mal d’années sur les bancs du parlement, Zoé Genot a toujours assumé le fait d’être et de rester une « militante », présente dans les manifestions, au risque éventuel de l’une ou l’autre arrestation administrative. « A l’époque de Herman De Croo, j’étais obligée de prévenir le président du Parlement quand j’étais en détention. Ce dernier appelait alors la police en disant : « Gardez-la, elle ne voudrait pas avoir l’impression de bénéficier d’un traitement de faveur » », relatait-elle au Soir. (3) Tout au long de ces années, le Collectif solidarité contre l’exclusion (CSCE) a de nombreuses fois eu l’occasion de collaborer avec elle. Notamment pour s’opposer aux chasses aux chômeurs ouvertes à partir de 2004. Ce qui a immédiatement donné lieu au dépôt d’une proposition de loi « anti-chasse aux chômeurs », qui avait été élaborée par la Plate-forme www.stopchasseauxchomeurs.be. (4) Ou encore pour tenter, dès 2007 et encore en 2010, de mettre à l’agenda politique le relèvement des allocations sociales au-dessus du seuil de risque de pauvreté, et la suppression du « statut cohabitant ». Ce qui avait également pris la forme du dépôt d’une proposition de loi, dont les principes avaient été proposés par le CSCE. (5)

Un quart de siècle de vie politique belge

Zoé Genot a donc toute sa place dans la galerie des « portraits de militant.e.s » que nous publions depuis 2014, en très bonne compagnie aux côtés des féministes Irène Kaufer et Hedwige Peemans-Poullet (6), de Louis Van Geyt (ancien président du Parti communiste belge) (7), de Bernadette Schaeck, animatrice de l’Association de Défense des Allocataires Sociaux (aDAS) (8), de l’enfant caché Jacques Bude (9), de l’ancien Secrétaire de notre association, Claude Adriaenssens (10) ou encore de Jean Peeters, curé et infatigable militant de la cause des SDF. (11) nec ullamcorper mattis, pulvinar dapibus leo.

1997. Carte de membre. Zoé Genot « adhère aux objectifs généraux, à la stratégie politique et aux statuts d'ECOLO »
1997. Carte de membre. Zoé Genot « adhère aux objectifs généraux, à la stratégie politique et aux statuts d'ECOLO »

 Comme lors de nos autres « portraits de militant.e.s », nous avons essayé de lever le voile sur le parcours militant de Zoé Genot, le fil qui le relie, sa cohérence, ses péripéties et ses ruptures. Nous sommes en effet persuadés que les projets progressistes de transformation sociale ne peuvent prendre corps dans la réalité que si une série de personnes les endossent, s’engagent et se mettent en avant pour les porter. Mettre en lumière ces engagements et la façon dont ils s’insèrent dans un parcours de vie nous semble essentiel pour comprendre comment notre monde peut changer (en mieux) et pour transmettre le flambeau. L’interview que Zoé Genot nous a accordée est exceptionnelle à plusieurs titres. Évoquer ses vingt-cinq ans de parcours politique personnel, c’est en même temps dérouler le fil du dernier quart de siècle de vie politique de notre pays, et en particulier de celui de l’évolution d’Ecolo. Au détour de son récit, la député révèle à répétition la dureté du monde politique et des médias : de la banalisation du négationnisme du génocide des Arméniens à l’incapacité de faire entendre une voix différente lorsque le système médiatique s’emballe, ou encore à la triste prévalence du racisme et de l’islamophobie : « Chaque fois que je suis intervenue en télévision en faveur d’une régularisation des sans-papiers ou du droit d’asile, j’ai reçu plein de messages du type « J’espère qu’ils vous violeront ». Lorsque vous intervenez sur des sujets liés à l’islam, les réactions sont encore pires. »

Nous avons également profité de cette interview pour demander à Zoé Genot d’expliquer, à la fois ce qu’était l’engagement dans un parti politique comme Ecolo, et en quoi consistait, concrètement, le travail d’un.e parlementaire. Enfin, nous l’avons titillée sur une question qui hante Ecolo depuis sa création, à savoir son positionnement de classe, son rapport à « la gauche » et aux autres partis qui se disent de gauche. C’est-à-dire essentiellement par rapport au PS jusqu’il y a peu, mais aussi aujourd’hui, par rapport au PTB. Celle-ci concède qu’une réflexion sur les classes sociales qui paient et qui bénéficient de chaque décision « manque parfois un peu au sein d’Ecolo ». Quant à savoir si l’urgence climatique impose une rupture, une planification écologie de l’économie et la remise en cause de la propriété privée des grands moyens de production, elle n’en semble pas convaincue, préférant miser sur une économie de marché couplée à « des régulations très fortes ».

Ensemble ! : « Militant » : est-ce un terme qui convient pour qualifier votre engagement politique, y compris en tant que députée ?

Zoé Génot : Oui. Lorsque j’ai un échange avec un public scolaire, je dis souvent aux élèves qu’ils deviennent des « militants » dès qu’ils s’engagent pour obtenir quelque chose qui va au-delà de leur personne propre – par exemple un terrain de basket ou un meilleur traitement de la section professionnelle. Agir de façon isolée, ça ne permet pas vraiment d’être acteur de transformation sociale. Il y a donc toujours une dimension collective au militantisme, que ce soit à l’échelle d’un tout petit collectif ou d’un parti politique. Les outils sont différents si l’on est élève ou parlementaire, mais quand on essaie de faire bouger les choses collectivement, on est un.e militant.e.

Quel est le déclic qui vous a fait franchir le pas de l’engagement ? Est-ce une prédisposition familiale ?

Ça vient sans doute de loin. Lorsque j’étais enfant, j’ai été choquée par la situation des chiens de chasse du petit village où je vivais, en France, du côté de Dijon. Toute l’année, ces chiens étaient attachés près de leur niche dans les cours des maisons ; personne ne les promenait. Je me suis auto-déclarée « association d’aide aux chiens ». Je surveillais les moments où les gens partaient faire leurs « grandes courses » à la ville et, profitant de leur absence, je rentrais dans les cours pour emmener les chiens en promenade. Je vivais dans une famille assez politisée. Mon père, Français, était un menuisier-autodidacte-anarchiste, ma mère était Belge, infirmière, et bien à gauche… Ils n’étaient plus vraiment militants lorsque j’étais enfant, mais des livres et des récits militants de leur jeunesse circulaient à la maison. Mon père avait refusé d’aller se battre pour défendre l’ « Algérie française » et avait rencontré des anarchistes dans les cachots des réfractaires. En 1988, ce furent les « 20 ans de Mai 68 ». J’avais quatorze ans et j’ai commencé à lire tout ce que je trouvais sur 1968. C’est sans doute à ce moment-là que j’ai contracté le « virus du militantisme ». Je me disais : « Moi aussi, je veux faire bouger les choses, être sur les barricades » ! A seize ans, j’ai dû faire un travail de fin d’études secondaires. J’ai choisi comme sujet « Mai 68 ». Que s’était-il passé ? Qu’est-ce que ça avait changé dans la société ? Etc. J’avais déménagé à 11 ans en Belgique et entrepris mes études secondaires à l’Athénée de Dinant. Personne ne s’y intéressait, à Mai 68, personne ne lisait le journal : ce n’était pas un haut lieu de militance.

En 1991, je suis arrivée à l’ULB, avec un gigantesque espoir que tout allait changer. Je m’étais inscrite en Sciences économiques, dans l’idée un peu naïve qu’en comprenant l’économie je comprendrais le monde. Espoirs déçus. Il ne se passait rien de militant à l’ULB et en particulier dans ma section de Sciences économiques. Jusqu’au jour où, en 1994, la direction de l’ULB a voulu mettre en œuvre un plan d’économies drastique, ce qui a réveillé un mouvement étudiant. Il y a eu des conférences pour comprendre ce plan et d’où il venait, puis un rassemblement devant le Conseil d’Administration de l’Université, un envahissement de celui-ci, puis des grèves, des occupations… C’est à ce moment-là que je suis devenue une militante active. Par la suite, le mouvement s’est élargi à l’enseignement supérieur non universitaire, a soutenu le mouvement des enseignants du secondaire, eux aussi mobilisés contre des plans de coupes budgétaires. Ça devenait intéressant, on étudiait les raisons pour lesquelles ces plans d’économies étaient imposés, comment on pouvait faire rentrer de l’argent dans les caisses publiques, quels étaient les moyens d’action possibles pour faire valoir les revendications de refinancement et de démocratisation de l’enseignement : grèves, manifestations ou autres actions plus originales. Il y eut des moments de tension, c’est ainsi que je me suis retrouvée à entarter Philippe Henry, à l’époque où il négociait pour la Fédération des étudiant.e.s francophones (FEF), avec le ministre Lebrun, un décret de fusion des établissements d’enseignement non universitaire. Je me souviens également d’une des premières manifestations devant le tout nouveau centre fermé de Steenokerzeel. On y était allés car on ne croyait pas qu’il était possible qu’on mette des personnes derrière des grillages pour une question de titres de séjour… quel choc. C’est à cette époque que je me suis dit que c’était ce que j’avais envie de faire dans ma vie, ce que j’aimais faire et que je faisais bien. J’aimais aller vers les gens, leur parler, leur expliquer pourquoi les combats étaient importants, organiser, etc.

Comment en êtes-vous venue à vous engager dans un parti politique ?

A l’époque, on me disait que j’étais « marxiste », « trotskiste »… mais j’étais à mon aise dans le mouvement étudiant, et je ne sentais pas le besoin de m’affilier à un parti politique. Quand j’ai terminé mes études, j’ai cherché un boulot dans un secteur militant. J’ai commencé à travailler, vers 1996, à l’association « Le Monde selon les femmes », puis à la FGTB Bruxelles, en 1997. J’avais envie de continuer à militer sur les questions d’enseignement. Au cours de mes études, j’avais rencontré des militants du mouvement de jeunesse du PTB, qui organisait des activités intéressantes, comme « C’est du Belge », qui permettait d’avoir des échanges avec des délégués syndicaux, dont ceux des Forges de Clabecq.

« ECOLO s'est prononcé clairement pour une réduction généralisée du temps de travail : 32 h coulées dans une loi d'orientation, comme en France ; 32h dans un délai de 4 ans. Sans perte de revenu pour les bas et moyens salaires. Embauche compensatoire obligatoire (...) ».
« ECOLO s'est prononcé clairement pour une réduction généralisée du temps de travail : 32 h coulées dans une loi d'orientation, comme en France ; 32h dans un délai de 4 ans. Sans perte de revenu pour les bas et moyens salaires. Embauche compensatoire obligatoire (...) ».

Toutefois, comme je ne croyais ni à la dictature du prolétariat ni à l’économie planifiée, je ne me suis pas rapprochée du PTB. On m’avait dit qu’au Parti socialiste, il y avait des discussions intéressantes autour de Philippe Moureaux. En réalité, il s’agissait davantage de réunions de courtisans qui l’écoutaient parler que d’un lieu de discussions politiques pour faire bouger les choses. Ça ne m’a pas intéressée. Un jour, on m’a proposé de rejoindre la Commission Enseignement d’Ecolo, composée à parts égales de membres d’Ecolo et d’extérieurs. C’est comme ça que j’ai établi mes premiers contacts avec Ecolo. Je m’intéressais également aux questions de redistribution des revenus, et il y avait à Ecolo une Commission économie, également ouverte aux non-membres, qui travaillait sur la redistribution du temps de travail et sur les questions de fiscalité. Je m’y suis également inscrite. A l’époque, Ecolo s’intéressait beaucoup à l’idée d’une réduction du temps de travail. Deux thèses s’affrontaient au sein du parti. Les uns, dont Philippe Defeyt, défendaient une réduction du temps de travail sur base volontaire, moyennant indemnisation. Les autres, notamment dans l’entourage de Jacky Morael, défendaient une réduction généralisée du temps de travail à trente-deux heures avec indemnisation et engagements compensatoires. Le débat a été soumis à l’Assemblée générale d’Ecolo, afin de trancher la position du parti qui serait défendue et intégrée dans son programme électoral. La thèse de la réduction collective du temps de travail l’a emporté, et ça m’a décidé à devenir membre d’Ecolo : le parti me semblait suffisamment ancré à gauche. C’était pour moi une mesure phare qui permettait d’atteindre plusieurs objectifs : faire contribuer les entreprises grâce au maintien des salaires, combattre le chômage en créant des emplois, mieux répartir les tâches ménagères au sein des couples et permettre à des femmes travaillant à temps partiel d’accéder à un emploi à temps plein… J’avais également été séduite par le mode de prise de décision d’Ecolo, en Assemblée générale, au besoin après cinq à six heures de débat contradictoire, avec une multiplicité d’intervenants ayant des profils et des niveaux de langage très différents.

Cela m’a convaincue que je pourrais être utile dans ce parti, et que les militants pouvaient y faire entendre leur voix. J’ai franchi le pas et pris une carte de membre d’Ecolo, ce qui me donnait la possibilité de participer aux votes dans les assemblées. Je me suis investie au niveau régional, où on m’a très vite donné des responsabilités, notamment dans l’animation d’assemblées régionales. J’avais surtout envie qu’on participe aux manifs, qu’on initie nous-mêmes des actions, qu’on aille sur les marchés… et je suis devenue « Secrétaire régionale bruxelloise responsable des actions ». Peu à peu, les élections de 1999 approchaient. On a construit le programme, etc. Des féministes sont venues vers moi. A l’époque, on pouvait encore avoir deux personnes du même genre en tête de liste, et il y avait un duel interne entre Olivier Deleuze et Vincent Decroly pour la première place sur la liste à la Chambre à Bruxelles. On savait donc que les deux premières places leur seraient attribuées. Dans ce contexte, les féministes trouvaient que la place de premier.ère suppléant.e devait être occupée par une femme. J’étais jeune, engagée, laïque, et elles m’ont demandé de présenter ma candidature à cette première suppléance, en m’assurant de leur soutien. L’Assemblée générale a tout d’abord désigné Olivier Deleuze comme premier effectif et Vincent Decroly comme second. Treize personnes étaient candidates pour la première suppléance, dont moi. Après un premier tour de scrutin, on a gardé les trois candidats ayant fait le meilleur score, dont moi, et on a revoté. Puis on a gardé les deux candidats ayant fait le meilleur score, dont moi… Mais chacun a reçu 49 % des votes ! On a encore revoté : même résultat. Il a fallu attendre le quatrième ou le cinquième scrutin pour que je l’emporte par quelque chose comme 50,3 % des voix. C’est ainsi que j’ai été désignée pour être candidate à la place de première suppléante.

Après les élections, Ecolo est pour la première fois monté au gouvernement fédéral dans le cadre de la majorité Arc-en-ciel (VLD-SPa-Groen-MR-PS-Ecolo). Olivier Deleuze est devenu secrétaire d’État à l’Énergie. Étant première suppléante, je l’ai remplacé et, à mon grand étonnement, je suis devenue députée à la Chambre. J’avais tout juste 25 ans, ce n’était pas vraiment prévu… C’était un choc. On avait un grand groupe parlementaire vert. Onze députés Ecolo, neuf députés Groen (Agalev à l’époque). Quasiment que des nouveaux parlementaires. C’était la première participation gouvernementale de nos partis. A Bruxelles, outre Olivier Deleuze et Vincent Decroly, Marie-Thèrese Coenen avait été élue sur la liste des effectifs et, pour ma part, j’avais fait le quatrième score de la liste, ce qui me donnait une certaine légitimité. On n’y connaissait rien et on imaginait qu’on allait changer le monde.

« Nous avons créé une commission interne Ecolo nous prend homo, et nous avons été le premier parti francophone à participer à la Gay pride ».
« Nous avons créé une commission interne Ecolo nous prend homo, et nous avons été le premier parti francophone à participer à la Gay pride ».

Vous ne mentionnez pas l’aspect environnemental parmi les motivations initiales de votre engagement à Ecolo…

Quand j’ai commencé à m’engager à Ecolo, ce qui m’intéressait, ce n’était pas l’environnement, mais bien l’enseignement, sur lequel Ecolo était en pointe, ainsi que les questions socioéconomiques : la réduction collective du temps de travail, la qualité du travail, la fiscalité, l’impôt sur la fortune, la progressivité de l’impôt ou encore des questions sociales, comme la régularisation des sans-papiers… L’autre volet qui m’avait séduit, c’était le côté participatif : tout membre pouvait écrire une motion, un amendement au programme, et les faire soumettre au vote en Assemblée générale. Le fonctionnement était transparent, ouvert, et me donnait des possibilités d’intervention. Cela contrastait par rapport à d’autres partis où, à l’époque, les membres n’avaient pas grand-chose à dire. C’était l’idée de « faire de la politique autrement », avec des députés qui ne cumulent pas avec une fonction de bourgmestre, qui restituent au parti une bonne part de leur indemnité. C’est seulement plus tard, avec le temps, que j’ai développé ma sensibilité par rapport aux questions environnementales. La question climatique était beaucoup moins présente à l’époque. Les profils militants d’Ecolo étaient très diversifiés. Olivier Deleuze, qui venait de Greenpeace, était très en pointe sur les questions environnementales. Mais il y avait aussi des féministes, des personnes qui venaient du monde des ONG et de la Coopération au développement, des enseignants, d’anciens de la Fédération des étudiants francophones… A Bruxelles, fin des années 1990, l’encrage environnementaliste au sein d’Ecolo était faible. Il était sans doute plus développé en Wallonie, notamment à travers des combats locaux liés à l’aménagement du territoire.

Parlait-on déjà « d’écosocialisme » ou « d’écologie politique » ?

Pas du tout d’ « écosocialisme ». L’écologie politique, c’était justement un terme qui visait à signifier que les écolos portaient un projet global, pas uniquement centré sur l’environnement. A l’époque, Jacky Morael défendait l’idée que l’écologique politique s’appuyait sur trois piliers : l’environnemental, le social et la démocratie.

Au moment où vous avez été désignée candidate suppléante, est-ce que l’éventualité de la participation d’Ecolo au fédéral avait déjà été anticipée ?

Les élections ont eu lieu après des années marquées par les mouvements des étudiants et des enseignants, par les enlèvements d’enfants, la Marche blanche, la Commission Dutroux, les affaires Agusta-Dassault et, juste avant les élections, le scandale de la présence de dioxine dans la chaîne agro-alimentaire… Il y avait une perte de confiance dans les partis au pouvoir et une aspiration au changement forte, mais nous n’avions pas anticipé le raz-de-marée électoral des verts. Avant les élections, les socialistes et les libéraux s’étaient déjà entendus pour constituer ensemble le futur gouvernement fédéral si le résultat des élections le permettait. Vu notre victoire électorale, ils ont dû nous ouvrir les portes de la majorité. Groen était mathématiquement indispensable, mais pas Ecolo. Cela s’est fait avec une certaine impréparation de notre part. On ne mesurait pas, par exemple, le poids de chaque mot dans la négociation d’un accord de gouvernement, ni le fait que ce que l’on parviendrait à faire inscrire dans l’accord ne serait pas nécessairement réalisé. Le liant de cette majorité VLD-SPa-Groen-MR-PS-Ecolo, c’était notamment de mettre les sociaux-chrétiens dans l’opposition, ce qui n’était plus arrivé depuis des décennies et permettrait de réaliser des avancées sur des questions « éthiques » (euthanasie, suppression des discriminations vis-à-vis des homosexuels, …). Il y avait également d’autres éléments : la programmation de la sortie du nucléaire, une régularisation des sans-papiers, une réduction du temps de travail – malheureusement sur base volontaire -, une réforme facilitant l’accès à la nationalité belge, une réforme fiscale accentuant la progressivité de l’impôt et mettant à égalité les couples mariés ou non mariés, un réinvestissement dans les chemins de fer… La participation gouvernementale au fédéral a été ratifiée par une courte majorité de l’Assemblée générale Ecolo, après un débat houleux de plusieurs heures, où beaucoup jugeaient les acquis insuffisants, tant sur le plan socio-économique qu’environnemental.

A 25 ans, vous vous retrouvez députée Ecolo à la Chambre, dans un groupe qui fait partie de la majorité…

J’arrive à la Chambre seulement après le vote qui désigne Olivier Deleuze comme secrétaire d’État. Les matières ayant déjà globalement été réparties entre les députés du groupe, j’hérite de matières et de commissions dont personne n’a voulu (la Défense…) mais aussi des matières touchant à la Sécurité sociale, ce qui était davantage dans mes cordes. J’ai également demandé les matières qui touchaient aux discriminations vis-à-vis des homosexuels. C’était notre première participation gouvernementale. On a décidé d’être transparents vis-à-vis des citoyens : expliquer notre position de départ, ce qu’on avait pu obtenir au sein du gouvernement et ce qu’on avait dû lâcher. Les journalistes n’en croyaient pas leurs yeux. Des politiques qui disaient eux-mêmes qu’ils avaient perdu sur des points, ça ne s’était jamais vu !

1999. « J’étais, avec Charles Michel, la plus jeune de l’Assemblée. (...) Tout le monde croyait que j’étais une collaboratrice parlementaire. On me demandait d’aller chercher le café… ».
1999. « J’étais, avec Charles Michel, la plus jeune de l’Assemblée. (...) Tout le monde croyait que j’étais une collaboratrice parlementaire. On me demandait d’aller chercher le café… ».

 Ils ont commencé à faire des articles à répétition sur ce l’on avait admis avoir perdu. Les militants estimaient dès lors qu’on s’était « laissé avoir », convoquaient des Assemblées générales exceptionnelles pour en discuter… Il y avait une tension permanente et des cas de conscience à chaque moment. Est-ce que cette victoire-là vaut cette défaite-là ?

Tous les combats ont été très durs et longs à mener. La régularisation des sans-papiers, prévue dans la déclaration gouvernementale, est un grand acquis de cette législature. On a régularisé 30.000 familles, soit 52.000 personnes. Mais ça a pris un temps fou. Il a fallu se mettre d’accord sur la procédure, puis sur le traitement des dossiers, créer les Commissions de régularisation, etc. Chaque étape a été un combat. A chaque étape, pour chaque avancée, il y avait un prix à payer à la droite, qui voulait autre chose « en échange ». Tous les jeudis matins, nous avions une réunion de groupe des député.e.s Ecolo et Groen/Agalev avec nos ministres. C’étaient des discussions houleuses, où on s’engueulait. D’un côté, on voulait mettre la pression sur nos ministres, pour qu’ils obtiennent plus lors des négociations. De l’autre, on devait doser notre pression, pour qu’ils aient l’énergie nécessaire pour poursuivre leur mandat. Les jeudis midis, j’étais essorée pour deux jours. C’était très lourd. Prendre sa place à la Chambre comme jeune députée n’était pas évident. J’étais, avec Charles Michel, la plus jeune de l’Assemblée. Les gens me disaient « Bonjour, que fait votre père ? »… Sous-entendant ainsi que c’était grâce à mon père que j’étais là. Je leur répondais : « Il est au CPAS, pourquoi ? » et la discussion se calmait. Personne ne me demandait ce que faisait ma mère… Tout le monde croyait que j’étais une collaboratrice parlementaire. On me demandait d’aller chercher le café… La composition sociologique de la Chambre était alors très différente de ce qu’elle sera après 2003. A l’époque, on pouvait faire des listes électorales avec cinq hommes en tête de liste, et on avait encore environ 90 % de députés de sexe masculin. Les femmes députées étaient en majorité issues des groupes Ecolo et Groen. La majorité des parlementaires étaient des bourgmestres et des échevins, parfois issus de milieux populaires. Ils s’intéressaient généralement moins à la Chambre qu’à la vie de leur commune, dont ils traitaient les courriers en siégeant sur les bancs du Parlement. Au début, dans les matières sociales, j’ai essayé de discuter avec l’un ou l’autre au sein de ma Commission. Je me suis vite rendu compte qu’ils n’y connaissaient rien. Si je voulais avoir une discussion, je devais me tourner vers leurs collaborateurs qui préparaient leurs interventions et qui, eux, étaient souvent très intéressants, connaissaient leur matière et étaient ouverts à la discussion. Depuis cette époque, l’imposition de la présence de femmes aux places utiles sur les listes électorales, ainsi que la limitation du cumul de mandats local et parlementaire ont heureusement considérablement fait évoluer la composition sociologique de la Chambre.

Un des bons souvenirs de cette législature aura été le vote de la loi ouvrant le mariage aux homosexuels, adoptée au début 2003. Avant les élections de 1999, j’avais assisté, à l’occasion des « Etats généraux de l’écologie politique », à un débat intitulé « Homos : citoyens à part, citoyens à part entière ? » ainsi qu’à un atelier où une série de couples expliquaient notamment qu’ils avaient des enfants, soit adoptés en tant que personne seule, soit par procréation médicalement assistée, mais que la deuxième personne du couple n’avait aucun lien de filiation reconnu, et donc aucun droit vis-à-vis de l’enfant en cas de décès du partenaire. Ça m’avait choquée et je m’étais dit que j’allais essayer de suivre cette question. Suite à ce Forum, nous avons créé une commission interne « Ecolo nous prend homo », et nous avons été le premier parti francophone à participer à la Gay pride. A l’époque aucun parti francophone n’était prêt à ouvrir un droit à l’adoption pour les couples homosexuels. Nous avons organisé des conférences, des témoignages aux Rencontres écologiques d’été, etc. Nous avons fait passer une motion d’information au Parlement militant d’Ecolo, le Conseil de Fédération. Nous avons fait le tour de toutes les régionales d’Ecolo… Finalement nous avons soumis et fait voter au Parlement militant d’Ecolo une motion par laquelle le parti prenait position en faveur de la possibilité de l’adoption pour les couples homosexuels. Nous étions le premier parti francophone à le faire.

Au niveau du gouvernement Arc-en-ciel, dont nous étions membres, la déclaration gouvernementale évoquait seulement une politique d’égalité des chances et la fin des discriminations vis-à-vis des homosexuels ; pas le mariage des personnes de même sexe ni l’adoption. La question des discriminations avait été prise en main par la cheffe de cabinet de la ministre Magda Aelvoet (Groen/Agalev). Celle-ci avait établi une liste de toutes les discriminations dont ces couples étaient victimes (en matière fiscale, de droits à la Sécurité sociale, de la pension etc.), dont toutes renvoyaient au fait que les membres de ces couples ne pouvaient pas se marier. Vu que les partis sociaux-chrétiens étaient dans l’opposition, la loi sur le mariage homosexuel a pu être adoptée sous cette législature. Le MR de Louis Michel ayant toutefois bloqué sur le volet « filiation », c’est seulement sous la législature suivante que ce point pourra aboutir. C’est sur cette question de l’adoption que j’ai eu mon premier accès à l’antenne dans un débat télévisé animé par Pascal Vrebos. C’était horrible. Il n’y avait pas moyen d’expliquer quoi que ce soit, d’enchaîner deux arguments. Il me coupait en hurlant : « Vous êtes pour ou vous êtes contre ? » C’est ainsi que j’ai commencé à recevoir des lettres d’insultes, ou d’autres m’invitant à lire la Bible.

Sur le mariage homosexuel lui-même, la majorité avait laissé à ses parlementaires la possibilité de voter « en conscience », sans discipline de majorité. On ne savait donc pas de quel côté allait pencher le vote. Finalement, une majorité du VLD a voté pour, la majorité des MR ont voté contre, et la majorité des CD&V s’est abstenue. C’est comme ça que la proposition de loi autorisant le mariage de personnes de même sexe a été adoptée. Ça a été un moment extrêmement touchant. Je me souviens d’Irène Kaufer, qui était opposée au mariage en général qui, à ses yeux, était une institution patriarcale. Elle était néanmoins présente dans les tribunes au moment du vote, la larme à l’œil, et m’avait dit : « C’est quand même bien que j’aie le droit de ne pas me marier ».

J’ai également eu sous cette législature l’occasion de m’engager pour la défense des ayants droit des victimes juives et tziganes du génocide nazi. J’avais été interpellée sur ce sujet par David Susskind. La question était celle de la restitution aux familles de l’argent dormant sur des comptes en banque en déshérence de victimes juives. La majorité avait organisé cette restitution, mais les banques avaient été particulièrement peu « généreuses » par rapport au taux d’intérêt appliqué pour la restitution de ces sommes aux ayants droit. Elles avaient négocié ce taux avec Didier Reynders (MR), ministre des Finances. Il a fallu faire pression, au niveau gouvernemental, pour obtenir un taux plus correct et correspondant à la réalité. En travaillant sur cette question, je me suis rendue compte que l’indemnisation des victimes de guerre juives avait été déficiente pour beaucoup d’entre elles. Un régime d’indemnisation des victimes de la guerre existait pour les militaires, les résistants, et également pour les civils, telles les victimes d’un bombardement. Mais cette indemnisation avait été réservée aux personnes qui étaient titulaires de la nationalité belge avant la fin des années 1960. Or, pour les étrangers, la procédure de naturalisation était à l’époque compliquée et chère. Beaucoup de victimes juives rescapées n’ont obtenu cette nationalité que dans les années 1970 – 1980, lorsque c’est devenu moins onéreux et plus accessible. Certaines de ces personnes souffraient de problèmes de santé importants liés à la déportation et aux persécutions, mais elles n’avaient droit à rien. J’ai, avec d’autres, obtenu que la condition de nationalité soit levée. Je suis également intervenue pour que les dommages de type psychiatrique soient mieux indemnisés. Cela n’a abouti qu’en 2013.

Aux élections de 2003, qui se déroulent après sa participation au gouvernement Verhofstadt I, Ecolo enregistre une débâcle électorale. Vous êtes une des quatre députés d’Ecolo qui sauvent leur siège…

En 1999, il y avait onze députés Ecolo à la Chambre, et neuf élus Groen/Agalev. En 2003, il n’y a plus aucun député Groen/Agalev élu, et seulement quatre Ecolo. J’avais une nouvelle fois été première candidate suppléante, tandis que la liste des candidats effectifs était tirée par Olivier Deleuze et Marie Nagy.

Les socialistes et libéraux s’en sont bien sortis électoralement après le gouvernement Arc-en-ciel, au contraire d’Ecolo. Un gouvernement Verhofstadt II, regroupant exclusivement les socialistes et les libéraux, est mis en place après le scrutin. Ecolo a réalisé, en interne, une analyse de la législature précédente et des élections : le constat qu’il en a tiré est que le parti avait mal géré sa communication, et était apparu pour certains comme incapable d’assumer une participation gouvernementale. Une série de cadres du parti ont estimé qu’on ne pouvait plus continuer à travailler de cette façon, avec des Assemblées générales où on se dispute, où on remet en cause la gestion gouvernementale, et dont on retrouve la teneur des débats dans les médias. Jean-Michel Javaux a été désigné comme Secrétaire fédéral, avec pour mission de remettre Ecolo sur les rails, ce qu’il a réussi d’un point de vue électoral. Il y a eu une réforme du fonctionnement interne d’Ecolo, limitant les possibilités d’avoir des Assemblées générales, avec une volonté de mettre tout le monde derrière un discours plus commun. Le fonctionnement du parti est aujourd’hui beaucoup plus professionnalisé, moins participatif et vivace qu’il ne l’était avant.

C’est ainsi que, pour la participation au gouvernement bruxellois dans lequel Ecolo est monté en 2003, nos relations avec la presse ont été gérées comme celles des autres partis On a communiqué sur nos « victoires » obtenues au niveau du gouvernement, et non sur nos « défaites ». A la sortie des réunions de Conseil des ministres, les formations politiques ne communiquent que sur leurs acquis. Ça ne permet pas aux citoyens de comprendre les tensions et les enjeux, mais la transparence en la matière est un suicide politique. Je trouve que c’est problématique. Je rencontre régulièrement des personnes qui m’indiquent qu’elles votent pour un tel ou un tel, « parce qu’il est sympathique » et « soutient ceci ou cela »… Ces électeur.trice.s semblent ignorer qu’à l’intérieur des gouvernements, ce sont les partis de ces mêmes mandataires qui bloquent les avancées sur les positions qu’ils disent soutenir. Je n’ai pas de problème de principe avec le fait de faire des compromis, mais l’opacité des compromis gouvernementaux pose un problème pour la démocratie représentative. Les gens ne comprennent pas que les ministres d’un parti sortent d’un Conseil des ministres en souriant et en se disant « victorieux », alors que sur certains points, ce qui en est sorti est contraire au programme sur la base duquel ils se sont présentés.

Comment avez-vous été amenée à siéger en 2003 ?

Au moment où j’ai été désignée en tant que suppléante avant ces élections, je ne pensais pas être amenée à siéger comme députée effective. J’avais prévu de prendre quelques mois de congé après la législature 1999-2003, pour faire un grand voyage avant de reprendre mon travail à la FGTB Bruxelles. Après avoir appris ce projet de voyage, Olivier Deleuze est discrètement venu me trouver pour m’indiquer qu’il ne comptait pas siéger en tant qu’effectif après avoir été élu, étant candidat pour une fonction dans une agence de l’ONU. Pleine d’énergie, j’ai donc rempilé à la Chambre après les élections.

Vu la réduction du nombre de parlementaires Ecolo, les matières qui m’ont été attribuées sous cette législature étaient beaucoup plus vastes : Emploi, Sécurité sociale, Politique extérieure, Coopération au développement… Je ne pouvais suivre que les enjeux les plus importants. Passer en revue l’ordre du jour de quatre commissions, découvrir tous les textes et faire le suivi, ça représentait beaucoup de travail. Émotionnellement, c’était incomparablement moins éprouvant de faire un travail de députée dans l’opposition que dans la majorité, comme sous la législature précédente. Pour ce qui me concerne, cette législature a été marquée par le suivi de deux dossiers principaux : la chasse aux chômeurs initiée par Frank Vandenbroucke, le ministre de l’Emploi (SP.a), et la régularisation des sans-papiers.

2004. Proposition de loi anti-chasse aux chômeurs déposée par Zoé Genot. « L'auteur propose dès lors de prémunir le chômeur contre toute appréciation arbitraire par l'Onem de sa disponibilité sur le marché du travail ou de ses efforts de recherche d'emploi, notamment en donnant force de loi au principe selon lequel il ne peut y avoir de sanction si le chômeur n'a pas au préalable refusé un emploi de qualité ».
2004. Proposition de loi anti-chasse aux chômeurs déposée par Zoé Genot. « L'auteur propose dès lors de prémunir le chômeur contre toute appréciation arbitraire par l'Onem de sa disponibilité sur le marché du travail ou de ses efforts de recherche d'emploi, notamment en donnant force de loi au principe selon lequel il ne peut y avoir de sanction si le chômeur n'a pas au préalable refusé un emploi de qualité ».

 La déclaration gouvernementale évoquait la suppression de l’obligation faite aux chômeurs de se présenter deux fois par mois au « bureau de pointage » de leur commune, au bénéfice de la mise en place d’un « accompagnement individuel du chômeur » et de l’ « élaboration d’un parcours adapté pour décrocher un emploi (…) qui devra être scrupuleusement suivi si le chômeur souhaite conserver son droit à une allocation ».

Dès le départ, nous avons compris et dénoncé qu’il s’agissait en fait d’instaurer un système de contrôle, de sanctions et de chasse aux chômeurs. En face, le ministre déclarait que l’on se méprenait et qu’on mentait, que nous étions « contre l’accompagnement des chômeurs ». Il faudra environ un an et demi pour que le gouvernement admette que ce qu’il mettait en place, ce n’était pas une aide aux chômeurs, mais bien un système de contrôle et de sanctions renforcé. Lorsque nous distribuions des tracts pour dénoncer la mise en place de cette « chasse aux chômeurs » dans les dernières files de pointage, les personnes étaient apeurées, et surtout incrédules. Elles n’imaginaient pas qu’on pourrait sanctionner des chefs de famille, etc. Je me faisais apostropher par des députés socialistes qui me demandaient « d’arrêter de raconter n’importe quoi et de mentir », se plaignant d’être interpellés par des chômeurs inquiets dans leurs permanences sociales. Vandenbroucke, et puis Freya Van den Bossche (SP.a), qui lui avait succédé en tant que ministre de l’Emploi, ne cessaient de délivrer une vision lénifiante du système de contrôle mis en place. Jurant que celui-ci serait adapté « sur mesure » pour chaque chômeur, « orienté prioritairement vers l’aide », etc. La suite montrera malheureusement que ce que nous avions prévu et dénoncé était parfaitement exact.

Nous avons aussi énormément travaillé avec les collectifs de sans-papiers, mais aussi avec des avocates et avocats, pour porter la revendication d’une régularisation et d’une procédure d’asile qui respecte la protection des candidats réfugiés. Je me rappelle un long combat pour arriver à auditionner le patron du CGRA, l’instance qui gère les demandes d’asile, afin de le confronter au taux d’acceptation des Afghans qui était parmi les plus bas d’ Europe. Les raisons invoquées étaient un « manque de crédibilité des candidats ». Nous avons pu revenir sur le type de questions qui leur étaient posées dans le cadre de leur demande d’asile  : « Quel est le nom du gouverneur de telle province afghane ? » ou « Quel est le prix d’une chèvre ? » Grâce à des ONG actives sur le terrain, nous avons pu démontrer que les Afghans sur place ne savaient pas non plus répondre à ces questions. Ne pouvoir y répondre ne pouvait donc pas servir de base pour présumer qu’un candidat afghan à l’asile était un affabulateur. Les taux d’acceptation des demandes d’asile se sont un peu améliorés par la suite.

Je pense que c’est seulement à partir de ce deuxième mandat que j’ai pu devenir une « bonne » députée, qui parvient à s’imposer dans des débats. Il m’a fallu une première législature pour me construire une légitimité, des réseaux d’experts et de militants à l’extérieur du Parlement, dont je pouvais relayer les réalités et les problèmes auxquels ils étaient confrontés du fait de leur implication sociale.

En 2005, il y a le vote sur la ratification du Traité constitutionnel européen qui arrive à l’ordre du jour du Parlement. Cela a-t-il suscité un débat au sein d’Ecolo ? Comment vous êtes-vous positionnée ?

Oui, il y a eu un gros débat à ce sujet au sein d’Ecolo. Il a été organisé assez précocement, car la volonté était d’avoir un positionnement de parti avant le vote des députés européens, qui se produisait en amont des ratifications nationales. On a analysé le projet de traité, et deux pôles se sont rapidement dégagés. Un qui était favorable à la ratification, l’autre contre. Je menais le pôle des opposants. Des débats contradictoires ont été organisés dans les assemblées régionales d’Ecolo, où j’ai pu développer les raisons de voter non : les problèmes de démocratie que posait le traité, la question des alliances militaires, la menace sur les services publics, etc. Face à moi, j’avais Pierre Jonckheer, partisan du oui, qui était député européen depuis plusieurs années et avait donc une autre légitimité sur les questions européennes. La plupart des cadres d’Ecolo soutenaient le « oui », même Josy Dubié qui estimait que « l’Europe, c’est la fin des guerres ». Fin 2004, le vote au sein du Parlement militant Ecolo en faveur du « oui » l’a emporté, à un score de quelque 65 ou 70 %. Lorsque le débat a eu lieu à la Chambre, j’ai obtenu du parti l’autorisation de m’abstenir et d’expliquer mes réserves. C’est une des seules fois où je me suis exprimée à la tribune contre la position de mon parti, mais c’était un sujet important. Ce qui est dommage, c’est que notre débat interne se soit déroulé avant les débats publics qui ont eu lieu en France. Ceux-ci ont seulement pris de l’ampleur à partir janvier 2005, dans la perspective du référendum du 29 mai 2005, qui s’est conclu par rejet du projet de Traité constitutionnel par les Français.

Quand la ratification du projet de traité est revenue sur la table, sous la forme du Traité de Lisbonne, en 2013, il n’y a plus eu de débat en interne en Ecolo…

Non, il n’y a plus eu de grand débat.

En 2007, vous êtes candidate tête de liste Ecolo à la Chambre et vous réalisez un score personnel de 17.000 voix, ce qui, sans atteindre le niveau de Vincent Decroly, est appréciable sur une liste Ecolo à Bruxelles …

Oui, ça avait été une campagne électorale un peu compliquée, car j’étais déjà très avancée dans ma grossesse. Heureusement, toute une série de militants m’ont proposé leur aide durant la campagne, notamment pour mes déplacements. Ils ont ainsi pu voir les coulisses de la campagne. C’était un bon moment, même si les débats face à de vieux routards comme Reynders, Onkelinx et Milquet, qui étaient entourés de grosses équipes, n’étaient pas évidents. A la suite des élections, c’est une majorité regroupant des socialistes, des libéraux et des sociaux-chrétiens qui accéda au pouvoir. Ecolo est resté dans l’opposition au niveau fédéral. A cette époque, le parti poursuit sa reconstruction et Jean-Michel Javaux imprime sa marque, parfois avec des tensions entre les Wallons et les Bruxellois « plus gauchistes ».Il y a une volonté de lisser le discours pour ne pas « faire peur », et une évolution de la définition de l’écologie politique, qui n’est plus considérée comme une conjonction d’objectifs environnementaux, sociaux et démocratiques, mais plutôt comme une combinaison d’objectifs environnementaux, sociaux et économiques, la démocratie étant considérée comme une dimension transversale. C’est un tournant qui s’exprime là, avec l’introduction de « l’économie » dans cette définition, une volonté de ne pas opposer économie et environnement, de se positionner comme « bons gestionnaires », « crédibles »… A cette époque, par exemple, la réduction collective du temps de travail ou l’impôt sur la fortune ont été beaucoup moins mis en avant dans le programme Ecolo, ce qui me posait problème.

En 2008, la Belgique est confrontée à la crise bancaire…

C’était fou. Le Parlement, d’habitude soucieux des procédures, a voté en un tour de main une loi de pouvoirs spéciaux donnant au gouvernement des pouvoirs énormes pour « sauver nos banques ». Dès que l’on suggérait de glisser dans cette loi une balise par rapport à ces pleins pouvoirs, si minuscule soit-elle, on se faisait lyncher publiquement et médiatiquement. On était traités d’irresponsables face à un risque de ruine généralisée. Il était impossible de tenir le moindre discours rationnel. Face à l’état de panique qui a été proclamé, on a dû se coucher. Nous étions incapables de nous faire entendre. Par la suite, il y a eu une commission parlementaire d’enquête sur la crise bancaire qui a fait du bon boulot et émis des recommandations intéressantes. Parmi elles, scinder les banques en, d’une part, des banques de dépôt qui ne jouent pas en bourse et dans lesquelles les ménages déposent leur argent et, de l’autre, des banques d’affaire qui jouent en bourse. La garantie étatique des dépôts aurait été réservée aux premières, les détenteurs de capitaux qui veulent spéculer n’en bénéficiant pas. Malheureusement, ces recommandations ont été mises au placard et n’ont pas été suivies d’effet.

A cette époque, vous avez déposé, pour Ecolo, une proposition de loi qui visait à relever les minimas sociaux au niveau du seuil de pauvreté et à supprimer le statut cohabitant…

J’avais déjà eu l’occasion de collaborer avec le Collectif Solidarité contre l’Exclusion sur la question de la chasse aux chômeurs pendant la législature précédente. Il y avait eu un appui mutuel entre, d’une part, le travail que je pouvais réaliser à la Chambre, à travers mes questions et interpellations du ministre et, de l’autre, celui du Collectif à travers son travail de recueil de témoignages et d’analyse des données de l’ONEm. J’ai été interpellée par le Collectif au sujet du dépôt d’une proposition de loi proposant de relever progressivement les minimas sociaux au niveau du seuil de pauvreté et pour supprimer le statut cohabitant, et j’ai répondu favorablement.

2007, 13 juillet. Proposition de loi modifiant la loi du 26 mai 2002 concernant le droit à l'intégration sociale en vue de porter le niveau du revenu d'intégration au-dessus du seuil de pauvreté et d'aligner le montant octroyé aux cohabitants sur celui octroyé aux isolés déposée par Zoé Genot et consorts
2007, 13 juillet. Proposition de loi modifiant la loi du 26 mai 2002 concernant le droit à l'intégration sociale en vue de porter le niveau du revenu d'intégration au-dessus du seuil de pauvreté et d'aligner le montant octroyé aux cohabitants sur celui octroyé aux isolés déposée par Zoé Genot et consorts

Cela correspondait à ce qu’Ecolo avait défendu dans son programme et j’ai donc déposé cette proposition de loi. Ecolo était dans l’opposition, et ce fut déjà tout un combat de parvenir à faire mettre cette proposition de loi à l’ordre du jour de la Commission des Affaires sociales, alors présidée par Yvan Mayeur (PS). Celui-ci réunissait sa commission pour discuter des projets du gouvernement, pour organiser les séances de questions et de réponses, mais il essayait autant que possible d’éviter de la réunir pour discuter des propositions de loi, et en particulier des propositions émanant des bancs de l’opposition. Il a fallu plus d’une année rien que pour parvenir à faire inscrire cette proposition à l’ordre du jour. Chaque fois qu’une réunion était annulée, on écrivait pour demander de la maintenir en sorte de pouvoir examiner notre proposition. En réponse à des questions posées par le Collectif solidarité contre l’exclusion à des représentants de parti avant les élections de 2007, Yvan Mayeur et Joëlle Milquet (CdH) s’étaient positionnés publiquement en faveur de la suppression du statut cohabitant, tout comme Ecolo. Ils avaient également indiqué partager l’objectif de relever le niveau du Revenu d’intégration et les allocations sociales au-dessus du seuil de pauvreté. Lorsqu’il a enfin dû mettre la proposition à l’ordre du jour, Yvan Mayeur a usé d’une technique dilatoire en demandant un avis à la Cour des Comptes sur son coût, sans doute également dans l’idée de la discréditer. A leur grand désarroi, le chiffrage effectué par la Cour des Comptes montrait que cette proposition était applicable. Yvan Mayeur est alors sorti du bois et a ouvertement descendu la proposition, déclarant qu’elle était « démagogique » et n’était qu’un « tract électoral ». La proposition a donc été rejetée par la majorité. Mais l’idée a commencé à progresser. En 2020, le relèvement des allocations minimales au-dessus du seuil de pauvreté a été inscrit dans l’accord de gouvernement De Croo, auquel les écologistes participaient, et la revalorisation du Revenu d’intégration a considérablement progressé sous cette législature, même si nous n’y sommes pas encore. Quant à la suppression du statut cohabitant, le débat est largement ouvert aujourd’hui… et ceux qui la défendent se sont appuyés sur les évaluations de son coût réalisées à l’époque par la Cour des comptes. Il a fallu dix ans, mais la graine qui a été semée a bien grandi.

En 2010, le VLD « débranche la prise » du gouvernement fédéral et il y a des élections anticipées…

Olivier Deleuze revient en Belgique, prend la place en tête de liste, et le parti me désigne à la place de deuxième effective.

2013, 21 février. Manifestation du front commun syndical pour le maintien du pouvoir d’achat.
2013, 21 février. Manifestation du front commun syndical pour le maintien du pouvoir d’achat.

Vous récoltez 9.500 voix de préférence, ce qui représente un bon score pour une seconde place sur la liste d’Ecolo à Bruxelles.

Si j’ai pu peser au sein d’Ecolo, ça tient à deux choses. Au soutien des militants, d’une part. Par exemple, au sein d’Ecolo, si on veut faire plus de deux mandats dans une même fonction, il faut obtenir une autorisation par un vote spécifique, aux deux tiers, du parlement militant d’Ecolo. J’ai toujours été soutenue lors de ces votes lorsque j’ai demandé ces autorisations. D’autre part, j’ai bénéficié du soutien électoral de mouvements et de personnes extérieures au parti, qui votaient pour moi alors qu’ils n’étaient pas nécessairement des électeurs acquis pour Ecolo. C’est grâce à ces soutiens que j’ai pu être plus libre et plus forte en interne, et que j’ai pu défendre des voix dissidentes. J’avais une base, qui n’était pas les cadres du parti.

Plus globalement, en 2010, il y a eu un raz-de-marée électoral N-VA, et il faudra plus d’un an et demi pour qu’un gouvernement de plein exercice (PS, CD&V, MR, SP.a, VLD, cdH) se constitue, avec Elio Di Rupo comme Premier ministre. Quels dossiers vous ont marqué sous cette législature ?

Le premier dossier qui me revient à l’esprit, c’est le renforcement de la dégressivité du montant des allocations de chômage par le gouvernement Di Rupo. Là, il ne s’agissait plus de contrôler les « efforts de recherche d’emploi » des chômeurs, mais de diminuer leurs allocations même s’ils avaient satisfait au contrôle de leur « disponibilité active ». C’était une rupture ouverte par rapport à l’idée d’un non-recul en matière de droits sociaux.

2014. Proposition de résolution concernant le devoir de mémoire de l'Etat belge à l'égard de son passé colonial au Congo, au Rwanda et au Burundi, déposée par Zoé Genot et Eva Brems.
2014. Proposition de résolution concernant le devoir de mémoire de l'Etat belge à l'égard de son passé colonial au Congo, au Rwanda et au Burundi, déposée par Zoé Genot et Eva Brems.

 C’est également sous cette législature que j’ai commencé, suite à une interpellation en ce sens d’un collectif d’Afro-descendants, à m’intéresser au passé colonial belge. Il me semblait que l’on pouvait s’inspirer du travail similaire qui avait été réalisé, entre 2004 et 2013, sur l’établissement et la reconnaissance des responsabilités des autorités belges par rapport aux persécutions des Juifs en Belgique sous le régime nazi. Un travail de recherche historique avait été réalisé par le Centre d’étude Guerre et Société (CegeSoma), et le processus avait abouti à une reconnaissance officielle des responsabilités des autorités belges dans ces persécutions. En fin de législature, j’ai déposé une proposition de résolution sur le « devoir de mémoire de l’État belge à l’égard de son passé colonial » proposant que la Belgique reconnaisse de façon circonstanciée ses crimes coloniaux et présente ses excuses. Ça m’avait demandé un gros travail pour l’élaborer, en collaboration avec des associations d’Afro-descendants et d’experts en la matière. Cette proposition n’a pas été discutée à la Chambre sous cette législature, mais elle a posé les bases du travail parlementaire qui sera poursuivi, à l’initiative d’Ecolo, sous les législatures suivantes. Travail qui a fait bouger certaines lignes en la matière, mais n’a pas encore abouti à une véritable reconnaissance des crimes coloniaux belges.

Après la législature du gouvernement Di Rupo, vous choisissez de vous présenter sur les listes au niveau régional plutôt qu’au niveau fédéral. Pourquoi ?

Au niveau fédéral, les tensions avec Groen étaient de plus en plus importantes. Le paysage politique flamand avait tellement dérivé vers la droite, et la situation socio-économique était tellement différente, qu’il m’est arrivé de me sentir plus proche, sur certains dossiers, d’un député MR que d’un député SP.a, parfois plus à droite. Or l’accord dans le groupe commun Ecolo-Groen prévoit qu’un parlementaire Ecolo ne peut déposer une proposition de loi ou de résolution que si elle est cosignée par un parlementaire Groen, et vice-versa. Sous la législature 2010 – 2014, j’ai pu déposer une série de propositions de loi ou de résolution (par exemple sur la reconnaissance du passé colonial, ou sur l’asile, sur la régularisation des sans-papiers) grâce à la cosignature d’Eva Brems, députée Groen, mais également ancienne présidente d’Amnesty international et professeure de Droit à l’Université de Gand. Elle n’hésitait pas à cosigner les propositions de loi que je lui présentais après les avoir examinées elle-même sur la base des informations qu’elle collectait dans son propre réseau, sans trop s’inquiéter de savoir si Groen était vraiment enthousiaste pour les soutenir, ou même s’il était plutôt opposé à leur dépôt. Cette députée n’ayant pas prévu de rempiler, je savais que je ne pourrais plus m’appuyer sur elle à la Chambre sous la législature suivante. Je craignais que ça devienne très compliqué pour moi si je restais au fédéral. En outre, c’est vraiment épuisant de faire du bon travail de parlementaire à ce niveau de pouvoir. Après quinze ans, j’avais besoin d’un peu lever le pied. Par ailleurs, toute une série de matières qui m’intéressaient, tels le logement ou des leviers emploi, étaient transférées au régional. Je me disais également que je pourrais peut-être travailler sur l’enseignement au bénéfice des enfants les plus éloignés du monde de l’école : j’aurais adoré.

En 2014, vous vous présentez aux élections au niveau régional, en deuxième position sur la liste, et vous réalisez le meilleur score.

Ecolo est dans l’opposition sous cette législature au niveau régional. C’est ainsi que je suis devenue cheffe de groupe Ecolo au parlement bruxellois. Les scandales de Publifin/Tecteo et du Samu social nous ont toutefois permis, depuis l’opposition, de faire mettre à l’ordre du jour et d’obtenir des réformes en termes de bonne gouvernance : transparence des mandats, transparence des rémunérations, décumul, parité, code de déontologie, médiateur… Avant cela, par exemple, il n’y avait aucune obligation de publier les rémunérations privées des mandataires (qui exercent parfois, en parallèle, en tant que notaire, avocat, etc.) et la Cour des comptes ne publiait, à l’euro près, que les rémunérations issues des mandats publics. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Le principe du non-cumul des mandats exécutifs locaux (échevin, bourgmestre) et du mandat de député a également été approuvé. Il faudra néanmoins, suite à une procédure en conflit d’intérêt du parlement flamand, attendre la législature suivante pour que l’ordonnance soit adoptée, en vue de prendre effet aux élections de 2024.

L’introduction de tests de discrimination en matière de logement et d’accès à l’emploi, constituent un autre combat qui a été mené sous cette législature. Il y a des lois qui interdisent de choisir la personne que l’on engage ou à qui on loue un logement en fonction de sa nationalité ou de son « origine ethnique » présumée. La réalité vécue sur le terrain est toute autre. Pour combattre ces discriminations, il est donc important de les objectiver et de les faire condamner en justice. Un des moyens pour ce faire ? Que l’administration opère des tests de discrimination, c’est-à-dire qu’elle vérifie si des bailleurs ou des employeurs traitent des candidatures de façon discriminatoire. Par exemple, si un employeur ne répond qu’aux candidatures des « Daniel» et pas des « Mohamed »», alors que leurs CV sont identiques, cela établit qu’il discrimine. Nous avons déposé au Parlement bruxellois une proposition pour mettre sur pied ce type de tests anti-discrimination, d’abord en matière d’emploi. La réponse de Didier Gosuin (Défi), ministre de l’Emploi de l’époque, a été « Je voudrais bien, mais ce n’est pas possible légalement car la Région n’est pas compétente, comme me l’indique une étude ». Alors a commencé un combat pour faire inscrire notre proposition à l’ordre du jour de la commission compétente du parlement bruxellois, ce à quoi nous sommes finalement arrivés grâce au soutien de toute une série d’associations. Il nous est ensuite revenu que la majorité allait voter contre, après un minimum de débats. Avec les associations, nous avons réagi en mobilisant un maximum de personnes pour qu’elles écrivent aux députés de la majorité en leur demandant de soutenir le projet, ainsi que l’organisation d’auditions d’experts, que nous avons finalement obtenues. Notamment celles de deux constitutionnalistes, Marc Uyttendaele (ULB) et Marc Verdussen (UCL). Ceux-ci ont tous les deux indiqué devant le parlement que la Région était bien compétente pour organiser ces tests. Gosuin est venu assister aux auditions, a interrogé les constitutionnalistes, qui lui ont dit et répété qu’il n’y avait pas de problème de compétence. Le ministre a été correct. Cinq mois plus tard, il a déposé un projet d’ordonnance organisant ces tests anti-discrimination en matière d’embauche. Il y avait néanmoins un « verrou » qui avait été mis dans la loi, indiquant que les tests ne seraient pratiqués que « s’il y avait des indices sérieux de discrimination », ce qui réduisait considérablement les possibilités de l’appliquer. C’est seulement il y a peu, sous la législature actuelle, que ce verrou a été supprimé par la nouvelle majorité.

En 2015, c’est le 100è anniversaire de la commémoration du génocide des Arméniens, et c’est vous qui prenez l’initiative de demander au parlement bruxellois une minute de silence en hommage aux victimes, avant que le débat sur la reconnaissance du génocide par la Belgique n’aboutisse à la Chambre…

En tant que cheffe de Groupe Ecolo, j’avais pris contact avec Charles Picqué (PS), le président du parlement, pour lui demander d’organiser une minute de silence lors de la réunion plénière du parlement en mémoire des victimes du génocide arménien de 1915. Il avait marqué son accord, mais au moment convenu de la réunion, j’ai constaté que le président« oubliait » la minute de silence prévue. Je l’ai donc interpellé en pleine assemblée pour lui rappeler cette minute de silence. Au grand mécontentement de certains députés, que la reconnaissance du génocide des Arméniens et cette minute de silence mettaient apparemment mal à l’aise, et qui ont tenté d’empêcher cette dernière.

2016, 15 décembre. Métro : « Environ 150 militants se sont rassemblés ce jeudi matin à Bruxelles pour protester contre le «service communautaire» que les bénéficiaires des CPAS peuvent prester depuis le 1er novembre. Initiée par le Réseau wallon de lutte contre la pauvreté, l'action s'est tenue juste avant un événement du SPP Intégration sociale à l'occasion des 40 ans des CPAS. (...) Les militants, qui provenaient des milieux associatifs, syndicaux ou encore des CPAS, étaient allongés dans des sacs de couchage devant l'entrée du centre de congrès au Mont des Arts à Bruxelles, amenant les visiteurs à les enjamber pour passer».
2016, 15 décembre. Métro : « Environ 150 militants se sont rassemblés ce jeudi matin à Bruxelles pour protester contre le «service communautaire» que les bénéficiaires des CPAS peuvent prester depuis le 1er novembre. Initiée par le Réseau wallon de lutte contre la pauvreté, l'action s'est tenue juste avant un événement du SPP Intégration sociale à l'occasion des 40 ans des CPAS. (...) Les militants, qui provenaient des milieux associatifs, syndicaux ou encore des CPAS, étaient allongés dans des sacs de couchage devant l'entrée du centre de congrès au Mont des Arts à Bruxelles, amenant les visiteurs à les enjamber pour passer».

 Ne leur en déplaise, si l’on se dit démocrate, on ne peut avoir de complaisance par rapport au négationnisme, qui doit être vigoureusement combattu. Il y a finalement eu une minute de silence … mais « à la carte » ! En effet, Charles Picqué a pris l’initiative de reformuler la demande de minute de silence, en dédiant finalement celle-ci à la mémoire des victimes du génocide des Arméniens… « et/ou » des migrants qui venaient de mourir quelques jours plus tôt en Méditerranée. Une formule imposée, dit-il pour « permettre à chacun de réserver sa concentration et son émoi au sujet de son choix » ! Formulation problématique qui arrangeait certains et n’a trompé personne. Les victimes de ces deux tragédies méritaient un moment d’hommage spécifique et distinct, auquel tous les parlementaires démocrates se seraient associés sans être invités à « choisir » de se rallier à l’un ou à l’autre.

En 2018, vous « poussez » la liste à la Région, en 72 ème position…

J’avais d’abord pensé ne plus me représenter : j’avais déjà enchaîné pas mal de mandats parlementaires, et j’avais envie de faire d’autres choses. Cependant, après les élections communales (Lire ci-dessous), j’étais pleine d’énergie de « campagne », et la direction du parti a insisté pour que je sois présente sur la liste, au vu notamment de mon récent score électoral au niveau local…

« Saint-Josse a deux fois plus de recettes par habitant que Schaerbeek »

Vous vous êtes également investie au niveau local, à Saint-Josse… 

J’ai commencé à m’intéresser à la politique locale de Saint-Josse, où j’avais acheté une maison, aux alentours de 2004. A cette époque, j’ai fait la rencontre d’Ahmed Mouhssin, qui était né à Saint-Josse et connaissait très bien les problèmes des habitants de cette commune particulièrement petite, densément peuplée, pauvre, multiculturelle, jeune… A l’époque, sur une population de 28.000 personnes, il n’y avait que 6.000 électeurs. Ce nombre est passé à 12.000 électeurs après la simplification de la loi sur l’obtention de la nationalité. De mon côté, je connaissais mieux Ecolo. Nous avons donc très vite formé une bonne équipe au niveau local. Cette commune ayant été gouvernée sans discontinuer par une majorité socialiste depuis 1947, cela a eu certains points positifs, mais cela a aussi amené une série de travers importants. J’ai mené ma première véritable campagne électorale locale en 2006 en tant que tête de liste, puis j’ai remis ça en 2012 et en 2018.

La population de Saint-Josse est la plus pauvre de Belgique, mais la commune ne manque pas de moyens, grâce aux taxes sur les bureaux (notamment du quartier Nord) et sur les hôtels. Saint-Josse dispose de deux fois plus de recettes par habitant que Schaerbeek. On devrait donc pouvoir faire des choses extraordinaires, notamment pour les jeunes (écoles, maisons de jeunes, écoles de devoirs) ou en matière de qualité de vie et de gestion communale. Or, on n’y est pas vraiment. Tant pour ce qui concerne nos écoles que pour la mobilité. La commune est encore un égout à automobiles. 70 % des ménages de la commune ne disposent pas de voiture mais subissent les impacts liés au trafic de transit . En 2018, Ecolo a emporté 25 % des voix à Saint-Josse, et nous avons commencé à nous profiler comme une alternative possible.

Qui est Safa Akyol ?

A Saint-Josse nous avons dû mener nos campagnes dans un contexte très particulier et problématique : certains écrivaient par exemple sur des sites turcs que si j’étais élue, les « terroristes du PKK défileraient dans les rues de la Saint-Josse » , que je « détestais le peuple turc et la Turquie » ainsi que d’autres mensonges éhontés. Ceux-ci ont également été diffusés par des personnes peu recommandables dans des quartiers de Saint-Josse. Quant à Safa Akyol, il était jusqu’il y a quelques mois membre de la section locale du PS de Saint-Josse. En 2015, il s’est notamment distingué par un appel public en faveur du démantèlement des monuments mémoriels relatifs au génocide des Arméniens, érigés à Ixelles et dans d’autres communes. En 2017, sa désignation comme conseiller au CPAS à Saint-Josse a échoué, malgré le soutien du bourgmestre Emir Kir. En 2018, il a été élu au Conseil communal de Saint-Josse sur la Liste du Bourgmestre. Il a depuis peu quitté le PS et laisse désormais entendre qu’il devrait prochainement rejoindre le MR.

C’est à ce moment-là que vous vous faites lyncher médiatiquement pour un tract électoral…

Durant la campagne électorale, lorsque l’on va à la rencontre de la population des quartiers populaires sur les marchés, on se rend compte qu’il y a une attente d’informations par rapport à la position des partis sur le port du foulard, sur l’abattage rituel, etc. On se rend également compte que des mandataires du MR et du PS tiennent vis-à-vis des personnes concernées des discours favorables à l’abattage rituel ou au port du foulard… alors qu’eux-mêmes ou leur parti disent l’inverse dans les parlements. Certains vont plus loin, et indiquent aux personnes concernées qu’Ecolo est contre, que nous ne défendons pas les droits des musulmans mais seulement ceux des homosexuels, etc. Avec Ahmed Mouhssin, également candidat Ecolo sur la liste régionale et mon coéquipier à Saint-Josse, nous avons alors décidé de rédiger un petit tract, qui est en fait un copier-coller de la position des différents partis sur ces sujets telle qu’elle a été publiée, notamment dans La Libre. Le journal avait envoyé 60 questions aux présidents fédéraux des partis, et publié leurs réponses. Par exemple, Ecolo et le PTB indiquaient que c’était OK pour le port du foulard au guichet dans l’administration tandis que le PS, le MR et le cdH avaient répondu qu’ils y étaient opposés. Vu que ces informations publiées par La Libre n’étaient pas parvenues au public que nous rencontrions sur les marchés, nous avons pris l’initiative de reprendre textuellement ces informations, et de les distribuer aux personnes que nous rencontrions.

2019, mai. «  Avec Ahmed Mouhssin, également candidat Ecolo sur la liste régionale et mon coéquipier à Saint-Josse, nous avons alors décidé de rédiger un petit tract, qui est en fait un copier-coller de la position des différents partis sur ces sujets telle qu’elle a été publiée, notamment dans La Libre. »
2019, mai. «  Avec Ahmed Mouhssin, également candidat Ecolo sur la liste régionale et mon coéquipier à Saint-Josse, nous avons alors décidé de rédiger un petit tract, qui est en fait un copier-coller de la position des différents partis sur ces sujets telle qu’elle a été publiée, notamment dans La Libre. »

Aucun parti n’avait démenti la façon dont sa position avait été reprise par La Libre ?

Non, personne n’avait opposé de démenti. Mais dès que l’on a commencé à distribuer ce tract sur les marchés, la plupart des partis sont montés au créneau dans les médias pour accuser Ecolo de « communautarisme ». Très vite, la direction d’Ecolo elle-même a commencé à qualifier le tract de « communautariste » et a demandé son retrait. Je n’avais pas pensé à faire valider ce tract par la direction du parti, ni anticipé la récupération et l’exploitation médiatique qu’en ferait la droite pour polariser ce moment de la campagne autour du foulard et de la lutte contre un prétendu « communautarisme ». C’était une erreur stratégique. Ce qui a été pénible durant cette tempête médiatique, c’est d’avoir été publiquement désavouée et indûment traitée de « communautariste » par des responsables de mon parti, ce qui ouvrait un boulevard aux adversaires et rendait mon point de vue inaudible.

Qu’est-ce qui fondait l’accusation de « communautarisme » ?

Rien. Est-ce du « communautarisme » d’informer les personnes concernées sur la position des partis sur une série de questions qui les préoccupent ? Non. Ce qui est « communautariste » et problématique, c’est de tenir un double discours. Affirmer que l’on défend certaines choses lorsque l’on se trouve face à une certaine « communauté » et affirmer l’inverse lorsque l’on est face à un autre public ou au parlement : ça c’est du communautarisme et de la démagogie. Ce n’est pas mon cas, j’ai toujours tenu le même discours partout et pour tous. Pour le reste, en campagne électorale, lorsque vous rencontrez des jeunes, vous mettez en avant les sujets qui relèvent plus particulièrement des jeunes. Quand vous rencontrez des associations qui s’occupent du logement, vous évoquez les questions de logement, etc. Tout ça ne pose problème à personne, mais s’il s’agit de s’adresser à des musulmans et d’aborder avec eux des questions relatives à leurs droits ou qui les concernent en tant que tels, certains l’estampillent d’office « communautariste», le stigmatisent en tant que tel et lancent une campagne de dénigrement. C’est une façon de faire pression, pour disqualifier et empêcher les politiques de s’engager sur ces sujets. C’est insupportable.

La polémique préélectorale dans laquelle j’ai été prise, malheureuse à court terme et pesante pour Ecolo, a néanmoins eu pour effet d’obliger, à moyen terme, le monde politique à clarifier sa position sur des sujets comme le port du voile dans l’administration. Je pense que cela a contribué, par exemple, à faire évoluer la position du PS bruxellois dans un sens plus proche de la nôtre. Il est plus difficile aujourd’hui pour les mandataires politiques de tenir un double discours sur ces questions selon l’auditoire devant lequel ils s’expriment.

Cette façon de vous stigmatiser en tant que pseudo « communautariste » recyclait en fait des campagnes de calomnie déjà lancées sur ce thème plusieurs années auparavant par des personnalités d’extrême droite comme Alain Destexhe…

Oui. Tous les sujets qui touchent à la xénophobie donnent lieu à des réactions violentes. Chaque fois que je suis intervenue sur les plateaux télé en faveur d’une régularisation des sans-papier ou du droit d’asile, j’ai reçu en retour plein de messages du type « J’espère qu’ils vous violeront », « J’espère qu’ils vous lapideront ». Lorsque vous intervenez sur des sujets liés à l’islam, les réactions sont encore plus violentes. Cela réveille des peurs et donne lieu à des fronts d’opposition très larges, qui vont de certains laïques soucieux que les religions ne prennent pas trop de place dans la société jusqu’aux pires racistes assumés. Dès que vous défendez les droits des musulmans en tant que tels, vous vous trouvez aujourd’hui accusée de défendre des « terroristes ». Je pense néanmoins que c’est important de continuer à défendre le droit au travail des femmes qui portent le foulard. Idem, je m’oppose à l’interdiction de l’abattage rituel, à partir du moment où la plupart des personnes qui le réclament haut et fort ne demandent ni la fin de la chasse, ni de la castration des porcelets, ni d’autres mauvais traitements infligés aux animaux… Les personnes qui défendent sincèrement le bien-être animal, qui sont végétariennes, je trouve que c’est cohérent et très respectable qu’elles s’opposent aussi à l’abattage rituel sans étourdissement. Mais j’ai du mal avec les adeptes du steak de 500 grammes qui ne se passionnent pour le bien-être animal uniquement lorsque cela vise des musulmans qui souhaitent manger hallal. Ça relève de sentiments xénophobes, que certains politiques utilisent pour cliver la société et se faire une base électorale.

Est-ce qu’il n’y avait pas, concernant l’abattage rituel, une divergence de position entre les Ecolos en Wallonie et à Bruxelles, qui explique en partie les tensions internes suscitées par le tract ?

Entre Ecolo en Région wallonne, et Ecolo en Région bruxelloise, il y a sur ce sujet une différence de connaissances des réalités, de sensibilité et de priorisation.

Quel a été le devenir, sous cette législature, de la question de l’abattage rituel à Bruxelles, qui avait donc déchaîné les passions à la veille de l’élection ?

Cette question ne faisait pas partie de l’accord de la majorité PS-Ecolo-Défi-VLD-Groen-Vooruit qui s’est mise en place après les élections. A l’initiative de la droite ainsi que des partis néerlandophones, une proposition d’interdiction a été mise à l’ordre du jour du parlement bruxellois. La plupart des partis ont laissé une liberté de vote à leurs parlementaires et in fine la proposition d’interdiction a été rejetée par une majorité de voix. Malheureusement, le risque existe qu’à terme, l’abattoir d’Anderlecht ferme ses portes, pour des questions de spéculation immobilière. Vu que la Wallonie et la Flandre interdisent l’abattage sans étourdissement, cela conduirait les consommateurs de viande hallal à se tourner vers de la viande abattue à l’étranger, en Pologne ou ailleurs. Transporter à l’étranger des animaux élevés en Belgique pour les y abattre, et réimporter ensuite la viande en Belgique serait pourtant un non-sens écologique.

Malgré le clash préélectoral du tract, en 2018, vous avez fait le troisième score de la liste à partir de la 72è place…

Et j’ai donc été élue. La composition de notre groupe était un peu particulière. Sur les quinze Ecolos élus, treize n’avaient pas d’expérience parlementaire. Je me suis donc fixé pour tâche, pendant cette législature, en tant que parlementaire plus aguerrie, de soutenir mes collègues et d’assurer la transmission de l’expérience. J’ai également pu m’occuper de logement, un sujet qui me tient à cœur puisqu’il est, avec la mobilité, une des premières préoccupations des Bruxellois. Tant Ecolo que le PS ont fait du logement une priorité bien inscrite dans l’accord de majorité. Cela s’est notamment traduit par une augmentation de 8 % du budget Logement dès le budget de 2020. Nous avons également obtenu l’adoption d’une ordonnance d’interdiction des loyers abusifs. C’est un texte symboliquement important. Pour la première fois à Bruxelles, une loi impose aux propriétaires une régulation publique du prix des loyers, prévoit que les pouvoirs publics puissent fixer des normes en la matière et que les juges puissent revoir des loyers à la baisse. Il est toutefois clair que, pour obtenir ce texte, nous avons dû faire des concessions à Défi et au VLD. En outre, l’adoption des deux arrêtés d’application de cette ordonnance, nécessaires pour lui permettre d’être effective, est pour le moment bloquée par Défi au sein du gouvernement. Il est à craindre qu’il faudra que ce sujet soit à nouveau inscrit dans des compromis plus globaux entre les partenaires d’une majorité pour que ces arrêtés nécessaires soient enfin adoptés.

Cette législature est aussi celle du plan Good move, auquel certains imputent les problèmes de mobilité des Bruxellois qui utilisent une voiture…

Good move a été adopté sous la législature précédente, où Ecolo n’était pas au pouvoir. Il y a un gros problème de qualité de l’air en Région bruxelloise, en infraction grave par rapport aux normes de l’Union européenne. Il faut impérativement agir pour préserver la santé de la population. La pollution de l’air a des impacts lourds sur les pathologies respiratoires, cardiaques, etc. L’interdiction des anciennes voitures, plus polluantes, a été une mesure dure, mais elle a déjà permis des progrès. Il faut continuer. Par ailleurs, la population bruxelloise a augmenté, et si on veut que les bus avancent, que la population puisse utiliser des alternatives efficaces à la voiture, il faut diminuer le nombre d’automobiles. Il faut qu’il y ait une série d’endroits réservés au passage des transports en commun. On a augmenté le nombre de bus et de trams, mais s’ils sont englués dans le trafic, ça décourage les personnes de les utiliser. C’est un fait que le plan Good move a eu des ratés dans certains quartiers, des maladies de jeunesse, qu’il y a eu des erreurs : il faut pouvoir les reconnaître et les corriger. Toutefois, il me semble qu’il n’y a guère de doute sur le modèle d’avenir pour la mobilité en Région bruxelloise : elle doit s’orienter vers plus de transports en commun, plus de vélos, plus de marche à pied et moins de voitures.

Qu’est-ce que ça représente, le fait de passer du statut de simple citoyen.ne à celui de membre d’un parti ? Et de celui de membre à celui de mandataire ?

Je trouve que toutes les formes d’engagement et de militance sont super. Il n’est pas nécessaire d’être membre d’un parti pour faire bouger les choses. Le premier avantage de s’engager dans un parti est qu’une partie des décisions qui déterminent le devenir collectif sont prises dans des gouvernements qui sont issus des élections. Être membre d’un parti permet de peser sur ces décisions. Le second avantage est que la militance dans un parti permet d’intervenir sur un très large panel de thématiques, inscrites dans le cadre d’un projet de société global. Au niveau associatif ou syndical, les thématiques sont plus ciblées. En outre, dans un parti comme Ecolo, la militance peut et devrait être une militance critique. Ecolo est un parti relativement ouvert aux « emmerdeurs », c’est-à-dire, dans les meilleurs cas, aux personnes qui défendent un point de vue de façon argumentée et demandent au parti des comptes par rapport à son action ou à sa non-action. C’est ce qui fait vivre un parti. En tant que figure, parmi d’autres, de l’aile gauche d’Ecolo, je ne peux que souhaiter qu’il y ait au sein d’Ecolo un grand nombre de militants critiques et dynamiques pour faire avancer le parti.

Concrètement, comment devient-on membre d’un parti comme Ecolo ? Quels droits et quels devoirs cela ouvre-t-il ?

C’est assez simple, vous pouvez vous inscrire en ligne. Après quelques vérifications au niveau de votre section locale, par exemple pour s’assurer que vous n’êtes pas connu pour être membre d’un autre parti, vous allez être accepté, moyennant le paiement d’une cotisation de vingt-cinq euros ou d’une cotisation réduite pour les jeunes, les sans emploi, etc. A partir de là, ce sera à vous de décider si vous en restez là et restez un membre « passif » ou si vous souhaitez devenir un membre « actif ». Il y a plusieurs moyens d’être actif. Cela peut prendre la forme d’un investissement dans une commission thématique. Par exemple, dans la Commission économie qui va proposer le programme économique du parti. Vous pouvez vous engager dans une section locale, qui va influencer la politique communale. Vous pouvez vous engager au sein de l’Assemblée régionale ou du Parlement militant d’Ecolo, qui adopte les décisions stratégiques. Être membre, cela signifie pouvoir voter en interne sur le choix des candidats et sur leur place sur les listes électorales. Quand je rencontre des personnes qui veulent rentrer chez Ecolo, je leur conseille de partir à la découverte de ces différents modes d’implication possibles, et de s’investir dans ceux qui leur paraissent intéressants et où elles pensent pouvoir être utiles.

Où se décide quoi au sein d’Ecolo ?

2015, mars. Ecolo en Assemblée générale.
2015, mars. Ecolo en Assemblée générale.

Le lieu le plus central au niveau militant, c’est le Parlement militant d’Ecolo, qui se réunit tous les mois et est composé de représentants désignés par chaque assemblée régionale. Tous les membres peuvent cependant y assister. C’est là où, par exemple, on discute du programme global, on l’amende et on l’adopte. C’est aussi là que se décident les cadres statutaires et les règles générales pour la composition des listes : doivent-elles être paritaires ? etc. Il y a également l’Assemblée générale de tous les membres qui, par exemple, élit les coprésidents. Ceux-ci impriment notamment la ligne au niveau de la communication du parti et ont la main sur la gestion de la majorité des recrutements du personnel qui travaille pour le parti. Au niveau régional bruxellois, tous les membres peuvent voter à l’Assemblée régionale où sont adoptés, par exemple, le programme régional et la liste des candidats régionaux. Par ailleurs, un Bureau du parti se réunit chaque semaine avec les coprésident.e.s du parti, où l’on discute avec les mandataires de quelques dossiers d’actualité qui méritent débat, mais qui est ouvert aux membres. Il y a encore au sein d’Ecolo un petit centre d’études (le Centre Jacky Morael) et un centre de prospective (Etopia), qui organisent des formations, des conférences, etc. Au niveau du travail parlementaire, l’instance de décision, c’est la réunion des membres du groupe parlementaire. Les parlementaires sont toutefois très libres dans l’organisation de leur travail s’il s’inscrit dans la stratégie globale. J’en ai bien profité !

Être député, ça représente quoi ?

Le métier de député présente trois volets. Le premier volet, c’est la participation aux travaux du Parlement. Participer aux réunions, poser des questions aux ministres, élaborer des propositions de loi, prendre la parole, se concerter avec son groupe, voter, etc. Le deuxième volet est celui du développement de liens avec la société civile. C’est notamment des problèmes et des interpellations qui émergent en son sein que se nourrit le travail au sein de l’assemblée. C’est en interaction avec ce réseau de personnes que l’on peut se forger un avis sur les sujets par rapport auxquels on doit se positionner. Le troisième volet du métier, c’est l’implication au sein du parti. Si on veut peser politiquement, il faut avoir le soutien de son parti. On ne pèse que si les positions que l’on veut défendre bénéficient d’un soutien collectif. Le travail de parlementaire est un travail collectif. J’ai vu des députés quitter leur parti et siéger comme indépendants. Ils pouvaient poser les questions les plus intéressantes, ils n’avaient plus de poids et n’influençaient plus les débats, car ils ne représentaient plus qu’eux-mêmes. C’est après avoir arrêté une position commune en groupe que les députés peuvent avoir du poids. Être un bon député, ce n’est donc pas être un champion de l’assiduité aux séances du Parlement, ni écouter toutes les interventions qui s’y font. C’est travailler sur ses propres dossiers, réfléchir, construire des rapports de force, travailler avec d’autres, faire des alliances et faire avancer ce dont on est porteur. C’est en se déployant sur ces trois plans que l’on peut utiliser au mieux les outils des parlementaires tels que, par exemple, les questions que l’on peut poser aux ministres dans le cadre de la fonction de contrôle du gouvernement.

Les questions parlementaires peuvent servir à différents usages. L’un d’entre eux est de mettre la pression par rapport à un problème bien identifié. Par exemple, sous cette législature, la ministre du Logement avait promis que les allocations loyer seraient payées pour le mois de décembre. Fin janvier, ce n’était toujours pas le cas, et des familles précaires attendaient le versement de leur allocation. Poser une question parlementaire un peu sèche, c’est mettre la pression sur le ministre pour qu’il ou elle règle le problème. D’autres fois, il s’agit simplement de montrer au ministre, à travers une question « gentille », que l’on suit un dossier et que l’on souhaite que cela avance. Il y a aussi des questions d’ « hameçonnage ». Vous avez repéré un problème en rapport avec un sujet, mais vous ne l’avez pas encore bien identifié, vous n’en cernez pas précisément les contours ? Vous posez alors une question floue, pas vraiment intéressante ou aboutie, dans l’espoir que, dans sa réponse, le ministre vous donne des éléments permettant de mieux comprendre où se situe le problème. Il arrive aussi qu’une personne mieux informée, par exemple un fonctionnaire, lise cette question et vous recontacte pour vous signaler que votre question tape un peu à côté du problème réel, et vous indique où il se trouve précisément. Ce qui permet alors de faire un travail plus ciblé sur ce qui ne fonctionne pas bien, et d’interpeller le ministre de façon plus pertinente.

Un autre outil du travail parlementaire, c’est l’examen de tous les projets de loi portés par les ministres. Au fédéral, c’est un très gros travail. En Sécurité sociale, par exemple, il y a énormément de projets de loi qui sont produits par le gouvernement, dont parfois des « lois programme », qui regroupent un ensemble de dispositions législatives éparses au sein d’un véritable bottin. Il faut les analyser très rapidement, et faire le tri entre les simples mises en œuvre techniques et ce qui doit faire l’objet d’un débat. Il faut très vite repérer les 5 % de lois ou de dispositions problématiques, trouver des personnes qui connaissent finement le sujet, élaborer un positionnement politique, mobiliser autour de celui-ci, tenter d’obtenir des articles de presse, afin de mettre la pression sur la majorité et d’obtenir un peu de marge de manœuvre. Au plus tôt les acteurs sociaux interviennent dans le processus législatif, au plus ils peuvent influer sur celui-ci. Lorsqu’un projet de loi est déjà approuvé par le gouvernement et est déposé au Parlement, c’est souvent très difficile d’obtenir des modifications significatives. C’est au moment où les avant-projets de loi ne sont pas encore approuvés en première lecture par les cabinets ministériels de tous les partis de la majorité que la marge de manœuvre est la plus importante. Pour peser le plus efficacement sur les lois adoptées, il faut essayer d’avoir les textes des avant-projets de loi « tombés du camion » le plus tôt possible et se faire entendre précocement.

Un troisième outil du travail parlementaire, c’est le dépôt de propositions de législations que l’on a élaborées soi-même. Pour certaines d’entre elles, il n’y a pas de perspective immédiate de trouver une majorité pour les faire adopter. Vous les déposez avant tout pour faire avancer le débat sur ce sujet et pour vous positionner politiquement. Pour d’autres, vous pensez qu’il est possible de trouver une majorité pour les soutenir, et vous devez alors entreprendre un délicat travail de conviction et de négociation avec les partis que vous souhaitez rallier à cette proposition.

Comment se décident les questions et les propositions législatives qui peuvent être déposées ?

La première chose à faire est de vérifier si la direction dans laquelle on veut s’engager est bien la bonne, par rapport au programme sur lequel on s’est fait élire, par rapport au parti et par rapport aux acteurs qui connaissent bien le sujet. En général, si vous souhaitez élaborer une proposition législative, vous en parlez d’abord avec votre groupe parlementaire. Ensuite, après avoir obtenu son soutien, vous travaillez avec des experts, vous identifiez plus finement les différentes alternatives, vous faites des choix parmi celles-ci et vous commencez à rédiger un texte de proposition législative.

Et pour les questions parlementaires?

A Ecolo, les députés ont une grande liberté pour poser des questions parlementaires. Si un député veut poser une question, il le fait, éventuellement après avoir consulté son chef de groupe, à qui il est censé transmettre une copie de sa question si elle est délicate. Pour la plénière, seule une ou deux questions d’actualité sont possibles, il faut alors avoir une discussion au sein du groupe pour fixer les questions que l’on veut faire passer en priorité. Évidemment, si une question est très dure pour un ministre membre de la majorité, on s’expose à ce que le parti de ce ministre interpelle également les ministres de votre parti.

Dans le livre qu’il consacre à la majorité arc-en-ciel fédérale de 1999-2003, Vincent Decroly indique qu’Antoine Duquesne, ministre de l’Intérieur (MR), avait fait pression et obtenu que vous retiriez une question parlementaire que vous aviez déposée, et qui le gênait…

Aucun souvenir ! Ça date… C’était probablement sur des violences policières ou le fichage des manifestants : les deux sujets sur lesquels j’interrogeais Duquesne.

On devient riche en devenant député Ecolo ?

Riche ? Chez Ecolo, pour tous les mandats, une partie est rétrocédée au parti. Ça permet de financer collectivement (et proprement) les campagnes, les formations… Mais aussi d’avoir des mandataires dont les revenus ne les déconnectent pas complètement de la vie de la majorité de la population. Un de mes collègues, nouveau député Ecolo, m’a récemment dit qu’il gagnait la même chose que sa compagne universitaire et professeure dans le secondaire, avec quinze ans d’ancienneté. Cela revient donc à l’équivalent d’un bon salaire qui permet de faire face aux importants besoin de babysit et de manger sur le pouce à l’extérieur sans devoir trop compter.

De quoi vivre confortablement, mais sans s’inquiéter, ce qui est un luxe! Cela va de pair avec énormément d’heures de travail : vous n’en avez jamais fini, il y a toujours des personnes à rencontrer, des situations à améliorer !

Une des questions qui a traversé Ecolo et les mouvements écologistes ces vingt-cinq dernières années, c’est celle de leur appartenance – ou non – à la gauche, et du fait de privilégier ou exclure certaines alliances pour constituer des majorités. Ces questions ne paraissent pas vraiment tranchées. Le PTB, par exemple, impute à Ecolo le fait de détourner les classes populaires des combats écologiques en soutenant des mesures « punitives » qui leur font supporter le coût des solutions proposées plutôt que d’agir sur l’organisation même du système de production…

Sur la question des alliances, je pense qu’il faut distinguer le niveau local et les autres niveaux de pouvoir. Si Ecolo est en position de force au niveau local, si le PS local pose des questions de bonne gouvernance, ça ne me pose pas de problème a priori que des majorités soient constituées avec le MR local pour permettre une alternative. Au niveau régional ou fédéral, j’ai toujours plaidé pour qu’Ecolo choisisse de constituer de préférence des alliances progressistes, sans le MR. D’autres estiment que l’on doit rester ouvert aux négociations et que des majorités PS-MR ne sont pas nécessairement plus progressistes que des majorités Ecolo-MR. En 2002-2003, on a essayé d’engager une dynamique d’ « alliance de gauche » structurelle avec le PS. Nous avons très vite donné l’impression d’être les « petits frères » du PS, ce qui suscitait chez beaucoup d’électeurs l’idée de voter pour l’ « original » PS plutôt que pour sa « copie » Ecolo. Ça n’a pas fonctionné pour nous. Par contre, dans mon travail parlementaire, j’essaie si possible de constituer des alliances de base avec le PS plutôt qu’avec d’autres partis, quitte à élargir ces alliances par la suite. Aux niveaux régional et fédéral, le PTB ne souhaite manifestement pas prendre de responsabilités gouvernementales. A gauche, il ne reste donc que le Parti socialiste comme partenaire pour former des majorités. Je n’ai pas de problème à défendre l’idée d’alliances privilégiées avec celui-ci, mais à condition d’être un partenaire respecté, et pas à n’importe quel prix.

Quant au type d’écologie que l’on souhaite, pour une majorité de nos militants, les choses sont claires : nous souhaitons une écologie avant tout supportée financièrement par les personnes dont les épaules sont les plus larges… Je ne crois pas aux propositions marxistes, au sens de l’idée d’une économie planifiée où l’État décide de qui va produire quoi l’année prochaine. Par contre, une lecture marxiste, au sens d’une réflexion sur quelles sont les classes sociales qui paient et qui bénéficient de chaque décision, je pense que c’est bienvenu, nécessaire et que ça manque parfois un peu au sein d’Ecolo. Ceci dit, la boussole du PTB me semble parfois plus populiste que marxiste : ils ne veulent pas taxer les propriétaires immobiliers, ils ne veulent pas taxer les voitures… Vouloir taxer les multimilliardaires, on est d’accord, mais il faut admettre que ça ne peut être la réponse à tout.

Vous revenez à la charge contre l’idée de planification économique. Mais peut-on atteindre les objectifs environnementaux en laissant faire les acteurs économiques, sans leur imposer une planification ? N’est-ce pas au contraire un concept réhabilité par les crises environnementales ? Et quid de la propriété des grands moyens de production ? Pourquoi confier le nouveau parc éolien maritime belge au secteur privé, de surcroît en lui garantissant un taux de profit minimal ?

Je ne crois ni à l’économie planifiée, ni à la dictature du prolétariat et au parti unique. J’ai étudié l’économétrie, les modèles statistiques et mathématiques, et je ne vois pas comment un État pourrait concevoir un modèle pour savoir combien de petites culottes et de quelles couleurs, il faut mettre en production. L’étatisation totale des moyens de production ne me paraît pouvoir qu’aboutir à du gaspillage ou du rationnement, une certaine inertie. Le capitalisme et l’économie de marché ne sont déjà pas très efficaces pour éviter ces phénomènes ! J’ai toujours défendu l’économie de marché mais avec une régulation très forte, en utilisant tous les outils de régulation : contrôle des prix, normes environnementales et de qualité obligatoires,… Et bien sûr avec un système de taxation qui permet de redistribuer équitablement les profits. Avec un secteur étatique fort pour les secteurs stratégiques : eau, énergie, maîtrise du sol et de l’alimentation. Avec une action publique décisive dans les secteurs essentiels comme le marché du logement. Et avec la préservation des secteurs publics bien sûr : Sécurité sociale, santé, enseignement, culture, social, etc.

Le PTB affiche des ambitions de participation à des majorités communales en 2024. Ecolo semble avoir moins de tabous par rapport à des formations de majorité communale avec le MR qu’avec le PTB…

Quand vous voulez créer une alliance, former une majorité avec un partenaire, vous lui envoyez une série de signaux. Vous commencez à travailler avec lui sur des propositions. A ce jour, je ne vois pas beaucoup de communes où l’on sent cette tendance à l’œuvre du côté du PTB. Nous l’avons vécu nous-mêmes : pour rentrer dans des majorités, il faut créer des liens de confiance. Le niveau communal fonctionne beaucoup sur la base de relations interpersonnelles. Le PTB n’arrivera pas à ouvrir les portes des majorités locales sans cela, sauf s’il obtient des résultats électoraux qui lui permettent de les enfoncer et d’être incontournable. Ce sont deux modalités d’arrivée au pouvoir différentes.

Vous avez utilisé les termes d’ « aile gauche » au sein d’Ecolo. On n’aperçoit pourtant ni une structuration de cette aile gauche (groupe de réflexion, revue…) ni les personnalités qui se positionnent comme telles ? Quel parlementaire Ecolo est offensif sur la question des droits des chômeurs au fédéral depuis votre départ ?

Quand je suis arrivée à Ecolo, il y a vint-cinq ans, il y avait plus de « clans » autour de personnages un peu charismatiques. On a toutefois toujours refusé, moi y compris, d’institutionnaliser la reconnaissance de tendances. On est sans doute un peu traumatisés par l’exemple des Verts français, qui ont investi tellement d’énergie à s’opposer entre tendances que cela a nui à leur propre mouvement. Toutefois, entre députés de même sensibilité, on se parle, par exemple avant un Bureau politique. Je pense qu’il y a une série de député.e.s bien orienté.e.s à gauche qui sont monté.e.s au Parlement en 2019. J’espère qu’ils vont s’ancrer et s’affirmer encore plus dans les années qui viennent. Aurait-on dû se structurer au niveau de l’aile gauche ou faut-il rester dans l’informel ? C’est pour moi une question qui reste ouverte.

Est-ce que, dans votre parcours militant, il y a des rencontres ou des personnes qui vous ont particulièrement marquée ?

Oui, beaucoup. Je me souviens d’une dame qui, lors d’une visite d’un centre fermé, m’a glissé un papier sur lequel elle avait écrit « J’ai le Sida », en m’indiquant ses coordonnées. Elle avait eu un parcours migratoire particulièrement difficile. On a pu la recontacter et l’orienter pour obtenir un permis de séjour. Aujourd’hui, elle a son droit au séjour, elle a étudié et elle a un chouette travail. Par ailleurs, lorsque j’étais encore étudiante, j’ai eu l’occasion d’être invitée par la délégation syndicale FGTB de Caterpillar pour expliquer les combats du mouvement étudiant. J’ai été très impressionnée par ces hommes qui travaillaient à pause. Certains revenaient de l’usine, après leur nuit de travail, le samedi matin, pour participer à cette formation syndicale, afin d’être encore plus efficaces dans leurs luttes. Au cours des discussions que nous avons eues ce jour-là, ce sont surtout eux qui ont appris beaucoup de choses aux étudiants qu’ils rencontraient.

Ces vingt-cinq ans de parcours militant, ce ne sont pas que des rencontres. C’est un travail en commun avec toutes les personnes qui l’ont soutenu, étroitement ou de plus loin. Encore merci à elles. Cet engagement a également été soutenu, à sa manière, par ma fille. J’espère qu’en grandissant elle comprendra mieux le sens de ces soirées passées à faire ses devoirs dans le coin d’une réunion, de ces interminables discussions sur des trottoirs ou de ces manifestations que j’avais du mal à quitter pour le chocolat chaud promis.

Vous avez annoncé que vous ne vous ne vous représenterez pas aux élections en 2024. Vous comptez reprendre le projet d’association d’aide aux chiens (sourire) ?

Non, maintenant je me contente de mon chat (sourire)! J’ai adoré ce dernier mandat parlementaire : l’équipe, les rencontres, l’élaboration de stratégies, les avancées ! Mais j’avais envie de nouveaux défis. Après vingt-quatre ans comme élue dans les parlements, avec une image de passionaria et une couleur Écolo clignotante, mon profil pouvait intimider certains. Néanmoins, la confédération des employeurs du secteur sportif et socioculturel m’a choisie pour prendre le relais de son directeur historique, Pierre Malaise. La CESSOC représente les employeurs de l’associatif à la commission paritaire 329. Porter « les valeurs pluralistes de la Confédération », représenter les employeurs de secteurs très divers, mais tous au service de l’intérêt général, en mobilisant mes compétences d’écoute, de négociation et d’élaboration d’accords me paraît une super chouette façon de continuer mes engagements !

(1) Arthur Sente, Le Soir, 16.05.19

(2) Zoé Genot, Facebook, 9.10.23

(3) Arthur Sente, ibid.

(4) Proposition de loi : « Pas d’emploi, pas de sanction », Journal du Collectif n°44, mai/juin 2004 ; Yves Martens, Réactions des partis à notre proposition de loi, Journal du Collectif n°44, mai/juin 2004 ; Proposition de loi modifiant l’arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs en vue de prémunir le chômeur contre une sanction arbitraire, déposée par Mme Zoé Genot, 26.07.04, (Doc 51K1304).

(5) Arnaud Lismond, Campagne CPAS : premières réponses des partis politiques, Journal du Collectif n° 57, janvier / février 2007 ; Jean-Marie Coen, Une proposition de loi pour relever le RIS au-dessus du seuil de pauvreté !, Journal du Collectif n° 60-61, novembre 2007 / mars 2008 ; Ce qu’en pensent les partis politiques (juin 2007), Journal du Collectif n° 62 – avril / juillet 2008 ;
Proposition de loi visant à relever certains minima sociaux et à individualiser les droits sociaux.
déposée le 07.10.10 par Zoé, Genot Wouter, De Vriendt (Ecolo-Groen!) et cst (Doc 53K0319)

(6) Hedwige Peemans-Poullet : « Je ne suis pas née féministe, je le suis devenue », Ensemble! n° 103, octobre 2020 ; Irène Kaufer, Juste une femme… minoritaire, Ensemble! n° 100, septembre 2019.

(7) Louis Van Geyt : 70 ans de militantisme, Ensemble! n° 82, mars 2014.

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