chômage

2024 : toute la droite unie pour limiter dans le temps les allocations de chômage

VB, N-VA, Open VLD, CD&V, MR, Les Engagés : toutes les forces politiques de droite belges se sont désormais ralliées au projet de limiter dans le temps les allocations de chômage. Avec l’appui des fédérations patronales (dont la FEB) et le soutien moral de l’OCDE et du FMI

Casser les allocations pour casser les salaires et les conditions de travail c’est le but principal de toutes les chasses aux chômeurs. - Dessin Manu Scordia
Casser les allocations pour casser les salaires et les conditions de travail c’est le but principal de toutes les chasses aux chômeurs. - Dessin Manu Scordia

La Belgique se singularise au niveau européen par deux acquis sociaux majeurs, qui n’ont jamais été construits dans d’autres pays ou qui y ont été démantelés. D’une part, l’indexation automatique des salaires et des allocations sociales. D’autre part, l’absence de limitation dans le temps des allocations de chômage.

Ces conquêtes sociales des travailleurs et des travailleuses valent à notre pays d’être régulièrement pointé du doigt comme un « mauvais élève de la classe » par les institutions internationales qui veillent au développement des politiques néolibérales et à la compression des salaires, dont l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et le Fonds monétaire international (FMI). Bien sûr, l’indexation des salaires et des allocations a connu plusieurs entorses : trois sauts d’indexation sous les gouvernements Martens-Gol (en 1983, 1984 et 1985), la création de « l’indice santé » en 1993 (exclusion des augmentations du carburant, de l’alcool et du tabac pour le calcul de l’indice) ainsi qu’un nouveau saut d’index en 2015, sous le gouvernement de Charles Michel. Bien sûr, l’absence de limitation dans le temps des allocations de chômage a été sérieusement écornée. Notamment, pour en rester à des exemples récents, par l’introduction de la contractualisation des allocations de chômage sous le gouvernement Verhofstadt II (2003-2007) qui a généré des exclusions à la pelle, par la limitation dans le temps des allocations dites « d’insertion » concernant les personnes dont le droit aux allocations était ouvert sur la base de leurs études, décidée sous le gouvernement Di Rupo (2011-2014) ou encore par la dégressivité renforcée des allocations, décidée sous le même gouvernement, qui rabaisse après maximum quatre ans l’allocation de chômage à un niveau forfaitaire, quasi égal à celles octroyées dans le cadre du Revenu d’intégration (RI).

Touchés mais pas coulés

Malgré ces coups portés, jusqu’à ce jour les rapports de force politiques et le poids du mouvement syndical en Belgique ont fait en sorte que tant l’index que des allocations de chômage sans limitation dans le temps ont été maintenus. Toute leur importance pour notre protection sociale a encore été démontrée lors de la crise sanitaire ou lors de celle des prix de l’énergie. Ainsi, en 2021, concernant les allocations de chômage, l’ONEm a reconnu et indemnisé en tant que chômeurs complets (CCI) 162.751 personnes demandeuses d’emploi depuis plus de deux ans, sur un total de 321.502 CCI. Un.e chômeur.euse complet.e indemnisé.e sur deux est donc un.e chômeur.euse de longue durée (1). Dans le Hainaut, c’est même 60%, alors qu’en Flandre, on est à 25% seulement.

Une revendication portée par la droite flamande

Concernant la limitation dans le temps des allocations de chômage, jusqu’en 2021 et par exemple pour les élections qui ont eu lieu en 2019, c’était une revendication portée politiquement seulement par les partis flamands qui se revendiquent ouvertement de droite ou d’extrême droite : la N-VA, l’Open VLD et le Vlaams Belang. Du côté francophone, le MR n’avait pas intégré cette revendication à son programme électoral de 2019. Il est vrai que, vu la répartition géographique du chômage, cette limitation serait très défavorable aux francophones. La région flamande compte 45.651 CCI demandeurs d’emploi indemnisés depuis plus de deux ans par rapport à 2.257.674 personnes assurées contre le chômage (2%). La région wallonne en compte 64.888 par rapport à 1.149.440 assurés (5,5%) et la région de Bruxelles-Capitale 38.954 par rapport à 371.409 assurés (10,4%) (2). Les seuls partis belges francophones qui avaient intégré cette revendication dans leur programme en 2019 étaient les petits partis d’extrême droite : la «  Liste Destexhe », qui mettait en avant une limitation à deux ans du chômage ainsi que le « Parti populaire » (PP), qui proposait de conditionner l’octroi d’allocations de chômage après 2 ans au fait de rendre des services à la collectivité à raison de 12 heures par semaine.

Les Engagés contre les chômeurs

En 2020, signe de mauvais augure, l’OCDE avait déjà commencé à intégrer cette mesure dans ses recommandations adressées à la Belgique, stigmatisant le fait que le système belge actuel « prévoit le versement de prestations uniformes à des chômeurs de longue durée qui, potentiellement, n’ont pas tous les mêmes besoins en fonction de leur situation familiale » et préconisant « pour les chômeurs de longue durée » de « prévoir des prestations sous condition de ressources plutôt que des prestations uniformes limitées dans le temps ». (Lire l’encadré) (3)

OCDE (2020) : «  Des prestations soumises à conditions de ressources pour les chômeurs de longue durée »

Dans sa publication de mars 2020 consacrée à la Belgique, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) préconise d’instaurer une limitation dans le temps des allocations de chômage. L’aide sociale des CPAS, basée sur l’état de besoin, devant prendre le relai pour les chômeurs de longue durée nécessiteux. Selon les termes mêmes de l’OCDE « le système (belge) prévoit le versement de prestations uniformes à des chômeurs de longue durée qui, potentiellement, n’ont pas tous les mêmes besoins en fonction de leur situation familiale ». Ce qui appelle sa recommandation suivante « pour les chômeurs de longue durée, prévoir des prestations sous condition de ressources plutôt que des prestations uniformes limitées dans le temps ».

Il s’agirait pour l’OCDE de passer de prestations sociales délivrées selon une logique d’assurance chômage contre la perte involontaire d’emploi à des prestations délivrées seulement aux plus démunis méritants : « (…) Pour que l’aide à long terme apportée aux chômeurs corresponde davantage aux besoins des ménages, la plupart des pays de l’OCDE limitent la durée de versement des prestations de l’assurance chômage, tout en permettant aux chômeurs de bénéficier de programmes d’assistance chômage ou d’aide sociale soumises à conditions de ressources lorsqu’ils arrivent en fin de droits. De même, la Belgique devrait abandonner les allocations forfaitaires au profit de prestations soumises à conditions de ressources pour les chômeurs de longue durée. (…). Il faudrait pour cela considérer l’aide au revenu octroyée aux chômeurs de longue durée appartenant aux ménages défavorisés comme une question relevant de la politique sociale, qui serait financée par les recettes fiscales générales et non par les cotisations de Sécurité sociale.

Quelle que soit la méthode choisie pour introduire les conditions de ressources, il importe de noter qu’une partie des bénéficiaires des allocations de chômage perdraient inévitablement l’aide au revenu qu’ils reçoivent. Ce sera probablement le cas des chômeurs qui vivent dans des ménages ayant d’autres sources de revenu, comme ceux dont le conjoint travaille, ou qui possèdent des actifs ou de l’épargne, comme certains travailleurs plus âgés ayant déjà effectué une longue carrière. (…) » (a)

(a) OCDE, « Études économiques de l’OCDE : Belgique 2020 », Éditions OCDE, (2020), p. 120 et 121.

Au cours de l’année 2022, le paysage politique belge a radicalement changé par rapport à cette mesure. C’est désormais toute la droite belge qui en réclame l’application, y compris la droite francophone et des formations qui se prétendaient « centristes ». En mars 2022, le changement de dénomination de l’ex-cdH, rebaptisé Les Engagés, ainsi que l’adoption par cette formation politique d’un nouveau programme intitulé « Manifeste pour une société régénérée » (qui « rompt avec les anciennes positions du cdH et propose des mesures très lisibles », selon La Libre) a été l’occasion de faire ce saut et d’adopter la proposition de « limiter les allocations de chômage à une période de 2 ans consécutifs pour éviter de faire tomber dans la dépendance les chercheuses et chercheurs d’emploi » (4). Selon les termes de son président, Maxime Prévot : « de plus en plus de personnes ne conçoivent plus que nous soyons en Belgique un des seuls états encore au monde à avoir le chômage à durée illimitée dans le temps. Nous sommes favorables à limiter dans le temps à deux années la capacité de bénéficier d’allocations de chômage, mais de revoir celles-ci à la hausse. (…) Nous sommes donc favorables à un montant revu à la hausse, mais plus limité dans le temps, avec au terme de ces deux ans une obligation pour l’Etat de proposer un job, dans le secteur associatif, public ou privé (…) » (5).

Les Engagés (2022) : «  limiter les allocations de chômage à une période de 2 ans consécutifs »

Le Manifeste pour une société régénérée adopté par Les Engagés (ex-cdH) indique qu’il propose « d’instaurer un droit à l’emploi et de limiter les allocations de chômage à une période de 2 ans consécutifs pour éviter de faire tomber dans la dépendance les chercheuses et chercheurs d’emploi. Au terme de cette période, toute chercheuse ou tout chercheur d’emploi bénéficierait d’un droit à l’emploi : un travail d’utilité publique dans le secteur public ou associatif lui serait automatiquement proposé en tenant compte de son profil. Cet emploi serait rémunéré au salaire minimum du secteur. Une entreprise privée pourrait également engager une chômeuse ou un chômeur en fin de droits et recevrait alors un subside à l’emploi équivalent au montant de l’allocation de chômage, puis dégressif mensuellement sur une période de 24 mois. (…) ».

On aimerait comprendre : quels sont les 64.888 emplois que la Wallonie devrait créer pour mettre au travail tous ses chômeurs de plus de deux ans dans le secteur public ou associatif ? Pourquoi ces personnes devrait-elles être sous-payées (salaire minimum du secteur) par rapport à d’autres qui feraient le même travail ? Donner une prime à l’emploi à un employeur privé pour l’engagement d’un chômeur de plus de deux ans va-t-il réellement augmenter le nombre d’emplois disponibles ou constituer un simple effet d’aubaine pour les employeurs ? Cela ne va-t-il pas bloquer l’engagement de chômeurs qui viennent d’arriver sur le marché de l’emploi ? Etc. etc.

(a) Les Engagés, « Manifeste pour une société régénérée », 2022, p. 140.

En mai 2022, ce fut au tour de la Fédération des entreprises de Belgique (FEB) de proposer, dans le cadre du « plan d’avenir pour notre pays » qu’elle a publié, de « limiter les allocations de chômage dans le temps au niveau fédéral, après quoi le budget libéré pourrait être utilisé par les Régions pour une véritable activation » (6). La FEB propose de « responsabiliser » les régions en la matière (Lire l’encadré) et rejoint ainsi l’idée, promue par la N-VA, de régionaliser les allocations de chômage de longue durée. Une proposition vis-à-vis de laquelle le président du PS, Paul Magnette, avait déjà fait des ouvertures publiques après les élections de 2019 : « Une grande partie de la droite flamande dit qu’il faut limiter les allocations de chômage dans le temps. Soyons clairs, j’y suis opposé. Un chômeur à Charleroi ne va jamais trouver un travail si l’allocation s’arrête. Mais je peux comprendre que pour un Flamand qui vit à un endroit où il y a le plein emploi, la question se pose. On doit beaucoup plus territorialiser les politiques. » (7). En juillet 2020, cette idée avait été mise sur la table des négociations dans le cadre des négociations qui ont eu lieu entre la N-VA et le PS en vue de former un gouvernement fédéral (8). Sans suite, heureusement, puisque cette formule de coalition gouvernementale n’a pas abouti.

FEB (2022) : «  limiter les allocations de chômage dans le temps au niveau fédéral »

En mai 2022, la Fédération des entreprises de Belgique (FEB) a publié un « plan d’avenir pour notre pays » intitulé « Horizon Belgique 2030 » dans laquelle elle présente notamment ses revendications par rapport au système de Sécurité sociale qui devrait, selon elle, être « activateur » et « réorienter les ressources humaines et les talents vers l’avenir et viser un taux d’emploi de 80% ou plus ».

Pour la FEB, cela passe par une limitation de la durée des allocations de chômage prise en charge au niveau fédéral, après quoi la responsabilité serait transférée aux régions : « La responsabilisation est encore aujourd’hui une pièce manquante du puzzle. Si nous voulons atteindre le taux d’emploi de 80% visé au niveau fédéral, nous avons besoin d’indicateurs clés de performance pour une véritable politique activatrice. Un autre moyen d’y parvenir est de limiter les allocations de chômage dans le temps au niveau fédéral, après quoi le budget libéré pourra être utilisé par les Régions pour une véritable activation. (…) Dans la Belgique de 2030, il devrait être parfaitement possible pour les demandeurs d’emploi de longue durée (après, par exemple, deux ans de chômage) de ne plus dépendre des allocations fédérales, mais d’être placés entre les mains des entités régionales, qui auront toutes les clés en main pour développer une politique sur mesure. (…) Le chômage de longue durée (plus de deux ans par exemple) devrait également être géré au niveau régional, avec la responsabilisation que cela implique et les objectifs nécessaires à poursuivre. » (a).

(a) FEB, « Horizon Belgique 2030 – Vision pour un avenir meilleur », (2022), p. 51, 79 et 80.

On constatera que la FEB ne mentionne pas explicitement le fait de limiter dans le temps les allocations de chômage de longue durée. Mais la FEB sait ce qu’elle fait en proposant de briser la solidarité entre le Nord et le Sud du pays. Dès lors que les allocations de chômage de longue durée seraient régionalisées, la fédération patronale sait qu’elle pourrait, en Flandre, compter sur une (large) majorité politique en faveur de la limitation dans le temps. Tandis que, aux niveaux wallon et bruxellois, elle pourrait s’appuyer sur les pressions budgétaires générées par cette régionalisation, qui orienteraient tôt ou tard un choix politique en ce sens. Sans oublier les effets prévisibles de la concurrence interrégionale qui serait induite si, en fonction d’une domiciliation dans l’une ou dans l’autre région, la durée d’indemnisation au chômage était complètement différente.

MR : « Il faut se retrousser les manches »

Le 23 octobre 2022, ce fut au tour du MR de tenir un congrès programmatique « Belgium 2030 », pour « moderniser son programme électoral » en vue de « doter la Belgique d’un projet porteur d’avenir, ambitieux et empreint de liberté à l’aube de son bicentenaire, en 2030 ». A cette occasion le MR s’est positionné pour « limiter, jusqu’à 55 ans, les allocations de chômage dans le temps et conditionner leur versement ainsi que celui du Revenu d’intégration (RI) après deux ans à une formation dans un métier en pénurie ou à une forme de travail au bénéfice de la communauté, afin de maintenir leur employabilité » (9). (Lire l’encadré)

Selon le président du MR, « la limitation dans le temps – à deux ans – des allocations de chômage » « est une vraie mesure de politique sociale ». Willy Borsus, vice-président du MR abonde en ce sens. La réalité chiffrée en Région wallonne est , indique-t-il, « la suivante : nous avons, au moment où nous parlons, 213.000 demandeurs d’emploi. La moitié sont au chômage depuis plus de deux ans et, dans le même temps, nous dénombrons 141 métiers soit en pénurie, soit sous forte tension. Il y a donc un écart considérable entre ces chiffres. Nous sommes partisans d’une limitation des allocations de chômage dans le temps, mais aussi d’un dispositif très net?: lorsqu’on vous a proposé à deux reprises soit une formation en rapport avec vos capacités et vos spécificités, soit un emploi jugé convenable, certaines mesures doivent être prises si vous les refusez. (…) Le but n’est pas d’amener les gens vers la paupérisation et d’ajouter du malheur au malheur, mais de favoriser une mobilisation collective, positive, de comprendre qu’il faut se retrousser les manches, s’insérer et trouver un travail. C’est une mesure au bénéfice des gens. » (10)

« C’est une mesure au bénéfice des gens. » (W. Borsus, MR)

La spécificité de la position du MR est de viser non seulement les allocations de chômage, mais d’introduire également, sous réserve d’acceptation de « travaux pour la communauté », une limitation dans le temps du Revenu d’intégration (RI) octroyé par les CPAS. Ces propositions sont, en outre, accompagnées de celle de « remplacer la multitude d’allocations sociales actuelles par une allocation de remplacement de base, d’établir un plafond du cumul d’aides pour nos concitoyens qui sont dans le besoin et d’instaurer une nouvelle quotité exemptée d’impôt qui permette de valoriser adéquatement ceux qui travaillent ». Les contours exacts de ces autres propositions sont à ce stade encore très imprécisément définis. (Lire à ce propos l’interview du président du MR)

MR  (2022) : « limiter les allocations dans le temps et les conditionner à une forme de travail au bénéfice de la communauté... »

La proposition de limitation des allocations de chômage dans le temps adoptée par le MR lors de son congrès du 23 octobre 2022 y était présentée en ces termes : « (…) Dans notre pays, les allocations de chômage ne sont pas limitées dans le temps. Il s’agit d’une situation unique en Europe. Quand on perd son emploi, la perte de revenus est, dès le départ, très importante.

Nous souhaitons donc tout d’abord une allocation de chômage renforcée durant les 6 premiers mois. Cette logique assurantielle renforcée peut se concrétiser par la rehausse du plafond actuel de 3.075,04 euros et/ou une rehausse du pourcentage actuel (maintien du second semestre de la première année au niveau actuel). Ensuite, les allocations de chômage ainsi que le Revenu d’intégration (RI) ne pourront plus être perçus que durant deux ans au plus (…). A l’instar de ce qui existe en Allemagne et en France, connaissant les difficultés de retrouver un emploi à partir d’un certain âge, nous proposons que cette mesure ne s’applique plus à partir de 55 ans. Une fois les deux ans de chômage/RI atteints, il serait possible pour la personne sans emploi de prolonger le versement des allocations en prenant part à des travaux d’intérêt général par exemple, ou en se formant dans un emploi en pénurie. (…)» (a)

(a) MR, « Belgium 2030 – synthèse des propositions et questions ».

CD&V : mettre à l’emploi à coup « de bâton »

Le 4 décembre 2022, c’est le nouveau président du CD&V, Sammy Mahdi, qui a annoncé, au détour d’une interview à l’émission De zevende dag, le ralliement de son parti à cette proposition, prônant quant à lui une suppression des allocations après trois ans de chômage et après une « ultime proposition » du service régional de l’emploi. Le tout en n’hésitant pas pour présenter sa proposition à utiliser un vocabulaire ordurier assimilant les chômeurs de longue durée à des animaux à faire avancer à coup de trique : « Nous avons besoin d’un bâton ». (Lire l’extrait de son interview) Quelques jours plus tard, le 8 décembre, le CD&V présentait à la presse ses 15 nouvelles propositions pour le marché du travail (« Jobs deal 2.0, pour une communauté solidaire et prospère »), parmi lesquelles on retrouve la limitation dans le temps des allocations de chômage (11). (Lire l’encadré)

L’année 2022 s’est terminée avec la publication, le 21 décembre, de recommandations à la Belgique émanant d’une mission du Fonds monétaire international (FMI). Laquelle prône (en sus notamment de la démolition de l’indexation des salaires et des allocations) la «  réduction et le plafonnement de la durée des allocations de chômage » qui «  inciteraient davantage à la recherche d’un emploi » (12).

CD&V (2022) : « Nous limitons les allocations de chômage à 36 mois »

Le 8 décembre 2022, le CD&V a présenté 15 nouvelles propositions pour l’organisation du marché du travail. Parmi celles-ci, on trouvait la limitation dans le temps des allocations de chômage mais aussi deux propositions, liées à celle-ci, de promotion de mise au travail dans des sous-statuts (« travail communautaire », etc.) :

« 9. Limiter les allocations de chômage dans le temps. Nous limitons les allocations de chômage à 36 mois pour ceux qui ne peuvent pas présenter 20 ans d’ancienneté. Pour ceux qui ont travaillé pendant plus de 20 ans, elles seront limitées à 48 mois. Les personnes de plus de 55 ans qui ont travaillé pendant plus de 20 ans bénéficieront d’une exception à cette limitation.

10. Une politique pour les chômeurs de longue durée qui active tout en n’abandonnant personne. Dès le premier jour, l’agence régionale pour l’emploi doit faire une offre sur mesure aux nouveaux demandeurs d’emploi. Des formations, des conseils, des postes vacants adaptés seront proposés en permanence dans le cadre d’une politique d’accrochage. À partir de janvier, un chômeur sera tenu d’effectuer un service communautaire utile dans la communauté locale après 2 ans. 6 mois avant la cessation des prestations, les services de l’emploi feront une ultime offre sur mesure. (…). Les personnes qui perdent leurs prestations sont orientées vers le CPAS.

11. Économie sociale. Il ne sera pas toujours possible d’employer les demandeurs d’emploi dans l’économie régulière. La personnalisation individuelle et collective avec des places supplémentaires dans l’économie sociale peut être une réponse. Des instruments locaux tels que les travaux d’intérêt général, les travaux de quartier ou les stages temporaires peuvent également permettre au médiateur régional de l’emploi de formuler une offre sur mesure. Cela se fait en coopération avec les CPAS, les administrations locales, les associations et le profit social, et ce tant pour les personnes bénéficiant d’allocations de chômage que pour celles qui perçoivent un revenu d’intégration ou qui ne sont pas sur le marché du travail. » (a)

(a) « Jobsdeal 2.0, voor een solidaire en welvarende gemeenschap », 08.01.22, sur le site du CD&V.

Casser les allocations pour casser les salaires

A qui cette réforme devrait-elle profiter ? Force est de constater que le secteur de la société qui monte actuellement au créneau pour la défendre est celui de l’intérim. C’est ainsi que, le 12 décembre 2022, le journal De Morgen publiait une pleine page de tribune intitulée « Pourquoi la limitation des allocations de chômage dans le temps est une mesure judicieuse » signée par Jan Denys… « expert du marché du travail chez Randstad » (13). La veille, RTL-TVI avait mis en avant un sujet où le secteur de l’intérim se plaignait de l’obstacle que les allocations de chômage constituaient pour le recrutement à très bas niveau de salaire : « Dans cette agence d’intérim, une certaine frustration s’est installée. Les entretiens sont parfois plus difficiles, la négociation salariale se durcit. Alice Leboute, responsable des ressources humaines dans une agence d’intérim explique : ‘Ils vont prendre la simulation de leur salaire dans l’emploi proposé et la comparer avec ce qu’ils touchent au chômage. Et ils vont se dire qu’ils vont peut-être gagner 100 euros en plus en travaillant, s’ils doivent compter les frais d’essence pour se déplacer, les frais de crèche, etc., puis en tirer la conclusion que ça ne les intéresse pas, qu’ils préfèrent rester au chômage.’ ».

Et la responsable de l’agence d’intérim d’enchaîner : « Je pense que c’est plutôt le système qui est mal fait. Je me dis, comment est-ce possible qu’en 2022 il soit plus rentable de rester chez soi en étant chômeur qu’en travaillant, tout simplement ? ». - Dessin Manu Scordia
Et la responsable de l’agence d’intérim d’enchaîner : « Je pense que c’est plutôt le système qui est mal fait. Je me dis, comment est-ce possible qu’en 2022 il soit plus rentable de rester chez soi en étant chômeur qu’en travaillant, tout simplement ? ». - Dessin Manu Scordia

La journaliste reprenant : « Plusieurs exemple concrets ont été rencontrés cette semaine, notamment ce père de famille qui vient de refuser un emploi par e-mail : ‘ce n’est pas une question de motivation, il s’agit d’un système qui ne motive pas à travailler quand la rémunération est plus faible que l’allocation de chômage. Ça ne devrait pas arriver’ ». Et la responsable de l’agence d’intérim d’enchaîner : « Je pense que c’est plutôt le système qui est mal fait. Je me dis, comment est-ce possible qu’en 2022 il soit plus rentable de rester chez soi en étant chômeur qu’en travaillant, tout simplement ? ». La journaliste de RTL-TVI poursuivant : « Il est impossible d’estimer le nombre de refus pour cette même raison, mais le sentiment dans cette agence est que ce phénomène est en augmentation. Comment éviter qu’aller travailler rapporte moins que l’allocation de chômage ? Le débat sur les pièges à l’emploi existe depuis des années au niveau politique ». In fine, la journaliste conclut : « Dans certains cas le refus d’emploi peut être sanctionné, mais il faut que l’offre soit jugée comme convenable. Le montant du salaire est déterminant.» en donnant opportunément la parole à Claire de Haan, responsable Direction réglementation chômage et contentieux à l’ONEm, pour un rappel des règles en vigueur en la matière : « Lorsque l’emploi n’est pas convenable, et ça va être le cas si la rémunération est inférieure au barème, ou si, grosso modo, elle est inférieure à l’allocation nette. Dans ce cas là l’emploi ne sera pas convenable, et donc il n’y aura potentiellement pas de sanctions » (14). Casser les allocations pour casser les salaires et les conditions de travail c’est, comme nous l’écrivons depuis longtemps, le but principal de toutes les chasses aux chômeurs. Le secteur de l’intérim partage manifestement notre analyse. A la différence qu’il estime quant à lui que le travail précaire et sous-payé est une excellente chose.

Créer un front de la gauche

2022 aura été l’année du grand rassemblement des forces politiques de droite et «centristes» belges pour la préparation d’une nouvelle saison de la série «stopchasseauxchomeurs.be», en visant cette fois-ci les chômeurs et les chômeuses de longue durée.

Puisse 2023 être l’année d’un rassemblement pluriel de l’ensemble des forces de gauche (syndicales, associatives, intellectuelles et politiques) pour défendre l’assurance chômage et s’opposer à ce projet de casse de l’État social. Avec nos petits moyens mais notre ferme détermination, nous essaierons d’y apporter notre contribution. Les élections de 2024 et les rapports de force qui en suivront seront un moment décisif pour l’avenir de l’assurance chômage et des solidarités en Belgique. Face à la bataille qui s’annonce, l’heure est à la mobilisation.

(1) ONEm, Rapport annuel 2022, « L’ONEm en 2021 – volume 2: indicateurs du marché du travail et évolution des allocations », p. 61.

(2) Chiffres ONEm, novembre 2022.

(3) OCDE, « Études économiques de l’OCDE : Belgique 2020 », Éditions OCDE, (2020), p. 130.

(4) Les Engagés, « Manifeste pour une Société régénérée », (2022), p. 140.

(5) RTBF, QR, 20/12/2022.

(6) FEB, « Horizon Belgique 2030 – Vision pour un avenir meilleur », (2022).

(7) Le Soir, 30.12.19

(8) Arnaud Lismond-Mertes, « Capituler et régionaliser les allocations de chômage ? », Ensemble ! n° 106, décembre 2021.

(9) MR, « Belgium 2030 – synthèse des propositions et questions » (2022) ; voir aussi Arnaud Lismond-Mertes, « MR : Haro sur les chômeurs et les organisations syndicales », Ensemble ! n°108, novembre 2022.

(10) Willy Borsus : « Nous voulons une limitation du chômage dans le temps », Paris Match, 23.12.22

(11) CD&V, « Jobsdeal 2.0, voor een solidaire en welvarende gemeenschap », 08.01.22

(12) FMI, « Belgium : Staff Concluding Statement of the 2022 Article IV Mission », December 21, 2022 disponible sur www.imf.org

(13) De Morgen, 12.12.22

(14) RTL, 11.12.22, www.rtl.be

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