santé et exclusion

Problèmes sanitaires et science sous influence industrielle

Face aux alertes sanitaires sur les méfaits des rayonnements électromagnétiques, le bon sens devrait guider un retour à la raison du développement technologique… Cela serait compter sans les scientifiques inféodés à l’industrie.

« Actionnaire Telecom »
« Actionnaire Telecom »

Dans Ensemble n° 102, nous avons démontré à quel point les débats sur la nocivité des rayonnements électromagnétiques reposent sur des critères imposés par l’industrie. Dès le départ, le débat est en effet faussé : les tests débouchant sur les critères officiels des normes, toujours en vigueur aujourd’hui, ont été effectués sur des mannequins inertes. Ces normes ne reposent donc nullement sur une démonstration de l’absence d’effets sur le vivant et le corps humain. (1) En réalité, les effets sanitaires des rayonnements électromagnétiques sont observables depuis les années soixante, sur les corps des militaires au contact des radars. Des scientifiques, comme le Dr Martin Blank, professeur à l’Université de Columbia, ont signalé que dès 1971 l’armée américaine a comptabilisé plus de 3.000 études détaillant les impacts biologiques des rayonnements électromagnétiques dont, déjà, des effets sur la fertilité humaine. (Lire l’encadré ) En outre, depuis le lancement de la téléphonie mobile, les études scientifiques sur les méfaits sanitaires de ces rayonnements ne cessent de se multiplier. (Lire l’encadré )

Les débats sur la nocivité des rayonnements électromagnétiques reposent sur des critères imposés par l’industrie

Afin d’apporter des éléments de réflexion face au développement du sans-fil, toujours en courbe ascendante malgré la situation sanitaire observable, il peut être intéressant de faire un détour par le passé des pollutions industrielles. L’adage bien connu est encore parfois entendu : « s’il y avait un problème, ça se saurait ». Sous-entendu : on ne laisserait pas sciemment commercialiser des produits nocifs… Pourtant les exemples sont nombreux, et le nucléaire – pour prendre le cas le plus évident – n’est toujours pas aboli malgré des catastrophes naturelles et humaines gigantesques. De même, un nombre non négligeable de produits chimiques mortels sont toujours en circulation.

D’autres scandales, aujourd’hui clairement établis, ont connu des dénégations semblables à ce qu’on observe aujourd’hui pour le sans-fil, avec des manœuvres de diversion face aux alertes sanitaires. Les résultats de ces tactiques industrielles aboutissent à des parcours longs – très longs – avant que les scandales n’éclatent au grand jour.

D’autres scandales, aujourd’hui clairement établis, ont connu des dénégations semblables à ce qu’on observe aujourd’hui pour le sans-fil, avec diverses manœuvres de diversion face aux alertes sanitaires

Aujourd'hui encore, l'amiante tue.

Le problème sanitaire en développement, lié aux technologies sans fil, est souvent comparé au scandale de l’amiante. Que s’est-il exactement passé avec cette substance tueuse ? S’il est aujourd’hui impossible de nier la nature du désastre sanitaire de l’amiante – toujours en cours -, l’acceptation de cette évidence s’est imposée après un parcours long et pénible pour ses victimes. Les effets de cette matière sur la santé humaine ont en effet été niés pendant quasiment tout le vingtième siècle, durant lequel la firme Eternit a pu disséminer dans l’environnement ce minéral présenté comme formule miracle pour l’isolation des bâtiments.

En février 2012, l’ex-propriétaire belge d’Eternit-Italie, le baron Jean-Louis de Cartier, a été condamné à une peine de 16 ans de prison dans un procès à Turin, qui l’opposait à 2.900 parties civiles. À l’occasion de ce procès, Eric Jonckheere, président de l’Association belge des victimes de l’amiante (Abeva) a expliqué que « les descendants d’Alphonse Emsens, qui sont aujourd’hui la quatrième plus grosse fortune du Royaume, ont élaboré une stratégie industrielle et un lobbying criminel ». En effet, par ce procès les tribunaux venaient d’affirmer qu’en toute connaissance de cause ces industriels se sont enrichis en tuant des êtres humains. « Les responsables d’Eternit, par leur cynisme, par les manœuvres qu’ils ont menées depuis les années 1920 pour ‘acheter’ le monde médical, syndical, associatif ou politique, ont eu une attitude qui relève de la faute intentionnelle. Ils avaient clairement connaissance des risques mortels de l’amiante, dès les années cinquante et soixante, et ils n’ont pas pris les précautions qui s’imposaient, ni pour les travailleurs du secteur, ni pour préserver les citoyens exposés » (2).

Ce responsable associatif évoque les années cinquante, mais le début de l’alerte sanitaire est en réalité bien plus ancien encore. Les inspecteurs du travail britanniques décrivent les effets de l’amiante sur la santé depuis un moment déjà quand, en France, les premières alertes sont lancées en… 1906, année de découverte des premiers cas de fibrose chez les ouvriers des filatures. En effet, le Bulletin de l’inspection du travail de 1906 publie un document intitulé « Note sur l’hygiène et la sécurité des ouvriers dans les filatures et tissages d’amiante, par M. Auribault, inspecteur départemental du travail à Caen ». Denis Auribault notait ainsi : « En 1890, une usine de filature et de tissage d’amiante s’établissait dans le voisinage de Condé-sur-Noireau (Calvados). Au cours des cinq premières années de marche, aucune ventilation artificielle n’assurait d’évacuation directe des poussières siliceuses produites par les divers métiers ; cette inobservation totale des règles de l’hygiène occasionna de nombreux décès dans le personnel : une cinquantaine d’ouvriers et d’ouvrières moururent dans l’intervalle précité ». (3)

Ces ondes qui nous entourent.

Martin Blank est un scientifique américain décédé en 2018. Il est l’auteur d’un ouvrage de référence, traduit en français, où il présente une synthèse des connaissances scientifiques portant sur les effets de ces technologies sur les êtres humains, mais aussi sur le monde animal et végétal.

Docteur en chimie physique de l’Université Columbia – où il fut professeur associé de 1968 à 2011 – ainsi qu’en science colloïdale de l’Université de Cambridge, Martin Blank étudie les effets des champs électromagnétiques sur la santé depuis plus de 30 ans. Expert mondialement reconnu, il est intervenu sur la question des normes de sécurité relatives aux champs électromagnétiques pour le Parlement canadien, pour le House Committee on Natural Resources and Energy (HRNE) au Vermont et pour la Cour suprême fédérale du Brésil.

Cet ouvrage pose cette question : Et si les téléphones mobiles étaient les nouvelles cigarettes ? Quand il s’agit de discréditer les études scientifiques, les méthodes de l’industrie des télécommunications d’aujourd’hui ressemblent étrangement à celles de l’industrie du tabac d’autrefois. Réagissant à la décision de l’Organisation mondiale de la santé de classer désormais les rayonnements émis par les téléphones cellulaires comme « possiblement cancérogènes », en 2011, l’industrie des télécommunications n’a pas tardé à répliquer qu’il n’existait pas de « preuves concluantes » de la nocivité de ces rayonnements pour les humains, confortant ainsi les autorités dans leur refus d’adopter des normes de sécurité plus sévères.

Lignes électriques, systèmes wifi, téléphones intelligents, fours à micro-ondes, ampoules électriques et autres objets d’usage courant… Le Dr Martin Blank nous dit pourtant qu’il y a lieu de s’inquiéter, car nous sommes exposés à un bombardement d’ondes comme jamais auparavant dans l’histoire de l’humanité. Dans cet essai percutant, l’auteur fait le point sur les connaissances scientifiques en ce qui concerne les effets biologiques d’une exposition à des rayonnements électromagnétiques non ionisants et non thermiques, et ce, à des niveaux bien en deçà des normes en vigueur. En matière de santé publique, cet expert international est d’avis que le principe de précaution devrait s’imposer.

Avouant qu’il se passerait difficilement de son téléphone intelligent, le Dr Martin Blank reconnaissait les bienfaits des nouvelles technologies et montre comment il est possible de s’en protéger tout en continuant d’en bénéficier. Clair, rigoureux et accessible, cet ouvrage est un incontournable pour bien comprendre les enjeux et les intérêts en cause en matière de rayonnement électromagnétique.

Le texte ci-dessus est la notice de présentation par l’éditeur de « Ces ondes qui nous entourent. Ce que la science nous dit sur les dangers des rayonnements électromagnétiques », Martin Blank, Préface de Paul Héroux, Traduit de l’anglais par Michel Durand, 304 pages, Ed. Ecosociété, Montréal, 2016.

Dans les décennies suivantes, ces premières observations ont été régulièrement confirmées, avec une étape importante en 1930, année où le lien est établi avec le cancer du poumon. Cependant, « la fibre tueuse n’est pas interdite et son usage est même encouragé. (…) Pour contrer les rapports qui établissent la dangerosité du minéral, ils musellent la presse, s’annexent des scientifiques et promeuvent ‘l’usage raisonné de l’amiante’. Vaste fumisterie » (4). Il faudra attendre 1997 pour connaître enfin l’interdiction de cette substance. Entre ces deux moments et durant des décennies, ce ne sont qu’étouffement, mensonge et lobbying intense, des manœuvres et manipulations de l’industrie décrites dans le documentaire « Amiante, le scandale le plus long ».

Une quinzaine d’années seulement avant l’interdiction de l’amiante, une machine de guerre avait encore été mise en place en France – en 1982 – à l’initiative des industriels : le Comité permanent amiante (CPA). Il regroupait des représentants de l’État, des scientifiques et des syndicalistes, et détenait une totale délégation pour la gestion du dossier. L’année de l’interdiction, l’académie de médecine minimisait encore les risques. « Mais le drame ne s’est pas achevé avec l’interdiction de l’usage de l’amiante sur le territoire français, en 1997. D’abord parce que les maladies, horriblement douloureuses, peuvent se déclarer vingt à trente ans après l’exposition ; ensuite parce que de l’amiante, il y en a encore ; la production et le commerce se poursuivent dans les pays du Sud » (5).

Une quinzaine d’années seulement avant l’interdiction de l’amiante, une machine de guerre avait encore été mise en place en France - en 1982 - à l’initiative des industriels : le Comité permanent amiante (CPA)

Aujourd’hui, nous sommes face à des mécanismes semblables : un intense lobbying vise à nier ou minimiser les dégâts humains dus à l’exposition aux technologies sans-fil, et à discréditer les études scientifiques qui paraissent à un rythme plus que soutenu. D’un point de vue sociétal le problème des micro-ondes est aujourd’hui pire encore, car pour l’amiante les responsables sont une poignée d’industriels, pour les technologies sans fil une poignée a réussi à partager la responsabilité des radiations par le nombre d’utilisateurs des produits.

Des techniques bien rodées : l'industrie du tabac.

Terminé le temps béni pour les fabricants de cigarettes, où leurs publicités garnissaient nos murs, vantant le « charme distingué » du fumeur. On pouvait même parfois y voir des médecins, choisissant la marque de cigarette la plus seyante pour accompagner les blouses blanches hospitalières. Si la conviction existait depuis bien plus longtemps, ainsi que les statistiques de cancers pulmonaires, les informations médicales établissant les liens entre cancer et tabagisme se sont accumulées dès les années cinquante. Le 15 décembre 1953 est un jour décisif, celui de la publication d’un article intitulé « Le cancer de la cartouche », exposant l’apparition de cancers mortels sur des souris après l’application de goudron de cigarette sur leur peau. (6). Panique chez les industriels du tabac ! Outre l’avancée de la connaissance au sujet des facteurs cancérogènes, la grande presse évoque également à cette occasion la nécessité de mettre en place des mécanismes de prévention du cancer.

Dans la foulée, les présidents des quatre plus grandes compagnies américaines – American Tobacco, Benson and Hedges, Philip Morris et U.S. Tobacco – oublient leur statut de concurrents et se réunissent pour élaborer une stratégie commune. Ils décident de faire appel à des entreprises de relations publiques pour contrer les preuves scientifiques. Ils ont travaillé ensemble « pour convaincre le public qu’il n’y avait aucun ‘fondement scientifique sérieux aux accusations’ et que les récents rapports n’étaient que des ‘accusations à but sensationnel’, proférées par des scientifiques cherchant à faire du bruit pour recueillir davantage de financement pour leur recherche ». Les industriels se sont dans les années suivantes ingéniés à discréditer les informations médicales et scientifiques, aidés en outre par différentes réalités médicales, dont le fait que les affections sont multifactorielles, tous les individus n’étant pas touchés par le tabac de la même façon, ou encore le facteur temps, les pathologies se développant parfois des décennies après l’ingestion du produit toxique. « Une découverte scientifique n’est pas un événement, c’est un processus, et il faut souvent du temps avant que les choses ne s’éclaircissent ». (7).

Mobiliser des ressources en relations publiques n’a cependant pas suffit. À la fin des années septante, en employant un scientifique « de renom » fraîchement retraité, Frederick Seitz (8), les industriels vont assurer une caution scientifique à leur stratégie, et financer à hauteur de dizaines de millions de dollars des recherches dans les principales universités des Etats-Unis. De cette manière, l’industrie du tabac va non seulement fournir des arguments contestant les alertes de santé publique, mais également fournir des experts prêts à témoigner en justice lors de procès de particuliers contre l’industrie.

Parallèlement, l’industrie affirme l’image du « journaliste responsable », une notion omniprésente aujourd’hui encore : ce dernier présente obligatoirement les arguments « pour » et les arguments « contre » un produit, il devrait donc rendre compte de toutes les études scientifiques, les indépendantes mais aussi celles financées par l’industrie. Prendre en compte des discours contradictoires dans la description d’un fait social est une démarche logique, mais ignorer la malhonnêteté et les intérêts personnels d’une des parties est intolérable. Le « journaliste responsable », de fait, participe donc au jeu de création d’une polémique, là où résidait uniquement de l’information scientifique. Que font alors les consommateurs ? Ils seront prompts à choisir les éléments les plus « séduisants » au sein de la polémique, les moins propices à une remise en question personnelle des pratiques quotidiennes. Ils s’en retournent alors l’âme apaisée à leur paquet de cigarettes.

L'industrie affirme alors l'image du « journaliste responsable », une notion omniprésente aujourd'hui encore : ce dernier présente obligatoirement les arguments « pour » et les arguments « contre » un produit

La suite est connue : une réelle prise en compte du grave problème de santé publique dû au tabac n’a été d’actualité que des décennies plus tard, notamment en raison des coûts énormes pour les finances publiques dans le secteur des soins de santé. En Belgique, c’est en 1976 seulement qu’est publié un arrêté royal interdisant de fumer dans les transports publics, et ce n’est qu’en juillet 2011 qu’est interdit le fait de fumer dans tous les lieux publics fermés du pays. Aujourd’hui, « Le tabac est un problème majeur de santé publique. Le tabagisme, même passif, provoque des maladies cardiovasculaires, des infarctus, de l’emphysème pulmonaire, des cancers et d’autres problèmes de santé. Il tue 20.000 Belges par an. » (9)

De nos jours, nous voyons en permanence autour de nous un nombre plus important de personnes munies d’un téléphone portable collé contre la boite crânienne, qu’évoluant une cigarette entre les lèvres.

Références scientifiques sur les effets sanitaires

Le sujet qui nous occupe ici peut sembler éminemment compliqué pour le commun des mortels. Cet état de fait permet aux industriels et à leurs défenseurs de continuer à « noyer le poisson ». Heureusement d’excellentes synthèses et vulgarisations existent. Nous attirons ici l’attention sur l’initiative menée par l’association bruxelloise Ondes.brussels.

Lancée en mars 2018, cette association réalise des rapports d’analyses de l’état des connaissances scientifiques sur les effets biologiques des rayonnements électromagnétiques sur la santé humaine. Vu la solide formation scientifique de certains de ses membres, le rapport officiel du « Comité d’experts sur les radiations non ionisantes », en 2016, a fait bondir Ondes.brussels. Ce « comité d’experts » est chargé d’évaluer la mise en œuvre du déploiement des technologies sans fil en région bruxelloise, en prenant en considération les connaissances scientifiques, ainsi que les impératifs économiques et de santé publique. (1) Wendy De Hemptinne, active chez Ondes.brussels et rencontrée le 15 février 2019, nous a fait part de son effarement : « En regard de ce que je venais de découvrir dans la littérature scientifique, à la lecture de ce rapport je me suis clairement dit que face à un texte pareil, ce n’est simplement pas possible de ne pas réagir. J’étais scandalisée, j’ai compris que ces gens étaient dans le déni total. »

La rédaction d’une réponse est entamée, puis « en 2018 sort un second rapport du Comité d’experts et, là, nous l’avons lu deux fois tellement on croyait que c’était une blague ! Il y avait encore moins d’informations. Au lieu de compléter leurs connaissances et d’informer sur la littérature scientifique de plus en plus abondante, ils ont donc fait moins. Je suis physicienne et j’ai l’avantage de m’être formée pendant cinq ans en nutrithérapie, je dispose donc également d’un bagage en biologie, qui permet de faire la correspondance entre les deux, et de vulgariser quelque peu les données disponibles. » L’apport principal d’Ondes.brussels est donc de fournir une contre-information scientifique sérieuse, dans une présentation relativement accessible. « Notre intention est d’apporter des éléments objectivables et vérifiables au débat et de le faire progresser sainement sur une base scientifique, en dehors des conflits d’intérêts. »

Au sous-titre du dernier rapport, datant de juin 2020 : « De la nécessité d’évaluer les risques à l’écart de l’influence de l’industrie, en tenant compte des connaissances scientifiques interdisciplinaires et actualisées, du retour d’expérience de terrain et des alertes précoces », nous ajouterons la citation placée au début du texte, émanant du Conseil Supérieur de la Santé en mai 2019 : « L’élaboration de politiques implique d’écouter les citoyens concernés, les experts de terrain, les parties prenantes, les organisations de la société civile. » (Avis n° 9404) (2)

Pour le lecteur désireux d’approfondir la question et de se forger son avis en toute connaissance de cause, il faut savoir que chacun des rapports comprend de nombreuses références scientifiques, des descriptions et liens vers les études démontrant – entre autres choses – les effets génétiques des micro-ondes, leur influence sur l’apparition de cancers, sur les maladies neurodégénératives, sur les affections cérébrales, les effets sur la reproduction et le développement embryonnaire, les effets négatifs sur les systèmes neuronal, circulatoire, immunitaire, endocrinien et squelettique… Et, bien entendu, sur l’électro-hypersensibilité. Comme l’association le signale, les listes reproduites dans les rapports « sont loin d’être exhaustives mais elles donnent une idée de l’abondance de la littérature scientifique qui documentent des effets non thermiques sur la santé. La réalité est que les publications scientifiques documentant de tels effets se comptent par milliers. »


(1) Les rapports du comité d’experts sur les radiations non ionisantes sont disponibles sur le site de Bruxelles Environnement, l’administration de l’environnement et de l’énergie en Région de Bruxelles-Capitale.

(2) « Télécommunication sans fil et Santé : vingt éclaircissements pour ne pas voler à l’aveugle », Ondes.brussels, juin 2020.

La défense des technologies sans fil.

Dès le lancement de la téléphonie mobile, les industriels se réunissent avec des scientifiques pour élaborer une stratégie de communication et de camouflage du problème sanitaire, pariant sur une expansion commerciale plus rapide que la recherche scientifique et médicale. Lorsqu’on constate l’ampleur des bénéfices de l’industrie aujourd’hui, l’omniprésence des technologies sans fil, et l’impunité totale encore de rigueur, en toute vraisemblance : le pari est réussi.

Nous évoquions à ce sujet dans Ensemble n° 102 un reportage télévisé, dans lequel est exhibé le compte-rendu d’une réunion tenue en 1994 à la Fédération des industries électriques et électroniques (FIEE), au début du déploiement de la téléphonie mobile. Il y est affirmé que « Le cancer est une affection multi-facteurs, il est impossible d’isoler le seul effet des rayonnements électromagnétiques ». Tiens, revoilà la rhétorique multifactorielle, un élément déjà observable dans la stratégie orchestrée face aux désastres du tabac. Dans un même parallèle, soulignons ici le « facteur-temps ». Un participant à la réunion de la FIEE, près de vingt ans plus tard, révèle dans l’émission la tenue d’une vingtaine de réunions de ce type, durant trois ans, et confirme le contenu du compte-rendu : « Le marché a été plus vite que la recherche. La recherche c’est long. Quand vous mettez une recherche en marche, vous en avez pour trois ans. En trois ans, le téléphone portable a été multiplié par dix. » (10)

Les oppositions à la fuite en avant technologique se font de plus en plus claires, malgré une prétendue adhésion sans faille au sein de la population, revendiquée par les industriels.
Les oppositions à la fuite en avant technologique se font de plus en plus claires, malgré une prétendue adhésion sans faille au sein de la population, revendiquée par les industriels.

Aujourd’hui, les débats au sujet de la pollution électromagnétique sont cadenassés par l’industrie. Les membres de la Commission internationale de protection contre les rayonnements non-ionisants (ICNIRP, pour l’acronyme anglais) – l’organisme définissant les normes internationales – sont en effet très loin d’être tous pétris de bonnes intentions. Le 16 septembre 2020, l’émission « Investigation », diffusée sur la RTBF, nous a montré le vice-président de cet organisme international, Eric Van Rongen, exposer le cynisme guidant aujourd’hui la santé publique mondiale. Réaffirmant ne tenir nullement compte des impacts biologiques des rayonnements, il déclare le plus simplement du monde, au sujet de la santé humaine, qu’« on ne peut pas exclure qu’à très long terme il y aura un effet, et c’est cela qu’il va falloir observer ». Le journaliste Benoît Feyt demande donc « Est-ce qu’on ne va pas trop vite, si on ne sait pas ? » Réponse ? « Hmmm… On pourrait se dire qu’il serait préférable d’observer les effets de la 5G avant de lancer cette technologie, ce serait la situation idéale. Mais ça prendrait vingt ou vingt-cinq ans avant de mesurer les effets à long terme de cette technologie ». (11) Hmmm… Cela laisse rêveur sur notre futur.

Durant les semaines entourant cette émission, rien qu’autour de nous, nous avons plusieurs fois été « interpellé » par certains faits du quotidien, tel ce jeune homme s’écriant soudain cet été « je ne sais pas ce qui se passe, en quelques mois : deux amis, cancer du testicule ! » Hmmm… Où plaçaient-ils leur smartphone ? (12) Telle également la nouvelle du décès d’une jeune femme : cancer du cerveau. Âge ? 21 ans ! Hmmm… Rappelons ici les chiffres de l’agence nationale de santé publique française, qui a identifié pour ces trente dernières années une multiplication par quatre du nombre annuel de nouveaux cas de glioblastomes, des tumeurs très agressives du cerveau. L’analyse des tendances montre une augmentation quels que soient l’âge et le sexe. Même si cette augmentation est probablement « multifactorielle », l’agence signale que « les dernières études épidémiologiques et les expérimentations animales seraient en faveur du rôle carcinogène des expositions aux champs électromagnétiques » (13). Tel que pour l’amiante ou le tabac, le facteur temps est donc ici fondamental : les pathologies peuvent se déclarer des années ou des décennies après l’exposition.

Laissons le mot de la fin à la députée européenne Michèle Rivasi (Groupe des Verts), toujours dans l’émission Investigation de la RTBF, s’adressant à un Eric Van Rongen stoïque : « vous avez mis vingt ans pour faire de nouvelles recommandations. Vingt ans ! Entre-temps beaucoup de nouvelles études ont été réalisées, et toutes celles qui ne vont pas dans votre sens, vous les mettez de côté. Ce n’est pas sérieux, je n’ai aucune confiance en vous, vous défendez l’industrie, pas les gens. » Le journaliste part à la rencontre de la députée, qui a enquêté avec ses assistants pendant des mois sur de possibles conflits d’intérêts au sein de l’ICNIRP. Ses conclusions ? « On a fait la biographie des 45 scientifiques et on voit bien que pour deux tiers d’entre eux, ils ont des liens avec les opérateurs de la téléphonie mobile. Et on voit bien que parmi leurs études, certaines d’entre-elles sont financées par les opérateurs ».

« On a fait la biographie des scientifiques et on voit bien que pour deux tiers d’entre eux, ils ont des liens avec les opérateurs de la téléphonie mobile. » (Michèle Rivasi, parlementaire européenne)

Face aux signaux contradictoires et à la lecture des dossiers journalistiques présentant les études « contre » et les études « pour », quelle attitude adoptent alors les utilisateurs ? Résultat prévisible du jeu du scientifique fabricant de polémique : ne pouvant bien entendu trancher la question, ils s’en retournent l’âme apaisée vers leurs engins technologiques, poussés en outre par les publicités omniprésentes sur tous les médias. Michèle Rivasi termine : « aujourd’hui j’estime que nous sommes les cobayes de la pollution électromagnétique. Et l’élément ‘sentinelle’ qui me permet de dire ça, c’est l’augmentation des électro-hypersensibles ».

Résultat prévisible du jeu du fabricant de polémique : ne pouvant bien entendu trancher la question, les utilisateurs s’en retournent l’âme apaisée vers leurs engins technologiques

(1) « Rayonnements électromagnétiques : aucune norme sanitaire n’existe », Ensemble n° 102, Juin 2020, pages 30 à 32. Disponible sur le site www.ensemble.be

(2) « Procès Eternit : seize ans, ce n’est rien, face à tant de morts », Ricardo Gutierrez, Le Soir, lundi 13 février 2012.

(3) « Le drame de l’amiante en France : comprendre, mieux réparer, en tirer des leçons pour l’avenir », Gérard Dériot et Jean-Pierre Godefroy, Rapport sénatorial d’information n°37, fait au nom de la mission commune d’information, déposé le 26 octobre 2005.

(4) Idem

(5) « Amiante, le scandale le plus long. Documentaire sur France 2, un siècle d’intoxication et de manipulation décrypté », Eliane Patriarca, Libération, 10 janvier 2010.

(6) Information extraite du premier chapitre « Notre produit, c’est le doute » de l’ouvrage de Naomi Oreskes et Erik M.Conway, « Les marchands de doute », Editions Le Pommier pour l’édition française, 2012.

(7) « Les marchands de doute », respectivement aux pages 32 et 34.

(8) Frédéric Seitz a connu une riche carrière dans les hautes sphères de la science américaine : construction de la bombe atomique, conseiller scientifique de l’OTAN dans les années 1950, président de l’académie nationale des sciences dans les années 1960 et président de l’université Rockefeller, institution de recherche biomédicale de premier plan, dans les années 1970.

(9) « Produits du tabac et tabagisme », SPF Santé publique, 22 octobre 2020.

(10) Voir l’émission « Mauvaises Ondes », de Sophie Le Gall, réalisée pour France 3. Disponible en ligne.

(11) Émission Investigation, « 5G, tous cobayes ? », de Benoit Feyt, RTBF, 16 septembre 2020.

(12) Rappelons que ne pas glisser le smartphone dans la poche fait partie des conseil donnés par l’opérateur Proximus en interne, à ses travailleurs. Voir la vidéo « Solutions sans fil – quelques conseils malins » renseignée dans l’encadré « Discrédit de la réalité ».

(13)« Estimations nationales de l’incidence et de la mortalité par cancer en France métropolitaine entre 1990 et 2018. Volume 1 », Agence nationale de santé publique française, juillet 2019.
Disponible à partir du site :
https://www.santepubliquefrance.fr

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