dossier titres-services

« On est vraiment mal considérées »

Nous avons demandé à des travailleuses en titres-services comment elles percevaient les conditions d’exercice de leur métier.

Stiki
Stiki

Que pensent les travailleuses en titres-services de leurs conditions de travail ? Pour le savoir, nous avons réalisé des entretiens avec cinq d’entre elles (désignées ci-après, par souci d’anonymat : TS1, TS2…), qui évoquent les différentes facettes de leur métier. Les bonnes : des horaires décents, un sentiment d’utilité auprès de personnes âgées. Mais aussi les mauvaises : des rémunérations médiocres, des traitements méprisants, la pénibilité et l’insuffisance de la protection sociale par rapport aux situations de maladie et d’invalidité…

« Un horaire correct »

Pour quelles raisons ont-elles choisi ce secteur-là, malgré la mauvaise paie (environ 12 euros bruts/heure) ? La compatibilité des horaires de travail en titres-services avec la gestion de leurs propres enfants est l’argument le plus récurrent. Notamment par opposition aux conditions de travail dans le nettoyage des bureaux, mieux payé mais presté dans le cadre d’horaires atypiques, tôt le matin et tard le soir. « On arrive chez les clients quand ils sont eux-mêmes partis déposer leurs enfants et travailler. Donc on travaille de 8h à midi, ou 8h30 à 12h30. Ensuite on a une demi-heure, de 12h30 à 13h, pour aller chez l’autre client, et on travaille de 13h à 16h ou de 13h à 17h, ça dépend si c’est 3 ou 4 heures. C’est un horaire correct pour les enfants, même s’ils doivent aller à la garderie » (TS4). « J’aime bien les horaires que je fais. Moi je commence souvent à 8h et j’ai fini à 15h30 ou 16h30. J’ai pu m’arranger pour avoir congé le mercredi après-midi, comme ça je suis avec les enfants » (TS2).

« Pour certains, on est des bonniches »

Les relations sociales, le sentiment d’utilité et la reconnaissance de client.e.s peuvent être une source de gratification mise en avant comme donnant du sens à leur métier, mais c’est loin d’être toujours le cas et celui-ci peut également être vécu comme dévalorisant par celles qui l’exercent. « Beaucoup d’aides-ménagères apprécient les petits cadeaux de fin d’année (une boîte de chocolats, un bouquet de fleurs), en tant que signes de reconnaissance. Pour moi, le meilleur moyen pour montrer sa reconnaissance, c’est un simple merci. J’ai connu une utilisatrice âgée qui disait devant moi au téléphone : « Ah, j’ai ma petite fille avec moi ! Ça, c’était une grande marque de reconnaissance ». » (TS1) « Ce qui me plaît, c’est le lien avec les personnes âgées. Moi j’aime bien travailler chez les personnes âgées, c’est mon truc. C’est chouette, tu te sens vraiment utile, plus chez des personnes âgées que chez des plus jeunes. Les plus jeunes m’énervent.  » (TS5). « Les personnes âgées ne savent vraiment pas le faire. Mais pour les jeunes, je suis peut-être un peu dure, mais je trouve qu’ils pourraient quand même faire un minimum, et souvent ils ne le font pas. […] Je me sens plus utile chez une personne âgée qui est vraiment coincée, qui a difficile, que chez des plus jeunes. » (TS1) « C’est chiant, parce qu’on est vraiment mal considérées, dans le sens où quand on est aide-ménagère, on est femme d’ouvrage en fait. Le ressenti général, c’est qu’une femme d’ouvrage est bête. […] Chez les politiques, ça se voit : on n’obtient jamais rien, pourtant on est quand même un secteur assez énorme, on est le deuxième en Belgique en termes d’emplois, mais exclusivement féminin. Ça prouve aussi, une nouvelle fois, que les femmes ne sont pas au super du top. Lorsqu’on parlait d’augmenter le prix du titre-service pour les utilisateurs, j’ai reçu de la part de certains des réflexions du style : « Pour du nettoyage, il ne faut pas exagérer quand même ! » C’est un truc que je n’admets pas, parce que quand tu fais venir un jardinier chez toi, ça te revient plus cher. Il y a vraiment un problème de valorisation dans le secteur. J’ai une collègue qui est éducatrice spécialisée et a fait 3 ans ou 4 de supérieur. Moi, j’ai quand même fait une année de supérieur. Il y a des étrangères qui arrivent ici, qui malheureusement n’ont pas beaucoup de bagages. Il y a vraiment de tout… On nous prend pour des cas sociaux. Ce n’est pas vrai. » (TS5) La dévalorisation des aides-ménagères n’est pas qu’une question de perception ou de rémunération, elle se marque également dans les comportements de certains clients : « J’ai eu une utilisatrice […] qui a une toute petite salle de bain avec une douche ronde et, juste à côté, un bac avec tous les excréments du chat. Je lui ai indiqué que si elle ne bougeait pas ce bac, je ne ferais plus sa douche. Qu’a-t-elle fait ? Elle a demandé à l’entreprise d’avoir quelqu’un d’autre. Parce que je ne lui convenais pas. […] Il y a également des utilisateurs qui ont des chiens qui laissent des excréments dans la maison. C’est je te paie et… pour certains utilisateurs, on est des bonniches. Le mot est fort mais c’est la réalité du terrain. Et j’ai l’impression que plus on avance dans les titres-services, plus c’est le cas. » (TS1)

Des dérapages

Parfois la relation de l’utilisateur à « son » aide-ménagère dérape :  : « On rencontre aussi des situations de harcèlement moral et de harcèlement sexuel […]. On a eu un cas […] : au départ c’étaient des paroles gentilles, et puis c’est devenu des allusions. Jusqu’au jour où, lorsque l’aide-ménagère est arrivée, l’utilisateur lui a offert un cadeau qu’elle a ouvert et, dans le paquet, il y avait de la lingerie. Elle a contacté l’agence et ils ont essayé d’envoyer une autre aide-ménagère. L’utilisateur s’en est pris tout de suite à celle-ci parce qu’il voulait récupérer « son » aide-ménagère. Dans ce cas-là on casse le contrat. » (TS1) « Notre société a déjà cassé des contrats avec des clients parce qu’il y avait trop de problèmes […]. I Par exemple, avec une dame qui a frappé une de mes collègues […] simplement parce qu’elle était marocaine et que cette dame était raciste. Il y avait eu un remplacement et la société ne lui avait pas dit qu’il serait effectué par une Marocaine. Au départ, elle l’a laissée travailler. Mais, rapidement, elle a commencé à être méchante avec elle, jusqu’au moment où l’aide-ménagère lui a dit :  » Madame voulez-vous bien me parler normalement parce que je ne vous ai rien fait « . La dame a alors pris un manche de brosse et l’a frappée en disant  » Tu sors de chez moi  » ». (TS4)

« Un boulot qui use énormément »

La pénibilité physique du métier est une autre de ses caractéristiques qui ressort des entretiens. Elle est associée à la non prise en charge sociale des problèmes de santé générés pour les travailleuses : absence de reconnaissance en tant que maladie professionnelle, absence de financement des aménagements de carrière, temps plein fixé à un niveau intenable, etc. Ce qui entraîne pour celles-ci des effets calamiteux. « C’est un boulot qui use énormément. On ne fait que des mouvements répétitifs, tout le temps la même chose. On a souvent deux clients par jour, des gens qui attendent de nous qu’on fasse une maison complète en trois ou quatre heures. Donc on est toujours sous pression, en train de courir, de faire des mouvements répétitifs. Quand on a terminé, il y a les courses, les enfants… donc on termine notre journée vers 21h, 22h. Sans compter qu’on a le stress de la route […] on est toujours dans le trafic, le matin ou au retour. Du départ jusqu’à l’arrêt, on est sous pression… » . (TS4) « Physiquement, je ne saurais pas faire plus de 25h/semaine. C’est honteux de dire ça à mon âge, parce que je pense pas être trop vieille quand même, mais franchement je ne saurais pas… ». (TS5)

« On se fait des petits bobos. Une fois on a mal au dos, une fois au bras et donc qu’est-ce qu’on fait ? »
« On se fait des petits bobos. Une fois on a mal au dos, une fois au bras et donc qu’est-ce qu’on fait ? »

« Chez certaines personnes vous avez des escaliers très raides. Vous montez votre seau, votre raclette, l’aspirateur et quand vous redescendez, c’est la chute. Combien de fois n’ai-je pas dégringolé des escaliers ! Vous videz le lave-vaisselle, le couteau est mal mis, vous faites pas attention et… De même, vous lavez la vaisselle, sans faire exprès un verre pète et vous vous coupez… On ne s’en rend pas compte mais on est toujours sur le qui-vive, on doit toujours faire attention à ce qu’on fait. Normalement on porte des chaussures de sécurité, mais lorsque vous nettoyez avec de l’eau ça fait des marques quand vous avez un carrelage laqué. Donc, pour ne pas faire des traces, vous allez sur vos chaussettes et des fois… vous glissez. Il y a des personnes qui veulent qu’on cire leur parquet. Si vous êtes distraite un moment, vous risquez de faire une chute… ». (TS3) « On se fait des petits bobos. Une fois on a mal au dos, une fois au bras et donc qu’est-ce qu’on fait ? On se met à charge de la mutuelle pour se soigner, comme tout le monde. Mais être à charge de la mutuelle, c’est une catastrophe. On ne sait pas survivre, parce que on ne reçoit que 60% du salaire brut, alors qu’on a déjà un salaire très bas […]. Dans ces conditions, vous payez votre loyer et puis vous devez choisir ce que vous payez. Faire vos courses ou payer les autres factures, parce que tout c’est pas possible. […] En 2010, j’ai eu une tendinite au poignet, qui s’est aggravée. Je ne me suis pas tout de suite mise à charge de la mutuelle. J’ai d’abord fait des infiltrations. Après 2 ou 3 infiltrations, je ne sentais plus mon poignet. Du coup, je continuais à forcer dessus et j’ai alors eu le ligament qui a lâché. J’ai alors été obligée de me faire opérer. Le temps qu’ils m’examinent, que je me fasse opérer, que j’aie le plâtre et la rééducation, je suis restée 6 mois à charge de la mutuelle. Honnêtement, ça a été une descente aux enfers. Je me suis retrouvée avec 620 euros par mois. Vous payez votre loyer et puis il n’y a plus rien, c’est pas possible. Je n’ai donc même pas attendu l’autorisation du médecin pour reprendre le boulot. Dès que j’ai su rebouger ma main, j’ai repris le boulot parce que je ne m’en sortais pas, ce n’était pas tenable. […] La porte de sortie des titres-services, c’est pour raison médicale. A un moment, vous n’arrivez plus à suivre et vous êtes licenciée pour cas de force majeure médicale. ». (TS4) « J’ai été en arrêt maladie pendant 4 mois. A la mutuelle, ça a été catastrophique au niveau revenu. Il aurait peut-être fallu que je m’arrête un mois de plus, mais c’est moi qui ai dit non. J’ai voulu recommencer, parce que sinon… ». (TS5) Une autre aide-ménagère abonde dans le même sens : « Je suis tombée à charge de la mutuelle en 2010. Plus jamais de ma vie. Ça, c’est hors de question. Depuis, j’ai eu d’autres petits soucis de santé, notamment un problème à l’épaule qui revient régulièrement […] mais j’ai dit à mon médecin : moi il faut que je reprenne le travail, je ne peux pas me permettre de rester à charge de la mutuelle. Je l’ai vécu, je n’en veux plus. ». (TS4)

« Les femmes ne sont pas au super du top »

La pénibilité du métier, la charge de famille et la conception dominante de leur répartition, conduisent les travailleuses en titres-services à exercer ce métier à temps partiel, malgré la faiblesse de la rémunération horaire, le cas échéant en renonçant à un emploi à temps plein. Elles se retrouvent alors dans une situation de dépendance économique par rapport à leur conjoint, avec toutes les conséquences sur leurs droits dérivés (pension, chômage, invalidité…) : « Comme il gagnait beaucoup plus que moi, étant ingénieur programmeur, il est resté à temps plein et c’est moi qui ai réduit mon temps de travail… C’est souvent la femme qui change, on va dire ça comme ça. […] ». (TS3) Parfois, une allocation complémentaire permet d’atteindre la fin du mois malgré le travail à temps partiel : « On m’a dit que j’avais droit à un complément chômage parce que j’avais travaillé autant d’années. Ça m’a permis de rester dans ce secteur et à temps partiel, car quand vous êtes seule vous devez payer votre loyer, les charges, la nourriture… ». (TS3) Les aides-ménagères qui vivent seules se retrouvent dans des situations de forte précarité, qui ont encore été renforcées pendant la période du confinement : «  Quand vous n’avez que votre salaire et que vous vous retrouvez en chômage Corona, ce n’est pas possible. Il faut faire des choix, on ne sait plus tout assumer. C’est : je paie mon loyer, je fais mes courses ou je paie ça, je ne mange pas… À un moment, il faut faire des choix. Je me souviens ainsi d’une dame qui m’a dit qu’elle allait vendre sa voiture […] Il y a des moments où on n’y arrive plus et où il faut récupérer de l’argent quelque part ». (TS4) Quant aux possibilités d’évolution de carrière interne aux titres-services, elles sont à peu près inexistantes : « Il y a des sociétés où il y a des postes d’encadrement style brigadier. Si vous avez 130 filles en titres-services, vous n’aurez pas 130 brigadières, mais une ou deux tout au plus. C’est très rare d’avoir une possibilité de promotion, et encore faut-il que l’employeur le veuille… ». (TS4)

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