chasseauxchomeurs.03

Une casse de la solidarité fédérale et de la Belgique

Limiter les allocations de chômage après deux ans, ce n’est pas seulement un projet de droite antipauvres. C’est également un projet séparatiste, antibruxellois et antiwallons.

Nombre et répartition régionale des allocataires de l’ONEm en 2022, par type d’allocation (chiffres ONEm).

L’organisation de la Sécurité sociale au niveau fédéral est l’un des piliers de notre unité nationale. Elle contribue à l’égalité des Belges devant la loi ainsi qu’à la solidarité à l’échelle nationale entre les individus, entre les régions prospères et moins prospères ou entre communes riches et pauvres. Le caractère fédéral de la Sécu permet également de conserver une certaine unité au niveau du marché du travail et de la formation des salaires, évitant ainsi le dumping social entre les régions. L’introduction d’une limitation dans le temps des allocations de chômage après deux ans, actuellement prônée par les partis d’extrême droite (Vlaams Belang), de droite assumée ou camouflée (N-VA, VLD, MR, CD&V, Les Engagés) et de facto soutenue par Vooruit (Lire ici et ici) constituerait un pas en avant dans la régionalisation de la Sécurité sociale. La Région de Bruxelles-Capitale et la Région wallonne en seraient les premières victimes. Au sein de celles-ci, les communes les plus pauvres seraient les plus durement frappées vu la proportion de chômeurs exclus parmi leur population qui solliciteraient les CPAS. Plus globalement, il s’agirait d’une avancée majeure vers la scission du pays (dite « confédéralisme ») prônée par le Vlaams Belang et la N-VA.

Limiter dans le temps les allocations de chômage c’est faire un pas en avant dans la régionalisation de la Sécurité sociale

Pour comprendre les enjeux de solidarité fédérale et d’unité de la Sécurité sociale liés à ce débat, il faut cerner ce qu’est la catégorie des chômeurs « de longue durée » dont l’exclusion est proposée, comment elle se situe par rapport à l’ensemble des allocataires de l’ONEm, combien de personnes sont concernées, comment elles se répartissent géographiquement et quels sont les montants des allocations en jeu.

1,23% en Flandre, 3,01% en Wallonie et 5,08% à Bruxelles

Les CCI DE « chômeurs complets indemnisés demandeurs d’emploi » au chômage « depuis deux ans ou plus » visés par la mesure (Lire l’encadré pour la définition des termes et des catégories) étaient au nombre de 155.822 personnes (en moyenne) en 2022, selon les chiffres de l’ONEm. Cela représentait un peu plus de la moitié des CCI DE, et un cinquième des allocataires des l’ONEm (Lire le tableau et l’encadré pour la méthodologie de chiffrage utilisée.). Outre les CCI DE et les CCI NDE (c’est-à-dire non-demandeurs d’emploi), il y a de nombreuses autres personnes qui touchent une allocation de l’ONEm. Par exemple, les travailleur.euse.s à temps partiel involontaires, les chômeurs temporaires (catégorie qui avait explosé lors de la crise Covid), les chômeurs âgés (c’est-à-dire les ex-prépensionnés dits à présent « chômeurs avec complément d’entreprise ») qui ne sont plus considérés comme demandeurs d’emploi (alors que certains le sont) et, enfin, trois catégories d’aménagements du temps de travail faisant l’objet d’une allocation de l’ONEm.

art des différentes allocations de l’ONEm sur la population de 18-64 ans déf

Les CCI DE constituent 38 % de l’ensemble de tous les allocataires de l’ONEm et, parmi eux, ceux qui le sont depuis plus de deux ans représentent un peu plus de la moitié (53%) et donc seulement 20 % des personnes indemnisées par l’ONEm pour 32,31 % des montants (un peu plus de deux milliards d’euros sur plus de six milliards six cent soixante millions de dépenses totales en allocations ONEm). (Lire le tableau) Les 155.822 CCI DE depuis deux ans ou plus sont en majorité des hommes (56,75 %). La répartition par catégorie est assez homogène : des chefs de ménage pour 33,97 %, 31,61 % d’isolés et 34,42 % de cohabitants. Plus d’un quart (25,73 %) vit à Bruxelles, un peu moins d’un tiers (31,62 %) en Flandre et la plus grande part (42,65 %) en Wallonie. Si on regarde par province (et donc hors Bruxelles qui se taille la part du lion avec 25,73 %), il y en a trois qui représentent plus de 10 % de l’ensemble : le Hainaut (17,43 %), la province de Liège (13,97 %) et celle d’Anvers (12,02 %).

Une casse de la solidarité fédérale illu 2 Tableau 2 Montants des dépenses de l'ONEm en 2022 par région et type d'allocation

Il est intéressant, pour donner une idée de l’impact des allocations ou de leur retrait sur la population concernée, de ne pas nous contenter des chiffres des seuls CCI DE de plus de deux ans et de mettre ceux-ci en perspective en examinant quelle part de la population active (toutes les personnes de 18 à 64 ans) ils représentent. Au niveau national, ce taux est de 2,23 %. A niveau de la Région flamande, il est de 1,23 %, de la Région wallonne de 3,01 % et pour la Région de Bruxelles-Capitale, il est de 5,08 %. (Lire Tableau) Proportionnellement à la population active, il y a un peu plus du double de la population concernée en Wallonie (3,01%) qu’en Flandre (1,23 %) et près du quintuple en région bruxelloise (5,08%).

Proportionnellement à la population active, il y a un peu plus du double de la population concernée en Wallonie qu’en Flandre et près du quintuple en région bruxelloise

Méthodologie

Pour ce dossier, nous avons utilisé l’outil de « Statistiques interactives » disponible sur le site de l’ONEm. Nous avons pris les chiffres de 2022 puisque c’est la dernière année complète, ce qui permet d’éviter les effets saisonniers. L’outil permet d’utiliser les trois indicateurs suivants :

Unités physiques : par « nombre d’unités physiques pour un mois déterminé », on entend le nombre de paiements effectués pendant ce mois, appelé mois d’introduction. Au cours d’un mois d’introduction, plusieurs paiements peuvent être effectués pour une seule personne. En effet, un paiement peut se rapporter à un mois dans le passé. Le mois auquel un paiement a trait est appelé mois de référence. Les statistiques de paiements de l’ONEm sont basées sur le mois d’introduction, et non sur le mois de référence. La moyenne par an est calculée en divisant la somme du nombre mensuel d’unités physiques dans l’année par douze. Cet indicateur donne une moyenne de 155.822 CCI DE de deux ans et plus en 2022. C’est celui que nous avons utilisé.

Jours indemnisés : le nombre total de jours de chômage de l’année divisé par 312, soit le nombre de jours de chômage pour une année complète (l’année moins les dimanches), donne le nombre moyen de chômeurs indemnisés toute l’année. Cet indicateur donne une moyenne de 142.324 CCI DE de deux ans et plus en 2022. Ce qui fait 8,7 % de moins que l’indicateur précédent.

Montants : permet de connaître les dépenses de chômage selon les divers critères. Nous avons également utilisé cet indicateur pour les données budgétaires.

Le choix de l’indicateur n’est pas évident mais, pour estimer le nombre de personnes au chômage depuis au moins deux ans et qui ont été indemnisées à ce titre en 2022, celui des « Unités physiques » nous semble davantage représentatif, la moyenne étant certes légèrement influencée à la hausse par des doubles paiements mais qui sont moins fréquents que les périodes de non-indemnisation qui tirent à la baisse la moyenne établie par les deux indicateurs mais davantage celle calculée sur les « Jours indemnisés ».

Les données par commune de la population active (18-64 ans) nous ont été fournies par le sociologue Jan Hertogen, qui réalise régulièrement des cartes sur des sujets sociaux qu’il diffuse par lettre d’info et sur site web (BuG-berichten www.npdata.be). C’est lui aussi qui nous a présenté l’outil mis en place par l’Université d’Hasselt pour réaliser des cartes avec ces données et expliqué comment l’utiliser. Nous le remercions chaleureusement pour son aide et ses précieux conseils. Il a publié (en néerlandais) deux lettres d’infos (Bug 527 et Bug 528, le 1er mai et le 17 mai 2023) sur le sujet que nous traitons, dont nous nous sommes inspirés. Ces lettres d’informations sont illustrées par de nombreuses cartes, ainsi que par des éléments chiffrés, dont des corrélations entre les résultats électoraux et la répartition géographique des personnes touchées. Le sociologue pose la question, à laquelle ses cartes répondent : « Les déclarations de Conner Rousseau et de Vooruit, la guerre contre Bruxelles et la Wallonie ? ».

6,77 % à Molenbeek, 4,96 % à Liège, 4,62 % à Charleroi et 2,5 % à Anvers

Il est également intéressant d’examiner la répartition par commune, puisque que l’une des conséquences d’une limitation à deux ans des allocations de chômage est le renvoi massif des exclus vers les CPAS et qu’une partie significative des allocations d’assistance délivrées par ceux-ci est portée à charge des finances communales. La carte ci-contre reprend à l’échelle des communes le taux de CCI DE de deux ans ou plus par rapport à la population de 18 à 64 ans. Plus la couleur tire vers le rouge, plus ce taux est élevé. Les douze communes affichant le taux le plus élevé, qui sont aussi les douze au-dessus de 5 %, sont presque toutes bruxelloises, depuis Molenbeek-Saint-Jean en tête (6,77 %) jusqu’à Jette (5,14 %), avec la seule Hastière (Wallonie) qui joue le rôle d’intruse à la septième place.

Pourcentage de CCI DE de deux ans ou plus par rapport à la population d’âge actif (18- 64 ans) par commune sur l’ensemble de la Belgique. Chiffres ONEm 2022.
Pourcentage de CCI DE de deux ans ou plus par rapport à la population d’âge actif (18- 64 ans) par commune sur l’ensemble de la Belgique. Chiffres ONEm 2022.

Comme attendu, la répartition en région bruxelloise est aussi fort disparate, entre communes du croissant pauvre et celles plus nanties de l’est et du sud de la région capitale (même si Evere atteint tout de même 4,50 %, Watermael-Boitsfort 4,30 % et Ixelles 4,12 %). (Lire la carte) Viennent ensuite des grandes villes wallonnes comme Liège (13ème avec 4,96 %), Charleroi (15ème avec 4,62 %), Verviers (18ème avec 4,44 %), La Louvière (26ème avec 4,18 %). On retrouve évidemment aussi, toutes au-dessus de 4 % (ci-après par ordre décroissant), des communes des bassins industriels wallons traditionnels : Farciennes, Seraing, Quaregnon, Quiévrain, Châtelet, Boussu, Huy, Dinant, Herstal, Dison, Colfontaine et Manage. Juste en dessous de 4 % on trouve par ordre décroissant Saint-Nicolas, Chapelle-lez-Herlaimont, Uccle, Flémalle et Mons. Il faut aller jusqu’à la 47ème place pour trouver la première commune flamande : Blankenberge avec 3,62 %. La commune flamande suivante est la plus grande ville de Flandre : Anvers, à la 113ème place avec 2,59 % ! Autrement dit, sur 581 communes de Belgique, les 112 les plus concernées sont 18 des 19 de la région de Bruxelles-Capitale (la seule « manquante » est Woluwé-Saint-Pierre qui est 131ème), 93 des 262 communes de Wallonie (35,50 %) et une seule des 300 communes de Flandre. Parmi les 200 communes les plus concernées, qui sont aussi celles affichant un taux d’au moins 2 %, il n’y a que 8 des 300 communes de Flandre : outre Blankenberge et Anvers (précitées), on trouve, par ordre décroissant : Ostende, Bredene, Knokke-Heist, Zwijndrecht, De Haan et Turnhout, soit cinq communes côtières et trois de la province d’Anvers.

Pourcentage de CCI DE de deux ans ou plus par rapport à la population d’âge actif (18- 64 ans) par commune sur l’ensemble de la Région bruxelloise. Chiffres ONEm 2022.

Une géographie inversée pour les allocations d’aménagement de carrière

Il y a un peu moins de 300.000 CCI DE, dont un peu plus de la moitié de deux ans ou plus, mais près de 800.000 personnes en moyenne ont touché en Belgique une allocation de l’ONEm durant l’année 2022. Leur répartition géographique est-elle similaire ? Non : si on se livre au même exercice de voir la proportion de tous les allocataires ONEm sur la population en âge de travailler (18-64 ans), la carte change totalement d’aspect : elle est beaucoup plus uniforme. (Lire la carte) Molenbeek-Saint-Jean, toujours à la tête des communes bruxelloises, passe de la première à la trente-septième place. Le Hainaut place huit communes dans les dix premières mais Turnhout, deux centième dans le classement précédent, monte à la neuvième place pour figurer comme la première commune flamande. Cela reste néanmoins une exception : il n’y a que trois autres communes flamandes dans les cent premières : Zelzate (55ème), de nouveau Blankenberge (88ème) et Herenthout (95ème).

Pourcentage de tous les allocataires de l’ONEm par rapport à la population d’âge actif (18- 64 ans) par commune sur l’ensemble de la Belgique. Chiffres ONEm 2022.

Si l’on se focalise, par exemple, sur les différents types d’aménagement des carrières (interruption de carrière à temps plein ou à temps partiel, les crédit-temps et les congés thématiques), là c’est la Flandre qui truste le haut du classement : les 58 premières communes sont flamandes (avec des taux de 5 à 6,31 %) avant de voir apparaître Lierneux et il n’y a que trois autres communes wallonnes (Fernelmont, Stoumont et La Bruyère) dans les 151 premiers. (Lire la carte) A noter que la région capitale occupe massivement le bas du classement : Forest (566ème), Woluwé-Saint-Lambert (567ème), Koekelberg (568ème), Anderlecht (569ème), Bruxelles (571ème), Uccle (573ème), Molenbeek-Saint-Jean (574ème), Schaerbeek (575ème), Etterbeek (578ème), Ixelles (579ème), Saint-Gilles (580ème) et Saint-Josse-Ten-Noode (581ème avec 0,68 %), les quatre dernières places donc…

Pourcentage d’allocataires de l’ONEm bénéficiaires d’allocations d’aménagement de carrière par rapport à la population d’age actif (18-64 ans) par commune sur l’ensemble de la Belgique. Chiffres ONEm 2022.

Un projet séparatiste, catastrophique pour les régions bruxelloise et wallonne

Il est frappant de constater que, si l’on ramène la part des différents allocataires de l’ONEm à la population active, les trois régions comptent en réalité quasiment la même proportion de bénéficiaires. Sur neuf types d’allocations, la Flandre est proportionnellement en tête cinq fois (Lire le tableau et la carte). D’un point de vue budgétaire, les dépenses en 2022 pour les allocations dispensées aux CCI DE de plus de deux ans étaient de 642 millions en région flamande, 573 millions en région bruxelloise et de 936 millions en région wallonne (Lire le tableau). Soit 160,74 euros par personne dans la « population active » (18-64 ans) en Flandre, 727,19 à Bruxelles et 423,70 en Wallonie. Au niveau des allocations d’aménagement de carrière (Crédit-temps, interruption de carrière et congés thématiques), cette répartition était de 520 millions d’euros pour la Flandre (130,22 euros par personne de 18 à 64 ans), 37 millions pour la région bruxelloise (47,62 euros par personne de 18 à 64 ans) et 172 millions pour la région wallonne (104,44 euros par personne de 18 à 64 ans). Pour l’ensemble des allocations de l’ONEm, cette répartition était de 2.927 millions d’euros pour la Flandre (732,50 euros par personne de 18 à 64 ans), 1.111 millions pour la région bruxelloise (1.408,85 euros par personne de 18 à 64 ans) et 2.624 millions pour la région wallonne (1.187,30 euros par personne de 18 à 64 ans).

Sur neuf types d’allocations, la Flandre est proportionnellement en tête cinq fois

Par personne de 18 à 64 ans, en 2022, le montant moyen des allocations de l’ONEm accordées en Flandre (et financées par la Sécurité sociale fédérale) était en 2022 de 76% de la moyenne nationale. Tandis qu’il était de 148% de la moyenne nationale en région bruxelloise et de 124 % de la moyenne nationale en région wallonne. Si une limitation dans le temps des allocations de chômage à maximum deux ans était appliquée, le montant moyen des allocations de l’ONEm accordées en Flandre serait de 88 % de la moyenne nationale. Tandis qu’il serait de 105% de la moyenne nationale en région bruxelloise et de 118 % de la moyenne nationale en région wallonne. Ce qui signifie que le rôle des allocations de l’ONEm de redistribution entre régions riches et pauvres serait à peu près diminué de moitié et qu’il aurait quasiment disparu par rapport à la région Bruxelloise. La fable diffusée par certains selon laquelle les Bruxellois et les Wallons seraient « dopés » aux allocations de chômage « payées par la Flandre » est globalement fausse et relève d’une vision partielle et partiale de la réalité. Vouloir une Sécurité sociale sans transfert entre régions riches et régions pauvres est contraire à l’essence même de la Sécu et à l’appartenance à une même nation. C’est un projet politique à la fois néolibéral et séparatiste. Quarante ans après le « I want my money back » de Mme Thatcher au niveau européen, imposant de limiter la contribution financière du Royaume-Uni aux dépenses de l’UE à l’équivalent de ce qu’il recevait en retour, le Brexit en a été un prolongement logique. Est-ce la voie dans laquelle nous voulons engager la Belgique ?

Une Sécurité sociale sans transfert entre régions riches et régions pauvres est contraire à l’essence même de la Sécu

La revendication d’une suppression des allocations de chômage après deux ans n’est pas seulement un projet politique de droite, qui enfoncerait un peu plus une partie déjà appauvrie de la population (Lire ici) pour les pousser à accepter de travailler à n’importe quelles conditions de salaire et de flexibilité (Lire ici). C’est également un projet de démolition du caractère fédéral de la Sécurité sociale, ciblé contre la Région de Bruxelles-Capitale, contre la Région wallonne et contre les communes les plus pauvres, qu’il mettrait en graves difficultés. C’est un projet qui s’inscrit dans l’agenda séparatiste du Vlaams Belang et de la N-VA, auquel il n’est pas étonnant d’avoir vu la droite assumée (VLD et MR) se rallier, suivie par la droite « centriste » (CD&V et les Engagés). Il est particulièrement déplorable que Vooruit, prétendument « socialiste », ait également rejoint ce projet, dans le cadre du rapprochement qu’il recherche avec la N-VA pour faire partie de futures majorités en Flandre et au niveau fédéral (Lire ici). Qu’une chose soit d’ores et déjà claire : si demain un parti politique « de gauche » francophone décidait de participer à une majorité fédérale sur cette base pour « sauver la Belgique », il enfoncerait, tout au contraire, un clou dans son cercueil. Pas plus qu’on ne peut prétendre « sauver la Sécurité sociale » en la cassant, on ne peut prétendre « sauver la nation » en brisant la Sécurité sociale et les solidarités entre les travailleurs du Nord et du Sud du pays.

CCI DE : les chômeurs complets indemnisés demandeurs d’emploi

Quand on parle des chômeurs, et plus encore lorsqu’il est question de chiffres, il est essentiel de définir précisément de quoi l’on parle. Le chiffre que l’on cite le plus souvent, c’est celui des CCI DE : les chômeurs complets indemnisés demandeurs d’emploi. Lorsque l’ONEm communique le nombre de CCI DE, il s’agit en fait d’une moyenne qui est inférieure au nombre réel de personnes sans emploi. Décortiquons.

chômeurs complets : on ne compte pas dans les CCI DE les travailleurs, en majorité des travailleuses, à temps partiel qui perçoivent un complément chômage (l’allocation de garantie de revenus) ni les personnes (aussi en majorité des femmes) qui n’ont qu’un chômage partiel.

indemnisés : la statistique des CCI DE est une moyenne. Trois chômeurs ayant subi une sanction de quatre mois durant une année seront comptabilisés sur l’année comme un seul CCI DE alors que tous les trois ont été chômeurs toute l’année. Deux travailleurs ayant perdu leur emploi le 30 juin et qui seraient donc chômeurs pendant les six mois suivants compteront donc aussi comme un seul CCI DE pour cet indicateur. L’influence n’est pas la même selon l’indicateur choisi. (Lire l’encadré pour la méthodologie utilisée.)

demandeurs d’emploi : il s’agit donc des sans-emploi qui sont disponibles sur le marché de l’emploi. Sont considérés comme CCI NDE, non demandeurs d’emploi, les chômeurs qui ont une dispense de disponibilité (temporaire). Cela peut concerner une période de formation, une reprise d’études, des actions à l’étranger ou un travail comme ALE (Agence Locale pour l’Emploi).

A noter que les CCI DE se répartissent de la façon suivante : 81,73 % après prestations de travail à temps plein, 7,70 % après études, 6,06 % après prestations de travail à temps partiel volontaire, 3,34 % en chômage avec complément d’entreprise, 0,75 % en allocation de sauvegarde et 0,42 % comme travailleurs des arts.

CCI DE « depuis deux ans ou plus »

Suffit-il que le chômeur « de longue durée » fasse un CDD d’un mois pour qu’il ne rentre plus dans cette catégorie lorsqu’il redevient à charge de l’ONEm ? Non. La durée de chômage est un concept statistique et n’est pas déterminée par la réglementation. Toutefois, sous l’influence d’Eurostat, une définition univoque existe néanmoins depuis 1987, laquelle est toujours actuellement d’application : après une interruption du chômage de plus de trois mois, le compteur de la durée de chômage est remis à zéro. (1) Cela signifie donc que, parmi les CCI DE, il y en a qui travaillent régulièrement mais sans obtenir une durée d’emploi de plus de trois mois consécutifs, ce qui fait que leurs allers-retours entre chômage et emploi ne permettent pas de remettre leur compteur à zéro. Comme dans beaucoup de situations de chômage, la question de la précarité de l’emploi est prégnante. Il ne suffit pas d’avoir un emploi ni pour sortir de la précarité voire de la pauvreté, ni même pour sortir des chiffres du chômage.

(1) « Spotlight – L’évolution à long terme de la durée de chômage pour la période allant de 1945 à 2022 », ONEm, 2023, p.2.

Partager cet article

Facebook
Twitter