dossier titres-services

Réformer les titres-services

Mauvaises paies, danger pour la santé, financement injuste… L’organisation de l’aide ménagère dans le cadre des « titres-services » requiert une réforme profonde.

Qui profite qui paie illu

Créé en 2001 par le gouvernement fédéral arc-en-ciel Verhofstadt I (VLD, PRL, PS, SP, Ecolo, Agalev), avec pour objectif déclaré de combattre le travail au noir et de créer 3.000 emplois dans le secteur de l’aide ménagère (Lire ici), le secteur des titres-services, aujourd’hui géré par les régions, ne sort pratiquement plus de travailleuse du noir et compte actuellement environ 150.000 travailleurs en Belgique. Ou plutôt 150.000 travailleuses, car ces emplois sont occupés par des femmes à plus de 95 %.

Une redistribution à l’envers

Principalement organisé par des entreprises privées et au bénéfice personnel des ménages qui y font appel, le secteur des titres-services est cependant essentiellement financé par les pouvoirs publics régionaux. L’heure de travail ménager (1 titre-service = 1 heure de travail ménager) est payée 8 euros par l’utilisateur (réduction fiscale comprise) tandis que les régions octroient une subvention d’environ 14 euros par heure de travail effectuée. D’amples réductions de cotisations sociales sont également octroyées, et, in fine, plus de 70 % du coût est ainsi pris en charge par les pouvoirs publics. La légitimité et l’importance de ces dépenses publiques, qui ont explosé avec la croissance du secteur, pose question. D’autres interrogations se posent sur le ciblage de ces subventions. Alors que l’ensemble de la population contribue via l’impôt à son financement principal, les pouvoirs publics s’en remettent au marché pour déterminer les bénéficiaires du dispositif, qui sont dès lors principalement les ménages les mieux nantis. Celui-ci opère ainsi une redistribution financière à l’envers, des ménages modestes et moyens vers les plus favorisés.

Un travail mal payé et invalidant

Par ailleurs, la promesse d’émancipation par l’emploi de ces femmes n’a pas vraiment été tenue. Avec une rémunération brute qui plafonne aux alentours de 13 euros de l’heure et des emplois marqués par le temps partiel, la rémunération des travailleuses est loin de leur garantir l’autonomie financière et l’accès au bien-être. Un récent rapport d’évaluation le pointe : « Compte tenu de la moyenne hebdomadaire de 18 heures de travail en 2019, le salaire brut mensuel d’un travailleur titres-services wallon s’élevait à 850 euros en 2019. Ce montant apparaît comme très faible au regard du salaire mensuel brut moyen en Wallonie qui était de 3.383 euros en 2018 selon l’IWEPS et du seuil de pauvreté fixé en 2019 à 1.187 euros pour un isolé » (1).

Un salaire moyen de 850 euros

Mais il y a plus. Une succession de rapports objectivent les renvois massifs et de longue durée des travailleuses en titres-services vers l’invalidité. Dans ses conditions actuelles d’organisation en particulier, le travail des aides-ménagères s’avère délétère pour leur santé, notamment au niveau des problèmes musculaires et squelettiques. Pour une partie des travailleuses, l’emploi en titres-services n’est pas le gage d’une participation durable sur le marché du travail mais aboutit au contraire à un retrait de celui-ci. Le même rapport d’Idea consult indiquait ainsi que « Pas moins de 14 % des Wallons actifs dans les titres-services étaient dans l’incapacité de travailler au 31 décembre 2019. Il est par ailleurs intéressant de constater que ce pourcentage augmente de manière exponentielle (…) puisqu’il n’était que de 3 % en 2009 et de 6,5% en 2013 contre 12,7% en 2017 ». Cette incapacité est souvent de longue durée : « Plus ou moins la moitié des Wallons qui se sont retrouvés en incapacité de travail suite à leur activité d’aide-ménager titres-services le restent plus de 10 ans alors qu’un peu moins d’un quart arrive à retrouver pleinement l’emploi ». (2)

Une autre organisation est possible

Le système actuel des titres-services renforce les inégalités, tant au niveau socio-économique qu’au plan de la répartition de la prise en charge des tâches ménagères entre les hommes et les femmes. Il enferme dans la précarité les aides-ménagères et met leur santé en danger, au seul profit des clients et des entreprises du secteur. Il est donc urgent de mettre en débat l’organisation de ce système et d’exiger sa réforme complète. Nous entendons y apporter une contribution à travers ce dossier. Tout d’abord en décrivant plus avant le système des titres-services et en le mettant en regard d’une autre organisation de l’aide à domicile, celle développée par le secteur public ou non-marchand dans le cadre des politiques d’aide familiale (Lire ci-après). Après des témoignages de travailleuses concernées (Lire ici), nous reviendrons sur les intentions initialement affichées au moment de la création des titres-services (Lire ici), nous donnerons la parole à un représentant syndical des travailleuses de ce secteur, Sébastien Dupanloup (ACCG – FGTB) (Lire ici) ainsi qu’à une féministe qui l’a étudié, Soizic Dubot (Vie féminine ) (Lire ici). Nous examinerons ensuite les principales critiques qui peuvent être faites du système actuel (Lire ici), . Enfin, nous tenterons de dégager des orientations pour une réforme progressiste du dispositif (Lire ici).

(1) Brolis et alii (Idea consult), « Evaluation du dispositif des Titres-Services wallons », 2018-2020 (février 2022), p. 81.

(2) Ibid, p. 146.

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