chômage

Nommer et défendre l’assurance chômage

Que pensons-nous de la proposition de Revenu de base jeunes en cours d’élaboration à l’Institut Émile Vandervelde (IEV), à la lumière de l’interview de François Perl ?

A titre liminaire, il faut relever que, d’après les réponses données par François Perl (Lire ici), la proposition de « Revenu de base jeunes » (RDB-J) à laquelle l’IEV réfléchit n’est pas un « revenu de base », au sens communément donné à ce terme. A savoir, selon la définition de Daniel Dumont (ULB), qui a récemment consacré un ouvrage de synthèse sur la question : l’octroi d’un « revenu minimum incompressible à tout citoyen – à tout le moins lorsqu’il est majeur et dispose d’un statut de résident en séjour régulier – quelle que soit sa situation privée et familiale, peu importe le niveau de ses ressources et sans la moindre exigence de contrepartie ». (1) François Perl revendique, pour lui-même et pour le PS, le droit d’utiliser les termes « revenu de base » en s’affranchissant de cette acception commune. L’allocation qu’il envisage serait octroyée de façon conditionnelle en fonction des ressources du jeune, de sa situation familiale, de ses revenus et éventuellement liée à une contrepartie. « Carpe, je te baptise lapin » : certes, c’est le droit de chacun de redéfinir le sens des mots qu’il utilise, mais on peine à comprendre ce que gagne en crédibilité une proposition politique en étant promue sous une appellation qui est totalement à rebours de l’usage communément admis, ce qui ne peut qu’induire des mécompréhensions.

La démolition des allocations d’insertion (2011 - 2018)

Quels sont les contours de la proposition de ce « revenu de base jeunes » en cours d’élaboration à l’IEV ? Selon les réponses de François Perl (Lire ici), il s’agirait essentiellement d’un élargissement de l’accès aux allocations d’insertion qui sont ouvertes aux jeunes sans emploi qui n’ont pas encore pu ou réussi à se constituer une couverture par l’assurance chômage à travers leur travail salarié. Ce régime d’allocations a largement été démoli sous le gouvernement Di Rupo (PS-CD&V-MR-VLD-sp.A-cdH, 2011 – 2014) et sous le gouvernement Michel (N-VA-MR-CD&V-VLD, 2014 – 2018). Et cette démolition n’est pas pour rien, d’une part, dans l’explosion du nombre de jeunes émargeant à l’aide du CPAS, d’autre part, dans la pression qui est mise sur les jeunes pour qu’ils acceptent de travailler dans n’importe quelles conditions, à n’importe quels salaires, et notamment dans des sous-statuts précaires et sous-rémunérés.

La dégradation des conditions d’emploi des jeunes est manifeste, comme le montre, par exemple, leur évolution entre 2009 et 2019 en région bruxelloise, retracée par la FGTB Bruxelles : « Lorsque les différents facteurs d’exposition à la précarité de l’emploi se combinent, on s’aperçoit que certaines catégories de travailleurs n’ont quasiment plus d’autres possibilités que de travailler dans le cadre d’un emploi précaire. C’est en particulier le cas des jeunes femmes faiblement qualifiées (90 % d’emplois précaires), mais pas uniquement : les jeunes hommes faiblement qualifiés affichent désormais un taux de précarité (NDLR : entendu comme la proportion d’emplois à temps partiel et/ou à durée déterminée dans le nombre total d’emplois) quasiment aussi important (80 %) depuis 2019, et les jeunes femmes moyennement qualifiées travaillent désormais dans le cadre d’un emploi précaire à 70 %, les chiffres montrent une croissance importante de la précarité pour toutes les catégories de jeunes travailleurs, mais en particulier pour les jeunes hommes faiblement qualifiés, dont le taux de précarité a presque doublé en une décennie. » (2)

La contractualisation des allocations de chômage depuis 2005 et la limitation dans le temps des allocations d’insertion depuis 2015 ont chacune exclu plus de cinquante mille personnes du droit au chômage.
La contractualisation des allocations de chômage depuis 2005 et la limitation dans le temps des allocations d’insertion depuis 2015 ont chacune exclu plus de cinquante mille personnes du droit au chômage.

Rebâtir ce qui a été détruit

Le soutien à un redéploiement beaucoup plus généreux des allocations d’insertion est donc particulièrement bienvenu, nous revendiquions nous-mêmes, à la veille des élections de 2019, le fait de « restaurer pleinement l’ouverture du droit aux allocations de chômage sur la base des études en revenant sur les reculs des deux derniers gouvernements (…). » mais aussi de «  restaurer le caractère indéterminé dans le temps de l’ensemble des allocations de chômage, en supprimant la limitation dans le temps des allocations octroyées sur la base des études. » ou encore, plus globalement, de « mettre fin au contrôle de la disponibilité active des chômeurs ».  (3)

« Le soutien à un redéploiement des allocations d’insertion est donc particulièrement bienvenu »

La proposition de RDB-J décrite ci-dessus par François Perl ne réaliserait qu’une partie de ce programme, mais elle effectuerait des pas dans cette direction. De ce point de vue, nous ne pouvons que nous en féliciter. Reste à savoir si, sous cet aspect, il s’agit vraiment une proposition programmatique novatrice du PS. Son programme électoral de 2019 ne prévoyait-il pas déjà non seulement d’« assouplir l’accès aux allocations d’insertion pour les jeunes qui entrent sur le marché de l’emploi » en indiquant que « le droit aux allocations d’insertion, après un an de recherche infructueuse d’emploi, pour les jeunes jusqu’à 30 ans et les jeunes de moins de 21 ans sans diplôme, doit être réactivé. » mais encore le fait de « supprimer la limitation dans le temps des allocations d’insertion. » (4)

Étudiants : Sécurité sociale ou allocations d’études ?

Lorsque François Perl indique qu’il suggère « l’ouverture d’une réflexion sur la possibilité pour les étudiants d’accéder à l’allocation d’insertion », une avancée en ce sens pourrait être réellement novatrice et intéressante (si elle était liée au revenu disponible). Mais pour mettre en place une mesure d’aide aux études supérieures à l’horizon de 2024, ne serait-il pas plus pertinent de partir du système des allocations d’études organisé par la Fédération Wallonie-Bruxelles (notoirement insuffisant pour faire face au surcoût des études) ? Il semble en effet peu probable qu’il y ait aujourd’hui des interlocuteurs flamands prêts à soutenir une telle mesure au niveau fédéral. Il n’est sûr non plus que l’inscription d’une allocation de ce type dans le régime de la Sécurité sociale fédérale constitue une priorité pour les organisations syndicales. L’illusion d’une prise en charge par la Sécurité sociale fédérale risque malheureusement d’escamoter le débat sur le nécessaire réinvestissement de la Fédération Wallonie-Bruxelles dans les allocations d’études.

Un retour du « bonus social généralisé » ?

Enfin, nous relevons que nos réserves de fond par rapport au RDB-J ne sont pas vraiment levées par les explications de François Perl. D’une part, le RDB-J serait discriminatoire selon l’âge si ces allocations d’insertion étaient limitées aux moins devingt-cinq (ou trente) ans. De l’autre, la question du cumul de l’allocation avec des revenus du travail, qui pourrait potentiellement constituer une prime au travail mal payé et à temps partiel, n’est manifestement pas réglée. A cet égard, l’interview nous apprend que la proposition de la création d’un « bonus social généralisé, octroyé par la Sécurité sociale, garantissant à tout travailleur un complément de revenus afin d’atteindre 110 % du montant du seuil de pauvreté » qui figurait telle quelle dans le programme 2019 du PS n’a toujours pas été abandonnée. Nous l’avions déjà analysée en 2018 et nous avions déjà écrit tout le mal que nous en pensions, tant au regard de son irréalisme que de son caractère de prime aux bas salaires. (5)

Plutôt que d’avancer des propositions aux contours pour le moins flous et sans lendemain, comme celle de « Revenu de base jeunes », ainsi que l’a fait Ecolo en 2019 (6) et comme le PS semble se préparer à le faire pour les prochaines élections, ne serait-il pas préférable que ces partis se concentrent sur la défense et l’amélioration de l’assurance chômage existante ? Les idées ne manquent pas : refus de la limitation dans le temps des allocations de chômage et suppression de celle appliquée aux allocations d’insertion, suppression de la contractualisation des allocations, élargissement de la possibilité d’accès aux allocations d’insertion, revalorisation des allocations d’études et élargissement de leur conditions d’accès, instauration de cotisations sociales plus élevés sur les contrats de travail précaire et sur le travail étudiant, etc.

« Ne serait-il pas préférable que les partis se concentrent sur la défense de l’assurance chômage ?»

L’assurance chômage est une conquête sociale majeure. Elle est aujourd’hui dans le collimateur de la droite, qui veut la détruire. Dans ce contexte, il est d’autant plus nécessaire pour la gauche de la nommer en tant que telle et d’en prendre ouvertement la défense.

(1) Daniel Dumont, « Le revenu de base universel, avenir de la Sécurité sociale ? Une introduction critique au débat », Ed. De l’ULB, (2021), p. 25.

(2) FTGB Bruxelles, Baromètre socio-économique 2022, juillet 2022 , p. 45 et 46.

(3) Qu’en pensent les partis politiques? (texto), in Ensemble ! n° 97, p. 44.

(4) PS programme, Élections du 26 mai 2019, Union européenne, Fédéral, Fédération Wallonie-Bruxelles (2019).

(5) Arnaud Lismond-Mertes, « Le Bonus social généralisé du PS », in Ensemble ! n° 97, 2018, p. 35.

(6) Arnaud Lismond-Mertes (CSCE), « Le RDB d’Ecolo, contre le salariat et la Sécurité sociale », Ensemble ! n° 97, septembre 2018, p. 16

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