Régionalisations : stop, encore ?

Capituler et régionaliser les allocations de chômage ?

Que se prépare-t-il pour 2024 ? Avis de tempête et de mobilisation pour la Belgique et l’organisation de la Sécurité sociale. En particulier l’assurance chômage.

Bart De Wever (N-VA) : « On a besoin d’un nouveau coup d’Etat », in De Krant van West-Vlaanderen, 9.7.21
Bart De Wever (N-VA) : « On a besoin d’un nouveau coup d’Etat », in De Krant van West-Vlaanderen, 9.7.21

Les résultats des élections du 26 mai 2019 ont été marqués par une évolution importante du paysage politique flamand. Avec 24,8% des votes au parlement flamand, la N-VA reste le premier parti, mais elle est talonnée par le parti d’extrême droite indépendantiste Vlaams Belang (VB), qui devient le second avec un score de 18,5 %. Ensemble, ces deux partis séparatistes très à droite et partageant un même positionnement anti-immigration, largement racistes, ont donc totalisé plus de 43 % des voix. Éphémère poussée de radicalisation, intervenue dans un contexte où la N-VA avait mis en avant dans la campagne électorale la phobie des migrations, en faisant tomber le gouvernement précédent sur la signature du « pacte de Marrakech » ?

Une résistible ascension

Non, à en croire les sondages portant sur les intentions de vote qui se sont succédé depuis lors. Le bloc nationaliste flamand ne faiblirait pas par rapport aux derniers résultats électoraux et le Vlaams Belang devancerait la N-VA, devenant ainsi le premier parti politique de Flandre. Le VB et la N-VA s’apprêtent-ils à disposer des clés du pays en 2024 ? Dans l’interview qu’il nous avait accordée en septembre 2019, Jos Geysels, qui a été à l’origine de l’adoption du cordon sanitaire contre l’extrême droite en Flandre (ratifié par tous les partis sauf par la N-VA), refusait de céder à la panique par rapport aux résultats du VB, indiquant que « même si la N-VA et le VB avaient au total 50 % des parlementaires au parlement flamand, je ne pense pas qu’ils formeraient une majorité de gouvernement ensemble, du moins pas sans le soutien d’un troisième parti. Que feraient-ils ? Voter une déclaration d’indépendance de la Flandre au parlement flamand ? La majorité des cadres et des parlementaires de la N-VA sont en faveur d’une république flamande indépendante, c’est l’objectif inscrit dans leurs statuts fondateurs, mais ce ne serait pas soutenu par la population flamande. Je n’exclus plus rien pour l’avenir, cependant ça me paraît peu probable. » (1).

Trois contributions à la réflexion :

– p. 49 : Bruno De Wever, historien à l’Ugent, spécialiste de l’histoire du mouvement flamand, se positionne publiquement comme un nationaliste flamand modéré et démocrate, soucieux des droits de l’homme et n’hésite pas à critiquer vertement la N-VA pour sa politique sociale dure ou encore pour ses campagnes de stigmatisation des migrants. Dans l’interview qu’il nous a donnée, il répond à nos questions sur le sens à donner à l’idée de « peuple flamand », sur l’histoire de la formation de la « nation flamande » et du mouvement nationaliste flamand, sur leur rapport à la collaboration et à l’extrême droite. Quant aux perspectives, il nous confirme que, pour le mouvement nationaliste flamand, l’indépendance de la Flandre est un « objectif absolu » et que si le résultat électoral « donne des possibilités aux nationalistes en Flandre de poursuivre leurs exigences, alors beaucoup de choses seront possibles ». Mais, indique-t-il, d’ici à ce que le résultat du scrutin soit connu : « les futurs négociateurs éventuels de 2024, aussi bien flamands que francophones, ne vont pas dévoiler publiquement leurs cartes ».

– p. 53 : David Pestieau, vice président du PTB-PVDA, vient d’écrire un livre intitulé We are one – Manifeste pour l’unité de la Belgique . Dans son interview, celui-ci nous présente son analyse du « risque de basculement » de la Belgique vers la scission que pourraient constituer les élections de 2024. Au-delà, il met en avant les remèdes que le PTB propose : mobiliser la population à travers une vaste campagne de sensibilisation pour dénoncer les graves dangers qu’apporteraient de nouvelles régionalisations pour le bien-être des Belges.

– p. 59 : Paul Pasterman, Secrétaire régional bruxellois CSC-ACV est un expert syndical reconnu et un praticien de la Sécurité sociale. En guise de contribution à la réflexion sur l’avenir, il nous présente un bilan détaillé et étayé de l’application des défédéralisations des soins de santé et des allocations familiales initiées par la VIe réforme de l’État, et ce du point de vue de leur application en Région de Bruxelles-Capitale. « En ce qui concerne les allocations familiales, le bilan après sept ans ne fait que confirmer ce que tout le monde pressentait: la scission de ce secteur est une idiotie. En ce qui concerne la santé, à l’étonnement peut-être de certains, je serai amené à défendre une position plus nuancée. », écrit-il.

Le chantage de la N-VA

Bart De Wever : « La Belgique est terminée »

Deux ans après, cette analyse garde sa pertinence, mais le VB paraît avoir toujours le vent en poupe et le président de la N-VA, Bart De Wever, s’appuie sur ce contexte pour faire avancer son agenda régionaliste et tente de créer un climat politique d’adhésion à son projet séparatiste. Tantôt, il déclare à la presse que « l’on a besoin d’un nouveau coup d’Etat » (« we hebben een nieuwe coup nodig») (sic) pour régionaliser plus avant le pays sans respecter les règles fixées par la Constitution belge pour sa modification (déclaration préalable d’ouverture de l’article à révision, majorité des deux tiers, etc.). « On se dirige vers une implosion du système, je n’exclus même pas des troubles civils. Que les gens s’attaquent dans la rue », avance-t-il, pour plaider en faveur d’une mise entre parenthèses de la Constitution, indiquant par ailleurs que «  quiconque pense et est sincère admettra que la Belgique est terminée. En fait, je pense que le consensus à ce sujet n’a jamais été aussi grand. » (2). Tantôt il déclare souhaiter, après l’étape « confédéraliste », un avenir en dehors de la Belgique, où la Flandre serait rattachée aux Pays-Bas : « Le fédéralisme était impensable en Belgique dans les années 60, c’était la réalité dans les années 70. Le confédéralisme est difficile à imaginer en Wallonie aujourd’hui, je pense que ce sera la réalité demain. Une confédération des Pays-Bas, avec dix-sept provinces, pourrait être une réalité après-demain. Si je pouvais mourir en tant que Néerlandais du Sud, je mourrais plus heureux qu’en tant que Belge » (3).

Réformer avec la N-VA ?

A en croire le récent livre que le journaliste Wouters Verschelden a consacré aux négociations qui ont suivi les élections de mai 2019 en vue de la formation d’un gouvernement fédéral, Bart De Wever ne ferait pas que des monologues dans la presse sur le devenir post-Belgique de la Flandre. Le 11 juillet 2020, le président du PS, Paul Magnette, aurait commencé à aborder avec lui ce type de scénario  : « Je ne pense pas que tu tiennes au nom Belgique, pour la Flandre, Bart ? Cela vous dérangerait-il si un jour nous gardions ce nom pour la Wallonie et Bruxelles ? ». Quelques jours après cette évocation d’un possible avenir post-Belgique, Bart De Wever et Paul Magnette étaient nommés « préformateurs » par le roi et leurs équipes campaient au dernier étage du siège bruxellois de la N-VA pour rédiger ensemble un projet d’accord de gouvernement. M. Magnette aurait commenté celui-ci, à l’intention du roi, en ses termes : « Vous savez bien que si un jour il y a un accord entre nous, il tournera nécessairement autour de la poursuite de la réforme de l’État. Régionaliste, en d’autres termes » (4) .

24.11.21 « Faut-il limiter les allocations de chômage dans le temps ? », débat organisé par le cdH.
24.11.21 « Faut-il limiter les allocations de chômage dans le temps ? », débat organisé par le cdH.

In fine, le projet d’accord entre le PS et la N-VA a échoué, faute de parvenir à y rallier les libéraux et les écologistes, et c’est la coalition Vivaldi, sans la N-VA, qui finalement a vu le jour. Peut-on considérer que ce scénario d’alliance est clos ? Selon Wouter Verschelden, M. Magnette aurait qualifié la Vivaldi de « gouvernement de transition » et celle-ci pourrait d’ailleurs ne pas aller jusqu’à son terme, prévu en 2024.

« Territorialiser les politiques »

Paul Magnette : « On doit beaucoup plus territorialiser les politiques »

Dès avant cette tentative de former un gouvernement avec la N-VA, des experts proches du PS rédigeaient déjà, en janvier 2019, une note sur les « scénarios de défédéralisation des régimes relatifs aux chômeurs avec complément d’entreprise (RCC) et aux chômeurs âgés » (5) et puis, en avril 2020, une autre sur les « scénarios de défédéralisation portant sur les chômeurs complets indemnisés demandeurs d’emploi (CCI-DE) et les chômeurs à temps partiel volontaires » (6). Cette idée, qui ne figure pas dans le programme sur lequel le PS s’était présenté aux électeurs a également été développé publiquement dans une interview donnée au journal Le Soir, en décembre 2019 : « Il faut une réforme de l’État en 2024 », indiquait Paul Magnette, en évoquant comme un contenu possible sa disponibilité pour organiser de façon différentiée l’assurance chômage selon les régions : « Une grande partie de la droite flamande dit qu’il faut limiter les allocations de chômage dans le temps. Soyons clairs, j’y suis opposé. Un chômeur à Charleroi ne va jamais trouver un travail si l’allocation s’arrête. Mais je peux comprendre que pour un Flamand qui vit à un endroit où il y a le plein-emploi, la question se pose. On doit beaucoup plus territorialiser les politiques. » (7).

La droite flamande (N-VA et VLD) revendique ouvertement, depuis de longues années, la limitation dans le temps (maximum deux ans) de l’octroi des allocations de chômage, tandis que les partis francophones (en particulier le PS, le PTB et Ecolo) s’étaient jusqu’ici officiellement positionnés contre (le gouvernement Di Rupo ayant toutefois, en 2011, décidé de limiter dans le temps l’indemnisation des allocations obtenues sur base des études). La régionalisation des allocations de chômage de longue durée est donc présentée comme une piste de « compromis » sans perdant qui offrirait à chaque région la possibilité de mener la politique qu’elle souhaite.

Régionaliser l’assurance chômage = la démanteler

Nous ne nous faisons pour notre part aucune illusion, si une régionalisation de la durée de l’indemnisation des allocations de chômage devait intervenir, elle serait à court ou à moyen terme suivie d’une régionalisation du financement de l’assurance chômage. Il est mensonger de vouloir faire croire que la Flandre accepterait de contribuer au financement d’une assurance chômage qui serait octroyée selon des critères plus généreux en Wallonie et à Bruxelles. S’engager dans cette voie, c’est organiser la démolition d’un nouveau pan de l’assurance chômage en Belgique. En Flandre, ce démantèlement interviendrait du fait du poids de la droite. La N-VA et le VLD auraient tôt fait d’imposer la limitation à deux ans de l’indemnisation. En Wallonie et à Bruxelles, il interviendrait sous la pression du budget, car les régions wallonnes et bruxelloise connaissent un plus haut taux de chômage et sont moins prospères. Elles auraient donc des difficultés à supporter un choc budgétaire lié au fait de devoir indemniser proportionnellement plus de chômeurs avec moins de recettes. Faute de moyens suffisants, il resterait alors la piste d’une augmentation des exclusions pour diminuer les dépenses. Nous craignons, comme nous l’avons déjà écrit, que la réforme du Forem qui vient d’être adoptée vise déjà à permettre à la Wallonie de s’inscrire, à terme, dans un tel scénario. En donnant un pouvoir absolu au Forem sur les demandeurs d’emploi, elle permettra, en cas de régionalisation, au gouvernement wallon de régler informellement, via le Forem, le nombre d’exclusions des demandeurs d’emploi en fonction du budget qu’il pourra et souhaitera y consacrer (8).

Ces 20 octobre et 24 novembre 2021, Il fera beau demain – Mouvement Positif (c’est-à-dire le nouveau « mouvement » que le cdH a créé pour soutenir ou organiser sa prochaine campagne électorale) a organisé deux débats publics intitulés « Faut-il limiter les allocations de chômage dans le temps ? ». La note de présentation de ces débats précise : « Doit-on assurer un droit à l’emploi et limiter le chômage dans le temps ? Plutôt que de garantir des allocations de chômage illimitées dans le temps, l’autonomie de chacune et chacun ne serait-elle pas mieux défendue en proposant à tout chômeur de longue durée un emploi ? Concrètement, au bout de deux ans, les allocations de chômage prendraient fin mais un emploi d’utilité publique dans le secteur public ou associatif lui serait proposé. »(9) Peu d’observateurs prendront au sérieux l’idée que le cdH, qui a participé à toutes les chasses aux chômeurs lorsqu’il était au pouvoir, veuille aujourd’hui offrir à toutes les personnes au chômage depuis deux ans un emploi payé selon les barèmes dans l’administration. On en retiendra donc que, subrepticement, le cdH s’apprête à intégrer au sein de son programme des ouvertures à une limitation des allocations de chômage et à tenter de préparer les esprits à cette idée à l’occasion de la campagne électorale.

La majorité, c’est nous !

Le mouvement nationaliste flamand ne représente qu’une minorité en Belgique.

Si une campagne énergique n’est pas développée pour s’y opposer, il est à craindre que la régionalisation des allocations de chômage de longue durée fera partie d’un nouvel accord de gouvernement que les Belges découvriront après les élections. Il est temps pour ceux et celles qui défendent les solidarités organisées par la Sécurité sociale de faire entendre leur voix contre ce projet. Même s’il devait gagner les élections en Flandre, le mouvement nationaliste flamand ne représenterait toujours qu’une minorité à l’échelle de la Belgique. Refusons que celle-ci nous impose son agenda politique séparatiste et anti-social.

(1) Arnaud Lismond-Mertes et Paul Vanlerberghe, « Notre cordon sanitaire tient bon », Ensemble ! n° 100, septembre 2019.

(2) Paul Cobbaert, « Terug naar Loppem met Bart De Wever: « We hebben een nieuwe coup nodig » », in De Krant van West-Vlaanderen, 9 juillet 2021.

(3) Kanaal Z, 20.07.2021

(4) Wouters Verschelden, Les Fossoyeurs de la Belgique, 2021.

(5) Bertrand, Rennoir, Bayenet, Plasman et Tojerow, non publié, janvier 2019.

(6) Benoît Bayenet et alii, non publié, avril 2020.

(7) in Le Soir, 30.12.

(8) Arnaud Lismond-Mertes et Yves Martens, « Ils ne « savaient pas » (ter) ? », Ensemble ! n° 105, p. 74.

(9) www.ilferabeaudemain.team Débat le 20.10.21 à La Louvière et le 24.11.21 à Bruxelles.

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