chômage

Le Forem s’enlise dans sa réforme

Les trois organisations syndicales du Forem ont déposé un préavis d’actions et de grève et demandent de suspendre la mise en place de l’accompagnement adapté. Alors que la digitalisation devait presque tout gérer, elle fonctionne (très) mal et le Forem semble perdre le contact avec son public.

« Dès le départ, nous avons non seulement dénoncé cette réforme comme étant une nouvelle forme de chasse aux chômeur.euse.s wallon.ne.s,(...), mais aussi la foi aveugle dans une informatisation à outrance déshumanisante dont elle témoignait, (…), la transformation du Forem et de l’accompagnement en une usine à gaz » - Dessin Manu Scordia
« Dès le départ, nous avons non seulement dénoncé cette réforme comme étant une nouvelle forme de chasse aux chômeur.euse.s wallon.ne.s,(...), mais aussi la foi aveugle dans une informatisation à outrance déshumanisante dont elle témoignait, (…), la transformation du Forem et de l’accompagnement en une usine à gaz » - Dessin Manu Scordia

Le 21 novembre 2021, le Parlement wallon a adopté le décret relatif à l’accompagnement orienté coaching et solutions des chercheurs d’emploi, présenté par la ministre de l’Emploi, Christie Morreale (PS), par un vote acquis majorité (PS-MR-ECOLO) contre opposition (PTB-Engagés!). Nous avons suivi de près le processus d’adoption de cette réforme, qui modifie fondamentalement les rapports entre le Forem et les demandeurs d’emploi (DE), ainsi que nous l’avons analysé en détail (1).

Une réforme mal conçue, dangereuse et précipitée

Dès le départ, nous avons non seulement dénoncé cette réforme comme étant une nouvelle forme de chasse aux chômeur.euse.s wallon.ne.s, le risque d’une explosion des sanctions des chômeurs au titre du contrôle de la disponibilité passive, mais aussi la foi aveugle dans une informatisation à outrance déshumanisante dont elle témoignait, la ruine de la relation de confiance avec les DE, la transformation du Forem et de l’accompagnement en une usine à gaz, ainsi que le manque d’études préalables à son adoption et la précipitation avec laquelle elle a été adoptée. Ce dernier constat, à tout le moins, était partagé par de nombreux acteurs concernés. A commencer par le Comité de gestion du Forem qui, sommé de remettre son avis sur le projet de décret en plein pendant les vacances de 2020, avait explicitement fait acter qu’il regrettait « les conditions dans lesquelles son avis est sollicité, soit dans un délai très court en pleine période estivale » (2). De façon plus explicite, Anne-Hélène Lulling, Secrétaire générale de l’Interfédé des CISP (Centres d’insertion socioprofessionnelle) avait dénoncé une réforme « menée dans la précipitation, sur base d’une réflexion insuffisante et parfois dans le non-respect des partenaires » (3). Idem, le président de la CSC wallonne, Bruno Antoine, nous avait indiqué qu’il « y a régulièrement dans ce dossier des démarches précipitées, tant dans le chef du Forem que du gouvernement wallon, pouvant mener à des erreurs préjudiciables aux demandeurs d’emploi ou au personnel Forem » (4). Quant au personnel du Forem lui-même, il avait largement fait entendre son scepticisme et même, par la voix de la CGSP-Forem, son opposition au projet, lorsqu’il fut présenté dans les instances de concertation sociale de l’institution, où la CGSP avait formellement remis un avis défavorable sur le projet, pointant notamment que « l’intégration de l’évaluation-contrôle à l’accompagnement induira pour les conseillers une perte de sens de leur mission et altérera la relation de confiance établie avec les usagers, ce qui affectera la charge psychosociale des travailleurs ainsi que leur sentiment de sécurité » et encore qu’il est « impensable de considérer qu’un accompagnement d’un nombre de demandeurs d’emploi démultiplié à ressources humaines constantes en interne, et à budget constant pour les partenaires externes, soit réaliste » (5). Hélas, malgré des auditions au Parlement wallon, aucune des voix critiques n’avait été entendue par le gouvernement wallon et par la majorité PS-MR-Ecolo (6). Où en sommes-nous un an après l’adoption du décret ?

Que donne, sur le terrain, cette mise en place de la réforme ?

Si les arrêtés d’exécution n’ont été adoptés par le gouvernement wallon que très récemment, fin décembre 2022, le Forem a déjà initié son basculement vers le nouveau type d’accompagnement actuellement dit « adapté » depuis le 1er juillet 2022, toujours avec la même précipitation. Que donne, sur le terrain, cette mise en place de la réforme ? Interpellée, l’administratrice générale du Forem, Marie-Kristine Vanbockestal, concède qu’il y a « des questions qui restent aujourd’hui sensibles », fait un mea culpa par rapport à « certaines mises en production trop hâtives d’outils insuffisamment testés » et évoque des chiffres rassurants (mais qui concernent la période de 2022 qui précède la mise en place de la réforme) par rapport au maintien du contact d’une part entre le Forem et les demandeurs d’emploi (DE) et d’autre part les employeurs. (Lire son interview) Les échos reçus de la part de travailleurs et de travailleuses de l’institution sont tout autres et évoquent plutôt une désorganisation totale du fonctionnement du Forem.

Le personnel en souffrance

Depuis le mois de novembre 2022, les trois organisations syndicales ont déposé un préavis de grève et d’actions au Forem à durée illimitée au motif des nombreux dysfonctionnements générés par la réforme et en appui de leurs revendications. Celles-ci commencent par la demande de suspendre la mise en place de « l’accompagnement adapté » tant que les procédures et les outils nécessaires ne sont pas effectivement disponibles, en sorte que le personnel puisse travailler correctement. Depuis la mi-décembre, tous les mardis et jeudis les agents effectuent un arrêt de travail de cinquante minutes. L’administratrice générale du Forem aurait laissé entendre publiquement au personnel qu’il serait bien inspiré d’éviter de faire des vagues et ferait mieux de se ranger derrière sa direction pour défendre l’institution, au vu des menaces de privatisation (transfert à l’IFAPME) qui seraient évoquées au niveau politique, dans le cadre des discussions sur une 7e réforme de l’État, concernant les activités de formation actuellement organisées par le Forem, ce qui aurait des conséquences négatives pour le statut des agents concernés. Mais ce coup de semonce n’a pas suffi pour ramener le personnel à la raison et empêcher son mouvement de contestation. Car le ras-le-bol est largement partagé. Les « sans moi ce serait pire » pas plus que les « tout va très bien » ou les appels à la patience ne suffisent plus à calmer le dépit et la colère qui grondent.

Au Forem, rien ne fonctionne plus, ou presque

En effet, depuis la mise place de l’accompagnement adapté au Forem, rien ne fonctionne plus, ou presque. Les conseillers chargés de l’accompagnement (dont une série « d’ex-évaluateurs ») ont été sommés d’appliquer le nouveau concept d’accompagnement sans y avoir préalablement véritablement été formés (si ce n’est via des webinaires et la transmission de piles de catalogues de procédures). Les nouveaux outils informatiques déployés, insuffisamment testés, ne fonctionnent pas. Les applications informatiques sont censées se développer « chemin faisant ». C’est-à-dire, en clair, que les membres du personnel, apparemment traités comme des cobayes, doivent travailler avec des programmes informatiques dysfonctionnels, dans l’attente (longue) que les problèmes soient progressivement résolus. Tout d’abord, il y a des problèmes avec le logiciel censé mettre automatiquement en relation (« matching ») les demandeurs d’emploi, selon leur profil et les offres d’emploi disponibles. Par ailleurs, les différents outils informatiques sont peu intégrés. Les conseillers chargés de l’accompagnement doivent donc jongler avec une multitude de programmes et de fenêtres ouvertes sur leur PC lorsqu’ils reçoivent les DE. Dans ces conditions, la charge de travail pour le personnel est énorme, pour une productivité et un service déficients. Les premiers entretiens de bilan, au travers desquels le conseiller chargé de l’accompagnement doit faire le point sur la situation du DE et sur les démarches à mettre en place pour tenter de (re)trouver un emploi, se faisaient antérieurement en moyenne en un peu moins d’une heure. Ils prennent actuellement plutôt une heure et demie à deux heures. Temps pendant lequel le conseiller n’arrête pas de devoir encoder des données sur son ordinateur, alors qu’il serait censé pouvoir se concentrer sur l’écoute du DE, sur l’établissement d’une relation de confiance… Quant aux conseillers en démarches administratives, ils termineraient leurs entretiens sans pouvoir remettre en mains propres aux DE les documents qui en émanent. En effet, il est prévu que ces documents soient imprimés au siège central du Forem et envoyés par courrier… Tout cela alors que certains de ces documents doivent être transmis par les DE à leur organisme de paiement des allocations pour recevoir celles-ci. Désormais, ce ne sont plus les conseillers qui réconfortent les demandeurs d’emploi, mais ce sont ceux-ci qui compatissent envers les conditions de travail du personnel du Forem. Alors que, selon les attentes de la direction, chaque conseiller est censé accompagner cinq demandeurs d’emploi par jour, le rythme actuel serait plutôt de un et demi par jour.

Plus en capacité d’assurer le service au public

Quant aux « plans d’action » que la direction demande aux conseillers de conclure avec les DE au terme des accompagnements, pour formaliser les engagements pris par ceux-ci, et sur base desquels leur « disponibilité active » sur le marché de l’emploi pourra être évaluée, les conseillers restent dans le flou par rapport à leur statut exact. Faudra-t-il que quatre actions sur cinq prévues dans ce plan soient effectuées pour que l’accompagnement soit évalué positivement (en évitant ainsi au DE de se retrouver dans une procédure de sanctions) ? Faudra-t-il que ce soit trois actions sur cinq, deux sur cinq… La direction ne répond pas à ces questions. Les conseillers doivent donc travailler dans le brouillard et ne peuvent répondre précisément aux DE par rapport à ces questions essentielles. Ils sont censés évaluer dès mars-avril des plans d’actions établis en juillet-août, sans avoir eu connaissance au moment de la rédaction de ceux-ci des critères d’évaluation. Un mot d’ordre de « boycott de la conclusion de plan d’actions » aurait été lancé, dans l’attente de recevoir des réponses de la direction.

"Les premiers entretiens de bilan, au travers desquels le conseiller chargé de l’accompagnement doit faire le point sur la situation du DE et sur les démarches à mettre en place pour tenter de (re)trouver un emploi, se faisaient antérieurement en moyenne en un peu moins d’une heure. Ils prennent actuellement plutôt une heure et demie à deux heures. Temps pendant lequel le conseiller n’arrête pas de devoir encoder des données sur son ordinateur, alors qu’il serait censé pouvoir se concentrer sur l’écoute du DE, sur l’établissement d’une relation de confiance…" - Dessin Manu Scordia
"Les premiers entretiens de bilan, au travers desquels le conseiller chargé de l’accompagnement doit faire le point sur la situation du DE et sur les démarches à mettre en place pour tenter de (re)trouver un emploi, se faisaient antérieurement en moyenne en un peu moins d’une heure. Ils prennent actuellement plutôt une heure et demie à deux heures. Temps pendant lequel le conseiller n’arrête pas de devoir encoder des données sur son ordinateur, alors qu’il serait censé pouvoir se concentrer sur l’écoute du DE, sur l’établissement d’une relation de confiance…" - Dessin Manu Scordia

Par ailleurs, le Forem oblige les DE à avoir une adresse mail et à créer un profil en ligne sur le site du FOREM. Au besoin il leur crée cette adresse mail et ce profil. Ceux-ci reçoivent dès lors des documents du Forem dans la partie dédiée de leur espace personnel sur le site du Forem… mais comme ils n’y vont pas ils ne les voient pas. En outre, l’affectation des demandeurs d’emploi à un conseiller chargé de l’accompagnement, également informatisée, ne fonctionne pas non plus correctement. Qui plus est, à ce stade, l’accompagnement se concentre sur les nouveaux demandeurs d’emploi. Les « anciens DE », inscrits au Forem avant juillet 2022, n’ont plus été accompagnés depuis lors, le Forem commence seulement, à son rythme, à les reprendre en charge. Certaines personnes contactent elles-mêmes le Forem pour pouvoir bénéficier d’un accompagnement… Mais si elles ne sont pas considérées comme un public prioritaire, le Forem ne leur fixe pas de rendez-vous. Ce qui est absurde, puisqu’il s’agit justement de personnes motivées et qui demandent de l’aide.

Dans ces conditions, le personnel estime qu’il n’est plus à même de rendre le service au public de manière correcte et a l’impression que personne ne répond à ses attentes, que l’encadrement est débordé, que la direction se contente d’indiquer qu’elle est « consciente des problèmes », que le Comité de gestion du Forem ne s’empare pas de ceux-ci, pas plus que la ministre de l’Emploi. Dans ce contexte, le Forem peine à conserver ses agents. Les plus jeunes recherchent un autre employeur, les plus âgés tombent ou sont tombés en burn-out. Et le Forem peine à recruter : il manquerait toujours une septantaine de conseillers par rapport au cadre prévu.

Les employeurs boudent le Forem

On l’aura compris, la mise en place de la réforme se passe mal pour les agents du Forem. Cela va-t-il mieux du point de vue des employeurs ou de celui des DE ? Non : la transmission des offres d’emploi ne fonctionne plus correctement ni vers les DE ni vers les entreprises. Les employeurs reçoivent du Forem des candidatures de DE qui ne correspondent pas du tout à ce qu’ils cherchent. Ils voient dès lors de moins en moins l’intérêt de transmettre leurs offres au Forem, d’autant qu’ils doivent eux-mêmes effectuer leur encodage dans le système informatique du Forem. Certains employeurs n’ont pas le temps de se créer un espace personnel en vue de créer ensuite l’offre d’emploi. D’autres employeurs, au même titre que certains DE, ne savent pas convenablement utiliser les outils digitaux. D’autres trouvent le système de rédaction des offres trop compliqué (nomenclature des métiers, liste des compétences, etc.). Ces employeurs décident dès lors d’utiliser d’autres canaux pour diffuser leurs offres.

La transmission des offres d’emploi ne fonctionne plus correctement ni vers les DE ni vers les entreprises

Le nombre d’offres d’emploi directement transmises par les entreprises au Forem serait apparemment en chute libre. Fin 2022, environ 9.000 offres d’emploi étaient publiées directement par des employeurs sur le site du Forem (non issues du VDAB, d’agences d’intérim ou de sites extérieurs de gestion d’offres d’emploi), qui correspondaient à environ 16.000 postes à pourvoir (il peut y avoir plus d’un poste par offre). Cela reste modeste par rapport aux 210.000 DE inscrits au Forem. D’autant que les deux tiers des offres diffusées par le Forem ne concernent pas des emplois stables et durables, comme l’avait mentionné un rapport de la Cour des Comptes en 2020 : « Les emplois durables (contrats à durée indéterminée) ne concernent que 33 % (110.847) des opportunités diffusées [par le Forem] en 2018. Le solde est majoritairement constitué d’emplois plus précaires, dont les contrats intérimaires représentent la plus grande partie. La prépondérance des emplois de courte durée a pour effet de créer un enchaînement de sorties vers l’emploi et de réinscriptions (…).» (7). Selon les chiffres qui nous ont été transmis, nous sommes donc très loin de la situation favorable que l’on pourrait imaginer en s’en remettant aux déclarations de l’administratrice générale : «  528.000 offres d’emplois ont été diffusées par le Forem sur les neuf premiers mois de 2022, dont 401.000 du Forem, ce qui représente une augmentation de 27 % par rapport à l’année précédente ». (Lire ici)

Une perte de contact avec les demandeurs d’emploi

Quant aux demandeurs d’emploi eux-mêmes, ils désertent largement le Forem. Les DE ont perdu l’habitude de se rendre aux convocations du Forem durant la période du Covid, où certains types de sanctions étaient suspendues. Ils n’ont toujours pas retrouvé le chemin du Forem, et la désorganisation de celui-ci par la réforme n’aide pas à les y ramener. Au service contrôle, les DE sont convoqués uniquement par courrier. D’abord sous pli simple et puis par recommandé, avec une copie dans l’espace personnel sur le site du Forem. Les convocations au service contrôle ont pour le moment été essentiellement concentrées sur les jeunes en stage d’insertion, deux évaluations positives de leurs efforts de recherche étant indispensables aux jeunes sortis des études pour ouvrir leur droit aux allocations. Selon les échos qui nous reviennent, le taux de présence aux rendez-vous à ces convocations tournerait actuellement aux alentours de 20 %. Quant à « l’accompagnement adapté », mis en place depuis juillet et à ce stade ciblé sur les nouveaux inscrits ou réinscrits comme DE, le taux de présence aux convocations aux rendez-vous fixés dans ce cadre serait de l’ordre de 10 %, 20 %, au mieux 30 %. Les sanctions pour absentéisme (au titre du « contrôle de la disponibilité passive ») risquent dès lors de pleuvoir tôt ou tard. Ici encore, on manque de chiffres officiels.

Depuis juillet le taux de présence aux convocations aux rendez-vous serait de l’ordre de 10 %, 20 %, au mieux 30 %

L’administratrice générale nous a pour sa part donné un chiffre de 62 % de présence aux accompagnements pour les huit premiers mois de 2022 (ce qui donnerait toujours un chiffre énorme de 38 % d’absences, susceptibles de donner lieu à des sanctions). Mais les chiffres de l’administratrice ne concernent presque pas la période où l’accompagnement adapté a été mis en place. Il faudra donc attendre que d’autres, parlementaires wallons ou membres du comité de gestion du Forem, exigent que soient publiées des statistiques précises sur ce point et un plan pour éviter une explosion des sanctions. Nous avions notamment plaidé pour que les rendez-vous avec les DE soient fixés à un moment convenu de commun accord avec ceux-ci, comme c’est le cas, par exemple, pour un rendez-vous médical. Il semble que cette modalité soit à ce stade seulement « testée ». Plus globalement, dès les premières discussions publiques sur ce projet de réforme, nous avons attiré l’attention sur le risque qu’elle génère une augmentation des sanctions pour absentéisme et autres, dans le cadre du contrôle de la disponibilité passive, en lien avec l’ambition fixée par la réforme d’accompagner « 100 % des DE ». A réglementation constante, plus il y aura de convocations des DE, plus il y aura d’absences injustifiées de ceux-ci et plus il y aura de sanctions. Une réalité que ni la direction du Forem ni la ministre de l’Emploi n’ont jusqu’ici voulu voir et encore moins prévenir de façon conséquente, en modifiant et en assouplissant suffisamment la réglementation en la matière.

Vers une flopée de sanctions absurdes ?

L’administration commence à relancer des convocations pour le contrôle en direction de tous les DE qui ont eu des évaluations négatives avant ou après la crise du Covid et a fixé une priorité sur le contrôle de ces DE. Ceux-ci commencent donc maintenant à être convoqués par le Forem pour des deuxièmes entretiens de contrôle (risque de sanction de treize semaines) ou des troisièmes entretiens (risque d’exclusion définitive du droit aux allocations de chômage). En effet, la procédure de contrôle a été suspendue par le Forem durant la période de Covid, mais les « compteurs » des DE n’ont pas été remis à zéro. Cela signifie donc que le Forem reprend aujourd’hui les procédures de contrôle là où elles en étaient avant la suspension. Un certain nombre de chômeurs vont donc être surpris de se voir demander des preuves d’efforts de recherche d’emploi en vertu d’un « plan d’action » qu’ils avaient « conclu » avec le Forem… deux ou trois ans auparavant ! En recevant la convocation, un certain nombre d’entre eux, et ils seront plus nombreux que ceux qui se présenteront, prendront conscience qu’ils ne sont pas en état de présenter des preuves de recherche d’emploi ou de démarches qui correspondent à ce qu’ils avaient accepté dans le plan d’action imposé par le Forem à l’époque. Ils risquent dès lors de ne pas se présenter au rendez-vous fixé par la convocation et d’être sanctionnés d’office. Cette dynamique d’absences aux convocations mène à l’exclusion en six mois, avec zéro effet positif par rapport à leur retour à l’emploi.

Éviter que des centaines ou des milliers de DE wallons perdent leur droit aux allocations

Ce traitement administratif complètement déconnecté par rapport à la situation réelle des DE concernés est très loin de l’image bienveillante et protectrice vis-à-vis de ceux-ci que la direction du Forem et la ministre de l’Emploi aiment à donner. Le Forem sait que c’est absurde, que ses évaluateurs seront au vu des circonstances très « compréhensifs » pour les DE qui répondent aux convocations… mais pour ceux qui ne se présentent pas (sans doute les plus fragiles et les plus déphasés), tant pis pour eux s’ils perdent leur droit aux allocations ! Interpellée sur ce point, l’administratrice générale paraît minimiser le problème et indique qu’en l’absence d’un signal en ce sens de la ministre de tutelle, elle ne peut prendre l’initiative d’une « remise à zéro des compteurs » de ces DE (Lire ici). Une telle mesure semblerait pourtant amplement justifiée, tant par rapport à la crise sanitaire qui a suspendu pendant deux ans la procédure de contrôle que par le basculement dans le nouveau modèle de « l’accompagnement adapté ». Ici également, il restera à observer qui, au niveau politique et au sein du Comité de gestion du Forem, sera prêt à exiger l’adoption d’une mesure nécessaire pour éviter que, par l’application aveugle d’une procédure administrative absurde (convoquer des DE pour contrôler l’application de « plans d’actions » conclus… deux ou trois ans plus tôt), des centaines ou des milliers de DE wallons perdent leur droit aux allocations.

Un service public en danger

Au vu de la situation actuelle, certains posent un constat amer : « Voudrait-on détruire un service public que l’on ne s’y prendrait pas autrement. ». Nous ne prêtons de telles intentions ni à la direction du Forem ni à la ministre de l’Emploi. Force est cependant de constater que, si les informations qui nous sont revenues sont exactes, le Forem est occupé à perdre l’adhésion de son propre personnel, celle des demandeurs d’emploi et celle des entreprises. S’agissant d’une institution chargée avant tout de mettre les uns et les autres en relation, la direction du Forem et son Comité de gestion devraient s’en inquiéter. Les responsables à ces différents niveaux, qui ont soutenu aveuglément un projet de réforme mal pensé et ont refusé d’entendre toute critique, seraient bien inspirés d’accepter de se remettre en cause. Le Forem ne pourra construire son avenir et sa légitimité sur sa seule position institutionnelle, sur sa gestion d’une gigantesque banque de données et sur des menaces vis-à-vis des DE et des autres parties prenantes. Et si le service public de l’emploi dysfonctionne et bat de l’aile, les premiers pénalisés seront les demandeurs et les demandeuses d’emploi wallon.ne.s.

(1) Voir les dossiers publiés dans Ensemble ! n° 103, octobre 2020 ; Ensemble ! n° 104, décembre 2020, Ensemble ! n° 105, septembre 2021 ; Ensemble ! n° 106, décembre 2021, disponibles en ligne.

(2) Comité de gestion du Forem, Avis A20/01, 28.09.20.

(3) Anne-Hélène Lulling, « Cet avant-projet de décret ne répond pas à nos attentes », Ensemble ! n° 104, décembre 2020.

(4) Bruno Antoine, « J’entends les craintes et perçois les dangers », Ensemble ! n° 104, décembre 2020.

(5) Avis de la CGSP-Forem sur le modèle d’accompagnement adapté, décembre 2019, lire aussi Arnaud Lismond-Mertes et Yves Martens, « Vers une explosion sociale prévisible », Ensemble ! n° 103, octobre 2020.

(6) Arnaud Lismond-Mertes et Yves Martens, « Le parlement wallon adopte l’exécrable réforme du Forem », Ensemble ! n° 106, décembre 2021.

(7) Cour des Comptes (Chambre française), « La mise au travail des demandeurs d’emploi par le Forem », 18 mars 2020, p. 19.

Partager cet article