santé et exclusion

L’exclusion sociale par la pollution électromagnétique

Exploration de la situation sociale des personnes dites « électrosensibles », dont le corps et la santé souffrent des rayonnements des technologies sans fil. Dans cette situation, toutes les dimensions de l’existence sont profondément perturbées.

Contrairement à d’autres pays, les cabines téléphoniques ont toutes disparu en Belgique, mises au rebus. L’absence d’un service public de téléphonie représente une difficulté sociale supplémentaire pour les « électrosensibles ».
Contrairement à d’autres pays, les cabines téléphoniques ont toutes disparu en Belgique, mises au rebus. L’absence d’un service public de téléphonie représente une difficulté sociale supplémentaire pour les « électrosensibles ».

Se pencher sur les nouvelles technologies et les changements qu’elles entraînent, dans nos existences et nos sociétés, génère d’innombrables questions. Du début de la chaîne – l’extraction des matières premières nécessaires à la fabrication des engins – jusqu’à la fin de celle-ci – la masse de déchets entraînés par le renouvellement continuel des machines- , nous trouvons de multiples maillons de réflexion. Parmi eux, de sacrés méfaits : une époque du « tout, tout de suite », une vie sociale en pointillé, le floutage des limites entre temps de travail et de loisirs, dont résultent des craquages professionnels variés, les impacts sur la Sécurité sociale, les addictions diverses, la désocialisation, la disparition de la notion de vie privée, notamment chez les adolescents, la médiatisation de tous les pans de l’existence, ou encore la déstructuration de la vie de famille : les enfants sont délaissés pour les écrans ou… placés devant eux.

À plus grande échelle, nous pourrions évoquer les conditions de travail inhumaines dans les mines de matières premières, les conflits armés entourant ces activités, l’accroissement des possibilités de surveillance, la géolocalisation, la reconnaissance faciale, la robotisation des postes de travail ou encore l’ubérisation de la vie professionnelle, et l’exploitation sociale qui en résulte… Citons encore l’obsolescence programmée et la surconsommation énergétique, résultant de la projection continuelle d’électricité dans l’air dans les espaces publics et privés, ainsi que les pollutions diverses et l’impact sur la flore et la faune. Les abeilles, par exemple, si nécessaires à l’équilibre naturel de notre monde et déjà décimées par les pesticides, se guident par les champs électromagnétiques naturels : désorientées par les rayonnements artificiels, elles se perdent et les colonies s’écroulent…

Nous allons nous centrer sur nos préoccupations essentielles, évoquées dans le nom de notre association : la « solidarité contre l’exclusion »

Les études sur toutes ces données, réalisées par de nombreux auteurs de par le monde, pourraient aisément emplir plusieurs volumes épais, imprimés sur papier bible… Pour notre part, dans notre travail nous centrerons la réflexion sur nos préoccupations essentielles, évoquées dans le nom de notre association : la solidarité contre l’exclusion.

Electroquoi ?

En évoquant les individus souffrant de l’agression électromagnétique, de qui parlons-nous exactement ? Alors que les effets des rayonnements sur la santé sont encore grandement niés par les autorités politiques et sanitaires, une étiquette a cependant été collée sur les corps vivant le ressenti de ces effets : « électrosensibles ». « Electroquoi ? » Voilà ce que s’entend régulièrement répondre un individu qui expose son état physique en formulant, par exemple, une simple demande de couper le wifi lors d’un séjour dans un espace partagé.

Pour toute question sociale, les mots sont importants. Utiliser un terme est bien entendu nécessaire pour désigner un vécu, d’autant plus s’il est partagé par de nombreuses personnes. Cependant, le terme « électrosensible » n’est pas sans poser de sérieux problèmes. Comme nous le rappelle le physicien et ex-parlementaire écologiste Paul Lannoye, les êtres vivants sont des « émetteurs-récepteurs d’ondes électromagnétiques » et ils peuvent tous, par les rayonnements électromagnétiques artificiels, « être profondément perturbés dans leur fonctionnement intime et leur santé. Faut-il rappeler que le cerveau humain émet des signaux qui couvrent une gamme de fréquences allant de 0,5 à 30 hertz ? » (1) Le corps humain est donc intrinsèquement électrosensible et tous les individus, sans exception, sont concernés par cette réalité. Voilà sans doute la raison pour laquelle a été ajouté aux définitions officielles le préfixe « hyper » (du grec huper), indiquant une sensibilité supérieure à « la normale ».

« Jamais sans mon smart » dessin Stiki
« Jamais sans mon smart » dessin Stiki

Quels sont les symptômes développés par le corps humain au contact de ces technologies ? Dans notre travail, nous les présenterons tels qu’exprimés par nos témoins, en les contextualisant dans leurs parcours de vie, mais reprenons ici en introduction les mots de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). En 2006, elle décrivait de cette manière le « syndrome des micro-ondes » : « La sensibilité vis-à-vis des champs électromagnétiques a reçu la dénomination générale : ‘Hyper Sensibilité Electromagnétique’ ou EHS (NDLR. Ici pour les initiales anglaises d’ « Electromagnetic hypersensitivity »). Elle comprend des symptômes exprimés par le système nerveux comme les maux de tête, la fatigue, le stress, les troubles du sommeil, des symptômes cutanés comme des picotements, des sensations de brûlure, des démangeaisons, des douleurs et des crampes musculaires ainsi que beaucoup d’autres problèmes de santé. Quelles que soient les causes, la sensibilité électromagnétique est un problème invalidant pour les personnes qui en sont affectées. Leur exposition est en général nettement sous les limites des standards acceptés internationalement. » (2)

Ces nombreux témoins se demandent quand les autorités politiques vont décider de jouer leur rôle en matière de santé publique

Les « standards internationaux » évoqués par l’OMS ci-dessus sont, depuis le début, basés sur des tests absurdes et excluent – et continuent d’exclure vingt ans plus tard – de leur champ d’action les personnes dont le corps réagit aux effets biologiques des rayonnements électromagnétiques. (3) Depuis bientôt vingt ans, les électrosensibles sont coincés dans un entre deux. Leurs symptômes sont clairement définis par l’OMS au sein du syndrome des micro-ondes, leur souffrance est actée, mais en parallèle leur expérience des sources de leurs maux, elle, est rejetée. L’OMS parle d’intolérance environnementale idiopathique – dont on ne connaît pas l’origine précise – attribuée aux champs électromagnétiques. L’électrosensibilité est invalidante, mais le lien n’est pas reconnu avec… les rayonnements électromagnétiques.

Depuis deux décennies, cette situation place les électrosensibles dans une situation de grande détresse. Et en parallèle, les rayonnements continuent d’augmenter, outre l’accroissement de tous les méfaits cités en introduction de ce texte, ces augmentations entraînent des dégâts sanitaires et sociaux sans précédent, amplifiés par la mise en circulation de chaque nouveau produit. Aux vécus physiques très problématiques des gens atteints du syndrome des micro-ondes – le premier scandale sanitaire, immédiat, sous nos yeux -, il faut ajouter également une angoisse profonde autour de cette question : « de quoi ce syndrome est-il le signe, de quelle pathologie future, éventuellement en développement ? » Ces pathologies, dont l’épidémiologie nous apprend l’aggravation progressive, représentent le second scandale sanitaire. À long terme, il révélera avec le temps toute son ampleur.

La violence physique ressentie par les électro-hypersensibles (EHS) ne peut rien annoncer de bon à ce sujet, ce qui nous amène au point positif – si l’ont peut oser ce terme ici – du syndrome : le corps a lancé l’alerte, la conscience de la nocivité est là et il faut donc tenter de se protéger. Moins en contact direct avec les rayonnements, globalement et sur le long terme, peut-être les corps des électro-hypersensibles ne seront-ils pas les premiers à développer les pathologies inhérentes aux effets biologiques des micro-ondes.

Matériaux de « protection »

Parmi nos témoins, nombreuses sont les personnes qui doivent s’équiper de matériaux étudiés pour réduire ou arrêter les rayonnements électromagnétiques, en utilisant le phénomène bien connu de la « Cage de Faraday », du nom de Michael Faraday, un physicien et chimiste britannique, né en 1791 et mort en 1867, très connu pour ses travaux fondamentaux, notamment dans le domaine de l’électromagnétisme.

Une cage de Faraday est une structure métallique étanche aux champs électriques ou électromagnétiques. Elle les empêche d’entrer et de sortir, et protège de cette manière ce qui se trouve à l’intérieur ou à l’extérieur de la cage. Un métal conducteur, généralement de l’aluminium, maintient un potentiel fixe lorsqu’il est relié à la terre. Les électrons présents dans le métal annulent alors les charges électriques extérieures, elles-mêmes créées par une différence de potentiel. En langage simple : une charge électrique frappant une enceinte métallique reliée à la terre ne peut tout simplement pas la traverser. Les ondes électromagnétiques, elles, sont bloquées même sans que la cage ne soit reliée à la terre.

Concrètement, les personnes rencontrées dans le cadre de notre étude utilisent des tissus composés de coton et de fil métallique arrêtant les rayonnements. Avec ces tissus, il y a par exemple moyen de composer des vêtements, ou un baldaquin destiné à entourer le lit. Pour qu’il soit efficace, il doit être totalement hermétique, et du tissu au sol doit assurer une connexion parfaite avec les tissus tombant autour du lit. Ces tissus « contre les rayonnements électromagnétiques sont élaborés à partir de coton et de métal, généralement des fils d’argent et/ou de cuivre. Grâce à cette composition, ces textiles bimatières offrent un effet similaire à une épaisse feuille d’aluminium. » (1) Des peintures spéciales existent également pour recouvrir les murs. (2)

Avec ces produits, ces individus sont donc forcés de se créer une « bulle » d’atmosphère plus supportable, au sein d’en environnement général rendu malsain, traversé partout de micro-ondes.

(1) « Les tissus anti-ondes : une protection efficace contre les hautes et basses fréquences », www.sante-ondes.com

(2) Pour des exemples de tous ces produits, voir le site belge : www.etudesetvie.be

Abondance de témoignages

En guise de phase initiale de cette étude, nous avons donc publié en juin 2020 un appel à témoignages débutant comme suit : « Certaines personnes souffrent des rayonnements électromagnétiques de haute fréquence, placés dans nos environnements de vie, dans les entreprises et sur les lieux de travail. Il leur a parfois fallu interrompre leur vie professionnelle, ou la poursuivre avec une qualité de vie et de santé extrêmement dégradées. Face à cette situation, les parcours dans les méandres des soins de santé sont parfois semés d’embûches, liées à une reconnaissance faible de cette réalité de l’électrosensibilité, pourtant largement documentée. » À cet appel, nous avons reçu des dizaines de réactions. Force est donc de constater une immense attente, dans le chef des victimes des technologies sans fil, de pouvoir exposer leur situation personnelle dégradée par un cadre de vie – également dégradé – qui ne leur permet plus d’évoluer de manière « normale ». Outre quelques témoignages écrits, nous avons passé une bonne partie de l’été à sillonner la Belgique francophone à la rencontre de ces personnes, pour recueillir des dizaines d’heures de récits de vie.

À nouveau, les mots sont importants. Incapables de supporter les installations technologiques du lieu de travail, de nombreuses personnes ne sont plus en activité, certaines officiellement en « congé maladie ». Mais quelle maladie ? C’est bien leur environnement de travail modifié qui les empêche de vivre et de fonctionner encore normalement, de nouvelles nuances sémantiques s’imposent donc à ce sujet. Comme l’affirme une de nos témoins : « Certains qualifient cela de ‘maladie’, mais est-on ‘malade’ si on nous brûle chaque jour un petit peu avec un chalumeau, par exemple ? » Souvent, en dehors des troubles physiques au contact de ces rayonnements, la plupart des gens se sentent parfaitement bien, telle cette dame :  « J’ai une folle envie de vivre, si je pouvais envisager de les réaliser, j’ai plein de projets. Si on arrête les machines, ma vie redevient de suite tout à fait normale ! » Nous explorerons tous ces éléments sociaux, parfois non reconnus par l’employeur et la médecine du travail, malgré des certificats médicaux attestant de l’intolérance aux rayonnements électromagnétiques présents dans l’entreprise.

Ces nombreux témoins se demandent quand les autorités politiques vont décider de jouer leur rôle en matière de santé publique, face à une industrie surpuissante et une propagande envahissante pour la vente de ses produits, dont la production semble pouvoir se réaliser sans aucune limite… ni réflexion. Inutile de signaler la faiblesse du débat de société – quasiment inexistant en amont – sur l’opportunité de modifier en profondeur nos modes de vie, par des engins présentés comme indispensables.

Santé et société.

Pour le lecteur qui découvrirait ici l’existence de cette (hyper)sensibilité, nous devons poser clairement les bases du débat social auquel nous avons à faire face. Lorsque le corps a déclenché les symptômes, il ne s’agit nullement d’un détail existentiel mais bien d’une véritable catastrophe individuelle. Si ce déclenchement se réalise en général suite à une exposition massive ou après le dépassement d’un seuil personnel, atteint après des années voire décennies d’exposition journalière : une fois déclenchés, les symptômes ne disparaissent plus. L’évitement, très relativement réalisable, permet parfois de dompter quelque peu un quotidien devenu compliqué, mais chaque moment de la vie est à réfléchir et à accomplir autrement. Les rayonnements sont présents partout. Pour les cas les plus graves, le chamboulement est total, avec des basculements inévitables, professionnellement et socialement.

Certaines personnes identifient le basculement au moment du passage à une nouvelle génération de technologie, comme cette dame : « Je n’avais jamais entendu parler de ce problème. Puis en me renseignant sur ce que je ressentais, j’ai commencé à trouver de très nombreuses descriptions identiques… Quand j’ai compris ce qu’il m’arrivait, la Belgique venait de passer à l’installation généralisée de la 4G ». Face à une fuite en avant continuelle du déploiement du sans-fil, et au moment où nous vivons l’arrivée de la 5G, personne n’est donc a priori à l’abri.

Outre cette dimension individuelle, la catastrophe est également collective. Aujourd’hui, chacune et chacun cohabitent avec des individus dans une situation de souffrance, alimentée par les pratiques technologiques de la plupart des membres de notre société. Nous ne sommes bien entendu pas face à un quelconque caractère volontaire, une envie consciente de détruire l’existence d’autrui, mais qu’est-ce qui fait société ? Se soucier des autres ou s’en moquer ? Une dimension collective, également, lorsque nos témoins parlent « d’invasion de domicile », car même à la maison ils doivent subir les rayonnements des technologies installées par leurs voisins. À grande échelle, tout a été fait pour faire entrer l’utilisation de ces technologies dans la catégorie des évidences : par la publicité massive pour les produits et, a contrario, l’absence d’information au sujet des implications sanitaires, pourtant connues de longue date. (4)

Qu’est-ce qui fait société ? Se soucier des autres ou s’en moquer ?

La catastrophe est sociale, également, lorsque certains de nos contemporains sont bloqués dans leurs déplacements, doivent pratiquer l’évitement permanent, changer radicalement de vie, chercher des endroits « préservés », déménager indéfiniment… Lorsque des lieux aimés sont interdits aux pas de certains pour des raisons environnementales, peut-on parler d’un contexte de liberté collective ? De ces nécessaires évitements, il résulte une situation de fait de ségrégation sanitaire. L’indifférence totale n’est pas de mise partout, une étude a par exemple été réalisée sur cette ségrégation par la Ville de Lyon : « Pour la métropole de Lyon, qui gère des espaces publics et a mis en place une commission d’accessibilité à la ville, la question de l’électro-hypersensibilité et des champs magnétiques est un signal et une problématique à étudier. ». (5) Nous trouvons dans cette étude française une description précise des stratégies d’évitement désormais nécessaires à certains, ainsi qu’une description de l’exclusion des espaces urbains. Nous explorerons ces bouleversements sociétaux à la lumière des témoignages que nous avons recueillis durant l’été 2020.

Lorsque des lieux aimés sont interdits aux pas de certains pour des raisons environnementales, peut-on parler d’un contexte de liberté collective ?

Enfin, notre travail rejoindra une autre des préoccupations principales de notre association, en apportant une analyse en termes d’inégalités sociales, d’actualité à l’aune de la pollution électromagnétique. Les parcours de vie impactés le sont bien entendu de manières diverses selon la situation sociale des personnes développant l’intolérance aux champs électromagnétiques. En effet, si Madame est cadre dans une grande entreprise de distribution, Monsieur pourra plus facilement arrêter de travailler que si les deux membres du couple sont magasiniers dans une enseigne de la chaîne. Au niveau du logement, également, faute de moyens financiers certains ne pourront se permettre les nécessaires adaptations. Comme le dit une de nos témoins, « pour disposer d’une villa ‘quatre façades’, éloignée des ondes des voisins, il faut pouvoir la payer » (Lire ici). Si la recherche d’un logement relativement satisfaisant est une solution pour certains, d’autres tentent de se protéger chez eux, en aménageant des matériaux de protection, extrêmement coûteux et – faut-il le signaler ? – laissés entièrement à leurs frais. (Lire l’encadré « Matériaux de protection »)

Dans notre travail, outre les réflexions s’imposant face aux parcours professionnels de nos témoins, et de l’exclusion par manque d’emploi approprié ou de possibilités de formation, nous aborderons également l’exclusion au sens large, de la vie culturelle et de la vie sociale dans son ensemble, par un isolement rendu inévitable.

Discrédit de la réalité

Au sujet de la pollution électromagnétique, certains interlocuteurs des électrosensibles affirment encore un définitif : « Il n’y a rien ! » Outre la violence du propos pour des personnes vivant au quotidien les problèmes physiques au contact des engins technologiques, cette affirmation est démentie par les informations délivrées par les opérateurs de téléphonie mobile eux-mêmes, dans une vidéo aujourd’hui rendue publique.

En effet, depuis des années Proximus invite ses travailleurs à la prudence au contact de ses propres produits, qu’il met pourtant sur le marché. L’opérateur, en interne, recommande par exemple de ne pas glisser le smartphone dans la poche, ou d’éviter de se connecter dans un train ! Tout usager du chemin de fer peut constater la route encore à parcourir pour voir ce conseil suivi. Un voyage en train, pour les électrosensibles, est toujours synonyme de souffrance tant les rayonnements sont omniprésents et puissants dans ces véhicules en mouvement. La vidéo de Proximus assène à ses travailleurs le slogan « Smart use is smart distance » : ne pas placer d’émetteur wifi dans une chambre, utiliser une oreillette, etc. Si son contenu est bien entendu très loin d’aborder le problème dans toute son ampleur, il est cependant susceptible de surprendre les technophiles purs et durs. (1)

Si, comme les dirigeants de Proximus le prétendent envers le grand public, aucun effet sur la santé humaine n’est à déplorer : pourquoi donc faut-il adopter des gestes de prudence ? Aussi, pourquoi l’entreprise donne-t-elle des conseils à ses travailleurs, tout en continuant à nier tout effet sur le vivant lors de débats publics et dans les médias ? Le pur cynisme industriel est au rendez-vous.

Contre toute évidence, ils continueront sans doute de nier et d’étouffer la situation le plus longtemps possible, car lorsque la reconnaissance officielle interviendra, la porte s’entrouvrira aux indemnisations, au recul de l’engouement commercial, aux demandes de retraits des installations nocives, à la taxation pour combler les coûts pour le secteur des soins de santé, à l’interdiction du matraquage publicitaire, etc. En bref : un véritable coup de frein à la fuite en avant technologique.

Pour éviter celui-ci, les industriels bénéficient d’un soutien indéfectible du monde politique, il suffit de rappeler l’exemple français de la Convention citoyenne pour le climat, instaurée par le président Emmanuel Macron. (2) Cette Convention était composée de 150 membres, sélectionnés pour obtenir un échantillon représentatif de la population française, tant en termes de sexe et d’âge que de catégories socio-professionnelles ou de zones géographiques d’habitat. Le président s’était engagé à respecter toutes ses recommandations, sans exception, or elle a voté à 98 % pour « instaurer un moratoire sur la mise en place de la 5G en attendant les résultats de l’évaluation », notamment de ses effets sur la santé et le climat. Le président français s’est empressé de renier ses engagements et de déclarer que « Oui, la France va prendre le tournant de la 5G parce que c’est le tournant de l’innovation… » Les 98 % qui n’en veulent pas, eux, sont caractérisés comme adeptes du « modèle amish » et du retour à la « lampe à huile ». Le terme « Amish » renvoie à une communauté religieuse chrétienne, connue pour mener une vie simple et austère, à l’écart du « progrès ». (3)

Pour les autorités françaises, désirer à une écrasante majorité vivre dans un environnement sain et en bonne santé, est donc une préoccupation qualifiée de rétrograde. En démocratie sous influence industrielle, voilà donc la donne, claire et implacable : les gens n’en veulent pas ? On l’impose !

(1) La vidéo « Solutions sans fil – quelques conseils malins » est disponible en ligne, sur le site de la revue Ensemble. Lire également « Proximus invite ses travailleuses et travailleurs à la prudence au contact de ses produits ! », 23 septembre 2020, avec un lien vers la vidéo :
https://www.ieb.be/Proximus-invite-ses-travailleur-euse-s-a-la-prudence-au-contact-de-ses-produits

(2) Plus d’information sur : www.conventioncitoyennepourleclimat.fr

(3) Sur la Convention et la réaction d’Emmanuel Macron, voir « Les citoyens de la convention climat amers après la sortie d’Emmanuel Macron sur la 5G et les Amish », Audrey Garric et Rémi Barroux, Le Monde, 16 septembre 2020, et « 5G, la course à quoi ? », Cyril Pocréaux et François Ruffin, Le Monde Diplomatique, novembre 2020.

Ampleur du problème ?

En l’absence d’une enquête sanitaire à l’échelle nationale, il est difficile de mesurer la dimension exacte de la situation. Dans notre travail, à très petite échelle, nous pallierons en effet le manque d’initiative des pouvoirs publics à ce sujet. Ce manque explique en partie l’engouement reçu en réponse à notre appel à témoignages, mais explique aussi – c’est très grave – une grande part des difficultés afférentes aux souffrances physiques dues aux rayonnements électromagnétiques. Nous le verrons dans nos récits, en plus de la situation sociale déstructurée, les personnes doivent faire face au scepticisme d’autrui, voire souvent au discrédit et aux moqueries. (Lire l’encadré « Discrédit de la réalité ») L’omniprésence des technologies rend en quelque sorte le négationnisme sanitaire légitime, au-delà de la réalité observable. En outre, le négationnisme et le peu d’information entraînent également l’impossibilité pour certains d’identifier les sources de leurs problèmes.

L’omniprésence des technologies rend en quelque sorte le négationnisme sanitaire légitime

Face aux moqueries, nos témoins sont unanimes : « quel serait donc l’intérêt à inventer ces symptômes, par ailleurs décrits dans le monde entier… ? » Discréditer ces descriptions, par contre, recèle des intérêts commerciaux évidents pour l’industrie. Comment se fait-il qu’il soit encore nécessaire d’énoncer de telles évidences ?

Pour tenter de mesurer la problématique, nous pouvons nous tourner vers la France où le nombre de personnes touchées par un « syndrome des micro-ondes », objet de nombreuses controverses, y est tout aussi difficile à définir. Cependant, le journal Le Monde a indiqué un chiffre cité dans ses travaux par l’Agence nationale de sécurité sanitaire, de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses). « Faute de critères de diagnostic et de classification faisant consensus et permettant un recensement précis, l’estimation repose sur l’autodéclaration des individus se considérant comme électrosensibles. L’Anses avance toutefois un chiffre fondé sur les études scientifiques les plus récentes. Il suggère une prévalence (nombre de cas au sein de la population) de l’ordre de 5 %, soit un total – considérable – d’environ 3,3 millions de Français souffrant, sous une forme ou sous une autre et à des degrés variables, de sensibilité exacerbée aux ondes électromagnétiques. » (6) En rapportant ce pourcentage à l’échelle de la population belge, comportant selon Eurostat 11.460.000 membres en 2019, nous arrivons au nombre de : 573.000 individus. L’adjectif « dérisoire » pourrait difficilement être accolé à cette statistique…

Sophie Pelletier, présidente de l’ONG Priartem (Pour rassembler, informer et agir sur les risques liés aux technologies électromagnétiques) réagit : « Cet avis constitue une vraie avancée pour la prise en considération d’une pathologie émergente qui provoque beaucoup d’incompréhension et de souffrance, dans la vie professionnelle, sociale et personnelle des patients. Ses préconisations en termes de recherche et de prise en charge vont dans le bon sens. Reste maintenant aux pouvoirs publics, au corps médical et aux institutions à s’en saisir. » (7) À la lecture du document, nous ne sommes pas persuadé de rencontrer un identique enthousiasme auprès de toutes les personnes électrosensibles… Cependant, la porte est ouverte et des recommandations sont exprimées en direction des pouvoirs publics, en vue de « pérenniser le financement de l’effort de recherche, notamment fondamentale, sur les effets sanitaires des radiofréquences, et sur l’EHS en particulier. » (8)

Nous souhaitons présenter notre « photographie » du problème aujourd’hui en Belgique, essentiellement sur base de l’expérience vécue par nos témoins. Cet « état des lieux », le plus complet possible, laissera une grande place aux témoignages propices à un récit vivant, même si bien entendu tous les cas vécues vaudraient la peine d’être relatés en détail. Muni de cet état des lieux, nous solliciterons dans le futur les acteurs sociétaux censés répondre aux problèmes identifiés, pour recueillir leurs réactions au contenu de ces témoignages, leur état de (re)connaissance du problème, et surtout pour connaître leurs éventuels initiatives ou projets à ce sujet : l’Inami, la médecine du travail, les syndicats, les associations de patients, les associations luttant contre les discriminations, les parlementaires porteurs d’un projet de reconnaissance politique de l’électro-hypersensibilité, etc. Puissent ces instances répondre à nos sollicitations.

Dans l’immédiat, après un détour par une brève comparaison avec les cheminements d’autres pollutions industrielles (Lire ici et l’encadré ici), nous laissons les lecteurs en compagnie de trois extraits de rencontres, pour un premier échantillon de problématiques parmi les nombreuses soulevées par ce problème majeur de santé publique. Au regard de la situation inédite – et pour tout dire humainement scandaleuse -, nous tenterons de présenter les faits de la manière la plus fluide et « légère » possible, tâche peu évidente… Plus d’une fois, nous sommes en effet reparti de ces rendez-vous totalement bouleversé par les récits de vie qui ont été délivrés. Nous tâcherons d’être à la hauteur de la confiance accordée par nos témoins.

Au regard de la situation inédite - et pour tout dire humainement scandaleuse -, nous tenterons de présenter les faits de la manière la plus fluide et « légère » possible, tâche peu évidente...

Nul doute qu’il sera un jour prochain impossible d’encore nier la réalité des faits. Face à toutes ces catastrophes individuelles et sociales : le plus tôt sera le mieux.

(1) « Les normes protègent l’industrie », Paul Lannoye, Bruxelles en Mouvement n° 302, pages 14 à 16, Octobre-novembre 2019. Disponible sur : www.ieb.be/-302

(2) « Electromagnetic Hypersensitivity, Proceedings International Workshop on EMF Hypersensitivity », Prague, Czech Republic, October 25-27, 2004. Editors Kjell Hansson Mild, Mike Repacholi, Emilie van Deventer, Paolo Ravazzani, WHO (Organisation mondiale de la santé), 2006.

(3) Le lecteur intéressé pourra se reporter au dossier sur la 5G, « Dans le futur jusqu’au cou », comprenant une présentation des réalités et enjeux autour des normes, censées encadrer les rayonnements, et plus précément « Rayonnements électromagnétiques : aucune norme sanitaire n’existe », Ensemble 102, juin 2020, pages 22 à 32. www.ensemble.be, onglet « archives ».

(4) Nous renvoyons le lecteur au dossier sur la 5G (voir note précédente) où sont exposées les manœuvres des industriels pour empêcher la communication sanitaire sur les produits, au moment de leur lancement. Lire également « Problèmes sanitaires et science sous influence industrielle », aux pages suivantes.

(5) « L’accès à la ville des personnes électro-hypersensibles. Des territoires mis à la marge », étude coordonnée par la géographe Elise Roche, Métropole de Lyon, Mai 2020. Disponible en ligne.

(6) « Electrosensibles : des symptômes réels qui restent inexpliqués », Pierre Le Hir, Le Monde, 27 mars 2018.

(7) Idem, pages 72-73.e

(8) « Hypersensibilité électromagnétique ou intolérance environnementale idiopathique attribuée aux champs électromagnétiques », Rapport d’expertise scientifique, Anses, Mars 2018, page 1.

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