Chômage

Le parlement wallon adopte l’exécrable réforme du Forem

Après avoir réalisé dix auditions d’acteurs sociaux, le parlement wallon a adopté le projet de décret réformant l’accompagnement sans modification, majorité contre opposition.

Dans les numéros précédents de cette revue, nous avons déjà disséqué les différents aspects de ce qui était jusqu’il y a peu le « projet » de décret « relatif à l’accompagnement orienté coaching et solutions des chercheurs d’emploi ». (1) Nous ne reprenons pas ici cette analyse et les raisons qui nous ont amenés à conclure que ce projet était dangereux et néfaste pour les demandeurs.euses d’emploi, que son adoption constituerait l’ouverture d’une nouvelle chasse aux chômeurs (rouge-bleue-verte, cette fois-ci), qu’elle visait à reconfigurer le Forem selon les termes du paradigme de l’État social actif, qu’elle se traduirait par une maltraitance administrative d’une large partie des 200.000 chômeurs wallons, par leur soumission totale à l’institution et leur infantilisation, par des humiliations, par une explosion des sanctions et des exclusions dans le cadre du contrôle de la disponibilité passive, par une perte de confiance dans le Forem et de sens pour celles et ceux qui y travaillent, etc. (pour un rappel succinct, lire ici). Après les discussions et le vote qui est intervenu le 10 novembre 2021 au parlement wallon, il s’avère qu’il n’y a pas un iota à changer à notre analyse antérieure. Ce qui était un projet de décret est désormais devenu un décret sans que le moindre amendement parlementaire – autre que de pure forme – n’ait été adopté. (2)

Des auditions pour rien ?

La ministre de l’Emploi et le gouvernement Di Rupo, dans toutes ses composantes, n’ont jamais laissé planer le moindre doute par rapport à leur volonté d’aller « jusqu’au bout » et de faire adopter le décret. On aurait toutefois pu croire ou espérer que la procédure parlementaire aurait laissé un espace, non pour une remise en question globale du décret, mais à tout le moins pour qu’y soient apportées certaines modifications significatives. En effet, dès l’ouverture des débats parlementaires, le 22 juin 2021, un accord – qui semblait de bonne augure – avait été trouvé pour faire précéder la discussion par l’organisation d’auditions d’acteurs concernés. Pas moins de dix organisations, dont le Collectif solidarité contre l’exclusion asbl (3), auront ainsi été entendues. Il s’agit notamment de la CSC wallonne, de la FGTB wallonne, de l’Interfédé des CISP, de Lire et Ecrire, de l’Union wallonne des entreprises (UWE) et du Forem. Au moment du vote final, le dix novembre, force est de poser le constat, comme la députée Alada Greoli (cdH) l’a dit à la ministre Morreale, que la majorité a balayé l’ensemble des apports faits durant ces auditions, faisant ainsi que celles-ci « ressemblent plus à une mascarade qu’à autre chose ». (4) Elle a été rejointe sur ce point par la députée Laure Lekane (PTB).

Disabato  (Ecolo) : «  Ce n’est pas ici que ça se gère »

Il faut à cet égard reconnaître au député Manu Disabato (Ecolo) une certaine franchise dans son échange avec Mme Greoli par rapport aux propositions d’amendements déposées par celle-ci : « Vous savez très bien, comme moi, avec votre expérience, que ce n’est pas ici que ça se gère, que les choses se gèrent à un certain moment… ». Greoli : « Êtes -vous en train de me dire que la séance plénière ne sert à rien ? ». Disabato : « Ce n’est pas du tout ce que je dis. Je dis que, à un certain moment, il y a un équilibre dans ce décret et que toucher à un élément d’équilibre, rouvre la discussion. (…) Vous le savez comme moi, alors pas de jeu ici, s’il vous plaît, pas de cinéma. (…)».

De fait, les auditions et discussions au parlement wallon ont été suivies d’un entérinement parlementaire ne varietur du projet de décret déposé par le gouvernement. Ces auditions et ces débats auront donc eu un seul mérite : permettre de mieux comprendre le projet de réforme, sa nature, les intérêts qu’y s’y nouent, le positionnement des différents acteurs et des différents partis politiques.

Combats au rayon paralysant

Une question s’impose : pourquoi la majorité PS-MR-Ecolo a-t-elle accepté d’organiser des auditions de nombreux acteurs sociaux si c’est pour, in fine, ne rien changer à son texte et n’intégrer aucune des demandes exprimées ? L’explication en est donnée à la lumière de l’intervention conclusive de la ministre de l’Emploi, juste avant le vote final en séance plénière : dans l’esprit du gouvernement et de la majorité, les auditions étaient censées manifester le soutien unanime des acteurs du secteur à l’excellent projet du gouvernement, soutien qui aurait dû agir comme un rayon paralysant à l’encontre de l’opposition du cdH et du PTB, puisque le décret aurait dès lors pu être présenté comme porté par le secteur tout entier et pas seulement comme un projet du gouvernement. La ministre Morreale a d’ailleurs tenté de jouer de cet argument, signalant que : « à l’exception de l’audition du collectif « Ensemble contre l’exclusion », on est très loin de la présentation faite ce matin par l’opposition des avis des personnes auditionnées. […] L’OCDE a qualifié la réforme de prometteuse. Quant aux partenaires sociaux et aux acteurs de l’insertion socioprofessionnelle, s’ils ont émis des points d’attention portant principalement sur la mise en œuvre de la réforme, qui devra bien évidemment être surveillée de près, ils ont globalement validé la réforme et les principes qu’elle sous-tend, et ont tous souligné la concertation et l’ouverture permanentes qui ont prévalu dans l’élaboration de la réforme. » (5).

Morreale (PS) : «  A l’exception de l’audition du CSCE, on est très loin de la présentation faite par l’opposition »

Quinze jours plus tôt, Manu Disabato (Ecolo) avait déjà utilisé en commission le même type d’instrumentalisation des auditions vis-à-vis de l’opposition. Face à la députée Laure Lekane (PTB) qui fustigeait le projet de décret comme étant le « véhicule d’une idéologie de service aux entreprises plutôt que de service aux demandeurs d’emploi (…) ne sortant en rien de l’idéologie de l’État social actif », M. Disabato n’hésitait pas à tenter l’usage de ce rayon paralysant : « Il ne faut effectivement pas réécrire l’histoire. Les interlocuteurs sociaux ont dit que, globalement, ils étaient d’accord avec la réforme. C’est ce qu’ils ont dit. Soit on croit en la concertation sociale, soit on n’y croit pas. En l’occurrence, ici, ils ont mis des points d’attention par rapport à certains éléments, mais ils ont globalement validé la réforme et ils ont même invoqué les différentes avancées qu’ils avaient obtenues. Je ne sais pas si c’est une sanction que vous faites à l’égard du président de la FGTB wallonne qui a tenu des propos à votre égard sur votre côté non démocratique. En tout cas, je me dis que, avec des amis pareils, on n’a plus besoin d’ennemis. « Le décret est un décret des patrons », c’est ce que vous avez dit, c’est cela que je trouve le plus insultant. Cela voudrait dire que les partenaires sociaux, les interlocuteurs sociaux, y compris les syndicats, ont validé une réforme qui serait la réforme des patrons. Ce n’est pas du tout ce que je vois. Je vois une réforme qui est équilibrée, avec des choses sur lesquelles j’aurais souhaité aller plus loin à certains égards, avec des choses où je n’aurais pas été aussi loin à d’autres égards. Il me semble que l’équilibre global de la réforme est assez intéressant et c’est ce qui fait que l’on peut, du côté de notre groupe, le soutenir. » (6). Malgré le fait qu’il avait constamment dénoncé la réforme en tant que « projet libéral contre les demandeurs d’emploi et les conseillers » (7), le groupe PTB au parlement wallon a failli succomber à cette manœuvre et, sous le poids de cette argumentation, s’est abstenu lors du vote sur le projet de décret en commission. Quinze jours plus tard, à l’ouverture de la séance plénière, il avait encore annoncé son intention de s’abstenir lors du vote final. (8)

Alda Greoli, exorciste

Le charme paralysant de l’invocation d’un prétendu soutien syndical et associatif au projet de décret, qui avait en particulier été lancé à l’encontre des députés PTB a manifestement été levé par la députée cdH Alda Greoli (issue du Mouvement ouvrier chrétien). Une conviction profonde, manifestée à travers une solide profession de foi, passe pour pouvoir délivrer des charmes. La prise de parole de Mme Greoli n’a pas manqué d’inspiration : « À l’arrivée, nous voyons en quoi le décret va faciliter la vie de la direction du Forem. (…) Par contre, la vie des demandeurs d’emploi ou des chercheurs d’emploi, je vois comment elle va être téléguidée. La vie des collaborateurs du Forem, je ne vois pas comment elle va être facilitée. Je vois bien comment l’associatif va être instrumentalisé, comment les représentants syndicaux ont été ignorés, comment le rôle des employeurs a été diminué, mais ils sont contents et je distingue surtout les parfaits dégâts sociaux que cette réforme va provoquer et donc pour le cdH, ce sera non. ». (9) Il n’en fallut apparemment guère plus pour lever les inhibitions du PTB et le convaincre d’annoncer que, lui aussi, il voterait contre le projet de décret.

Ce « durcissement » de la position du PTB, qui après le « non » du cdH révélait l’échec de la récupération des auditions par la majorité, n’a pas manqué de susciter l’ire et les quolibets des députés de la majorité, dans le registre des caïds de cour de récréation ou en affectant celui des poètes, selon leurs tempéraments et capacités. M. Sahli (PS) dénonçant : « La faculté du PTB à transformer certaines réalités en les caricaturant pour faire de fausses vérités est très forte (…) Mme Lekane (PTB) parle de sanction, alors que l’objet de la réforme est l’accompagnement ». Par rapport à ces turpitudes, la vertu et la responsabilité du PS n’apparaîtraient, selon lui, que plus éclatantes :  « Nous faisons de la politique, nous posons des actes. Le PTB, comme je l’ai rappelé il y a quelque temps d’ici, a choisi le camp du commentaire. Je vous laisse commenter l’actualité et laissez-nous décider, s’il vous plaît. » (10).

M. Disabato (Ecolo) tentant, quant à lui, de donner une touche finale plus lyrique et distinguée à l’expression de son dépit par rapport à l’échec de la manœuvre à laquelle il avait participé : « Je me permets quand même de revenir sur le changement de posture du PTB. Vous semblez un peu soumettre vos propres convictions aux réseaux sociaux. J’ai vu ce qui a fondé votre changement de posture. Non, ce n’est pas moi. J’aurais pu croire que c’était moi, mais ce n’était pas moi. C’est le collectif « Contre l’exclusion » qui a justement posté ce matin un message – je remercie mon collègue de me l’avoir montré – pour indiquer que le cdH allait voter contre et que vous alliez vous abstenir. Là, tout d’un coup, vos convictions changent par rapport à une réforme qui avait reçu globalement une appréciation positive, même si vous vous absteniez. Je tiens à le dire puisque les débats ont été extrêmement corrects en commission. Je terminerai avec cette formule : « À force d’aller dans le sens du vent, on a un destin de feuille morte ». » (11). Une sentence qui pourrait peut-être plus justement s’appliquer à d’autres…

Ni boulets verts ni boulets rouges, mais...

Qu’en est-il de la position des différents acteurs auditionnés par le parlement wallon ? La ministre Morreale dit-elle vrai, lorsqu’elle prétend que hormis le Collectif solidarité contre l’exclusion, tous les acteurs auditionnés, et en particulier les organisations syndicales, ont exprimé un soutien global au projet de décret ? La réponse mérite d’être nuancée, en renvoyant à la position de chacun des acteurs. (12) Il est avéré que seul le Collectif solidarité contre l’exclusion a explicitement appelé à un vote de rejet du projet de décret. Si l’on part du principe que « Qui ne dit mot consent », alors la ministre a dit vrai. Mais encore faut-il préciser que si la ministre a dit une vérité partielle, elle n’a pas dit toute la vérité ni comment cette « vérité  partielle » est produite. En ce sens, sa déclaration est également un mensonge partiel.

La CSC wallonne a indiqué, par la voix de M. Vandenhemel, qui la représentait, qu’elle « n’était pas [au parlement] pour tirer à boulets rouges, ou verts en l’occurrence, sur ce projet de décret » mais qu’elle avait « quand même quelques points d’attention, quelques préoccupations, qu’elle voudrait soulever ». (13) S’ensuivit la contestation d’une série de points fondamentaux du décret : le remise en cause de la nouvelle notion de « chercheur d’emploi » reprise dans le titre même du décret, la demande de la possibilité pour le demandeur d’emploi d’émettre une forme de veto par rapport à l’inscription de toute démarche dans son « plan d’action » (c’est-à-dire dans le document qui formalise ses objectifs d’efforts de recherche d’emploi fixés par le Forem), la remise en cause de la confusion entre l’aide et le contrôle, la demande du maintien d’une possibilité d’accompagnement syndical au moment même de la conclusion du plan d’action, la crainte d’une « digitalisation forcée » et d’une « augmentation des sanctions, notamment en disponibilité passive », etc.

Quant-à Jean-François Tamellini, le Secrétaire général de la FGTB wallonne, il a essentiellement fait part des « points d’attention » de son organisation par rapport à la réforme : « la fracture numérique, le personnel Forem avec le volet effectif et le volet formation, et une présence syndicale renforcée » (14), indiquant que les balises de son organisation pour l’évaluation de la réforme seraient notamment le fait qu’elle aille « vers une réduction drastique du nombre de sanctions et d’exclusions, sans vases communicants entre la disponibilité active et la disponibilité passive » et également les « moyens humains du Forem, à renforcer » pour éviter « que ce soit l’évaluation qui prenne le pas sur l’accompagnement », ainsi que « l’accompagnement des plus éloignés [de l’emploi] ».

A lire également :

Deux des auditions devant le parlement méritent une attention particulière, celle du représentant de l’Union wallonne des entreprises, M. Olivier de Wasseige et celle de l’administratrice générale du Forem, Marie-Kristine Vanbockestal.

Enfin, l’essentiel de l’intervention du Collectif solidarité contre l’exclusion est reprise, texto ici.

Favorables si… et moyennant que...

Du côté associatif, le directeur de l’asbl Lire et Ecrire, M. Gillaux, a pour sa part commencé par indiquer que « si les volontés qui ont servi de socle à la création de ce décret sont bien respectées » son association ne « pouvait qu’être favorable à ce dernier » (15) pour poursuivre en indiquant qu’elle aurait toutefois souhaité « réorienter » plusieurs éléments qui « ont servi de socle à ce décret ». Tout d’abord, il a demandé qu’au lieu de prévoir, comme dans le décret, de privilégier l’inscription à distance des demandeurs d’emploi, au contraire, on privilégie « la possibilité de se présenter directement auprès de ses services pour s’y inscrire ». Ensuite, rejoignant les demandes exprimées par les organisations syndicales, au contraire de ce qui est prévu, il a demandé que le décret dispose que ce soit le demandeur d’emploi et non le Forem qui puisse in fine décider du contenu du plan d’action qu’il devra respecter, etc.

Mme Lulling, la Secrétaire générale de l’Interfédération des centres d’insertion socioprofessionnelle (CISP) s’est avancée plus loin encore dans la satisfaction exprimée par rapport au projet de réforme, indiquant que celle-ci « est importante » et qu’elle était « même indispensable simplement, si l’on regarde l’enlisement dans le chômage structurel et la persistance d’un nombre important de personnes éloignées ou très éloignées du marché de l’emploi ». (16) Sans manquer de saluer « la concertation qui a prévalu tout au long de ce travail autour du décret », elle en arriva rapidement à un appel à aller plus loin et exprima « un certain nombre de préoccupations par rapport à ce projet de réforme »… qui constituent dans les faits une contestation d’une bonne partie des éléments les plus fondamentaux du projet de réforme. Les points identifiés comme à modifier étant notamment : le fait que le décret et ses arrêtés d’application reconnaissent au Forem le pouvoir de fixer le positionnement métier du demandeur d’emploi (c’est-à-dire le type d’emploi qu’il doit rechercher), le fait qu’ils prévoient que le contenu des plans d’action puisse être imposé aux demandeurs d’emploi par le Forem, le fait que le décret ne prévoie aucune norme d’encadrement (nombre de conseillers par demandeur d’emploi pour l’accompagnement présentiel), le « tout à l’objectivation (…) qui est une vision très formatée si pas standardisée de l’accompagnement quand on voit les différentes procédures qui sont mises en place ». La Secrétaire générale de l’Interfédé poursuivant en demandant l’adoption de « balises qui permettent d’assurer qu’il y aurait toujours le consentement du demandeur d’emploi quand on transmet des données qui le concernent », et en dénonçant « la fusion entre les fonctions d’accompagnateur et d’évaluateur (…) pas saine » alors qu’il « est essentiel que (…) le demandeur d’emploi, à tout le moment, puisse se demander s’il est conseillé ou s’il est évalué» etc.

Lulling (Interfédé) : «  Le tout à l’objectivation est une vision très formatée de l’accompagnement »

Attentisme syndical

On le voit, les organisations syndicales n’ont exprimé devant le parlement aucun soutien explicite au projet de réforme ni a fortiori aucun appel à voter le texte du décret. Inversement, elles n’ont lancé aucun appel à son rejet ni fait, outre leur exposé, de réelles démarches (prise de position publique, communication dans la presse, mobilisation…) pour obtenir des parlementaires la moindre modification concrète du projet de décret déposé par le gouvernement. Les organisations syndicales auraient pu soutenir explicitement le projet de réforme. Elles ne l’ont pas fait devant la parlement. Elles auraient pu marquer leur opposition à son adoption ou exiger plus fermement, plus haut et plus fort des amendements, ce qui aurait rendu politiquement difficile, si pas impossible, pour le PS et pour Ecolo l’adoption du projet. Elles ne l’ont pas fait non plus. Leur positionnement semble pouvoir adéquatement être qualifié « d’attentiste ». Elles ont émis un soutien par rapport à certaines intentions affichées de la réforme, tout en faisant part de leurs critiques et « points d’attention ». A n’en pas douter, si, dans son application, le projet de réforme tournait bien, elles pourront mettre en avant leur participation à son élaboration, dans leur rôle de cogestionnaires du Forem. A l’inverse, si la réforme « tourne mal » dans les faits, on peut gager qu’elles ne monteront pas aux créneaux pour défendre le projet, mais mettront en avant la non-prise en compte par le gouvernement de leurs critiques et « points d’attention ». On peut également distinguer une nuance entre la position de la CSC wallonne et celle de la FGTB wallonne. Il est manifeste que cette dernière, telle qu’elle s’exprime par la voix de son Secrétaire général, est moins critique sur le projet de décret et met davantage en avant les relations positives qu’elle entretient avec la ministre Morreale. En allant un pas plus loin, on pourrait y voir l’expression d’une conception wallonne assez traditionnelle de « l’action commune » PS-FGTB.

L’associatif sous contraintes

Quant au secteur associatif, qui est directement subventionné par le gouvernement wallon ou par le Forem, ou dépendant des règles de financement que le gouvernement édicte, il ne peut se permettre une opposition franche et ouverte sur un point essentiel envers la ministre de l’Emploi et le Forem. En particulier, lorsque le PS et Ecolo font partie de la majorité. Une association qui souhaite rester un partenaire « crédible » du gouvernement wallon (selon les critères de « crédibilité » qu’il édicte lui-même) et un interlocuteur de celui-ci ne peut risquer de s’exposer à des rétorsions. Les associations qui dépendent de la région wallonne agissent donc sous tension, balancées entre leurs convictions profondes et la nécessité d’agir avec diplomatie vis-à-vis du pouvoir qui les subventionne. Faire passer le positionnement qu’elles ont exprimé sur le projet de décret pour un soutien convaincu, c’est faire un contresens manifeste, pas très honnête dans le chef de la majorité PS-MR-Ecolo.

Un projet déconnecté du réel

La députée Alda Greoli (cdH), que l’on peut difficilement dépeindre sous les traits d’une dangereuse extrémiste, a parfaitement résumé la situation : « Votre décret n’est en tout cas pas basé sur un consensus. Nous avons bien prêté attention aux auditions – les organisations syndicales, les associations partenaires de l’emploi – : elles ont toutes formulé des critiques. Ce n’était pas seulement des critiques de détail. Ce n’était pas des amendements pointus. Non, certaines critiques étaient récurrentes, convergentes et visaient le fond, la philosophie de votre décret. Les principes fondamentaux du projet étaient rejetés par le terrain. Nous avons aussi eu écho des très vives réticences émanant du personnel du Forem lui-même et des agents appelés à revêtir des survêtements de coach et à courir du terrain avec les demandeurs d’emploi. (…) Nos politiques d’emploi et l’efficacité de nos politiques d’emploi reposent sur la collaboration du service public et des associations partenaires. (…) Je l’ai cherchée dans les auditions. Je ne l’ai trouvée nulle part, sauf chez l’Union wallonne des entreprises. » (17).

Greoli (cdH) : «  Les principes fondamentaux du projet étaient rejetés par le terrain. »

Ce constat a été largement partagé, à un tout autre endroit du spectre politique, par le député Antoine Hermant (PTB) : « J’ai plein d’amis qui travaillent dans le secteur de la construction et qui m’expliquent : « On ne sait pas avoir de contrat fixe. Tout ce que l’on nous propose, c’est du travail en noir ». C’est la réalité du secteur. Vous êtes complètement en dehors de la réalité de ce que vivent les gens sur le terrain. Quand on voit la description des métiers sur le site du Forem, pour beaucoup d’entre eux, ce sont des contrats en CDD, des contrats intérimaires. (…) Il y a 212.000 demandeurs d’emploi en Wallonie pour 36.000 offres d’emploi. Je vais vous demander : ne pensez-vous pas que l’objectif principal devrait d’abord être la création d’emplois, et pas la responsabilité des demandeurs d’emploi sur leur situation ? C’est hallucinant, ce que j’entends ici. ». (18)

Hermant (PTB) : « L’objectif principal devrait d’abord être la création d’emplois »

L’impression globale que laissent les débats parlementaires relatifs à l’adoption de ce projet de décret est donc celui d’une très mauvaise pièce mise en scène avec un goût douteux par la majorité PS-MR-Ecolo, qui a lamentablement tenté d’instrumentaliser les organisations et associations auditionnées, pour tenter de leur faire co-endosser la responsabilité d’une réforme imposée par la direction du Forem, complètement en porte-à-faux par rapport aux attentes autres que patronales et par rapport à ses objectifs affichés. Cette réforme n’aidera pas les demandeurs d’emploi wallons et est une nouvelle étape (rouge-bleue-verte) du démantèlement de l’assurance chômage. Nous continuerons à en suivre la mise en œuvre et à en combattre les funestes effets.

(1) Lire les dossiers coordonnées par Arnaud Lismond-Mertes et Yves Martens : « Forem 2021 : aider, secouer, sanctionner ? », Ensemble ! n° 103, octobre 2020, p. 6 et suivantes ; « Forem : non à une chasse aux chômeurs wallons », Ensemble ! n° 104, décembre 2020, p. 64 et suivantes ; « Forem : les nouvelles couleurs de la chasse », Ensemble ! n° 105, septembre 2021, p. 74 et suivantes.

(2) L’ensemble des documents parlementaires sont disponibles sur le site du parlement wallon, notamment dans le dossier parlementaire ad hoc : Dossier n° 544 (2020-2021) ; « Accompagnement orienté coaching et solutions des chercheurs d’emploi » ; Session : 2020-2021 ; Année : 2021.

(4) PW – CRI n° 8 (2021-2022) – Mercredi 10 novembre 2021, p. 23.

(5) Ibid, p. 61.

(6) PW – CRIC n° 43 (2021 – 2022) – Mardi 19 octobre 2021, p. 69 et 70.

(7) Alice Bernard, Députée PTB, 9 mars 2021, www.ptb.be

(8) PW – CRIC n° 43 (2021 – 2022), p. 89 et PW – CRI n° 8 (2021-2022), p. 23

(9) PW – CRI n° 8 (2021-2022), p. 29.

(10) ibid, p. 62-63

(11) ibid, p. 64.

(12) Dont les interventions sont reprises in extenso dans les documents parlementaires de la Commission de l’Emploi, Dossier n° 544 (2020-2021).

(13) PW – CRIC n° 7 – (2021 – 2022), p. 3 et suiv.

(14) ibid, p. 5 et suiv.

(15) PW – CRIC n° 20 – (2021 – 2022) p. 3 et suiv.

(16) Ibid, p. 16 et suiv.

(17) PW – CRI n° 8, p. 26

(18) PW – CRIC n° 33 (2021 – 2022), p. 15

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