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dossier exclusion du chômage

Le parlement entérine la casse de l’assurance chômage

Faisant fi de toute concertation sociale et sans devoir affronter une réelle mobilisation des chômeurs.euses, la majorité Arizona a fait ratifier sa réforme à la Chambre.

Du 4 juin au 17 juillet 2025, la Chambre a débattu et voté tambour battant le projet de loi-programme mettant (notamment) en œuvre la réforme de l’assurance chômage portée par la majorité Arizona. Pour l’essentiel, le texte déposé et adopté s’inscrit dans le droit fil de la campagne préélectorale de dénigrement des chômeurs menée par le MR, des programmes électoraux des membres de la majorité Arizona ainsi que de l’accord de majorité. La loi-programme organise la limitation dans le temps (entre un et deux ans) du droit aux allocations de chômage, renforce la limitation du droit aux allocations d’insertion (chômage sur la base des études) ainsi que la dégressivité des allocations. (Lire ici, ici et ici.)

Vu la violence de la réforme et la rapidité de son adoption, la majorité Arizona paraît s’être inspirée de la doctrine militaire du « choc et de l’effroi » : anéantir la volonté de lutte de l’adversaire, « prendre le contrôle de l’environnement, paralyser les perceptions de l’adversaire et ses capacités de compréhension ou tant les saturer que l’ennemi se retrouve incapable de résister sur les plans tactique et stratégique ». (1) Force est de constater que cette approche aura été payante. Les organisations syndicales nationales n’ont pris aucune initiative sérieuse pour mobiliser de façon spécifique contre l’adoption de ce projet. Pas plus que les partis politiques de gauche, « radicale » ou pas (PTB-PVDA, PS, Ecolo). Chacun s’est opposé à la réforme à travers ses groupes spécifiques, son service de presse, ses interventions à la Chambre. Mais guère au-delà. L’ONEm estime qu’en vertu de cette réforme jusqu’à 230.000 chômeuses et chômeurs pourraient se voir couper leur droit aux allocations d’ici la mi-2027. La majorité d’entre eux et d’entre elles sont syndiqués. Cependant, mis à part quelques louables initiatives ponctuelles et isolées, rien n’aura été fait pour les mobiliser de façon ciblée pour la défense de leur droit au chômage. Chacun et chacune étant plutôt convié aux différentes manifestations nationales interprofessionnelles contre l’ensemble des mesures de l’Arizona. Si pas déjà invité à préparer un recours devant le tribunal du Travail, comme la FGTB l’avait annoncé dès le mois d’avril, ou à réfléchir à l’introduction d’un dossier de demande d’aide au CPAS.

Une absence totale de concertation sociale

La mise hors jeu des organisations syndicales pour l’adoption de cette réforme en est l’un des éléments les plus marquants. L’accord de majorité Arizona évoquait une « concertation sociale moderne », certes réduite à une portion congrue : « si la concertation sociale n’aboutit pas à un accord sur un dossier après une période prédéterminée et suffisamment longue, il incombera au gouvernement de décider, dans le respect de la marge budgétaire préalablement établie et du principe de processus décisionnel démocratique. ». En matière de chômage, cette réforme a été imposée sans aucune concertation, comme si les organisations syndicales n’existaient pas. Les syndicats ont été mis complètement sur la touche alors que l’assurance chômage a historiquement été créée par les organisations syndicales, qu’elle est financée par des cotisations sociales payées par les employeurs et les travailleurs (et qui font partie du salaire), que les syndicats sont cogestionnaires de la Sécurité sociale et qu’ils interviennent en tant qu’organisme de paiement du chômage. Aucun avis (même divisé) n’a été remis sur cette réforme par le Conseil national du Travail. Aucun avis (même divisé) n’a été remis par le Comité de gestion de l’ONEm qui s’est contenté de recueillir et de transmettre les positions de quelques organisations membres. Aucune suite n’a été donnée aux demandes d’auditions parlementaires (tardivement) formulées par les syndicats. Tout comme pour les auditions demandées par les réseaux de lutte contre la pauvreté ou le monde associatif (dont le CSCE asbl).

« Un changement de paradigme »

A la tribune de la Chambre, les partis membres de l’Arizona se sont succédé pour saluer leur réforme dans des termes particulièrement violents pour les victimes, assimilant la fin de leur droit aux allocations à une « émancipation » pour celles-ci. Le ministre de l’Emploi Clarinval, qui présentait le projet de loi au nom du gouvernement, a ouvert le bal en qualifiant sa réforme de « changement de paradigme visant à faire du chômage une situation transitoire orientée vers le retour à l’emploi et la responsabilisation, plutôt qu’un système figé […] entretenant les pièges à l’inactivité et freinant l’efficacité du marché du travail ». (2) Il s’agit, selon lui, d’une « mesure d’émancipation sociale » qui vise à rompre avec un système « inacceptable » qui « maintient nos concitoyens dans le chômage à perpétuité ». Le ministre a été pleinement épaulé dans ce registre par les parlementaires MR, Mme Reuter indiquant que l’adoption de cette réforme était « un véritable exploit », qu’il ne s’agissait « pas d’une mesure punitive » mais d’un « levier de dynamisation du marché du travail ». M. Ducarme exprimant, quant à lui, la « fierté » de son groupe par rapport à une réforme « attendue depuis 20 ans », visant à mettre fin à « l’anachronisme du chômage à vie ». 

Par la voix de la députée Anne Pirson, Les Engagés n’ont pas manifesté moins d’enthousiasme pour l’adoption de cette réforme, qualifiée par elle de « journée historique » où l’assurance chômage était réaffirmée comme « un tremplin vers l’emploi et non comme une voie sans issue », tandis que Mme Hansez, sa collègue, évoquait un objectif de « fluidité du marché du travail ». M. Ronse, pour la N-VA, a fait chorus et n’a pas manqué de saluer, lui aussi, le « moment historique » que constituait l’adoption de la limitation dans le temps des allocations de chômage. Bien qu’il siège sur les bancs de l’opposition, le VLD a partagé ce constat en pointant le fait que la réforme a été présentée par un ministre libéral wallon et en revenant sur l’historique des « blocages » antérieurs : « Pendant 25 ans, la N-VA a affirmé qu’il était impossible de mener de grandes réformes du marché du travail en Belgique en raison des trop grandes différences entre la Flandre et la Wallonie. Avec un ministre libéral aux commandes, cela devient possible. […] En 2012, sous le premier ministre Di Rupo, certaines allocations ont, pour la première fois, été limitées dans le temps. Les allocations d’insertion avaient alors été limitées à trois ans par la ministre Monica De Coninck (sp.a devenu Vooruit en 2020). Entre 2014 et 2019, l’Open Vld et la N-VA étaient favorables à les limiter davantage, mais le MR et le CD&V s’y étaient opposés. Aujourd’hui, ces deux partis ont viré de bord. Dans leur programme, Vooruit et Les Engagés avaient subordonné la limitation à une garantie d’emploi dans le secteur public, mais cette condition a disparu ».

« Mettre les sans emploi dans la misère »

Si la gauche a partagé le constat de la majorité sur le caractère « historique » de la réforme, l’appréciation qu’elle en a fait a été diamétralement inverse. Sophie Thémont (PS) a ainsi qualifié la réforme de « plus grand recul [social] de ces dernières décennies » et de « révolution de la Sécurité sociale » menée « sans concertation préalable avec les partenaires sociaux », tandis que Sara Schiltz (Ecolo) l’a pour sa part qualifiée de « modèle d’un autre siècle, d’une société où l’on survit dans des conditions imposées par un marché du travail dérégulé ».

Pour Sophie Merckx (PVDA-PTB), l’objectif final de cette réforme est de « mettre les personnes sans emploi dans une telle misère qu’elles soient prêtes à accepter n’importe quel emploi, à n’importe quelles conditions ». Le député Robin Tonniau développant l’idée : « moins les salaires sont élevés, plus grande est la marge bénéficiaire pour le capitaliste. Cette pression sur les salaires n’est pas seulement valable pour les nouveaux travailleurs, mais aussi pour ceux qui ont déjà un emploi. Par crainte de perdre leur travail, ils acceptent un salaire moins élevé et des conditions de travail plus précaires. Le problème n’est pas l’individu mais le système. La limitation des allocations de chômage dans le temps est fondée sur le principe que les chômeurs sont responsables du chômage, alors que c’est notre système économique qui a besoin des chômeurs. La limitation de la durée de l’octroi des allocations de chômage sert surtout à mettre la pression sur les salaires, sur les conditions de travail et à renforcer les inégalités économiques ».

« Des solutions concrètes »

Ces critiques n’ont pas manqué d’être vigoureusement démenties par les députés de l’Arizona. La députée Vanrobaeys (Vooruit) a ainsi signalé que les positionnements sur cette réforme « marquent une distinction claire entre Vooruit et d’autres partis, notamment le PTB-PVDA » qui, selon elle, « se retranche derrière de grandes théories marxistes, tandis que Vooruit privilégie le travail sur mesure et les solutions concrètes ». Mme Pirson (Les Engagés) a tenu à « souligner le silence d’Ecolo-Groen quant aux grands défis financiers que l’Union européenne rappelle régulièrement à notre bon souvenir et au sentiment largement partagé qu’il est parfois plus intéressant d’être bénéficiaire d’une prestation sociale que d’aller travailler » ainsi, in fine, de clamer que « la Commission européenne se réjouit des réformes de la coalition Arizona ». Quant à la députée Florence Reuter (MR), ex-présentatrice du journal télévisé de RTL-TVI et actuelle Bourgmestre de Waterloo, elle n’a pas hésité à s’en prendre au « parti communiste » [Ndlr : le PTB-PVDA] qui, selon elle, « ment, joue sur les peurs », « préfère que les gens s’enlisent dans le chômage plutôt que les accompagner [sic] à leur reprise en main et à l’émancipation » afin de les « garder dépendants » pour « continuer à faire des voix ». « Vous voulez », résume-t-elle « uniquement garder les gens dans la misère, nous voulons les tirer vers le haut et les aider à s’émanciper ».

Inefficace et appauvrissante

Au-delà de la confrontation d’appréciations sur la nature de la réforme, le débat parlementaire a également été l’occasion de mettre en lumière certains de ces aspects. Sophie Thémont (PS) a notamment souligné son inefficacité du point de vue du retour à l’emploi, au vu du « décalage entre l’offre d’emploi et la réalité du chômage en Belgique ». En Flandre, a-t-elle indiqué, « plus de 43.000 chômeurs de longue durée n’ont pas de diplôme du supérieur, avec seulement 32.000 emplois adaptés pour eux. En Wallonie, la situation est encore pire : près de 70.000 personnes sans diplôme du supérieur pour à peine 10.000 offres. A Bruxelles, 54.000 exclus du chômage doivent se battre pour un peu moins de 17.000 emplois. […] Le compte n’y est pas. […]Il s’agit également d’une réforme du marché du travail qui cache une réforme de l’État, un pur transfert de charges du fédéral vers les villes et les régions, à hauteur de plus d’un milliard d’euros ». La députée a encore fait part de son inquiétude par rapport à la redéfinition à la baisse de « l’emploi convenable » qui, selon elle, crée une « pression sur les salaires à la baisse dans un marché de l’emploi déjà très inégalitaire » et relève d’une « logique de contrainte » incitant « les demandeurs d’emploi à accepter des postes à temps partiel, faiblement rémunérés ou éloignés ».
Sarah Schiltz (Ecolo) a pour sa part souligné l’impact de la suppression de certaines assimilations pour l’ouverture du droit au chômage : « jusqu’ici lorsqu’une personne était malade, victime d’un accident du travail ou atteinte d’une maladie professionnelle, ces périodes étaient assimilées à des jours de travail effectif […] Avec ce projet de loi-programme, ces périodes ne seront plus prises en compte, elles seront simplement neutralisées. […] Chaque année, en Belgique, 12.000 femmes reçoivent un diagnostic de cancer du sein et il leur faut en moyenne une période de deux ans pour la revalidation. Jusqu’ici, ces deux années étaient assimilées à du travail mais la loi-programme ne le permettra plus ».

Quant à la députée Sophie Merckx (PTB-PVDA), elle a dénoncé les effets du renforcement de la dégressivité des allocations et de leur prise en compte au niveau fiscal : « Après un an de chômage, l’allocation ne tiendra plus compte du montant du dernier salaire et dépendra de la situation familiale. Un cohabitant ne percevra plus que 746 euros lors du treizième mois de la période de chômage, soit 450 euros de moins qu’antérieurement. Prenons l’exemple de deux personnes qui vivent en couple et qui ont travaillé dans la même entreprise qui a fermé ses portes. Dans ce cas, chacune de ces personnes perdra 450 euros au même moment. En revanche, un isolé percevra encore 1.438 euros. À cela s’ajoutent encore les mesures fiscales. La réduction d’impôt sur les allocations de chômage sera en effet supprimée. Actuellement, une personne isolée au chômage ne paie pas d’impôts. À l’issue de la réforme, elle devra s’acquitter de 1.838 euros d’impôts par an, ce qui se traduit par une perte mensuelle de revenus d’environ 155 euros. Cette personne devra donc vivre avec un revenu mensuel de 1.280 euros. Dans les médias, le ministre a laissé entendre qu’un chômeur bénéficiait d’une déduction fiscale de 200 euros, tandis qu’un travailleur n’y aurait pas droit. Toutefois, un calcul réalisé avec le programme Tax-Calc du SPF Finances montre qu’un chômeur paie en réalité plus d’impôts qu’un travailleur. Certes, un chômeur bénéficie d’une déduction fiscale, mais un travailleur profite d’autres réductions d’impôt plus substantielles. Pour un même montant imposable, un chômeur s’acquitte de 1.148 euros d’impôts de plus qu’un travailleur. La réduction d’impôt accordée sur les revenus de remplacement ne constitue donc pas un avantage incitant à rester au chômage, mais vise uniquement à compenser la différence avec le revenu brut avant la perte d’emploi. ». A noter, les parlementaires de Groen n’ont pas choisi de se mettre en avant dans ce débat en s’exprimant sur ce volet « chômage » de la loi-programme.

« Le choc provoquera quelques turbulences »

Du côté de la majorité Arizona, ce sont d’autres types de « points d’attention » qui ont été exprimés dans le débat. M. Axel Ronse (N-VA) a ainsi souligné le risque que la « mesure entraîne une hausse considérable du nombre de personnes percevant des indemnités d’incapacité de travail versées par l’INAMI » et à ce titre appelé « le ministre à surveiller à tout le moins le nombre de personnes qui passeront d’une allocation de chômage à une indemnité de maladie » et évoqué la réforme annoncée des indemnités de maladie ainsi que « le comportement des médecins en matière de prescriptions qui sera contrôlé ». Un message bien reçu par le ministre Clarinval, qui a indiqué que « à partir de 2027, l’ampleur et l’impact des périodes d’assurance maladie et invalidité pendant le chômage seront examinés » et que « si nécessaire des mesures appropriées seront prises pour prévenir les abus ». Concernant les CPAS, le député du parti du Premier ministre a demandé que « les moyens ne soient pas accordés aveuglément aux communes, mais en les assortissant d’efforts clairs en matière d’activation ». Au CPAS, a-t-il indiqué, « chaque dossier sera passé au crible et, s’il existe un risque potentiel, les demandeurs d’emploi seront accompagnés vers le marché du travail. La révolution de l’activation aura lieu au niveau des villes et des communes. […] Le choc provoquera effectivement quelques turbulences. Elles seront les plus fortes à Bruxelles en raison de la mauvaise gestion qui y règne. Certains CPAS seront soudain confrontés à un afflux important, mais nous assurerons un suivi attentif en commission des Affaires sociales ».

« Dans cette assemblée et non dans la rue »

D’autres échanges parlementaires qui ont eu lieu à l’occasion de ce débat méritent encore d’être mentionnés. Comme celui de Kurt Moons (Vlaams Belang) interpellant la N-VA en ces termes : « Vous avez toujours refusé de coopérer avec nous. Nous voulons réellement participer au pouvoir, mais cela nous a été refusé. ». Eva Demesmaeker lui répondant : « Nous n’avons pas de majorité ensemble. C’est une décision de l’électeur ». La députée N-VA confirmant ainsi que son parti n’appliquait aucun cordon sanitaire vis-à-vis du Vlaams Belang. La réaction d’Axel Ronse (N-VA) à une intervention de Robin Tonniau (PVDA-PTB) mérite également d’être méditée : « Je suis heureux que vous meniez le débat dans cette assemblée et non dans la rue ». Le parti du Premier ministre a ainsi enfoncé douloureusement le clou, non seulement pour le parti de la « gauche radicale » qui avait indiqué vouloir travailler selon le principe « rue – parlement – rue », mais également pour les autres partis de gauche et pour les organisations syndicales qui se sont opposés vocalement contre ce projet de destruction de l’assurance chômage mais qui n’ont pas essayé de mobiliser les 230.000 personnes directement menacées pour s’opposer à l’adoption de la loi. La démonstration est faite que sans une mobilisation des premiers et des premières concernés, sans mobilisation de l’ensemble du monde du travail, aucune inflexion du programme de casse sociale de la majorité Arizona ne pourra être obtenue par la voie d’un simple débat parlementaire. Au terme des débats, la loi programme a été adoptée par 80 voix de la majorité (N-VA – MR – CD&V – Engagés – Vooruit), contre 58 voix de l’opposition (VB – PS – PTB-PVDA – Ecolo-Groen – Défi) et 7 abstentions de l’Open VLD – lequel a indiqué soutenir l’instauration de la limitation dans le temps des allocations de chômage mais pas l’ensemble de la loi programme celui comportant des dispositions fiscales touchant des entreprises.

(1) Ullman et Wade, 1996, cités par Wikipédia

(2) Cette citation des débats parlementaires et les suivantes sont extraites des rapports des discussions en Commission des Affaires sociales et du compte rendu des discussions en séance plénière : Rapport de la première lecture en Commission des Affaires sociales (art 83 à 214), DOC 56 0909/13, Rapport de la seconde lecture en Commission des Affaires sociales (art 83 à 214), DOC 56 0909/24, Compte rendu de la séance plénière du 25.06.2025 Matin CRABV 56 PLEN 053 et CRIV 56 PLEN 053.

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