chômage

M.-K. Vanbockestal (Forem) : « Il faut être nuancé »

L’administratrice générale du Forem nous donne son point de vue sur les problèmes rencontrés dans la mise en place de sa réforme. S’il y a des reculs, ce serait pour mieux sauter.

Marie-Kristine Vanbockestal, administratrice générale du Forem : "Tout cela suit son cours aujourd’hui et nous sommes bien conscients que la réforme n’est pas complètement aboutie".
Marie-Kristine Vanbockestal, administratrice générale du Forem : "Tout cela suit son cours aujourd’hui et nous sommes bien conscients que la réforme n’est pas complètement aboutie".

Mi-décembre 2022, nous avons interpellé Marie-Kristine Vanbockestal, l’administratrice générale du Forem, à propos des problèmes rencontrés par son institution dans l’implémentation de la réforme de l’accompagnement des demandeurs d’emploi (Lire ici)  : « Les premiers échos qui nous reviennent donnent l’image d’une mise en place chaotique de la réforme: mise en œuvre sans base réglementaire validée, sur base d’outils informatiques complètement dysfonctionnels, coupée tant des attentes des demandeurs d’emploi que de celles du personnel ou des employeurs, perte de contact du Forem avec les demandeurs d’emploi, avec les employeurs et avec son propre personnel, etc. Le dépôt d’un prévis d’action et de grève par les trois organisations syndicales manifestant les problèmes (prévisibles) liés à la mise en place de cette réforme. Souhaitant recouper nos sources et permettre à nos lecteurs de connaître votre point de vue, nous serions heureux de pouvoir vous interviewer à ce sujet. ». Quelques jours plus tard, celle-ci acceptait notre demande d’interview (pourtant peu susceptible d’être complaisante, vu ce que nous avions écrit précédemment) (1).

Eviter des centaines ou des milliers de sanctions absurdes.

Que l’on soit pour ou contre la vision de l’administratrice générale et ses réponses (qu’elle nous a données avec Yves Magnan, Directeur général adjoint Produits et Services du Forem), il faut mettre à son crédit qu’elle ne s’est pas dérobée à nos questions. Nous l’avons interrogée sur la mise en place de la réforme, tout d’abord, mais aussi sur le risque de sanctions et d’exclusions massives pour absence à des rendez-vous de demandeurs d’emploi (DE) que le Forem reconvoque maintenant dans le cadre du contrôle de la disponibilité active sur base de « plans d’actions » conclus avec eux… il y a deux ou trois ans, avant la période du Covid et la suspension du contrôle qui en a découlé. Après la suspension de deux ou trois ans du contrôle et le basculement dans un nouveau mode d’accompagnement, il serait pleinement justifié de mettre ces compteurs à zéro. Ce qui permettrait d’éviter des centaines ou des milliers de sanctions absurdes, qui n’aideront en rien au retour à l’emploi des personnes concernées. L’administratrice ne dit pas que c’est impossible, mais qu’il faudrait pour cela que la ministre de l’Emploi, Christie Morreale, qui exerce la tutelle sur le Forem, lui donne un signal en ce sens. A suivre.

Ensemble ! : Les trois organisations syndicales du Forem ont déposé un préavis d’actions et de grève à durée indéterminée avec comme première revendication de « mettre en pause » la réforme de l’accompagnement. Quelle est votre perception de la mise en place de cette réforme?

Marie-Kristine Vanbockestal (Forem) : La décision de mettre en place cette réforme figure dans la déclaration de politique régionale du gouvernement wallon adoptée à l’entame de son mandat. Les travaux préparatoires à cette réforme ont donc été très longs. Le décret qui organise cette réforme a été adopté en novembre 2021. Il prévoit que cette réforme doit être mise en place pour juillet 2022. Les deux principaux arrêtés d’exécution de cette réforme ont été adoptés hier [ndlr : le 21.12.22] par le gouvernement wallon. Il y a plusieurs niveaux dans cette réforme. Sur le plan législatif et réglementaire, c’est une réforme qui s’est mise en place doucement, avec beaucoup de concertation. Nous arrivons enfin aujourd’hui au bout de ce processus législatif et réglementaire, entamé il y trois ans. Pendant ce temps-là, le Forem a étudié tous les développements nécessaires à la mise en place de la réforme, que ce soit au niveau technologique, au niveau des process ou des relations humaines. Tout cela suit son cours aujourd’hui et nous sommes bien conscients que la réforme n’est pas complètement aboutie. Parmi les questions qui restent aujourd’hui sensibles, il y a la finalisation des éléments technologiques nécessaires. Certains outils sont prêts et d’autres ne le sont pas encore. Plusieurs d’entre eux devront faire l’objet d’une amélioration continue, comme « l’outil de gestion de parcours », essentiel pour les conseillers chargés de l’accompagnement, qui va rassembler toutes les données relatives aux services du Forem et au demandeur d’emploi (DE), son plan d’action, le suivi de son plan d’action, etc.

« Sur le plan législatif et réglementaire, c’est une réforme qui s’est mise en place doucement, avec beaucoup de concertation »

C’est cet outil-là qui, pour le moment, pose les plus gros problèmes et par rapport auquel il y a du mécontentement qui s’exprime. A côté des processus et des aspects technologiques, nous avons également mis en place toute une gestion du changement, notamment la formation du personnel afin de garantir une bonne appropriation de la réforme, par exemple par rapport à la nouvelle posture des conseillers, la maîtrise des nouveaux outils technologiques, etc. Où en est-on aujourd’hui et pourquoi cette irritation et ce mécontentement exprimés par les organisations syndicales ? Des réunions régulières que nous avons avec celles-ci, il ressort que le mécontentement porte essentiellement sur la mise en place des outils informatiques, mais pas sur les nouvelles postures (notamment évaluatives) à adopter par les conseillers dans le cadre de l’accompagnement. Ce sera d’ailleurs seulement dans quelques mois, en mars 2023, que cette nouvelle forme d’accompagnement sera pleinement mise en place. Nous sommes conscients que ce changement de posture est une question sensible, et nous y sommes très attentifs. En dehors des structures de concertation sociale internes au Forem, j’ai ces tous derniers jours rencontré informellement les permanents des organisations syndicales pour faire le point sur la situation. A l’issue de cette rencontre, nous avons établi un plan d’action, qui a fait l’objet d’un retour vers les bases, qui semblent l’accepter. Je dis « semblent » car les organisations syndicales organisent des arrêts de travail tous les mardis et jeudis matin, qui manifestent leur mécontentement. Ce sont des arrêts de travail durant lesquels le personnel réfléchit à ce qui ne va pas et à leurs propositions. J’ai ouvert la porte à recevoir leurs propositions par rapport à ce qu’ils souhaiteraient que l’on mette en place pour l’amélioration de leur travail au quotidien et de leur relation aux DE. Le plan d’action proposé comporte la mise en place d’ateliers composés de membres des services informatiques et de collaborateurs de terrain, pour mettre sur la table ce qui ne fonctionne pas dans les outils informatiques et rechercher des réponses immédiates.

« Les organisations syndicales organisent des arrêts de travail tous les mardis et jeudis matin »

Nous avons fait des mea culpa sur certaines mises en production trop hâtives d’outils insuffisamment testés, du fait des échéances décrétales qui nous liaient. Nous organisons donc la prise en compte des propositions d’amélioration de nos outils informatiques par les membres du personnel qui les utilisent. Un autre élément de ce plan d’action est le « plan de charge ». Depuis le mois de juin 2022, tous les nouveaux inscrits comme DE sont affectés au « portefeuille » d’un conseiller de façon progressive, paquet par paquet, mois après mois. Quant aux DE déjà inscrits avant ce mois de juin, ils seront répartis ensuite entre les conseillers. Il est exact qu’il y a une crainte de nos collègues d’avoir in fine des portefeuilles trop chargés. Nous avons aujourd’hui des outils de pilotage qui permettent d’objectiver la charge de travail de chaque conseiller. Nous allons présenter ces outils à nos collègues. Les membres du personnel brainstorment sur leurs propositions durant leurs arrêts de travail et nous sommes convenus avec les organisations syndicales de faire le point, le 19 janvier, sur les résultats de notre plan d’action.

Quelques clés de lecture

> Précipitation. Notre interview a commencé par porter sur la précipitation avec laquelle la réforme est mise en place, qui fait écho à celle avec laquelle elle a été initialement adoptée par le gouvernement wallon en 2020. Une précipitation qui, selon nous, a été intentionnelle, en sorte de pouvoir imposer « au motif de l’urgence » le projet de réforme à toutes les parties prenantes avec un minimum de prise en compte de leurs réflexions et attentes (tant au niveau des membres du Comité de gestion du Forem, que du personnel du Forem, représenté par leurs organisations syndicales, que des partenaires du Forem, etc). La réponse de l’administratrice générale a été, concernant la rapidité de la mise en œuvre de la réforme, qu’elle n’a fait qu’appliquer une volonté politique, inscrite au sein même du décret sur l’accompagnement voté par le parlement wallon en novembre 2021, de voir la réforme mise en place à partir du 1er juillet 2022. C’est un point que nous contestons d’abord factuellement : non seulement ce délai n’est pas inscrit dans le décret, mais le gouvernement lui-même n’a adopté les arrêtés d’exécution du décret que fin décembre 2022. « L’application rétroactive » (sic) des arrêtés d’application est d’une légalité douteuse. Plus fondamentalement encore, l’ensemble du projet de réforme émane au premier chef de la direction du Forem, qui l’a élaboré sous la législature précédente. L’administratrice générale en a elle-même prôné aux différents partis l’adoption durant la période de formation de la coalition gouvernementale wallonne, en juin 2019 (a). Nous avons donc du mal à la suivre lorsqu’elle indique que les délais de mise en œuvre ont été imposés à la direction du Forem et non fixés par celle-ci. La direction du Forem n’est pas la « victime » de la précipitation dans l’adoption et l’application de la réforme, avec toutes les conséquences catastrophiques que cela implique pour les DE et pour le personnel. Elle en est pleinement la responsable.

> Par des humains ou par des ordinateurs ? Pour apprécier les problèmes que rencontre actuellement le Forem et les réponses que nous donne son administratrice générale, il est intéressant de les rapprocher de sa présentation du projet de réforme, en octobre 2021, devant le Parlement wallon (dont nous avions déjà rendu compte) (b). A l’époque nous avions dénoncé la « déshumanisation » de l’accompagnement organisée par la réforme au profit d’une « digitalisation à outrance » témoignant d’une « foi aveugle » dans l’informatisation, et les déclarations de l’administratrice devant le parlement étaient déjà assez explicites : « Qu’y a-t-il d’indispensable dans cette réforme ? Si l’on dit qu’il faut accompagner tout le monde plus souvent, il faut plus de moyens. Quels sont les moyens? Jusqu’il y a quelques années d’ici, c’étaient les moyens humains. Ils sont toujours là. (…) Mais c’est aussi, acceptons-le (…) des moyens technologiques qui permettent de soulager une partie des services rendus aujourd’hui en face à face par exemple. Donc c’est vrai que le digital est une chance pour l’accompagnement des demandeurs d’emploi, aujourd’hui. ». (c).

> Adhésion à la réforme du personnel du Forem. Quant au manque d’adhésion du personnel du Forem, il était également déjà perceptible dans son propos : « Vous avez peut-être des échos qui vous reviennent et l’on sait que le personnel doit être embarqué dans cette réforme. Tout changement fait peur et doit être géré, quelle que soit l’activité d’une entreprise publique ou privée. (…) une équipe multidisciplinaire est sur pied depuis des mois : du personnel venant de la direction RH, des conseillers RH, du personnel venant de la direction de la communication et des agents de terrain, des convaincus, des ambassadeurs de la réforme qui s’organisent autour d’une série d’outils. Toute l’information est sur l’intranet. On a même désormais des vidéos qui disent : ‘J’ai entendu dire que…’, qui cassent toutes les rumeurs qui circulent. Nous avons aussi un baromètre du changement. Tous les trois mois, nous mesurons si le personnel avance vers la conviction et l’adhésion. (…) ». (d).

> Organisations syndicales. La considération, un peu particulière, de la n°1 du Forem pour l’avis négatif remis par la CGSP Forem sur le projet de réforme et sur le rôle des organisations syndicales était également déjà apparente en 2021, lorsqu’elle déclarait malgré tout au Parlement que les choses étaient « négociées avec les organisations syndicales » et que celles-ci devaient « absolument être nos alliées, ces organisations syndicales qui jouent les courroies de transmission. ». (e). Mais qu’est-ce qu’une « alliance » avec une organisation dont on piétine l’avis lorsqu’il ne plaît pas ? Aujourd’hui, les trois organisations du Forem font des arrêts de travail de deux fois cinquante minutes toutes les semaines pour appuyer une revendication de « mettre en pause la mise en œuvre de la réforme ». Qu’à cela ne tienne, l’administratrice générale, considère qu’il s’agit de pauses durant lesquelles le personnel réfléchit collectivement (dites brainstorment) pour dégager des propositions à lui remettre d’améliorations de l’application de la réforme !

> Un problème avec les chiffrages. Nous l’avions déjà souligné à propos de son intervention devant le Parlement, l’administratrice n’hésite pas à esquiver les questions gênantes, au besoin en introduisant un peu de confusion. Ainsi qu’elle le déclare elle-même « comme on dit souvent, on peut interpréter les chiffres ». (f). Car, pour ce qui est des chiffres précis et circonstanciés (d’accompagnements, de nombre de convocations, de présences aux convocations, de sanctions, d’offres d’emploi diffusées, de personnel) … on en manque cruellement dans le débat public sur le projet de réforme et au niveau du pilotage du Forem.

La version publique du Rapport annuel 2021 du Forem tient en 31 pages, présentant quelques rares chiffres de façon tellement agrégée que l’on n’en tire que très peu d’informations. Quant à son rapport annexe sur le marché de l’emploi en 2021, il fait tout juste deux pages ! Pour mesurer le caractère lacunaire de ces documents, il suffit de les comparer avec le rapport annuel 2021 de l’ONEm, détaillé en 250 pages ainsi qu’à son complément de 191 pages sur les indicateurs du marché du travail et l’évolution des allocations. Ici encore, sur certains points clés (taux de présence aux rendez-vous, nombre d’offres d’emploi propres diffusées, etc.), les chiffres d’activité qui nous sont revenus de l’interne du Forem ne correspondent pas du tout à ceux cités par l’administratrice en réponse à nos questions. Sans doute compare-t-on des pommes et des poires. Une chose est en la matière certaine : pour qu’un véritable débat public rationnel sur l’activité du Forem puisse se développer, il faut que l’institution publie des rapports d’activité chiffrés détaillés. Ce serait une mesure de bonne gouvernance élémentaire qu’il ne tiendrait qu’à la direction du Forem de mettre en œuvre, ou aux parlementaires wallons de l’exiger assez fort et de l’obtenir. La transparence ne nuirait pas à l’institution et serait un signe qu’elle est prête à offrir un vrai droit de regard au public sur son fonctionnement. Mais quel parlementaire s’en soucie ? Personne ne semble en avoir fait son cheval de bataille.

(a) François-Xavier Lefèvre, « Le Forem prépare sa refonte pour mieux encadrer les chômeurs », L’Echo, 28 juin 2019 ; Arnaud Lismond-Mertes et Yves Martens, « Un projet néfaste pour les chômeurs wallons », Ensemble ! n°104, décembre 2020, p. 66.

(b) PW – CRIC n° 33 (2021 – 2022), p. 8 à 35 ; Arnaud Lismond-Mertes, M-K. Vanbockestal (Forem): « Depuis des mois, nous essayons de convaincre », Ensemble ! n°104, décembre 2020, p. 74.

(c) CRIC n° 33, ibid, p. 31.

(d) ibid, p. 13.

(e) ibid, p. 33.

(f) ibid, p. 32.

Vous nous indiquez que les arrêtés d’exécution de la réforme n’ont été adoptés qu’hier, 21 décembre 2022, alors que le Forem a implémenté la réforme à partir de ce 1er juillet. Pourquoi l’implémentation administrative a-t-elle précédé l’adoption de la base réglementaire ? Dans le débat public il n’y a pas eu de présentation d’un chiffrage précis ni des objectifs de la réforme (par ex. nombre d’accompagnements à réaliser, durée des entretiens…) ni des moyens humains nécessaires (nombre d’accompagnements par conseiller…) ni de l’adéquation entre les deux. Les problèmes actuels de la mise en place de la réforme ne sont-ils pas la conséquence d’un manque de préparation suffisante de la réforme et d’une mise en place précipitée ? Quant à la « gestion du changement » invoquée, n’avez-vous pas l’impression d’avoir, à ce stade, raté un élément important : l’adhésion du personnel à la réforme qui lui est imposée ?

M-K. V. Il faut être nuancé. A-t-on « précipité » la mise en place de la réforme ? La notion de « précipitation » est assez subjective. C’est la mise en place d’une décision du gouvernement annoncée au début de la législature, en 2019. Faire entrer en vigueur une réforme après trois ans, cela ne peut être considéré comme « précipité ». Nous devons toutefois reconnaître que, malgré cette longueur de temps, certains de nos collaborateurs ne sont pas encore prêts à rentrer dedans. Il y a encore tout un travail d’appropriation et de conviction à leur égard que nous devons encore mener. Mais cela ne concerne que certains collaborateurs. Il y a aujourd’hui 1.200 conseillers au Forem et certains sont à l’aise avec la réforme, bien dans leur peau et ne manifestent pas un quelconque mécontentement. Mais ce n’est effectivement pas le cas de tous, et nous essayons d’obtenir l’adhésion là où elle n’est pas encore acquise. Par ailleurs, le décret adopté par le Parlement wallon prévoyait une entrée en vigueur de la réforme au 1er juillet 2022, nous ne pouvions pas faire semblant de ne pas l’avoir lu. Le Forem l’opérationnalise, mais de façon phasée.

M-K. Vanbockestal : "Le mécontentement porte essentiellement sur la mise en place des outils informatiques".
M-K. Vanbockestal : "Le mécontentement porte essentiellement sur la mise en place des outils informatiques".

Vous deviez mettre en place la réforme avant même l’adoption des arrêtés d’exécution ?

Yves Magnan (Forem) : Avec effet rétroactif, oui.

M-K. V : Nous avons interagi avec le cabinet compétent et il était évident qu’à partir du 1er juillet 2022, le Forem entrait dans cette réforme. Par ailleurs, les arrêtés avaient déjà été adoptés en première lecture par le gouvernement avant juillet et nous n’avons mis en place que des actions qui ne portaient de préjudice à personne. Qui pourrait en vouloir au Forem de segmenter son public pour pouvoir mieux l’accompagner ? C’est ainsi que nous avons mis en place l’accompagnement à distance, qui fonctionne très bien aujourd’hui. Les dimensions les plus sensibles, qui créent des effets de droit pour les DE, ont trait à l’évaluation. La mise en place de celle-ci suppose la conclusion de plans d’action, qui ne se met en place qu’aujourd’hui selon la nouvelle procédure. Les premiers plans d’action formels dont le non-respect pourrait donner lieu à des sanctions au titre du contrôle de la disponibilité active ne seront conclus que vers le mois de mai 2023. Pour le moment, aucun demandeur d’emploi n’a été sanctionné en fonction des nouvelles procédures mises en place par cette réforme.

Quant à la charge des portefeuilles des conseillers, c’est à dire le nombre de DE suivis par personne, c’est un sujet qui sera prochainement soumis à la concertation sociale, tout comme le nombre de rendez-vous hebdomadaires à réaliser. Cela ne se fera pas en une réunion, car on fait de l’overbooking, c’est-à-dire que pour pallier les effets de l’absentéisme on convoque plus de personnes que le nombre qui sera effectivement reçu. Pour rappel, l’ONEm lui-même overbookait l’agenda des évaluateurs à l’époque où il était en charge du contrôle de la disponibilité active, en convoquant environ douze personnes pour en recevoir effectivement six.

Concernant le décret « relatif à l’accompagnement orienté coaching et solutions des chercheurs d’emploi », vous évoquez la mention d’une entrée en vigueur fixée au 1er juillet 2022. Pour ma part, je lis seulement dans celui-ci que « l’entrée en vigueur, déterminée par le gouvernement, peut s’opérer de manière différée et progressive, jusqu’au 31 décembre 2023, au plus tard ». Si je lis bien, il n’y avait donc pas d’obligation légale de mettre la réforme en œuvre au 1er juillet 2022…

Yves Magnan : Le décret sur l’accompagnement orienté coaching et solutions des chercheurs d’emploi a abrogé le décret sur l’accompagnement individualisé sur base duquel l’accompagnement a été antérieurement organisé. A partir du 1er juillet 2022, les nouveaux DE inscrits et réinscrits entrent dans l’accompagnement adapté. D’où le fait que nous avons mis en place la nouvelle procédure à cette date, avec la segmentation du public. Les autres demandeurs d’emploi, qui avaient déjà été accompagnés précédemment, ne rentreront que progressivement dans la nouvelle procédure, comme le décret nous le permet. Nous avons jusqu’au 30 juin 2023 et la condition pour ce faire est que la personne soit passée une dernière fois au contrôle. Dès qu’elle a terminé son entretien de contrôle, elle bascule dans le modèle de l’accompagnement adapté, à savoir : un entretien de bilan, la négociation d’un plan d’action concerté, etc. Nous avons donc actuellement deux types de publics. D’une part, les nouveaux inscrits comme DE depuis le 1er juillet 2022 qui sont directement suivis selon le cadre de l’ accompagnement adapté. D’autre part, les DE déjà antérieurement inscrits au Forem, qui vont basculer dans le nouveau mode d’accompagnement progressivement et ce jusqu’au 30 juin 2023.

Il semble que les taux de présence aux convocations des DE, que ce soit pour l’accompagnement ou pour l’évaluation par le service contrôle, soient actuellement très inférieurs à ce qu’ils étaient avant la crise du Covid. On m’a cité la proportion de seulement un DE sur trois qui se rendrait à la convocation dans les locaux du Forem. Est-ce exact ? Le Forem est-il occupé à perdre le contact avec son public ? Si oui, n’est-ce pas un problème majeur, notamment par rapport aux sanctions que cela risque à terme de générer dans la cadre du contrôle de la disponibilité passive?

M-K. V. Nous ne voyons pas de différence quant au taux de présence des DE aux entretiens du Forem avec l’instauration de la réforme. Rappelons que la réforme mise en place traduit la volonté émise par le gouvernement que le Forem accompagne 100 % des DE et accompagne plus intensivement certains d’entre eux. Notre ambition est de ramener tout le monde sur le marché de l’emploi, vers des emplois de qualité, et d’aller chercher les DE de longue durée qui en sont éloignés. Des gens nous disent, et j’espère que vous n’en faites pas partie, qu’en augmentant le nombre de personnes accompagnées et en intensifiant la relation avec elles on les met en danger d’être sanctionnées. On pourrait laisser ces personnes « là où elles sont », mais notre volonté est de les amener à l’emploi. C’est exact que l’absence à une convocation du Forem peut donner lieu, en fonction du cadre normatif fédéral du contrôle que nous devons appliquer, à une sanction au titre du contrôle de la disponibilité passive. Mais ces sanctions ne sont appliquées qu’au terme d’une procédure. En cas d’absence à une convocation par pli simple, celle-ci doit être refaite par pli recommandé. En outre le DE disposera une fois dans le cadre de son accompagnement, d’un « joker » lui permettant de justifier une absence sans motif.

Le fait est que, à réglementation inchangée, plus le Forem convoquera de DE dans le cadre de l’accompagnement, et plus intensif sera cet accompagnement, plus il y aura des risques de sanctions pour absence et des sanctions à ce titre. Par ailleurs, cet absentéisme ne devrait-il pas interpeller le Forem sur la pertinence des accompagnements et des solutions qu’il offre ? Si toutes ces convocations étaient réellement utiles et sensées pour les DE, ne seraient-ils pas plus présents ?

M-K. V. : Moi, j’adhère au projet d’aller rechercher l’ensemble des DE pour les remettre au travail. Pour aller chercher les DE, aujourd’hui nous n’envoyons plus seulement des courriers postaux, nous leur téléphonons. Une fois que le DE est présent, que pouvons-nous lui proposer, et en particulier pour les chômeurs de longue durée ? La situation actuelle est paradoxale, en ce sens qu’il y a à la fois un chômage qui reste trop élevé et pour le moment beaucoup d’offres d’emploi, dont beaucoup non pourvues, dans des métiers dits en pénurie… On nous le reproche. Mais beaucoup de ces offres ne correspondent pas au profil des DE. Nous devons donc les aider, avec l’aide de nos partenaires, à se former et à se mettre en état de décrocher ces emplois. Nous avons également des formules d’encadrement très individualisé comme « Coup de boost », l’appel à projet « Territoire zéro chômeur » qui est en cours, etc. Il y a également des dispositifs d’aide à l’emploi, comme « Tremplin 24 », qui offre aux employeurs une prise en charge par le Forem de l’engagement à hauteur de 1.000 euros par mois pendant 24 mois ! On ne pourra sans doute pas remettre tout le monde au travail, mais certainement beaucoup plus qu’aujourd’hui. Est-ce que le taux de présence va augmenter ? C’est en tous cas un challenge pour nous, que nous essayons de relever.

« J’adhère au projet d’aller rechercher l’ensemble des DE pour les remettre au travail »

Y. M. : Le modèle que nous mettons en place veut mobiliser le DE nouvellement inscrit ou réinscrit le plus rapidement possible. Pour l’accompagnement digital et l’e-conseil que nous mettons en place, nos premiers retours nous indiquent que les personnes sont satisfaites. Pour ces publics-là, nous avons mis en place un service qui leur envoie tous les jours des offres d’emploi en fonction de leur profil et de leurs compétences. Pour la question de l’absentéisme, que nous voulons combattre, dans le domaine de l’e-conseil nous testons l’organisation des entretiens sur base de rendez-vous convenus avec le DE plutôt que sur base de convocations dont le moment est unilatéralement fixé par le Forem. Nous constatons que cette formule donne lieu à un meilleur taux de présence aux rendez-vous. Nous mettons également en place une dynamique de rappels téléphoniques du rendez-vous, comme cela se fait aujourd’hui pour les rendez-vous à l’hôpital. Pour le moment, quand nous avons réussi à accrocher la personne pour qu’elle fasse son entretien de bilan, nous constatons qu’il y a un taux de présence de 80 % au rendez-vous d’accompagnement suivant. A partir du mois de janvier 2023, les organismes de paiement (OP) seront de nouveau informés lorsque les DE sont convoqués à des entretiens. Cela permettra aux OP de jouer leur rôle, de rappeler aux DE qu’ils ont, par exemple, un entretien de bilan au Forem et de leur proposer leur aide pour préparer ce rendez-vous. Quand cet échange de données sera mis en place, cela aidera à ce que la personne ne soit pas seule et à ce que son organisation syndicale puisse l’accompagner pour préparer cette rencontre.

M-K. Vanbockestal : "Nous ne voyons pas de différence quant au taux de présence des DE aux entretiens du Forem avec l'instauration de la réforme".
M-K. Vanbockestal : "Nous ne voyons pas de différence quant au taux de présence des DE aux entretiens du Forem avec l'instauration de la réforme".

Est-ce que l’obligation faite par la réforme d’accompagner régulièrement 100 % des DE, et ce jusqu’à leur sortie du chômage, n’est pas quelque chose de déconnecté par rapport à la réalité de la formation du chômage et du rôle que le Forem peut jouer ? Quand vous avez une personne de 50 ans en milieu rural, non motorisée, peu qualifiée, plus au travail depuis cinq ans… est-ce utile de poursuivre année après année les accompagnements, les « plans d’action », etc. tant que le marché de l’emploi n’a pas fondamentalement changé ? N’est-ce pas une procédure qui perdra son sens tant pour les conseillers chargés de les convoquer que pour les DE ? Il nous revient qu’aujourd’hui des DE auraient demandé des accompagnements au Forem mais qu’il n’y aurait pas été donné suite, parce que ces DE ne sont pas de nouveaux inscrits, et donc ne sont pas actuellement considérés comme un « public prioritaire ». Ne serait-il pas plus pertinent d’organiser les accompagnements à partir des demandes formulées par les DE eux-mêmes ?

M-K. V : Votre vision de la possibilité de ramener des chômeurs de longue durée sur le marché de l’emploi vous appartient. Nous mettons en place les politiques d’emploi qui sont décidées par le gouvernement. Je pense que l’optique du gouvernement s’explique notamment par l’accroissement du nombre d’offres d’emploi que nous avons constaté depuis 2015 – 2016. La conjoncture économique est devenue de plus en plus favorable, hormis la parenthèse de la crise du Covid. Aujourd’hui je reste pour ma part optimiste : il y a des offres d’emploi en Wallonie, et il y en a qui sont accessibles aux personnes plus éloignées du marché de l’emploi, et nous voulons aller les chercher. Non seulement pour pourvoir aux offres d’emploi, mais également pour permettre aux personnes de s’épanouir dans des emplois de qualité.

« Nous mettons en place les politiques d’emploi qui sont décidées par le gouvernement »

Vous abordez la question de la satisfaction des offres d’emploi transmises aux employeurs. Il nous revient que, suite à la réforme, de plus en plus d’employeurs seraient mécontents des services du Forem par rapport au suivi des offres d’emploi qu’ils transmettent. On nous indique que cela se manifesterait par une diminution du nombre d’offres d’emploi directement transmises par les employeurs au Forem (pas celles transmises par le VDAB, les agences d’intérim ou des partenaires comme des sites de gestion d’offres, etc.), que les employeurs se plaindraient notamment du fait de devoir encoder eux-mêmes leurs offres, etc. Le Forem est-il (ou pas) occupé de perdre son contact avec les employeurs wallons ?

M-K. V : Vous faites référence à un phénomène très récent et très conjoncturel. Sur les huit ou neuf premiers mois de 2022, le nombre d’offres d’emploi que nous avons reçues des employeurs était en forte hausse. On ne peut pas parler d’un recul global des offres transmises par les employeurs directement au Forem. Il est cependant exact que, dans le cadre de la réforme, nous mettons en place de nouveaux outils technologiques, y compris vis-à-vis des employeurs. Nous avons pour ce faire revu la manière dont nous codifions les offres d’emploi, en fonction de référentiels de compétences. Cela nécessite que les entreprises se créent un compte spécifique sur notre site et qu’elles y encodent désormais leurs offres d’emploi en utilisant ce nouveau référentiel. Nous avons donc dû reculer pour mieux sauter. Cela demande aux entreprises un petit investissement en temps pour encoder leurs offres. C’était un mal nécessaire pour que les entreprises puissent avoir accès à d’autres outils, désormais recevoir 24h sur 24 des CV, etc. Certaines entreprises en ont été mécontentes, mais nous avons mis à disposition des conseillers pour les accompagner dans ces démarches. Tout cela est en train de se normaliser aujourd’hui. En outre, une fois par an un sondage est effectué auprès des entreprises et le taux de satisfaction enregistré reste constant. On verra si le changement que nous venons d’effectuer aura influencé le prochain taux de satisfaction. Selon les chiffres que l’on me communique, 528.000 offres d’emplois ont été diffusées par le Forem sur les neuf premiers mois de 2022, dont 401.000 du Forem, ce qui représente une augmentation de 27 % par rapport à l’année précédente.

Comment voyez-vous l’évaluation de la mise en place de la réforme ?

M-K. V : Le décret prévoit que nous devrons évaluer la réforme. Nous sommes en outre chaque mois en contact avec la ministre de l’Emploi et son cabinet pour faire le point sur l’avancement de la réforme. D’ici la fin de la législature, nous devrons également rendre au gouvernement une évaluation plus formelle. Il y aura également un Comité d’audit interne au Forem, qui devra remettre un rapport début 2024.

M-K. Vanbockestal : " 528.000 offres d’emplois ont été diffusées par le Forem sur les neuf premiers mois de 2022, dont 401.000 du Forem".
M-K. Vanbockestal : " 528.000 offres d’emplois ont été diffusées par le Forem sur les neuf premiers mois de 2022, dont 401.000 du Forem".

Vous avez indiqué dans vos réponses que votre objectif pour le Forem était la remise à l’emploi des DE et laissé entendre que vous souhaitiez, tant que faire se peut, limiter le nombre de sanctions. Or on m’indique que le Forem a commencé à reconvoquer, dans les entretiens de contrôle de la disponibilité active par le service évaluation, des DE qui avaient eu une évaluation négative avant la crise du Covid. Ces procédures avaient été suspendues pendant la crise sanitaire. Elles reprennent aujourd’hui avec des DE qui n’ont pas été accompagnés par le Forem pendant deux ou trois ans. Beaucoup risquent de ne pas venir aux convocations du contrôle, faute d’avoir un dossier en ordre de preuves de recherche d’emploi correspondant aux objectifs qui leur avaient été fixés… deux ou trois ans plus tôt. Puisque ces personnes sont convoquées dans des deuxième ou troisième entretiens, les sanctions seront lourdes, en particulier en cas d’absence.  Comptez-vous « remettre à zéro les compteurs » des évaluations des DE antérieures à la crise du Covid, vu la longueur de la suspension des accompagnements et la mise en place d’un nouveau type d’accompagnement ?

M-K. V : Durant toute la crise du Covid, nous avons suspendu le contrôle de la disponibilité active des DE, sauf des jeunes en stage d’insertion, qui avaient besoin de deux évaluations positives pour ouvrir leur droit. Au vu de l’évolution de la situation sanitaire, il a été mis fin à cette suspension de la procédure de contrôle. Les évaluateurs ont donc repris leur mission et leurs anciens dossiers, à partir de l’état où ils se trouvaient avant la suspension. Nous y sommes obligés, la procédure est toujours là. A la différence de ce qui s’est passé fin 2015, lors du transfert du contrôle de la disponibilité active de l’ONEm au Forem, aujourd’hui nous n’avons pas reçu d’instruction de « remettre le compteur à zéro ». Je suis toutefois convaincue que, sauf dans les cas qui sont problématiques de façon flagrante, les évaluateurs tiendront compte du contexte global de la réforme et de la volonté d’intégrer rapidement les DE dans le cadre du nouvel accompagnement adapté. Quand les DE seront revenus dans ce cadre, leur « compteur » sera effectivement remis à zéro du point du vue du contrôle de la disponibilité active. Mais les anciens DE doivent avoir un dernier contrôle organisé selon l’ancien système avant de basculer dans le nouveau.

Si ces DE ne viennent pas au rendez-vous fixé, par exemple parce qu’ils pensent que l’évaluation sera pénible, vu qu’ils n’ont pas de dossier à présenter qui corresponde au plan d’action convenu deux ou trois ans plus tôt, cette absence donnera d’office lieu à une sanction. Vu le faible taux de présence à ces convocations (une personne sur trois ?) cela ne risque-t-il pas de donner lieu à une avalanche de sanctions ? Ne vaudrait-il pas mieux ne plus convoquer ces personnes dans le cadre de l’ancien système et les faire basculer d’office dans le nouveau ? Si je suis bien votre réponse, vous estimez que l’initiative d’une telle suspension ne relève pas de votre compétence, mais que ce serait à la ministre de l’Emploi à le décider et à vous en donner l’instruction ?

« Pour ce soit exécuté, il faudrait que la ministre de l’Emploi nous envoie un signal »

M-K. V : Pour ce soit exécuté, il faudrait que la ministre de l’Emploi nous envoie un signal en ce sens, mais je n’en vois pas très bien l’intérêt. Je suis convaincue que nos collègues évaluateurs font tout pour que les DE convoqués soient présents. Je viens par ailleurs de recevoir le taux de présence des DE aux convocations du Forem. En 2019, 62,6 % étaient présents aux convocations, en 2020 71 %, en 2021 69% et en 2022 (huit premiers mois de l’année) 61 %.

(1) Sur la réforme, voir les dossiers publiés dans Ensemble ! n° 103, octobre 2020 ; Ensemble ! n° 104, décembre 2020, Ensemble ! n° 105, septembre 2021 ; Ensemble ! n° 106, décembre 2021, disponibles en ligne.

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