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Assurance chômage : bilan de vingt ans de démolition

En octobre dernier, la FGTB wallonne publiait une étude sur les conséquences de deux décennies de mise à sac de l’assurance chômage. Retour sur ses principaux enseignements.

Vingt ans de démolition… C’est en effet de 2004 que date le début de la précarisation de l’assurance chômage : l’instauration des contrôles de disponibilité active. Les syndicats, des associations et collectifs – parmi lesquels celui qui édite ce journal – tentent de s’y opposer. Mais rien n’y fait : la machine à exclure est lancée.

Des armes de destruction massive

Huit ans plus tard, en 2012, le gouvernement lance une nouvelle vague de restrictions et suppressions de droits. Depuis, la machine à exclure semble s’emballer : dégressivité accrue des allocations de chômage, limitation dans le temps des allocations d’insertion, restrictions d’accès au chômage temporaire, au régime de chômage avec complément d’entreprise (RCC, ex-prépensions) et aux allocations d’insertion, suppression de compléments et dérogations divers.e.s, renforcement des contrôles et sanctions, etc. Ce long travail de démolition de l’assurance chômage, méthodique et acharné, n’a évidemment pas été sans conséquences. Les effets combinés de ces différentes mesures ont en effet entraîné de profonds bouleversements : baisse drastique du nombre de demandeuses et demandeurs d’emploi indemnisé.e.s par l’ONEm, hausse du nombre de celles et ceux qui ne le sont pas et explosion du nombre de bénéficiaires du revenu d’intégration (RI).

De quoi parle-t-on ?

Le chômage fait actuellement l’objet de toutes les attentions politiques et médiatiques… mais aussi d’amalgames, chiffres tronqués, contre-vérités et vrais mensonges. Pas une semaine sans une sortie patronale ou libérale sur ces chômeuses et chômeurs « incapables de se lever le matin », « trop bien payés » ou encore « en training toute la journée devant Netflix »… Différentes études et statistiques démentent pourtant ces préjugés. (1) On notera ainsi que chômage ne rime pas nécessairement avec inactivité : on peut en effet très bien travailler fréquemment sous contrats courts et précaires et être toujours considéré comme « chômeur de longue durée ». (Lire l’encadré) De même, on s’étonne d’entendre parler d’allocations trop élevées quand on sait que l’allocation moyenne est inférieure au seuil de pauvreté, et que la situation ne fait qu’empirer. (Lire le tableau Taux de l’allocation moyenne.)

Loin des contre-vérités libérales, il s’agit de bien définir les différentes catégories dont il est question :
* les personnes inscrites comme demandeuses d’emploi et indemnisées par l’ONEm ;
* les jeunes en stage d’insertion, n’ayant pas encore rempli les conditions d’admissibilité aux allocations d’insertion ou de chômage (durée d’inscription au FOREM ou de travail insuffisante, conditions d’âge ou de diplôme…) ;
* les personnes inscrites obligatoirement, principalement celles bénéficiant du revenu d’intégration (CPAS) ;
* les personnes inscrites librement : toute autre personne demandeuse d’emploi inscrite au service régional de l’emploi et non indemnisée par l’ONEm.

Tableau 5: Une limitation à deux ans des allocations de chômage entraînerait une hausse de 62 % du nombre de bénéficiaires du RI !
Tableau 5: Une limitation à deux ans des allocations de chômage entraînerait une hausse de 62 % du nombre de bénéficiaires du RI !

Au chômage… mais pas indemnisé

Au niveau wallon, seules 60 % des personnes inscrites au FOREM sont indemnisées par l’ONEm. La ventilation est relativement similaire en Flandre et en Ostbelgien mais légèrement différente à Bruxelles où 71% des demandeuses et demandeurs d’emploi sont indemnisé.e.s. Cette proportion est loin de rester stable dans le temps : elle ne fait que diminuer ! Au niveau wallon, le nombre de personnes indemnisées a chuté de 38% depuis 2014 tandis que celui de personnes non indemnisées a augmenté de 49 %. Au final, le ratio demandeurs d’emploi indemnisés vs non indemnisés est ainsi passé de presque 80% – 20% à 60% – 40% aujourd’hui. (Lire le tableau Évolution 2014-2022 et le graphique Wallonie évolution.) Si la tendance actuelle se poursuit, il y aura, d’ici 2026, plus de chômeuses et chômeurs wallons non indemnisés qu’indemnisés.

Tableau 2 : Seules 60 % des personnes inscrites au FOREM sont indemnisées par l’ONEm. Graphique 2 : En 2026, ce ne serait plus une personne sans emploi sur cinq qui serait privée d’allocations mais près de quatre sur cinq !
Tableau 2 : Seules 60 % des personnes inscrites au FOREM sont indemnisées par l’ONEm. Graphique 2 : En 2026, ce ne serait plus une personne sans emploi sur cinq qui serait privée d’allocations mais près de quatre sur cinq !

Focus sur le chômage dit « de très longue durée »

Selon la méthodologie de l’ONEm, une « longue durée » de chômage commence à partir de la seconde année d’indemnisation, dès le treizième mois de chômage donc… Mais, dans le monde politique et les médias, on parle plus souvent de « longue durée » (ou de « très longue durée ») après deux années de chômage. C’est à partir de ce vingt-cinquième mois de chômage aussi que la dégressivité frappe le plus et le plus fort : certains chômeurs tombent déjà au forfait à ce moment (et même parfois avant, dès le dix-septième mois pour celles et ceux qui n’ont qu’un an de passé professionnel).

Cependant, être considéré comme chômeur de « (très) longue durée » ne signifie pas pour autant être inactif. En effet, pour ne plus être considéré comme « chômeuse ou chômeur de longue durée » – et plus indemnisé comme tel –, il faut travailler trois mois de manière ininterrompue. Une durée de plus en plus difficile à atteindre dans un marché de l’emploi qui se précarise et voit se généraliser l’intérim et les contrats courts. Des personnes peuvent donc très bien enchaîner les contrats à durée déterminée et missions d’intérim tout en restant, au sens de la définition utilisée par l’ONEm, au chômage de (très) longue durée.

De nouvelles menaces en vue

Malgré l’inefficacité avérée des mesures d’exclusion et l’obsolescence des règles d’indemnisation de l’ONEm, plusieurs partis préconisent la limitation à deux ans de la durée d’indemnisation chômage, et entendent même en faire un élément central des négociations de gouvernement. (2) Une telle mesure aurait d’importantes répercussions à la baisse sur le nombre de chômeuses et chômeurs indemnisé.e.s : 66.459 des 123.665 demandeuses et demandeurs d’emploi wallon.ne.s indemnisé.e.s (54 %) sont en effet catégorisé.e.s comme « de très longue durée ». En « excluant virtuellement » ces personnes des statistiques du chômage indemnisé, on arrive à un renversement complet du ratio de 2014 : ce ne serait plus une personne sans emploi sur cinq qui serait privée d’allocations mais quasiment quatre sur cinq ! (Lire le tableau Projections 2026 et le graphique projection.)

Tableau 3 : Une limitation à deux ans de la durée d’indemnisation du chômage provoquerait un renversement complet du ratio de 2014. Graphique 3 : Les chiffres du nombre de bénéficiaires du RI sont en hausse constante, à l’exception d’une légère baisse lors de la sortie de la période Covid.
Tableau 3 : Une limitation à deux ans de la durée d’indemnisation du chômage provoquerait un renversement complet du ratio de 2014. Graphique 3 : Les chiffres du nombre de bénéficiaires du RI sont en hausse constante, à l’exception d’une légère baisse lors de la sortie de la période Covid.

Des CPAS sous tension

On le sait, les effets cumulés des nombreuses mesures d’exclusion et de refus d’accès aux allocations de chômage ou d’insertion ont entraîné une explosion du nombre de bénéficiaires du revenu d’intégration (RI), ce qui a eu de graves et lourdes répercussions sur le plan social, ainsi que sur les finances des communes et CPAS. La situation devient tellement préoccupante qu’il ne se passe pas un mois sans que les CPAS wallons, bruxellois ou encore le Réseau wallon de lutte contre la pauvreté ne tirent la sonnette d’alarme. Les chiffres de l’évolution du nombre de bénéficiaires du RI sont en effet alarmants : en hausse constante, à l’exception d’une légère baisse lors de la sortie de la période Covid, qui avait été marquée par un afflux accru de demandes aux CPAS. (Lire le tableau et le graphique RI Wallonie.)

Tableau 1 Comment peut-on parler d’allocations trop élevées alors que l’allocation moyenne est inférieure au seuil de pauvreté, et que la situation empire ? Graphique 1 Le nombre de demandeurs d’emploi wallons a baissé de 19 % depuis 2014 mais le nombre de personnes indemnisées a lui chuté de 38% tandis que celui de personnes non indemnisées a augmenté de 49 % !
Tableau 1 Comment peut-on parler d’allocations trop élevées alors que l’allocation moyenne est inférieure au seuil de pauvreté, et que la situation empire ? Graphique 1 Le nombre de demandeurs d’emploi wallons a baissé de 19 % depuis 2014 mais le nombre de personnes indemnisées a lui chuté de 38% tandis que celui de personnes non indemnisées a augmenté de 49 % !

Et demain ?

La FGTB wallonne a également analysé les retombées d’une éventuelle limitation dans le temps des allocations sur le recours probable à l’aide du CPAS. Pour ce faire, elle a comptabilisé le nombre de demandeurs et demandeuses d’emploi dits « de très longue durée » qui vivent seuls ou ont charge de ménage, et qui, dans leur immense majorité, devraient se tourner vers les CPAS. Ces personnes seraient aujourd’hui au nombre de 43.903 en Wallonie. En les reportant sur le nombre actuel de bénéficiaires du revenu d’intégration, on a un aperçu de l’augmentation prévisible de celui-ci. (Lire le tableau et le graphique RI Wallonie Demain ?.)

Tableau 4 : L’explosion du nombre de bénéficiaires du revenu d’intégration pèse sur les finances des communes et CPAS. Graphique 4 : L’exclusion après deux ans de chômage ferait dépendre 2,5 fois plus de personnes du CPAS qu’en 2014.

On le voit, si les neuf dernières années ont été marquées par une hausse substantielle du nombre de bénéficiaires du RI, une limitation dans le temps des allocations de chômage entraînerait une augmentation plus importante encore : + 62 % ! Si un telle mesure devait être appliquée, elle aboutirait à une hausse de 141 % par rapport à 2014, soit 2,5 fois plus de personnes exclues de la Sécurité sociale et dépendant de l’aide sociale qu’il y a dix ans.

On imagine mal comment les CPAS et les communes pourraient supporter un tel afflux de demandes, tant sur le plan financier qu’humain ou même logistique. Notons également que, même si cela peut sembler paradoxal, certaines des communes qui seraient les plus touchées sont plutôt favorisées sur le plan socio-économique : connaissant actuellement un nombre proportionnellement plus « faible » de RI, elles connaîtraient une hausse proportionnellement plus importante que les communes déjà durement touchées à l’heure actuelle.

La précarisation de l’emploi !

Aucun argument censé justifier les politiques d’exclusion ne résiste à l’analyse des faits : l’exclusion appauvrit, réduit à néant les chances d’insertion professionnelle, éloigne de l’emploi et précarise le marché du travail. Car c’est bien cela, le véritable objectif, jamais avoué, des défenseurs de ces politiques : appauvrir et diminuer le niveau de protection sociale pour faire pression à la baisse sur les salaires et conditions de travail. Appauvries, contrôlées de toutes parts, exclues et stigmatisées, les personnes sans emploi seraient prêtes à accepter le premier job précaire venu. Si elles n’y sont pas contraintes par un quelconque système de travail obligatoire, comme certains en rêvent déjà tout haut. Certains accusent la FGTB wallonne de « défendre le chômage et non l’emploi »… comme s’il fallait choisir un camp. Or, défendre l’assurance chômage et une protection sociale forte, c’est justement défendre l’emploi de qualité ! Contre le cercle vicieux de l’exclusion et de la précarisation, il s’agit de s’inscrire dans le cercle vertueux d’une protection sociale et d’un emploi de qualité.

Foncer droit dans le mur tête baissée…

Les répercussions d’une limitation des allocations de chômage dans le temps ne se limiteraient donc pas aux personnes visées et à leurs proches. Ce sont l’ensemble des travailleurs et travailleuses qui en subiraient également les conséquences, par la précarisation et la flexibilisation du marché de l’emploi. Quant aux économies budgétaires – avancées par certains – elles seraient dérisoires : le chômage dit « de très longue durée » ne représente qu’environ deux milliards d’euros par an au niveau national, soit moins de 2% du budget de la Sécurité sociale, dont moins d’un milliard au niveau wallon. Qui plus est, elles seraient quasi annihilées par le transfert de charge qui s’opérerait vers les CPAS.

Les CPAS et communes seraient en effet particulièrement mis sous pression. Comment assurer une augmentation de 100 à 400 % du nombre de demandes et dossiers, tant sur le plan financier qu’humain, matériel et logistique ? Cet afflux mettrait les finances d’un grand nombre de communes dans le rouge et ne ferait qu’aggraver la situation de celles qui sont déjà en situation de grande précarité. Au final, une telle mesure ne ferait qu’aggraver la pauvreté et les inégalités, aussi bien sur le plan social qu’entre régions, ce qui constitue le meilleur terreau pour les discours de haine et les idées d’extrême droite. Plus largement, il s’agirait d’un profond bouleversement de notre modèle social, qui nous ramènerait au début du siècle dernier, en nous faisant basculer d’un système de Sécurité sociale assurantielle vers une logique d’assistance. (Lire la carte.)

Les CPAS et les communes, en particulier en Wallonie, ne pourraient pas supporter un tel afflux de demandes, tant sur le plan financier qu’humain ou même logistique.
Les CPAS et les communes, en particulier en Wallonie, ne pourraient pas supporter un tel afflux de demandes, tant sur le plan financier qu’humain ou même logistique.

Ou changer radicalement de cap !

Et si on tournait plutôt définitivement le dos aux politiques de stigmatisation et d’exclusion, pour casser ce cercle vicieux de la précarisation de l’emploi et de la protection sociale ? Cela passerait par exemple par des politiques positives d’accompagnement non répressif des demandeuses et demandeurs d’emploi, comme le modèle des cellules de reconversion (3) ou de Coup de Boost. (Lire l’encadré) Cela impliquerait aussi une réorientation des aides publiques à l’emploi, qui représentent plus de 450 millions d’euros au niveau wallon, et souffrent actuellement d’importants effets d’aubaine, perpétuent les discriminations sur le marché de l’emploi et ne concernent que (très) très peu les personnes « les plus éloignées de l’emploi ».

Enfin, on ne pourra faire l’impasse sur la grande absente des débats actuels : la création d’emplois durables et de qualité. Et non de quelques petits jobs, jobs, jobs… Pour enclencher un tel processus, il faudra renouer avec des politiques et mesures radicales, concrètes et courageuses. La réduction collective du temps de travail – avec maintien du salaire et embauche compensatoire – est une de ces mesures de progrès social, qui nous permettra de sortir, enfin et durablement, du chômage de masse que nous connaissons et subissons depuis trop longtemps.

"Coup de boost" qu'est-ce que c’est ?

Coup de boost, c’est un dispositif d’insertion socioprofessionnelle, mis en place au niveau wallon, qui permet d’accompagner les jeunes sans emploi dans la définition de leur projet professionnel et de leur positionnement en tant que citoyenne ou citoyen.

Un accompagnement positif, non répressif, basé sur la confiance, les aspirations et les compétences des jeunes. L’approche collective – inspirée du modèle des cellules de reconversion – y tient une place essentielle, tout comme le rôle fondamental des accompagnatrices et accompagnateurs syndicaux, ainsi que des équipes du FOREM.

Et ça marche : dans les douze mois suivant la sortie de Coup de boost, 70 % des jeunes accompagnés ont retrouvé un emploi, repris des études ou entamé une formation. La FGTB wallonne a été particulièrement active sur ce dossier et a obtenu que Coup de boost soit étendu à plus de dix villes wallonnes et que le dispositif soit pérennisé par l’adoption d’un décret régional.

(1) En février, la FGTB wallonne avait déjà publié un travail d’analyse déconstruisant les stéréotypes sur les personnes privées d’emploi, et compilant les conclusions concordantes de plusieurs études indépendantes portant sur les effets nuls ou négatifs des politiques de sanction, d’exclusion, de diminution ou de limitation des allocations.

(2) Voir notamment le dossier « 155.000 chômeurs menacés d’exclusion après 2024 ? » dans Ensemble ! n° 110, pp. 4-34.

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