Toute la Belgique a-t-elle rendu les armes et renoncé à mobiliser face au projet d’exclusion massive de chômeurs ? Toute ? Non, une poignée d’irréductibles ont manifesté dans les rues leur opposition. « Pour l’honneur des travailleurs et pour un monde meilleur ».
La loi-programme qui organise la limitation dans le temps des allocations de chômage et qui, par ce fait même, menace directement de perte d’allocations plus de 230.000 chômeurs a été discutée et adoptée à la Chambre entre le 3 juin et le 17 juillet 2025. Les grandes manifestations nationales et interprofessionnelles qui ont été organisées par les syndicats en front commun pour contester l’ensemble de la politique de la majorité Arizona intégraient certes le refus de la limitation dans le temps des allocations de chômage, mais l’accent a été mis surtout sur la question des pensions qui, bien sûr, concerne plus directement tout le monde. Des tracts tentant de mobiliser en particulier contre l’exclusion des chômeurs ont certes été diffusés à l’occasion de ces manifestations. Par ailleurs, les organisations syndicales ont, au plus haut niveau, organisé de multiples communications vis-à-vis de la presse et ont été présentes à répétition dans les débats télévisés pour faire connaître leur opposition à l’adoption de cette mesure. Toutefois il n’y a pas eu de grande manifestation nationale pour s’opposer spécifiquement à l’instauration d’une limitation dans le temps des allocations de chômage. N’y a-t-il eu en Belgique aucune mobilisation syndicale, politique ou associative pour s’opposer spécifiquement à l’adoption de cette mesure? Aucune, non, mais les rares mobilisations spécifiques qui furent organisées l’ont été au niveau local et n’ont eu qu’une ampleur très limitée.
Au niveau bruxellois, deux marches contre les exclusions du chômage ont été organisées à l’initiative d’une coalition rassemblant une trentaine d’associations, d’organisations syndicales et de réseaux de lutte contre la pauvreté : Ligue des droits humains, Collectif Solidarité Contre l’Exclusion, SAAMO Brussel, Fédération des Services Sociaux, Lire et Écrire Bruxelles, Ateliers du Soleil, Vie Féminine, CFFB (Conseil des Femmes Francophones de Belgique), CGSP ACOD ALR LRB, FGTB ABVV Bxl, CSC Bruxelles – ACV Brussel, Comité des Travailleurs.es Sans-Emploi de la CSC Bruxelles, section Locale de la CSC Uccle Forest Saint-Gilles, CSC culture, MOC Bruxelles, SLFP administrations locales et régionales, Syndicats des CPAS de 1000 Bruxelles, Saint-Gilles et Forest, Commune colère, Collectif Formation Société, Actrices et Acteurs des Temps Présents, Le DK, Forest à gauche – Vorst links, les missions locales pour l’emploi de Forest et Saint-Gilles, Une maison en plus, Trapes asbl (Tous en réseau autour de la prévention et de l’expérience du surendettement), Maison de quartier Saint-Antoine, FEWASC (Fédération Wallonne des Assistants Sociaux des Cpas), FeBISP (Fédération bruxelloise des Organismes d’Insertion Socioprofessionnelle), les réseaux francophones et néerlandophones de lutte contre la pauvreté BAPN, RWLP, BPA &Forum – Bruxelles contre les inégalités, CBCS, Ateliers des droits sociaux, Dockers, IEB, Classe contre classe….
Le 24 avril, une première marche contre les exclusions a réuni près d’un millier de personnes, qui ont défilé devant l’ONEm, une antenne du CPAS de Bruxelles, une antenne d’Actiris, le CPAS de Saint-Gilles et celui de Forest ainsi que la Mission locale de cette dernière commune. La dynamique a pu s’appuyer sur une forte mobilisation de la CGSP ALR ainsi que de membres de personnel des CPAS, inquiets non seulement pour l’exclusion des chômeurs mais aussi pour l’impact de ces exclusions sur leurs conditions de travail et sur le sens de leur métier. Une seconde marche du même type s’est déroulée le 3 juin, passant notamment devant les CPAS d’Ixelles et d’Etterbeek. Celle-ci a réuni plusieurs centaines de personnes.
Le 10 juin, le groupe des Travailleurs sans emploi de la CSC a organisé, à Namur, une action « Job day » devant le cabinet d’Yves Coppieters (Les Engagés), ministre wallon de la Santé, de l’Environnement, des Solidarités et de l’Économie sociale, en invitant des chômeurs affiliés à la CSC à déposer leur CV auprès du ministre et en demandant où étaient les 170.000 emplois promis par son parti avant les élections de 2024.
Aucune mobilisation n’a visé le cabinet David Clarinval (MR), ministre fédéral de l’Emploi, porteur de la réforme ni les sièges des différents partis membres de la coalition Arizona. Aucun bâtiment de l’ONEm ou siège de parti n’a été occupé. La manifestation en front commun du 25 juin comprenait dans ses mots d’ordre des revendications contre la mesure, à côté de beaucoup d’autres, et un tract spécifique a été réalisé mais, encore une fois, d’autant plus à quelques jours du vote de la mesure, on aurait pu espérer une véritable tentative de mobilisation nationale des personnes concernées. Le 9 juillet, une vingtaine de personnes, issues de syndicats, de la Ligue des droits humains ou encore du Gang des vieux en colère ont largué dans l’hémicycle de la Chambre des tracts sur lesquels était écrit en noir « Sécurité sociale », « Sociale zekerheid », maculés de « sang » (en fait d’encre rouge le figurant), au moment où les députés discutaient de l’adoption de la loi. In fine, le 17 juillet, juste avant le vote, le même groupe a déployé une banderole et des pancartes devant le parlement. Ces actions ont eu un certain écho dans la presse qui a permis de faire (un peu) entendre la voix des sans-emploi.
Les syndicats se sont engagés à informer et accompagner individuellement leurs affiliés pour affronter la fin de droit (examiner si des choses peuvent être faites pour éviter ou retarder l’exclusion, les possibilités d’ouverture d’un autre droit à des allocations…). Des séances d’information vont être organisées cet automne. Il est difficile de prédire ce qu’elles vont donner. Lors de la limitation dans le temps des allocations d’insertion (2012), elles n’avaient guère eu de succès avant la fin 2014. Cette fois, vu la masse des exclus, les échos médiatiques et la lettre d’avertissement, les réactions seront sans doute plus nombreuses et plus rapides. Il reste que les sorties du chômage, en dehors de l’emploi à temps plein, se feront principalement vers l’incapacité de travail (les mutuelles) et surtout les CPAS. Or il s’agit d’institutions beaucoup plus éloignées des organisations syndicales que ne l’est l’ONEm, à la gestion duquel elles participent directement aux côtés de représentants des employeurs et du gouvernement. Les règles CPAS en particulier, très différentes de celles du chômage, ne sont pas d’office connues des travailleurs des organismes de paiement. Il faut donc craindre un terrible chaos.
En n’essayant pas de mobiliser massivement à l’échelle nationale leurs affiliés chômeurs avant l’adoption de la loi, les organisations syndicales ont sans doute voulu éviter d’exposer au grand jour leurs difficultés à mobiliser sur ce thème, sinon leurs divisions internes sur le sujet entre le Nord et le Sud du pays. Aujourd’hui, les syndicats et la Ligue des Droits humains ont confirmé leur intention d’introduire un recours devant la Cour constitutionnelle contre la loi-programme qui organise la limitation dans le temps des allocations de chômage. Étant donné le recul immense en termes de protection sociale que représente celle-ci, on peut fonder certains espoirs, limités, dans cette procédure. Au niveau wallon, l’organisation d’une Marche pour l’Emploi de qualité en front commun syndical à Namur a eu lieu le 24 septembre. Une grande Manifestation nationale en front commun est ensuite prévue le 14 octobre à Bruxelles. Aucune de ces manifestations n’est toutefois spécifiquement tournée vers les chômeurs ni n’est centrée sur le retrait de la mesure de limitation dans le temps des allocations de chômage. James Baldwin nous a prévenus : « Tout ne peut pas changer dès qu’on l’affronte, mais rien ne change tant qu’on ne l’affronte pas ».