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MR : haro sur les chômeurs et les organisations syndicales

Le Mouvement Réformateur propose un nouveau « contrat sociétal » qui passe par la fin des allocations de chômage après deux ans et la suppression du rôle des organisations syndicales dans le paiement des allocations.

Dessin Manu Scordia
G-L. Bouchez (MR) : "Aujourd'hui, à chaque fois qu'il y a un chômeur en plus dans notre pays, les syndicats touchent de l'argent. A chaque fois qu'il y a un malade en plus, les mutuelles touchent de l'argent. A chaque fois que vous remettez quelqu'un au travail, ni l'un ni l'autre ne touchent un euro. Où est leur motivation et leur intéressement?" - Dessin Manu Scordia

Ce 23 octobre 2022, le Mouvement Réformateur (MR) tenait un congrès dans le but d’actualiser son programme électoral pour « doter la Belgique d’un projet porteur d’avenir, ambitieux et empreint de liberté à l’aube de son bicentenaire, en 2030 » et de préparer son positionnement pour les élections de 2024. Cette réunion était notamment dédiée aux politiques sociales et à l’emploi. Au-delà de la proposition d’une (à ce stade, très vague) « allocation de base » vouée à « remplacer la multitude d’allocations sociales actuelles », le MR a décidé d’adopter, à travers ce congrès, un programme ouvertement antichômeur.euse.s et antisyndical.

Limiter les allocations de chômage à deux ans

A ce titre, le point de programme le plus marquant adopté par ce congrès est sans doute le fait de « limiter les allocations de chômage dans le temps pour les personnes âgées de moins de 55 ans et conditionner leur versement, ainsi que celui du revenu d’intégration (RI), après deux ans, à une formation dans un métier en pénurie ou à une forme de travail au bénéfice de la communauté, afin de maintenir leur employabilité » (1). Le MR rejoint ainsi les positions du Vlaams Belang, de la N-VA et du VLD sur la limitation dans le temps des allocations de chômage. Mais aussi celle des Engagés (ex cdH) dont le « Manifeste pour une société régénérée », adopté en mai 2022, propose de « limiter les allocations de chômage à une période de deux ans consécutifs pour éviter de faire tomber dans la dépendance les chercheuses et chercheurs d’emploi » (2). La Fédération des entreprises de Belgique avait récemment également formulé une proposition similaire, couplée à une régionalisation, de « limiter les allocations de chômage dans le temps au niveau fédéral, après quoi le budget libéré pourra être utilisé par les Régions pour une véritable activation. (…) Le chômage de longue durée (plus de deux ans par exemple) devrait également être géré au niveau régional, avec la responsabilisation que cela implique et les objectifs nécessaires à poursuivre » (3). Nous avions déjà attiré l’attention sur le fait qu’une telle proposition (régionaliser les allocations de chômage de « longue durée ») avait déjà fait l’objet de discussions entre la direction de la N-VA et celle du PS, en juillet 2020, à un moment où les deux formations exploraient les possibilités de former un gouvernement fédéral dont elles seraient l’axe (4). Après le vote du Congrès du MR, il y a donc aujourd’hui un large axe de force patronal et politique (Voka, FEB, Vlaams Belang, N-VA, VLD, Engagés et MR) en faveur d’une limitation à deux ans des allocations de chômage (avec des variations au niveau des modalités d’application et des mesures d’accompagnement), qui espère faire adopter cette mesure après les élections de 2024.

« Limiter les allocations de chômage dans le temps, c'est une volonté du MR. »

La députée Anne Laffut a présenté cette proposition au congrès des libéraux en ces termes : « Limiter les allocations de chômage dans le temps, c’est une volonté du MR. Nous sommes le seul pays en Europe à ne pas limiter dans le temps les allocations de chômage. L’objectif est donc de les limiter au-delà de deux années. Pour continuer à les percevoir, il faudrait alors s’inscrire dans une formation en pénurie ou effectuer une forme de travail qui bénéficie à l’ensemble de la collectivité. Toutefois nous n’appliquerions pas cette mesure après 55 ans, car nous savons qu’il est difficile de retrouver du travail au-delà d’un certain âge ». Mais n’est-ce pas une sorte de chasse aux chômeurs, cette limitation? « Non, je ne le pense pas », a répondu la députée : « Le chômage a perdu de son sens ses dernières décennies, il faut absolument lui rendre une logique assurantielle, qui permet une protection la plus optimale et la plus large possible lorsqu’un accident de carrière intervient. Personne n’est à l’abri. Il faut également lui rendre une logique d’activation, en incitant plus fortement le demandeur d’emploi à se tourner vers des mécanismes d’insertion. Cela permettra également à des organismes de formation tels que le Forem ou Actiris de se concentrer vers le demandeur d’emploi qui est le plus proche du travail. ».

Retirer aux organisations syndicales tout rôle dans l’assurance chômage

Une autre proposition programmatique adoptée par le MR vient compléter cette volonté d’instaurer une limitation dans le temps des allocations, celle de «mettre un terme à l’implication des organisations syndicales et patronales dans la gestion des institutions publiques, dont le paiement des allocations de chômage par les syndicats».

Le député Daniel Bacquelaine (MR) a défendu la mesure en en euphémisant la portée : « On doit revoir le rôle un peu confus des organisations syndicales dans notre pays. Puisque les syndicats reçoivent beaucoup d’argent public pour payer les allocations de chômage, nous pensons qu’il faudrait transférer ces sommes à la CAPAC, c’est-à-dire à une organisation indépendante des partis politiques. Prévoir plus d’accès direct et digital des citoyens aux services de l’Etat. On pourrait aussi revoir le rôle des mutuelles dans cette optique-là. Les syndicats participent également en tant que gestionnaires à toute une série d’institutions publiques, dans le secteur de l’emploi, de la formation et des pensions. Cette gestion paritaire entre les organisations syndicales et patronales désinvestit le politique. N’y-a-t-il pas là une confusion des rôles? Surtout lorsque l’on voit que ce sont les organisations syndicales qui gèrent la CAPAC, qui est un organisme concurrent des syndicats eux-mêmes pour la gestion des allocations de chômage. Il y a là une confusion des rôles dont il faut sortir aujourd’hui. ». A travers cette mesure, l’ambition du MR est donc double. Il s’agit de couper les chômeur.euse.s de leur lien avec les organisations syndicales pour mieux casser l’assurance chômage. Mais il s’agit également de mettre fin à la cogestion paritaire du marché de l’emploi, des organismes de Sécurité sociale et des organismes de formation professionnelle, de même qu’il conviendrait d’écarter les mutuelles de la gestion de l’assurance maladie invalidité.

« On doit les sortir »

Dans un débat public qui a précédé ce congrès du MR, son président, Georges-Louis Bouchez, n’a pas hésité à étayer de façon plus large cette proposition antisyndicale : « Aujourd’hui, il y a un vrai problème dans notre pays avec les syndicats et les mutuelles, qui sont les intermédiaires pour la distribution de l’argent public. Ils n’ont aucune légitimité démocratique, ils n’ont aucune responsabilité devant le Parlement et pourtant ils se substituent à l’Etat dans la gestion des deniers publics. Je trouve que c’est une anomalie qui est le fruit de l’histoire, mais qui n’a plus aucune raison d’exister aujourd’hui. ». Et celui-ci de poursuivre : « Il faut flexibiliser le travail. Le nœud du problème de tout ça, et la raison pour laquelle on ne peut pas faire des réformes en Belgique, c’est parce qu’aujourd’hui les caisses sont gérées par des mutuelles et des syndicats. A chaque fois que le gouvernement fédéral doit prendre une décision, il doit l’envoyer pour avis aux partenaires sociaux, alors qu’on sait très bien à l’avance la réponse qu’ils vont faire. On perd des mois, puis après le PS est sous pression parce que les partenaires sociaux n’ont pas eu d’accord entre eux. Si le Job deal qu’on a décidé l’année passée, qui est un truc minimaliste, n’est toujours pas voté un an plus tard, c’est parce qu’on a perdu un temps dingue dans des salamalecs et des simagrées, alors qu’on savait très bien avant de prendre une décision que la FGTB ne serait pas d’accord avec nous. (…) On passe notre temps à négocier avec des gens qui n’ont pas de légitimité démocratique. Ça ne veut pas dire qu’ils n’ont pas de légitimité ou d’utilité. Ils sont là pour protéger les travailleurs. Très bien, mais pour protéger les travailleurs, ils n’ont pas besoin de négocier à la même table que celle du gouvernement. Ils ne sont quand même pas là pour négocier l’argent public. Si on veut réformer, il y a une série d’acteurs comme ceux-là dont on doit diminuer le poids. Leur poids excessif amène un conservatisme qui n’est plus tenable. (…) Les syndicats ne doivent plus cogérer la Sécurité sociale, ils ne doivent plus siéger au Comité de gestion du Forem, qui doit être dirigé par le pouvoir politique. Il faut que le ministre de l’Emploi puisse intervenir en permanence sur la gestion du Forem. Aujourd’hui ce n’est pas le cas, ce sont les syndicats qui décident de la façon dont on alloue les moyens. Le rôle noble des syndicats, c’est de défendre les travailleurs, c’est de revendiquer, c’est de manifester, de faire des propositions. Ce n’est pas de gérer l’argent de l’État. On doit les sortir de toute une série de caisses de gestion, au même titre que les organisations patronales ou que les mutuelles. » (5).

« Ça leur permet d'avoir des adhérents »

Et le président du MR d’expliquer pourquoi il tient absolument à retirer aux syndicats la mission du paiement des allocations de chômage : « Les syndicats nous disent que le paiement des allocations de chômage leur « coûte de l’argent ». Ils viennent pleurer devant nous en indiquant qu’ils « rendent service à l’État ». Personne ne pose la question : comment un syndicat pourrait-il mener une activité qui lui coûte de l’argent et continuer à le faire? Si vous menez une activité déficitaire depuis plus de cinquante ans, à un moment, il y a la faillite. Chez les syndicats, non, ça ne se passe pas comme ça, car ce qu’ils oublient de vous dire, c’est que payer des allocations de chômage, ça leur permet d’avoir des masses de personnel supplémentaire, et on ne vérifie pas si ce personnel ne fait que payer des allocations de chômage. Ça leur permet surtout d’avoir des adhérents et des cotisants d’une façon hyperartificielle. Il y a deux millions et demi de personnes qui sont membres d’un syndicat en Belgique. J’aimerais bien les sonder pour savoir s’ils ont véritablement la volonté d’aller battre le pavé dans des manifestations. Quand les syndicats disent qu’ils ont réuni 100.000 personnes à Bruxelles, en activant tous leurs copains, dont des associations subventionnées par l’argent public, il faut rapporter ce chiffre à leur nombre de membres. Moi, je pense que 100.000 manifestants par rapport à 2.500.000 membres, ça montre qu’il y a un décalage entre le nombre d’adhérents et celui de véritables militants.

« Chaque fois qu'il y a un chômeur en plus, les syndicats touchent de l'argent »

Aujourd’hui, à chaque fois qu’il y a un chômeur en plus dans notre pays, les syndicats touchent de l’argent. A chaque fois qu’il y a un malade en plus, les mutuelles touchent de l’argent. A chaque fois que vous remettez quelqu’un au travail, ni l’un ni l’autre ne touchent un euro. Où est leur motivation et leur intéressement? On dit que « Quand les syndicats paient les allocations de chômage, ça coûte moins cher à l’État » : grande légende urbaine ! (Lire) En fait, c’est vrai qu’aujourd’hui l’organisme de paiement qui coûte le moins cher par chômeur pour le paiement des allocations de chômage, c’est la CSC. Le deuxième c’est la FGTB et le troisième, c’est le syndicat libéral, et le dernier c’est la CAPAC. Vous savez pourquoi? Il suffit de regarder le nombre de gens qu’ils indemnisent. Le syndicat qui indemnise le plus de chômeurs, c’est la CSC, le deuxième c’est la FGTB, le troisième c’est le syndicat libéral, le dernier c’est la CAPAC. Les syndicats ont découvert l’économie d’échelle ! Plus vous indemnisez des gens, moins ça vous coûte cher par individu : parce que le logiciel informatique est le même, parce que le nombre de gens pour traiter 500 dossiers ou 3.000 dossiers n’est pas fondamentalement différent, puisque beaucoup de choses sont automatisées. Ce qu’il faut retenir de tout cela, ce n’est pas que les organisations syndicales font mieux, c’est que s’il n’y avait qu’une seule caisse de paiement, ça coûterait beaucoup moins cher. ».

Dessin Manu Scordia
G.-L. Bouchez (MR) : « la CAPAC est gérée par la FGTB. Quand on nous explique que la CAPAC, c'est l’État, c'est totalement faux. L’État fait un marché public pour donner en gestion sa caisse de paiement à un opérateur. Et il se fait que cet opérateur c'est la FGTB. Et donc vous avez compris pourquoi ils n'ont vraiment aucun intérêt à faire fonctionner la CAPAC. »

Emporté par l’élan de sa charge antisyndicaliste, le président du MR n’a pas hésité à passer des interprétations tendancieuses (et comportant déjà des erreurs) au registre de la diffusion de pures fake news. « Pour l’anecdote », a-t-il indiqué, « la CAPAC est gérée par la FGTB. Quand on nous explique que la CAPAC, c’est l’État, c’est totalement faux. L’État fait un marché public pour donner en gestion sa caisse de paiement à un opérateur. Et il se fait que cet opérateur c’est la FGTB. Et donc vous avez compris pourquoi ils n’ont vraiment aucun intérêt à faire fonctionner la CAPAC. ». Une contrevérité manifeste, pour ce qui concerne l’attribution de la gestion de la CAPAC à la FGTB à travers un marché public, qui lui a valu une réponse sous la forme d’une lettre ouverte intitulée « Non, l’indemnisation du chômage n’enrichit par les syndicats » (Lire ici) (6) de la part de Mateo Alaluf (ULB), qui avait dû subir les diatribes antisyndicales de M. Bouchez lors de ce débat public auquel il avait été invité.

Faire front ensemble ou perdre en ordre dispersé

La non-limitation dans le temps des allocations de chômage est, avec l’indexation des salaires, l’un des acquis fondamentaux du monde du travail en Belgique. Pour y mettre fin, le MR et le patronat sont manifestement prêts à tout, et au besoin à un bashing antisyndical. Le positionnement du MR sur ce point doit être pris très au sérieux. Il a au moins le mérite de souligner un triple fait. Il n’y aura pas de défense forte des droits des travailleur.euse.s avec emploi sans défense forte de l’assurance chômage. Il n’y aura pas d’organisations syndicales fortes sans lien avec les chômeur.euse.s et sans défense forte de ceux-ci. Il n’y aura ni défense des chômeur.euse.s forte ni défense forte des travailleur.euse.s avec emploi sans organisations syndicales fortes. Plus que jamais l’unité des travailleur.euse.s avec et sans emploi ainsi que leur organisation et leur mobilisation au niveau syndical sont indispensables pour préserver les acquis sociaux. La droite et le MR l’ont bien compris. Puissent les forces de gauche le comprendre également et faire front pour leur défense.

(1) Congrès du MR, « Un nouveau contrat sociétal, social et fiscal », 23.10.22.

(2) Le cdH, « Manifeste pour une société régénérée », mai 2022, p. 140.

(3) FEB, « Horizon 2030, Vision pour un avenir meilleur pour la Belgique », mai 2022.

(4) Arnaud Lismond-Mertes et Yves Martens (CSCE), « Capituler et régionaliser les allocations de chômage ? », Ensemble ! n°106, décembre 2021.

(5) G.-L. Bouchez, au débat public sur le revenu universel de base, du 19.09.22.

(6) Publiée dans Le Vif, 10.10.22.

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