dossier élections 2024

T. Bodson (FGTB) : « Maintenir l’index, augmenter les salaires »

Le président de la FGTB revient sur le bilan de la coalition Vivaldi et évoque les enjeux des élections de 2024.

« Les partis progressistes savent que la FGTB n’acceptera pas qu’ils entrent dans un gouvernement qui ne modifierait pas en profondeur la loi de 96 ».
« Les partis progressistes savent que la FGTB n’acceptera pas qu’ils entrent dans un gouvernement qui ne modifierait pas en profondeur la loi de 96 ».

Président de la FGTB-ABVV depuis 2020, Thierry Bodson, a commencé son parcours syndical comme responsable du service chômage de la FGTB Liège-Huy-Waremme. Sans doute est-ce là la source de sa connaissance des situations concrètes des sans-emploi et de sa volonté de les défendre dans toutes les fonctions qu’il a occupées ensuite. Adjoint du secrétaire régional de la FGTB Liège-Huy-Waremme de 1994 à 2002, il occupa lui-même ce poste de secrétaire régional de 2002 à 2008 et fut donc aux premiers postes lors de l’adoption de la chasse aux chômeurs de 2004. Il devint ensuite secrétaire général de l’interrégionale wallonne de la FGTB en 2008, où il est resté jusqu’à sa désignation à la tête du niveau national du syndicat en 2020. Il n’a jamais hésité à plaider pour des coalitions les plus progressistes possibles tout en ne manquant pas de critiquer les partis qui acceptaient des mesures contraires aux intérêts des travailleuses et travailleurs, avec et sans emploi. Nous lui avons demandé son bilan de la coalition Vivaldi et la façon dont il percevait les enjeux électoraux et post-électoraux de 2024.

Ensemble ! : En tant que syndicaliste, quel bilan tirez-vous de la législature fédérale écoulée ?

Thierry Bodson : Pour commencer par du positif, on a quand même vu avec la « Vivaldi » une différence dans le bon sens du terme par rapport à la coalition précédente, la « suédoise ». (1) Tout n’a pas été parfait, loin de là. Mais, sur la forme, en termes de concertation sociale, il y a eu un véritable retour de celle-ci et une prise en compte à certains moments des positions des organisations syndicales, ce qui n’était pas du tout le cas avec la suédoise. Sur le fond, il y a eu du positif aussi. En ce qui concerne la Sécurité sociale, la dotation d’équilibre (2) est désormais structurelle, la norme de croissance en soins de santé à 2,5 % est une réalité. L’augmentation de la pension minimum est une avancée intéressante, qu’il faut acter. Malheureusement, cela passe par des calculs qui en compliquent l’accès. C’est une constante que l’on observe de façon transversale dans ce bilan : il y a un certain nombre d’avancées mais avec des restrictions imposées par la droite de ce gouvernement. La droite a obtenu notamment la limitation de la prise en compte des périodes assimilables pour le calcul de la carrière donnant droit à une pension complète. Elle a décroché aussi des succès (favorables aux patrons) en matière de flexibilisation accrue du marché de l’emploi, qu’il s’agisse de l’élargissement des flexi-jobs ou de celui du travail étudiant.

Vous épinglez d’autres points négatifs en Sécurité sociale ?

Oui, malheureusement. Les interlocuteurs sociaux avaient rendu un avis unanime sur les exonérations de cotisations ONSS (à vie sur le premier engagé et temporairement pour les cinq suivants). Nous demandions de limiter la période pour le premier travailleur à un maximum de trois ans par exemple et que cela ne concerne que ce travailleur (et pas le travailleur 1 ad vitam même si ce n’est plus le premier qui a été à ce poste). Ces cadeaux sont maintenus même si l’entreprise se porte comme un charme. À nouveau, c’est le MR qui s’est opposé seul à cette limitation, alors que nous avions conclu un accord avec les patrons là-dessus ! Nous avons néanmoins obtenu que les exonérations pour les travailleurs suivants ne concernent plus que trois travailleurs (et non plus cinq) à partir du 1er janvier 2024. Mais, si nous avions été suivis, cela aurait représenté, en rythme de croisière, un milliard d’euros de rentrées supplémentaires ! Autre point négatif, concernant la limitation à trois ans des allocations d’insertion, alors que nous avons obtenu une kyrielle de décisions favorables aux chômeurs devant les juridictions du travail, le gouvernement n’a pas jugé bon de modifier la réglementation. Ce n’est pas seulement regrettable, c’est incompréhensible vu le nombre de décisions de justices obtenues dans le sens du droit aux allocations.

D’autres griefs à formuler envers la Vivaldi ?

Un grand regret restera aussi l’absence de réforme fiscale qu’on ne peut imputer à l’ensemble de la Vivaldi mais bien, là aussi, au seul MR.

La réforme proposée était tout de même timide, non ?

La réforme prônée par le ministre des Finances Vincent Van Peteghem n’était certainement pas celle que la FGTB aurait espérée mais, si elle était passée, cela aurait tout de même été un progrès. Il y avait peu de négatif dans ce projet même s’il y manquait pas mal de choses : sur l’impôt des sociétés, sur la globalisation des revenus, sur la réinstauration de tranches à 55 % quand on dépasse des revenus de 8 ou 9.000 euros par mois. Mais il y avait néanmoins un rééquilibrage de la taxation entre les revenus du travail d’une part et les autres revenus d’autre part, rééquilibrage à l’avantage des premiers. Le renoncement à cette réforme est donc un immense point noir de ce gouvernement.

Le bilan est donc fort contrasté !

En effet. Nous ne nions pas par exemple qu’il a fallu l’aide du gouvernement pour augmenter les salaires minimums. Lors de l’accord interprofessionnel de juin 2021, les interlocuteurs sociaux se sont mis d’accord pour augmenter le revenu minimum mensuel moyen garanti interprofessionnel (RMMMG). C’est une avancée majeure. Cette augmentation a été prévue en trois étapes, dont la seconde vient d’avoir lieu au 1er avril 2024 (la prochaine en 2026). Au 1er avril 2024, le RMMMG a passé pour la première fois la barre des deux mille euros (2.029,88 €). Et, contrairement à ce qu’on pense souvent, remonter le salaire minimum ne profite pas qu’à ceux qui y sont. La borne salariale de la réduction structurelle des cotisations pour les très bas salaires augmente aussi. Pour le dire plus simplement, lorsque 70.000 personnes au RMMMG voient leur salaire remonter, plus de 250.000 autres travailleurs qui sont un peu au-dessus (jusqu’à 2.900 € bruts) voient aussi leur salaire revalorisé de 1 à 49 euros (montant dégressif selon le salaire) !

Thierry Bodson (à droite sur la photo) : « Le bilan de la Vivaldi est fait d’avancées et de points noirs ».
Thierry Bodson (à droite sur la photo) : « Le bilan de la Vivaldi est fait d’avancées et de points noirs ».

La question des salaires justement a aussi été souvent à l’ordre du jour…

Oui et, malheureusement, les partis progressistes du gouvernement n’ont pas réussi à faire en sorte de découpler la négociation sur l’enveloppe bien-être (Lire Ensemble ! n°110, p. 76) de celle sur la marge salariale. Ce qui est un autre gros point négatif étant donné la façon dont la loi de 96 (Lire l’encadré) bloque la négociation des salaires. Les partis progressistes savent que la FGTB n’acceptera pas qu’ils entrent dans un gouvernement qui ne modifierait pas en profondeur la loi de 96 et qui ne reviendrait pas au minimum à la version d’avant 2017, quand elle avait été durcie par la suédoise. L’Organisation internationale du travail (OIT) a d’ailleurs posé des questions à la Belgique sur cette loi et notre pays n’y a pas encore répondu. L’OIT considère en effet que cette loi interfère trop dans la négociation et qu’elle doit être modifiée afin de remédier à ce problème.

Vos priorités en matière de salaires pour l’après élections ?

La FGTB exige bien sûr le maintien de l’indexation automatique pleine et entière des salaires et ce sans la moindre contrepartie. Elle demande aussi une accélération de l’augmentation du salaire minimum afin de le revaloriser plus vite que la troisième étape de hausse de cinquante euros planifiée pour avril 2026. Nous voulons qu’une concertation sociale digne de ce nom se penche sur la flexibilité accrue du marché du travail, sur le nécessaire encadrement du télétravail et sur l’encadrement de l’utilisation de l’intelligence artificielle dans le travail. Nous revendiquons que la cinquième semaine de vacances annuelles, déjà négociée dans certains secteurs, devienne obligatoire de façon collective pour tous les salariés.

Et quid des fins de carrière ?

Il est urgent qu’il y ait des avancées très fortes en matière de pénibilité au travail. Il y a aujourd’hui 600.000 personnes en invalidité, c’est le symptôme d’un mauvais fonctionnement du système. En effet, même si ce n’est pas la seule cause, il ne faut pas se cacher qu’en invalidité on retrouve un paquet de travailleurs et travailleuses de 55 ans et plus qui ont des métiers lourds et n’en peuvent plus. Il faut donc plus de possibilités d’aménagement des fins de carrière. Étant donné qu’il n’y a plus de possibilités de prépensions, ces travailleurs n’ont plus que l’invalidité comme échappatoire, ce qui est contreproductif car, s’il y avait des formules d’aménagement et/ou de réduction du temps de travail, certains de ces travailleurs et travailleuses pourraient continuer à être actifs et actives pendant quelques années supplémentaires. Nous essayons de convaincre les employeurs que ce serait du win-win : ils se plaignent, parfois à juste titre, d’avoir des difficultés à trouver de la main-d’œuvre et il y a là des travailleurs expérimentés et disponibles qui, si on prenait des mesures pour adoucir leur fin de carrière, pourraient encore bosser par exemple à temps partiel.

Le raisonnement vaut aussi évidemment pour les pensions : nous revendiquons le retour de l’âge légal de la retraite à 65 ans et, en attendant, qu’il y ait des aménagements pour toute une série de métiers lourds et/ou pénibles. Car force est de constater qu’il n’y a eu aucune avancée sur la pénibilité alors que c’était censé être le pendant du relèvement à 67 ans et de la suppression des prépensions. Dans le reste de la Sécu, nos revendications historiques sont toujours d’actualité : nous demandons que les allocations sociales les plus basses soient au moins à 110 % du seuil de pauvreté et que le statut cohabitant soit supprimé.

Qu’en est-il de la fiscalité ?

La réforme fiscale que nous prônons consiste pour l’impôt des personnes physiques à mettre en place une globalisation des revenus et à rétablir les tranches à 52,5 et 55 % pour la partie de revenus imposables dépassant 8.000 ou 9.000 euros mensuels, tranches supprimées par Didier Reynders en l’an 2000. (3) Il s’agirait aussi de ne plus permettre que des professions libérales se mettent en société pour des raisons uniquement fiscales. Concernant l’impôt des sociétés, il faut que l’on revienne à un impôt de 35 % sur les bénéfices des entreprises qu’on peut qualifier de surprofits et que l’on supprime la flopée de niches fiscales afin que l’impôt des sociétés de base soit vraiment de 25 % minimum et qu’il ne soit plus possible que de grandes entreprises comme Interbrew ne paient pas ou presque pas d’impôts.

Plus largement, au niveau économique, la FGTB demande qu’il y ait une accélération des investissements publics orientés vers l’économie bas carbone, la transition juste, pour permettre aux entreprises de s’adapter mais aussi d’assurer obligatoirement une formation aux travailleurs et travailleuses afin qu’ils ne soient pas laissés de côté par ces évolutions. Signalons à cet égard qu’actuellement les patrons râlent très forts car le ministre du Travail Dermagne a mis en place une procédure de contrôle très strict des obligations des entreprises en matière de formation. Ils se plaignent que cela provoque une surcharge administrative mais c’est pourtant la voie à suivre : il faut obliger les employeurs à respecter les cinq jours de formation minimum par an qu’ils doivent fournir à leurs travailleurs et travailleuses.

Pour l’après élections, que pensez-vous de deals qui sont évoqués tels que la révision de la loi de 96 contre des sauts d’index ou la limitation à deux ans des allocations de chômage contre la suppression du statut cohabitant ?

Il est évidemment hors de question d’accepter des deals de ce type. Outre que ce serait inacceptable sur le principe, des études aux niveaux micro comme le baromètre de la FGTB et macro telles que de nombreuses études internationales ont montré que la limitation dans le temps des allocations de chômage n’a jamais rien réglé en termes d’emploi. En outre, quand on pointe le caractère illimité des allocations, on oublie de dire que, dans les pays voisins, on ne laisse pas mourir de faim les gens en fin de droit au chômage. D’autres systèmes d’aide sociale prennent le relais. La particularité en Belgique est que cela représenterait un transfert de la Sécurité sociale fédérale vers l’aide sociale communale, ce qui est une forme de régionalisation de la Sécu qui ne dit pas son nom. Tout cela dans un contexte où la richesse créée par l’activité économique est de plus en plus orientée vers la rémunération du capital et de moins en moins vers la rémunération des travailleurs. De tels deals ne feraient qu’amplifier ces mouvements qui vont dans le mauvais sens. D’autant plus si on doit entrer dans le cadre budgétaire dans lequel on est en train de nous enfermer au niveau européen, avec le retour aux critères de Maastricht et sa logique d’austérité. En rythme de croisière, cela signifierait, pour un pays comme la Belgique, un effort budgétaire s’élevant à trente milliards d’économies, soit plus de 10 % du budget de l’État, ce qui serait évidemment intenable. Cela provoquerait un saccage social. Ce contexte justifie d’autant plus une réforme fiscale qui permette de travailler aussi à une augmentation des recettes et pas seulement à la sempiternelle réduction des dépenses.

Quelles seraient les coalitions idéales pour la FGTB ?

En termes de coalitions, il faut bien constater que le PTB est exclu de toute coalition, par les autres mais par lui-même aussi, étant donné qu’il met la barre tellement haut qu’il rend impossible sa montée au pouvoir. Dès lors qu’il est bien sûr exclu de gouverner avec l’extrême droite, il se posera une seule question après les élections : fait-on un gouvernement avec ou sans la N-VA ? Si le VB et le PTB représentent à eux deux quarante à quarante-cinq des cent cinquante députés, il faudra trouver une majorité parlementaire d’au moins quatre-vingts parmi les cent cinq ou cent dix restants. Donc, si on fait un peu de politique fiction, qu’est-ce qu’on va examiner au soir des élections ? Au nord du pays, combien font la N-VA et le VB ensemble ? Et, au sud du pays, le MR est-il contournable ?

Et pourrait-on imaginer que côté francophone des coalitions progressistes se mettent en place néanmoins avec le PTB ?

Je suis l’un des seuls à avoir plaidé plusieurs fois en ce sens mais je vois bien que je prêche dans le vide…

La loi de 1996

Tous les deux ans, le gouvernement fédéral fixe une norme salariale, c’est-à-dire la marge d’augmentation légalement possible des coûts salariaux. C’est la « loi du 26 juillet 1996 relative à la promotion de l’emploi et à la sauvegarde préventive de la compétitivité », modifiée et adaptée par la « loi du 19 mars 2017 portant modification de la loi du 26 juillet 1996 relative à la promotion de l’emploi et à la sauvegarde préventive de la compétitivité » , qui constitue la base légale de cette possibilité de limiter de façon préventive l’évolution possible des coûts salariaux en Belgique à l’évolution attendue des coûts salariaux chez nos principaux partenaires commerciaux que sont l’Allemagne, les Pays-Bas et la France. Cette norme salariale pose un carcan sur la négociation collective des salaires entre les interlocuteurs sociaux.

Les syndicats, dont la FGTB, réclament le retour à la liberté de négociation des interlocuteurs sociaux. Le 11 novembre 2022, l’Organisation internationale du travail (OIT) a adressé une recommandation claire à la Belgique indiquant que cette loi de 1996 violait cette liberté fondamentale.

La FGTB dénonce aussi le fait que, concrètement, ce blocage des salaires et de la négociation sur leur augmentation :
– prive les travailleuses et travailleurs de leur dû en ne répercutant pas dans les salaires l’augmentation de leur productivité
– se base sur une comparaison erronée puisque les subventions salariales et les mesures de réduction des coûts salariaux du tax shift ne sont pas prises en compte dans cette comparaison.

(1) La suédoise est le nom donné à la coalition de droite constituée en octobre 2014 par le libéral francophone (MR) Charles Michel. La composition de cette coalition (N-VA / MR / CD&V / Open VLD) était inédite, intégrant pour la première fois au niveau fédéral la N-VA, et comportant une large majorité des députés qui forment le groupe linguistique néerlandophone de la Chambre des représentants, mais une minorité seulement de ceux composant le groupe linguistique francophone de l’assemblée. Cette coalition chute en décembre 2018.

(2) La dotation d’équilibre est une dotation de l’État qui comble l’écart entre le financement de base de la Sécurité sociale et les dépenses effectives de celle-ci. Le montant de la dotation d’équilibre du régime des salariés s’élève à 7.142.964.000 euros pour l’année 2024 et celle du régime des indépendants à 760.741.000 euros.

(3) La globalisation des revenus consiste à taxer l’ensemble des revenus, y compris par exemple les revenus locatifs, alors qu’actuellement ce sont principalement les revenus du travail qui sont imposés. Rétablir les tranches à 52,5 et 55 % pour la partie de revenus imposables dépassant 8.000 ou 9.000 euros mensuels signifie que si, par exemple, quelqu’un gagne 12.000 euros par mois, il paierait 52,5 % d’impôts sur la tranche entre 8.000 et 10.000 euros et 55 % sur la tranche entre 10.000 et 12.000 euros.

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