énergie

Transposition des ordonnances électricité et gaz : vers plus de compteurs intelligents ?

Le gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale vient d’élaborer et de soumettre à consultation un avant-projet d’ordonnance transposant les dernières directives européennes en matière d’électricité et de gaz.

Suite à l’adoption des directives européennes connues sous le nom de « Paquet Énergie propre pour tous les Européens» de décembre 2018 et de juin 2019 (1), la Région de Bruxelles-Capitale est tenue de modifier sa législation afin de respecter les nouveaux prescrits européens. Le gouvernement bruxellois vient donc d’élaborer et de soumettre à consultation un avant-projet d’ordonnance adaptant la législation régionale, tout en allant sur certains points plus loin que la simple transposition des directives européennes.

Compteurs intelligents

Les mesures prévues organiseraient, entre autres, un plus large déploiement des compteurs intelligents d’électricité et une application à certains égards plus étendue du statut de client protégé. Dans l’avant-projet d’ordonnance, le déploiement des compteurs intelligents est systématiquement prévu pour deux nouveaux segments : les utilisateurs qui participent à un partage d’électricité, soit comme « membre d’une communauté d’énergie » soit comme « client actif » (voir plus loin) et les utilisateurs qui demandent une augmentation de la puissance de leur compteur. Pour rappel, le déploiement obligatoire de compteurs intelligents est déjà prévu dans l’ordonnance régionale de 2018 pour tous les nouveaux compteurs installés dans de nouveaux bâtiments et dans des bâtiments qui ont connu une rénovation profonde ainsi que pour dans les cas de remplacement d’anciens compteurs défectueux ou en fin de vie. En outre, des niches de déploiement prioritaire avaient déjà été définies en 2018 : les gros consommateurs (plus de 6.000 kWh par an), les producteurs d’énergie verte, les propriétaires d’une voiture électrique et enfin tous les compteurs utilisés dans des situations où une injection sur le réseau est possible (stockage, pompe à chaleur, flexibilité… )

Une disposition prévoit que le gestionnaire de réseau de distribution (le GRD, donc Sibelga) « a l’obligation d’organiser ce déploiement dans le respect des modalités précitées, tout en recherchant l’optimisation des coûts et bénéfices » (2). Cette disposition comporte un flou artistique, car s’il est prévu que les modalités de déploiement sont bien maintenues, il est indiqué que l’optimisation des coûts et bénéfices, dont l’appréciation et l’expertise sont dans les mains de Sibelga, pourrait changer la donne. Il est en outre prévu que l’évolution des usages du réseau et de l’offre de nouveaux services dans le marché nécessitera des extensions des segments prioritaires, mais celles-ci seront soumises à des évaluations périodiques réalisées par Bruxelles Environnement qui en avisera le gouvernement.

La communication des données du compteur avec le GRD serait désormais activée par défaut

L’élément neuf le plus décisif du projet est qu’il prévoit que la communication des données du compteur avec le GRD serait désormais activée par défaut, l’utilisateur du réseau conservant seulement la possibilité de refuser ces communications, à condition d’en faire une demande explicite (appelée opt-out dans le jargon). Ce qui constitue l’inverse de la régulation prévue dans l’ordonnance adoptée en 2018, qui stipule que par défaut les compteurs ne peuvent pas communiquer ces données, et que cette fonctionnalité des compteurs ne peut être activée qu’après accord explicite de l’utilisateur (opt-in).

Les communautés d’énergie

Le texte prévoit également la possibilité de la création de communautés d’énergie de citoyens et/ou d’autorités locales. Ceci s’inscrit dans le prolongement des projets pilotes d’autoconsommation d’énergie qui existent déjà sur la base du pouvoir de dérogation accordé par Brugel (le régulateur régional du marché du gaz et de l’électricité), pouvoir de dérogation qui est d’ailleurs maintenu sous une forme adaptée (3). La possibilité est ainsi prévue de créer des Communautés d’Energie Citoyenne (CEC) qui regroupent des citoyens et des entités locales, pourvu que la production ou la fourniture d’énergie ne soient pas leur activité principale. Le projet prévoit également de reconnaître des Communautés d’Energie Renouvelable (CER), avec les mêmes dispositions, ainsi que des Communautés d’Energie Locale (CEL), constituées de citoyens et/ou entités qui résident sur un territoire réduit et qui ont des toitures partagées. Cette formule permettrait d’opérer comme communauté d’énergie et aussi d’inclure dans la communauté un partenaire financier en tant que tiers investisseur au cas où la communauté ne dispose pas de moyens financiers suffisants pour démarrer une autoproduction d’énergie. Le principe étant que les membres d’une communauté d’énergie vendent et achètent de l’électricité entre eux et que cette communauté vend le surplus à un autre acteur de marché (fournisseur ou autre). Ces communautés devront, afin de pouvoir opérer, obtenir une autorisation de Brugel, qui pourra fixer le prix de la production d’électricité à partager et le tarif de distribution spécifique (qui sera moindre que les tarifs de distribution pour le réseau en général).

Client actif

Le projet prévoit également la création d’un statut de « client actif » et de « clients actifs conjoints », pourvu que ces clients actifs conjoints partagent le même toit. Ces personnes pourront partager l’électricité avec d’autres qui habitent sous le même toit. Cette formule ne nécessiterait pas de constituer une personne morale, coopérative ou asbl, comme c’est le cas des communautés d’énergie, car la simple signature d’une convention suffirait. Une obligation de service public dans le chef du GRD serait créée afin de mettre à la disposition des clients actifs et des communautés d’énergie un outil en ligne permettant de visualiser à tout moment leurs données de consommation. Pour la recharge de véhicules électriques, Sibelga devrait lancer des appels d’offre pour l’attribution des points de recharge dans les lieux publics. Mais le GRD pourrait également devenir l’opérateur des bornes de recharge si les appels d’offre ne donnent pas de résultat suffisant.

La protection sociale

Une nouvelle notion de fourniture garantie d’énergie est introduite qui organise une fourniture d’électricité et de gaz, qui sera garantie par Sibelga au prix du tarif social et sur injonction du CPAS et cela pour douze mois, renouvelables si le CPAS l’estime justifié. Ce statut comprendra un accompagnement social obligatoire et pourra être suspendu par le CPAS, si l’accompagnement social est refusé, interrompu ou s’il y a une augmentation de l’endettement. Le statut de client protégé actuel (à durée indéterminée) sera désormais accordé pour cinq ans avec obligation pour le fournisseur de notifier au GRD et au CPAS le remboursement intégral de la dette. Dans le cadre de ce statut renforcé de client protégé, des plans d’apurement d’une durée de cinq ans seront encouragés.

Résistance

Ce projet d’ordonnance ne suit pas sur plusieurs points les vœux de changement que le régulateur Brugel avait émis au printemps dans un avis d’initiative (4). Brugel y avait plaidé pour un déploiement encore plus large des compteurs intelligents, notamment pour un déploiement géographique selon lequel des quartiers entiers seraient pourvus de compteurs intelligents. Brugel avait aussi prôné la création d’un nouveau statut de client protégé pour lequel une commission locale d’énergie bruxelloise – à instar des commissions locales d’énergie (CLE) en Région flamande – pourrait décider des coupures d’électricité et de gaz en court-circuitant cette prérogative dont disposent actuellement les juges de Paix en Région bruxelloise. Le député Tristan Roberti (Ecolo) avait déjà interpellé le ministre Maron dans la commission de l’Environnement et de l’Energie du parlement bruxellois en juillet dernier sur les intentions du gouvernement en matière de protection sociale et d’installation massive des compteurs intelligents. A cette occasion le ministre avait répondu qu’il n’y aurait aucune atteinte au système de protection sociale bruxellois et que la stratégie de déploiement des compteurs intelligents resterait prudente. (5)

Le ministre assure qu’il n’y aura aucune atteinte au système de protection sociale bruxellois

Un processus en cours

La proposition d’ordonnance amplifie le rôle des CPAS dans le domaine de la protection sociale en matière d’énergie. Bruxelles Environnement est installé dans le poste de pilotage pour veiller à l’exécution des plans de déploiement des compteurs intelligents et pour donner un avis sur les évolutions souhaitables. Sibelga, finalement, pourrait être doté de plus d’obligations de service public (OSP) en faveur de la protection des usagers fragiles, d’un rôle plus étendu comme fournisseur de dernier ressort et, enfin, d’un rôle d’arbitre et de facilitateur dans le cadre des nouveaux services comme la flexibilité et les bornes à recharges de véhicules électriques. Mais la procédure législative ne fait que commencer. Le Conseil des usagers de l’électricité et du gaz de la Région de Bruxelles-Capitale devrait notamment remettre un avis sur l’avant-projet d’ordonnance mi-janvier. Après avoir reçu et examiné l’ensemble des avis consultatifs demandés, puis celui du Conseil d’État, le gouvernement bruxellois devrait adopter et déposer au parlement une version peaufinée de son projet d’ordonnance courant 2021.

(1) Clean Energy Package, Document L:2019:158:TOC

(2) Avant-projet d’ordonnance. Exposé des motifs, p. 16

(3) « Les communautés d’autoconsommation : l’énergie locale et solidaire », Ensemble ! n°101, p. 88

(4) Brugel. AVIS d’initiative ( BRUGEL-AVIS-20200219-296 ) Relatif à la modification des ordonnances électricité et gaz en vue de la transposition de « Clean Energy package ». Etabli sur base de l’article 30bis, §2, 2° de l’ordonnance électricité. 19/02/2020

(5) Parlement de la région de Bruxelles-Capitale. Compte rendu intégral des interpellations et des questions. Commission de l’environnement et de l’énergie. Réunion du mercredi 15 juillet 2020. pp. 6 – 10.

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