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Italie : la lente agonie des médias de service public

Un mouvement de contestation sans précédent secoue la télévision publique italienne. En cause, la pression constante sur les médias publics exercée par le parti Fratelli d’Italia de Giorgia Meloni depuis son arrivée au pouvoir, en 2022.

Le quotidien italien La Repubblica s'est immédiatement emparé du scandale lié au texte commémoratif d'Antonio Scurati : « Censure par la Rai du monologue de Scurati sur le 25 avril, la présentatrice Serena Bortone accuse : "Son contrat a été annulé" ». Le monologue en question a été publié dans les pages de La Repubblica dès l'annonce du renoncement de la Rai. Crédit :Post Facebook de La Repubblica
Crédit :Post Facebook de La Repubblica

En Italie, « Télé-Meloni » est devenue l’expression favorite de la gauche pour désigner l’évolution récente de la télévision publique italienne. En cause, de longues interviews complaisantes de la présidente du Conseil italien Giorgia Meloni sur la première chaîne (Rai1). En cause également, un traitement exagérément prudent des erreurs commises par le personnel politique de droite sur la chaîne publique d’information en continu (RaiNews24) et des omissions délibérées donnant lieu à un traitement exagérément positif de la situation économique du pays, en décalage croissant avec la réalité vécue par la plupart des Italiens. À cela rien de tout à fait inattendu puisque, depuis 2015 (sous l’impulsion des sociaux-démocrates à l’époque), il est d’usage qu’après les élections le parti vainqueur nomme à sa guise les principaux dirigeants de la radio-télévision publique italienne. Arrivée en tête aux élections législatives de septembre 2022, Giorgia Meloni ne s’est pas privée de ce privilège en nommant des personnalités inféodées à son parti de droite nationaliste Fratelli d’Italia aux postes stratégiques de la Rai. Rapidement, la radio publique, les chaînes Rai1, Rai2, Rai3 et RaiNews24 ont affiché des lacunes journalistiques caractéristiques d’un média de propagande (absence de débat contradictoire, traitement partiel des faits, hiérarchie de l’information biaisée). Pendant un an et demi, conscients de cette coutume politico-médiatique, les journalistes de la Rai et leurs syndicats ont enduré les différents changements de cap opérés par leurs dirigeants sans trop se plaindre. Finalement, le 21 avril dernier, une opération de censure plus éclatante que les précédentes a libéré la parole au sein de la Rai et déclenché un mouvement de contestation sans précédent qui dure encore aujourd’hui.

Censure et prudence

L’émission censurée en question (Che sarà), est un talk-show du dimanche diffusé sur la troisième chaîne publique (Rai3) mêlant des sujets politiques, culturels et historiques. L’émission spéciale consacrée à la Fête nationale italienne, qui célèbre chaque 25 avril la fin du fascisme et l’entrée de l’Italie dans sa modernité, aurait dû comporter un monologue écrit par l’écrivain Antonio Scurati, spécialiste reconnu du fascisme, vainqueur en 2019 du prix littéraire le plus prestigieux d’Italie, le Premio Strega. Dans son texte qu’il aurait dû prononcer lui-même, il était prévu que Scurati rappelle que l’antifascisme est le point cardinal de la Constitution italienne. Dans un second temps, il comptait dénoncer les silences éloquents du parti de Giorgia Meloni qui n’a jamais admis la complicité du parti fasciste dans les massacres nazis perpétrés sur le sol italien (parti fasciste dont Fratelli d’Italia, le parti au pouvoir, est l’un des héritiers). Ce monologue n’a jamais été prononcé à la télévision publique italienne. Pour tenter d’expliquer ce revirement de dernière minute, la direction de Rai3 a évoqué la somme prévue pour rémunérer l’écrivain (1.800 euros) qui aurait mis le budget de l’émission sous pression. Cette somme avait pourtant été fixée par contrat, conformément à celles versées à l’occasion des précédentes prestations télévisuelles d’autres écrivains de la même stature. L’argument économique est par ailleurs fragilisé par l’investissement concomitant de six millions d’euros par la même chaîne pour remettre sur pied un programme de divertissement (dont le titre « Avanti popolo » – « En avant le peuple » – n’est autre qu’une récupération des premiers mots de la chanson ouvrière « Bandiera rossa », un renversement du sens des mots et des valeurs, caractéristique de la communication melonienne mais également du fascisme). Cette censure mal dissimulée d’un texte polémique n’aurait pas été connue du grand public si l’animatrice de l’émission en personne n’avait pas révélé cette annulation tardive sur les réseaux sociaux, en précisant qu’elle n’en connaissait pas elle-même la véritable raison (1).

Épuration politique

Cet épisode et le climat dont il découle démontrent une fois de plus que les droites nationalistes entretiennent rarement de bonnes relations avec les médias publics. Une fois arrivées au pouvoir, elles tentent généralement de les modeler à leur image ou bien elles les disloquent en en privatisant des pans entiers. La question de savoir si Giorgia Meloni était au courant ou pas de la teneur du texte de Scurati et si elle l’a elle-même fait censurer ne se pose pas en termes individuels. Les dirigeants de la Rai n’ont pas besoin d’ordres directs pour être plus royalistes que la reine. Selon Luca Tomini, professeur de sciences politiques à l’ULB « Les contraintes qui pèsent sur les journalistes de la Rai sont en fait les mêmes qu’avant, mais elles sont bien plus nombreuses aujourd’hui. Et la qualité des programmes s’en ressent. À cela s’ajoute l’exode de certains visages connus vers les chaînes privées. Il règne actuellement un climat d’épuration à la Rai ».

Pour montrer patte blanche et tenter d’éteindre la polémique le plus tôt possible, Giorgia Meloni a publié elle-même, sur son compte Facebook, le monologue d’Antonio Scurati, avec l’introduction suivante : « Je ne connais pas le fond de l’affaire mais je publie moi-même ce texte sans problème (en espérant ne pas avoir à payer pour cela). Premièrement, je le publie parce quand on a été comme moi ostracisée et censurée par le service public, on ne peut pas souhaiter la censure de quelqu’un d’autre. Pas même de ceux qui pensent que leur propagande antigouvernementale doit être rétribuée avec des deniers publics. Deuxièmement, je pense que c’est aux citoyens eux-mêmes de juger du contenu de ce texte. Bonne lecture. ». (2) Cette tentative sarcastique de désamorcer la crise n’a pas fonctionné. Le 6 mai 2024, les équipes de la Rai ont organisé une conférence de presse faisant état de pressions, de censures et d’omissions mensongères auxquelles ils et elles étaient contraints par leurs directions respectives depuis des mois. Parallèlement leur syndicat (Usigrai) a publié le communiqué suivant, lu en direct par des journalistes lors des différents journaux télévisés de la Rai : « La mainmise des directeurs de la Rai sur l’information de service public se fait chaque jour plus étouffante. Après avoir vidé deux chaînes de leur substance, les dirigeants nommés par le gouvernement commencent à décommander les invités qui ne leur plaisent pas, comme Antonio Scurati qui devait prononcer un texte sur le 25 avril sur une chaîne, Rai3, dont la grille n’a plus rien à voir avec ce que les téléspectateurs ont connu. (…) Nous sommes confrontés à des méthodes intrusives qui contreviennent aux principes fondamentaux du travail journalistique. Les comités de rédaction se sont mis d’accord sur une grève de cinq jours. Chers téléspectateurs, nous nous désolidarisons des choix opérés par l’entreprise et luttons pour un service public indépendant, équilibré et pluraliste ». (3)

Circulez, y’a rien à voir !

Aujourd’hui, ni la tension sociale au sein de la Rai ni les abus de ses dirigeants n’ont pris fin. Quelques exemples : Serena Bortone, la présentatrice qui a révélé au grand jour la censure du texte de Scurati a reçu l’interdiction d’aborder des sujets politiques dans une émission dont c’est pourtant l’ADN. Ensuite, il a été explicitement demandé aux journalistes déployés en région de ne plus poser de questions gênantes au ministre de la Culture en pleine crise de popularité (qui a démissionné depuis lors). La manifestation la plus visible de la torsion de l’information par les dirigeants de la Rai a eu lieu le 7 juillet dernier. Le soir du deuxième tour des élections législatives en France, alors que le camp nationaliste de Marine Le Pen n’a pas obtenu la victoire écrasante que la droite nationaliste italienne attendait, la Rai n’a consacré aucune édition spéciale à l’événement (ce que les chaînes privées ont fait), préférant diffuser la captation du festival culturel identitaire de Pomezia qui a fait également l’ouverture des différents journaux télévisés. C’est au chamboulement de la hiérarchie de l’information que l’on reconnaît un média de propagande comme la Rai est en train de le devenir.

État de droit en danger

Chaque année depuis 2019, la Commission européenne dresse un état des lieux de la situation de l’Etat de droit dans les 27 pays qui la composent (4). Dans ce rapport, en 2023 déjà, la Commission se disait inquiète de la trop grande porosité entre le pouvoir politique et les médias publics italiens. Un certain nombre de recommandations étaient adressées à l’Italie qui ne les a vraisemblablement pas respectées depuis. En effet, la Commission européenne observe dans son dernier rapport sur l’Etat de droit, publié le 24 juillet, une nette régression de la situation des médias publics et privés italiens. Pression éditoriale de la part du gouvernement, journalistes régulièrement intimidés, manque de pluralisme, temps de parole des opposants politiques insuffisant sur le service public, structures de surveillance affaiblies, blocage au Sénat d’améliorations juridiques urgentes et l’opacité dans l’acquisition des médias privés sont autant de griefs qui sont faits à l’Italie dans son ensemble et au gouvernement Meloni en particulier. Ces observations fâcheuses et les recommandations qui en découlent ont bien failli ternir l’idylle de façade entre Giorgia Meloni et Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne (reconduite le 18 juillet dernier pour un second mandat).

En déplacement en Chine au cœur de l’été, Giorgia Meloni n’a pas hésité à accuser les journalistes des médias de gauche et du centre d’avoir dicté à la Commission les remarques négatives que l’on retrouve dans le rapport européen sur l’Etat de droit. Le 28 juillet, la présidente du Conseil italien s’est même fendue d’une lettre dans laquelle elle expliquait à Madame Von der Leyen combien cet état des lieux était erroné et mal documenté. Deux jours plus tard, pour accompagner ces accusations envers la presse d’opposition, le quotidien Il Giornale, réputé proche du pouvoir, a publié une liste de six noms de journalistes définis comme anti-méloniens et hostiles au gouvernement italien. Jeter ainsi des noms en pâture n’est pas sans conséquence dans un pays où les journalistes de gauche sont fréquemment intimidés dans l’espace public. (5)

La présidente de la Commission européenne Ursula Von der Leyen et la première ministre italienne Giorgia Meloni avant le survol des zones inondées d'Émilie-Romagne, en mai 2023. Crédit : Gouvernement italien, mis à disposition selon la licence Creative Commons.
La présidente de la Commission européenne Ursula Von der Leyen et la première ministre italienne Giorgia Meloni avant le survol des zones inondées d'Émilie-Romagne, en mai 2023. Crédit : Gouvernement italien, mis à disposition selon la licence Creative Commons.

Saluts fascistes et glorification de Hitler

En Italie, la pression constante exercée sur les grilles du service public commence à faire tache d’huile sur les médias indépendants qui sont désormais les seuls garants d’une presse critique du pouvoir en place. Dans un reportage édifiant du média en ligne Fanpage, le monde entier a découvert en juin dernier, par l’intermédiaire d’une journaliste infiltrée, les pratiques de nombreux militants de la Jeunesse Nationale (Gioventù Nazionale), mouvement de jeunes militants affilié à Fratelli d’Italia et premier parti de jeunes en Italie. Dans ce film de douze minutes (6), on entend des propos insultants à l’égard des juifs et des personnes de couleur, une glorification de Hitler ou de Mussolini, on voit des saluts romains et des salutations fascisantes, des déclarations sur le financement du parti qui laissent entendre que le gouvernement dévie illégalement certains fonds pour alimenter les finances de la branche jeunesse du parti au pouvoir. Bref, un reportage accablant, images à l’appui, dans lequel on entend régulièrement les jeunes militants recommander à leur nouvelle recrue de faire bonne figure en présence de journalistes, ne sachant pas qu’elle est elle-même journaliste et qu’elle est en train de les enregistrer.

Plutôt que de réagir sur le fond de l’affaire (ce qu’elle a fait dans un second temps), c’est surles méthodes journalistiques utilisées pour réaliser ce reportage que Giorgia Meloni a tenu à réagir alors qu’elle était en déplacement à Bruxelles et que ce scandale commençait à inquiéter ses homologues étrangers : « de telles méthodes d’infiltration (..) sont des méthodes qui étaient utilisées par les régimes autoritaires » (7), a-t-elle dénoncé, dans un retournement des faits et des valeurs caractéristiques – là encore – de sa communication.

Folklore fasciste

Sommée de réagir sur le fond, Giorgia Meloni s’est engagée à faire le ménage dans ses rangs, se disant surprise et indignée qu’un tel « folklore » nostalgique des années sombres de l’histoire italienne soit encore célébré par de jeunes militants de son parti. Pour Marco Bresolin, correspondant à Bruxelles pour le journal italien La Stampa : « Il est peu probable que Giorgia Meloni n’ait pas été au courant de ce type de pratiques au sein de Gioventù Nazionale. Elle a longtemps été jeune militante dans cette formation politique qui dépend directement de son parti, Fratelli d’Italia, qui lui-même fait partie des héritiers du parti fasciste ». Les éléments mis à jour dans l’enquête de Fanpage ne nuiront probablement pas à la popularité de Giorgia Meloni dans l’immédiat. Par contre, ils pourraient retarder, voire empêcher, l’opération plus ou moins sincère de normalisation de la politique mélonienne à l’international, comme l’indique Luca Tomini, professeur de sciences politiques à l’ULB : « Giorgia Meloni sait bien que les militants de son parti (surtout les jeunes) entretiennent une certaine nostalgie pour le fascisme. L’enquête de Fanpage montre des choses qu’on savait déjà en Italie. Des choses qui, en revanche, surprennent beaucoup en Europe et la mettent dans l’embarras ».

Mussolini comme modèle

Adolescente, Georgia Meloni militait au sein de l’aile jeunesse du Mouvement social italien formé par des partisans de Mussolini après la Seconde Guerre mondiale. Une vidéo régulièrement exhumée sur les réseaux sociaux en atteste. A cette époque, interviewée par les équipes de France 3, elle définissait Benito Mussolini comme un bon politicien qui n’aurait fait qu’œuvrer pour le bien du pays. (8)Depuis qu’elle est au pouvoir, Meloni met davantage en avant son patriotisme et l’héritage libéral de Berlusconi, dont elle a été la plus jeune ministre. Elle est effectivement à la tête aujourd’hui d’une coalition de droite plurielle et elle s’est régulièrement employée à prendre ses distances avec l’héritage postfasciste de son parti. Pourtant, certains signaux ne trompent pas. Elle a notamment conservé la flamme tricolore du logo de son parti, ce qui est un signal aussi clair que discret envoyé à sa base radicale (comme l’a démontré le journaliste Hugues Le Paige dans cette même revue, en décembre dernier). (9)

À l'occasion du survol des zones inondées d'Émilie-Romagne en mai 2023, Giorgia Meloni a déclaré que « Le soutien de l'Union Européenne peut être décisif face à des catastrophes de ce type ». Une déclaration qui pourrait aussi s'appliquer aux finances de l'État italien aujourd'hui. Crédit : Gouvernement italien, mis à disposition selon la licence Creative Commons.
Crédit : Gouvernement italien, mis à disposition selon la licence Creative Commons.

Les discours et les actes

Il est évident que les extrêmes droites européennes ont appris à jouer un double jeu pour accéder au pouvoir. La fameuse dédiabolisation du Front National devenu Rassemblement National en est l’exemple le plus clair. Mais pour le journaliste italien Marco Bresolin, les choses sont moins retorses dans le cas de l’Italie : « On ne peut pas vraiment dire que Giorgia Meloni et son parti aient un double visage. C’est plutôt une question d’attitude, comme quelqu’un qui aurait appris à se comporter d’une certaine manière dans les dîners en ville et dont le naturel reviendrait au galop, de temps en temps, parmi les siens ». Pour que son naturel revienne également « au galop » dans les cénacles internationaux, Giorgia Meloni espérait une percée des droites nationalistes à l’issue des dernières élections européennes. C’est plutôt à leur division en plusieurs groupes discordants qu’on assiste actuellement. « Maintenant Giorgia Meloni va devoir trancher. Est-elle la leader d’un parti extrémiste (qui représentait 3 à 4% des Italiens) ou celle de la droite italienne conservatrice (c’est-à-dire environ 27% des électeurs) ? Jusqu’ici elle a maintenu l’ambiguïté entre ces deux options, sans trancher. Mais ses déclarations récentes semblent indiquer qu’elle optera pour la seconde solution. Jusqu’à quel point ? Il est encore difficile de le dire» analyse le professeur de sciences politiques Luca Tomini (ULB) en rappelant que « depuis son élection, en revoyant immédiatement ses positions sur l’Europe ou sur l’Ukraine, Giorgia Meloni a effectivement entrepris un parcours de normalisation sur le plan international ».

Modifier la Constitution italienne

Au niveau international, c’est la voie de la modération que Giorgia Meloni est contrainte de choisir pour continuer d’arrimer son pays fortement endetté à la locomotive européenne. En Italie, par contre, elle emprunte obstinément la voie de l’omnipotence avec en ligne de mire, d’ici quelques années, une réforme importante de la Constitution italienne qui organiserait l’élection au suffrage universel direct du Premier ministre à l’issue des élections législatives, donnant ainsi au pays une stabilité politique dont il ne jouit pas pour l’instant. Cette instabilité a pourtant été inscrite volontairement au cœur de la Constitution italienne (qui rappelle le fonctionnement de la Belgique). C’est un principe fondamental né de l’après-fascisme qui a pour but d’éviter qu’un parti s’empare seul du pouvoir. Le projet de réforme de la Constitution italienne pour donner plus de pouvoir au chef du gouvernement est donc un projet politique lourd de sens, et Meloni le sait bien. Cela dit, le processus de révision constitutionnelle sera très long s’il advient : il faut deux lectures du texte, l’une à la Chambre et l’autre au Sénat, suivies d’un référendum. Par ailleurs, le passé a souvent montré que les Italiens se lassent vite de leurs dirigeants. Cependant, si Meloni restait aussi populaire ces prochaines années qu’elle l’est aujourd’hui, elle pourrait s’offrir ainsi la possibilité de diriger l’Italie sans partage ni compromis à l’occasion d’un second mandat. On imagine aisément l’état de décomposition avancée dans lequel les médias de service public se trouveraient à ce moment-là.

En mai dernier, Giorgia Meloni a rebaptisé son blog vidéo "Telemoni" (et non plus "Les Carnets de Giorgia"), indiquant ironiquement qu'à ses yeux la seule chaîne qui mérite ce qualificatif est son propre blog et non la Rai.
En mai dernier, Giorgia Meloni a rebaptisé son blog vidéo "Telemoni" (et non plus "Les Carnets de Giorgia"), indiquant ironiquement qu'à ses yeux la seule chaîne qui mérite ce qualificatif est son propre blog et non la Rai.

Différence de tempo

Dans son célèbre essai Soudain, le fascisme, l’historien italien Emilio Gentile met en évidence la façon dont Mussolini a fait basculer l’Italie dans la dictature en seulement quelques jours : « ce 30 octobre (1922), l’Italie n’eut pas seulement un gouvernement : elle eut une dictature ». (10) L’impossibilité d’un basculement net vers l’autoritarisme d’état est une différence de taille entre l’Italie d’il y a cent deux ans et celle d’aujourd’hui. Désormais, les leaders autoritaires doivent avancer masqués s’ils veulent garantir leur survie politique. Tenir un double discours, ronger patiemment l’Etat de droit et la liberté de la presse reste la solution envisagée par le gouvernement Meloni pour assurer son maintien au pouvoir. De tous temps, l’Italie a été le laboratoire politique de l’Europe. À ce titre, l’exemple mélonien mérite d’être observé attentivement pour ce qu’il est : une réalité prémonitoire, un miroir grossissant de l’évolution des droites européennes.

(1) Post Instagram de Serena Bortone, 20/04/2024. Le texte de Scurati a été publié dans le quotidien La Repubblica : « Il testo di Scurati censurato dalla Rai: “Governo Meloni post fascista, vuole riscrivere la storia » ». Une version française en a été lue à l’occasion de la remise du Prix Mare Nostrum le 27 avril 2024, à deux pas de l’hôtel de Ville de Perpignan, ville dirigée par le Rassemblement national depuis quatre ans (vidéo youtube « Antonio Scurati lit à Perpignan le monologue censuré par la RAI »).

(2) Post Facebook de Giorgia Meloni, 20/04/2024.

(3) Usigrai.it ; communiqué du 21/04/2024 lu en direct dans différents journaux télévisés de la Rai ; « Comunicato sindacale Usigrai in onda nei tg e gr del 21 aprile ».

(4) Commission.europa.eu ; « 2024 Rule of Law Report – Country Chapter Italy », publié le 24/07/2024.

(5) ilgiornale.it ; article de Domenico Di Sanzo, 30/07/2024, « Cronisti di Repubblica, Stampa, Fatto e Domani hanno dipinto l’Italia come un Paese autoritario ». Dernier exemple en date de l’agression d’un journaliste par des activistes de droite radicale, le journaliste du journal italien La Stampa Andrea Joly agressé par plusieurs militants de l’entité fasciste CasaPound à Turin le 20 juillet 2024. Comme on peut le lire dans l’article, Giorgia Meloni a exprimé son soutien au journaliste agressé, promettant de suivre de près l’évolution de l’enquête policière et judiciaire.

(6) Fanpage.it ; article et vidéo publiés le 13/06/2024 ; « Saluti romani, inni al Duce e “Sieg Heil”: dentro Gioventù nazionale, il movimento giovanile di Fratelli d’Italia ».

(7) Déclarations à la presse de Giorgia Meloni, Bruxelles, 28/06/2024 à l’issue du sommet européen des 27 et 28 juin 2024, cf.vidéo youtube,passage à 11min30.

(9) Ensemble n°112, décembre 2023; H. Le Paige, « Meloni ou l’hybridation idéologique ».

(10) E. Gentile, Soudain le fascisme – La marche sur Rome, l’autre révolution d’octobre, 2015, Gallimard.

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