chômage

F. Perl (IEV) : «  Élargir l’accès aux allocations d’insertion »

François Perl, expert Sécurité sociale de l’IEV (PS), nous a présenté la proposition de « Revenu de Base Jeunes » sur laquelle il travaille.

François Perl, expert Sécurité sociale de l’Institut Émile Vandervelde (PS).
François Perl, expert Sécurité sociale de l’Institut Émile Vandervelde (PS).

En décembre 2022, l’Institut Émile Vandervelde (l’IEV, le centre d’étude du Parti socialiste) publiait une  note de réflexion  intitulée « Un revenu de base pour les 18-25 ans : quelle protection sociale pour les jeunes adultes ? » (1) signée par François Perl. Ce document examinait des scénarios de mise en œuvre d’un « revenu de base jeunes » (RDB Jeunes), dans le prolongement de l’évocation de cette proposition par le président du PS dans son dernier livre (Lire ici), où celui-ci indiquait que cette mesure devait « pouvoir être envisagée ». La note de l’IEV évoquait à cet égard l’octroi d’un RDB jeunes de 958 euros, soit 50 % du revenu minimum mensuel moyen garanti (RMMMG), la limite inférieure absolue pour la rémunération.

Mécompréhension ?

Dans l’analyse que nous avions publiée dans le numéro précédent de cette revue, nous avions dénoncé les « apories et vices cachés » de la proposition de RDB Jeunes  esquissée. (2) Nous pointions notamment le fait que « soit le RDB Jeunes ne se cumule pas aux allocations existantes, et alors il n’apporte à peu près aucun avantage aux jeunes allocataires sociaux (pour rappel le RI pour un isolé était de 1.183 euros au 1/12/22, ce qui est largement supérieur au RDB Jeunes évoqué par P. Magnette et est porté à 1.214 euros au 1/1/23). Soit il s’ajoute partiellement à cette allocation, par exemple pour la porter au niveau du seuil de pauvreté (1.293 euros en 2021), et alors se posent des questions d’équité par rapport aux allocataires plus âgés en l’absence de réforme globale des indemnités ». L’auteur de la note de l’IEV nous a fait savoir qu’il ne reconnaissait pas son analyse dans la présentation que nous en avions faite. Nous avons donc proposé de l’interviewer afin qu’il puisse directement nous présenter l’état de ses réflexions à ce sujet et répondre à nos questions. Ce qu’il a accepté.

Suite aux mesures des gouvernements Di Rupo (2011) et Michel (2015), de moins en moins de jeunes en stage d’insertion obtiennent effectivement l’allocation à la fin de celui-ci. La séparation des deux courbes se fait dès l’application de la première mesure (2012) et s’aggrave depuis la seconde (2015).
Suite aux mesures des gouvernements Di Rupo (2011) et Michel (2015), de moins en moins de jeunes en stage d’insertion obtiennent effectivement l’allocation à la fin de celui-ci. La séparation des deux courbes se fait dès l’application de la première mesure (2012) et s’aggrave depuis la seconde (2015).

Ensemble ! : En tant qu’auteur de la récente étude de l’IEV « Un revenu de base pour les 18-25 ans : quelle protection sociale pour les jeunes adultes ? » (1), vous nous avez indiqué ne pas comprendre l’analyse que nous en avons publiée dans notre dernier numéro (2)….

François Perl (IEV) : Je ne comprends en effet pas votre lecture de cette note de l’IEV, laquelle conclut en indiquant qu’« il existe une voie médiane qui pourrait être construite à partir des dispositifs de protection sociale existants qui seraient utilement complétés par un socle de base garantissant à tous les jeunes adultes une sorte de protection minimale les autorisant à entrer définitivement en confiance dans un monde aux multiples défis climatiques, sociaux et économiques. Par cette note, nous avons tenté d’éclairer modestement cette voie ». Je ne comprends donc pas comment vous pouvez tirer de cela le fait que cette note prend parti, sans nuance, pour un RDB pour les jeunes, qui remplacerait les dispositifs existants.

Il nous semble que la note exprime une prise de position en faveur de l’adoption d’un RDB jeunes, mais le but du présent échange est de mieux comprendre l’analyse de l’IEV et de lever d’éventuelles mécompréhensions…

Nous partons du constat, que je pense que nous partageons, qu’il y a un problème de précarité spécifique aux jeunes. Vous m’accorderez également, à moins que vous ne les défendiez, que les mesures qui ont été adoptées qui rendent plus difficile l’accès à l’allocation d’insertion pour les jeunes sans emploi, ont tendance à exclure ces jeunes du droit à ces allocations et de le renvoyer vers les CPAS, qui deviennent ainsi le principal outil d’insertion et de protection sociale des jeunes entre dix-huit et vingt-cinq ans. C’est une tendance que nous considérons comme négative. Nous reprenons dès lors la question : comment lutter contre la précarité des dix-huit – vingt-cinq ans sans détricoter les dispositifs actuels ? Pour nous, cela passe par la création d’un dispositif spécifique, que l’on peut appeler « revenu garanti » si l’on est allergique au terme de « revenu de base » mais qui, selon nous, doit être placé dans le cadre de la Sécurité sociale et de sa gestion paritaire. A ce stade, il n’y pas de choix politique qui a été posé en la matière. Nous nous sommes jusqu’ici contentés d’examiner deux hypothèses : soit élargir les conditions d’accès aux allocations d’insertion, soit élargir les conditions d’accès au revenu d’intégration. Personnellement, ma préférence va plutôt à un élargissement de l’accès aux allocations d’insertion, car il me semble souhaitable que le revenu d’intégration octroyé par les CPAS reste un régime résiduaire. L’allocation d’insertion doit devenir plus accessible. Il faut lever toute une série d’obstacles qui ont été mis à l’octroi des allocations, notamment les discriminations entre les jeunes qui ont terminé leurs études secondaires et ceux qui ne les ont pas terminées. Il faut également ouvrir plus largement l’accès à celles-ci.

« Comment lutter contre la précarité des 18-25 ans sans détricoter les dispositifs actuels ? »

Pour réaliser l’élargissement de l’accès aux allocations d’insertion, il suffit de supprimer les mesures restrictives qui ont été prises sous le gouvernement Di Rupo (2011–2014) et sous le gouvernement Michel (2014-2018), que nous avons combattues…

Surtout sous le gouvernement Michel pour ce qui concerne l’accès. Ce serait en effet assez facile à faire. Il faudrait notamment lever la condition de diplôme et remonter la limite d’âge en fin de stage à moins de trente ans au lieu de moins de vingt-cinq ans. La question du stage d’attente (devenu « stage d’insertion ») à effectuer avant de bénéficier des allocations fait aussi partie des choses qui devraient être discutées. Par ailleurs, dans l’hypothèse que je développe, cette allocation n’est pas conçue comme bénéficiant également aux jeunes qui disposent de revenus professionnels. Cela reste un dispositif de Sécurité sociale qui garantit un revenu face à la perte ou, en l’occurrence, face à l’absence de travail. Je pense toutefois qu’il faut ouvrir la réflexion sur la possibilité pour les étudiants d’accéder à l’allocation d’insertion. Des ouvertures en ce sens ont déjà été faites pour les formations permettant d’accéder à des métiers en pénurie. Notre hypothèse de travail n’est pas de créer une allocation universelle pour les jeunes, mais d’élargir les conditions d’accès aux allocations, d’une façon suffisante pour mieux protéger les jeunes de la précarité, mais sans créer les effets d’aubaine du revenu de base.

« C’est un revenu de base au sens où nous l’entendons »

Ce que vous proposez n’est donc pas, et c’est sans doute la source du malentendu, un dispositif de revenu de base, avec les dimensions d’universalité, d’individualisation et d’inconditionnalité qui sont attachées à ce concept.

C’est un revenu de base au sens où nous l’entendons. Ce n’est pas un revenu de base au sens où d’autres l’entendent. On s’inscrit dans un débat général sur le revenu de base pour les dix-huit – vingt-cinq ans. Dans son dernier livre, Paul Magnette a écrit que tout jeune devrait avoir une garantie de revenu équivalente à la moitié du salaire médian, qui soit une espèce de socle, sans se prononcer sur les effets d’aubaine, c’est une sorte de ligne générale. Nous nous inscrivons dans un mouvement en faveur d’une Sécurité sociale plus universelle et dès lors on peut parler de revenu de base. Le point sémantique est une chose, le contenu en est une autre. Je pense qu’il faut juger notre proposition sur son contenu et non sur sa dénomination. Pour ma part, il me semble que c’est intéressant de reprendre la terminologie du RDB pour construire un contre-récit par rapport à tout le mouvement en faveur du « Basic Income » et à l’allocation universelle. La Sécurité sociale, c’est un revenu de base, c’est-à-dire le filet de protection qui permet de ne pas descendre en-dessous d’un certain seuil de pauvreté. Les défenseurs du RDB ont réalisé une forme d’appropriation culturelle de ce qu’est la Sécurité sociale. Je ne vois pas pourquoi il faudrait s’interdire d’utiliser cette dénomination de revenu de base sous prétexte que d’autres l’utilisent autrement.

Dans la notion de « revenu de base », il y a quand-même toujours l’idée que c’est un revenu qui est « une base » qui a vocation à pouvoir être complétée par d’autres types de revenus, notamment professionnels…

Pour nous, il n’est pas question de cumul avec des revenus professionnels (sauf ce qui est déjà prévu notamment dans l’allocation de garantie de revenu), mais d’un revenu garanti de base, c’est-à-dire une garantie donnée à tout citoyen de ne pas descendre en dessous d’un certain niveau de revenu.

A vous suivre, la proposition actuellement en gestation au sein de l’IEV consiste essentiellement à rouvrir l’accès aux allocations d’insertion, revendication que nous portons depuis très longtemps et en particulier depuis 2011…

C’est l’hypothèse sur laquelle on travaille au sein de l’IEV. Tout en sachant qu’à ce stade il ne s’agit pas d’une position du PS, lequel devrait arrêter sa position en octobre 2023, dans le cadre d’un congrès sur la jeunesse. Il y a pour nous une ligne rouge à ne pas franchir en matière de Revenu de Base Jeunes : il ne peut pas y avoir de cumul de celui-ci avec un revenu professionnel, sauf si ce revenu professionnel est inférieur à un certain seuil, notamment le seuil de pauvreté. Mais on doit trouver des mécanismes pour faire en sorte que le RDB Jeunes ne devienne pas une béquille pour des contrats précaires ou qui permette aux employeurs de payer moins que le salaire minimal, parce qu’il savent que le RDB Jeunes garantirait un complément de revenu. On se situe sur un chemin de crête qui n’est pas confortable, mais nous pensons que nous devons être présents dans le débat sur le RDB.

Après la réforme de 2011, les allocations d’insertion ont été limités à maximum trois ans. Votre proposition de RDB jeunes limiterait-elle également celle-ci dans le temps ou pas ?

Ça fait partie des discussions que l’on doit avoir. Il y a une certaine logique à ce qu’elle soit limitée dans le temps, notamment en fonction de l’âge, mais aussi qu’elle devrait pouvoir constituer la base de l’ouverture du droit à d’autres allocations, comme par exemple les allocations de chômage.

Pouvez-vous esquisser la façon dont vous envisagez les possibilités de cumul du RDB Jeunes et de revenus professionnels ?

En 2019, nous étions déjà porteur d’une proposition de « Bonus social généralisé », qui vise à garantir aux travailleurs qui sont en-deça d’un certain seuil de salaire l’accès à un revenu décent, au minimum le seuil de pauvreté, dans le prolongement de ce qui se fait actuellement avec l’allocation de garantie de revenu. Il faut avoir une réflexion sur ce type de cumul, sans que l’allocation ne devienne une sorte de béquille du capitalisme pour sous-payer les jeunes et profiter du fait qu’une partie de leur salaire soit prise en charge par la Sécurité sociale. Il faut trouver des mécanismes qui garantissent le droit à un revenu et évitent ce type d’abus patronaux.

N’est-ce pas vouloir réaliser la quadrature du cercle ?

Je n’ai pas dit que c’était facile. Mais on ne peut pas s’interdire de le rechercher. Sans quoi on retombe dans les idées de Revenu de base inconditionnel, dont nous ne voulons pas.

Pourquoi ne pas tout simplement renforcer l’assurance contre le chômage, dont le principe (même si des dérogations ont été introduites) est qu’elle est un revenu de remplacement par rapport au salaire (qui ne se cumule pas avec celui-ci) et qu’elle fait ainsi pression à la hausse sur les bas salaires ?

C’est précisément l’hypothèse que nous considérons. En partant de l’allocation d’insertion qui fait partie de cette assurance chômage, nos propositions restent ainsi ancrées dans la Sécurité sociale. Il faut mener ce combat de front avec les combats syndicaux et politiques pour l’augmentation du salaire minimum, la fin du recours au temps partiel, la fin de la précarisation dans certains secteurs comme l’Horeca avec les contrats oraux, etc. Mais il y aura toujours des moments où il faudra pouvoir cumuler une allocation d’insertion ou un futur Revenu de base jeunes avec un revenu professionnel. Il faut le prévoir, le baliser pour que ça aide les personnes qui en ont besoin sans que ce soit une forme d’aide indirecte aux employeurs.

« Le salariat intégral n’est plus nécessairement la norme ni une demande »

La question des allocations d’insertion ou mieux, de chômage, ainsi que celle des allocations d’études est très importante pour les jeunes. Mais l’analyse qui conduit à la proposition de RDBJ ne passe-t-elle pas à coté du fait que le problème majeur pour une très grande partie des jeunes est que les conditions de leur accès au travail se sont gravement dégradées avec la « flexibilisation » du marché du travail et le développement des CDD, de l’intérim, des temps partiels, des indépendants, des faux indépendants ainsi que d’une myriade de sous-statuts ?

Les deux ne sont pas incompatibles. Il faut travailler sur la qualité de l’emploi et sur les protections en cas d’absence d’emploi. Le RDBJ fait partie d’une réflexion globale et nous avons un projet travailliste. C’est-à-dire que l’on considère que le travail doit conserver sa centralité au niveau de la protection sociale. Mais cela vise toutes les formes de travail, en prenant en compte que le salariat intégral n’est plus nécessairement la norme ni une demande, notamment de la part des jeunes. On doit travailler sur la déprécarisation du travail, pas seulement pour le salariat mais aussi pour les autres formes de travail. Il y a également des projets mixtes qui combinent études et travail. Il faut donc un mécanisme qui soit suffisamment souple pour s’adapter à toutes les situations.

(1) François Perl, IEV, « Un revenu de base pour les 18-25 ans : quelle protection sociale pour les jeunes adultes ? », décembre 2022. En ligne sur le site de l’IEV.

(2) Arnaud Lismond-Mertes, « Le RDB Jeunes du PS : une universalisation en trompe-l’œil », Ensemble ! n° 109, décembre 2022.

Partager cet article

Facebook
Twitter