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Service citoyen : des expériences contrastées

Regards croisés sur deux expériences de la version actuelle du Service citoyen. Où l’on verra que, comme pour beaucoup de situations de travail, le fait que la personne qui bricole sa survie se dise « contente » ne suffit pas à en faire une situation digne et légitime…

L’avant-projet de loi est le résultat d’un lobbying de la plateforme dont le discours était clairement de dire que le Service citoyen, ce n’est pas la même chose que le volontariat et qu’ils militaient pour obtenir un autre statut, mieux rémunéré. (Tweet du 10.10.23)
L’avant-projet de loi est le résultat d’un lobbying de la plateforme dont le discours était clairement de dire que le Service citoyen, ce n’est pas la même chose que le volontariat et qu’ils militaient pour obtenir un autre statut, mieux rémunéré. (Tweet du 10.10.23)

Alice et Matthieu (prénoms d’emprunt) sont en couple et ont aujourd’hui la petite vingtaine. Ils ont tous les deux vécu assez récemment une expérience de Service citoyen. De manières pour le moins contrastées. Il nous a semblé intéressant de recueillir leur témoignage qui éclaire de façon croisée comment ce dispositif fonctionne actuellement (et donc avant l’éventuelle entrée en vigueur du projet Dermagne). Les expériences qu’ils relatent éclairent à la fois les motivations qui poussent actuellement des jeunes vers le Service citoyen (s’engager, décrocher une expérience professionnelle, avoir un complément financier…) et la diversité de leur ressenti par rapport à celles-ci. Elles posent aussi question sur la vision du monde du travail (et de la protection sociale) que ce type de non-statut induit pour les jeunes. Ces récits décrivent donc bien une situation actuelle et non ce que pourrait devenir le « Service citoyen » si l’avant-projet de loi était adopté. Ils ne préjugent donc pas, par exemple, du développement possible d’obligations pour des jeunes de s’engager dans de tels dispositifs pour ouvrir ou maintenir leur droit au Revenu d’Intégration, à une allocation d’insertion ou au chômage.

Ensemble ! : Alice, c’est vous qui vous êtes lancée la première dans le Service citoyen. Comment avez-vous connu cette activité ?

Alice : J’avais commencé l’unif mais j’ai arrêté très tôt, ça ne me convenait pas. Et je n’avais pas trop d’idée sur que faire d’autre. J’ai vu une pub sur Instagram dans laquelle un mec que je connaissais apparaissait. Cela m’a intriguée et je me suis demandé de quoi il était question. Et c’était donc une pub pour le Service citoyen. J’ai contacté le gars qui m’a un peu expliqué et m’a conseillé d’aller à une séance d’info de l’assoc qui s’appelle « Plateforme pour le Service citoyen ».

Matthieu : Je rajoute qu’ils font beaucoup de com’, sur les réseaux bien sûr mais aussi dans le métro. Difficile de ne pas tomber sur une de leurs pubs.

A. : Moi j’étais donc en année sabbatique et je me suis dit que ça valait le coup de se renseigner. J’ai donc pris contact et ai été invitée à une séance d’info. Nous n’étions pas très nombreux. Des membres du staff nous ont présenté le projet de Service citoyen, son fonctionnement, etc. A la fin, on nous invitait à remplir, soit sur place soit en ligne, un formulaire pour participer à la « promotion » suivante. Une promotion, c’est un groupe de jeunes en Service citoyen.

Qu’est-ce qui vous a poussés à franchir le pas ?

A. : Je n’avais pas grand-chose à faire et mon père était derrière moi, en mode « Tu dois pas rester inactive ». Le mec de la pub m’avait fait un excellent retour, je me suis dit « Pourquoi pas ? ». J’ai donc regardé quelles activités étaient proposées et j’ai vu qu’il y en avait plusieurs en rapport avec le théâtre, ce qui m’attirait beaucoup. Ça semblait sympa et ça pouvait constituer une chouette expérience. J’ai donc rempli le formulaire en ligne. On te demande tes centres d’intérêt, si tu as déjà une idée dans quelle assoc tu voudrais t’engager…

M. : J’ai aussi subi la pression familiale quand j’ai pris ma « pause » études. Et, quand je me suis renseigné à mon tour, la Plateforme avait développé une carte interactive montrant où étaient les assocs. Il y avait des bulles de couleur selon le domaine d’activité : éducation par le sport, aide aux personnes handicapées, etc. C’est très bien fait.

A. : Ensuite j’ai été recontactée pour une rencontre avec l’un des deux « responsables de promotion ». Celui-ci pose des questions beaucoup plus précises sur tes attentes. J’ai expliqué que le théâtre m’attirait et que je pensais aussi à essayer la menuiserie, que donc quelque chose dans ces domaines me tentait. Il m’a répondu qu’il avait pile le projet qu’il me fallait : un atelier de construction de décors de théâtre ! Évidemment, tous les jeunes n’ont pas une idée aussi précise de ce qu’ils veulent ou bien l’ont mais sans offre correspondante. Pour moi, c’était nickel, le matching parfait !

Ensuite, vous rencontrez « l’utilisateur » j’imagine ? C’est un peu comme un entretien de recrutement ?

A. : Si on veut, mais en plus light bien sûr. Ce n’est pas un entretien où l’on doit « vendre » ses qualités. C’est une rencontre avec l’organisme d’accueil (on ne dit pas utilisateur) et dans celui-ci avec le tuteur (c’est le terme pour la personne qui sera responsable de toi sur place pendant le service) qui t’explique comment l’atelier fonctionne, les horaires, le type de tâches, si on se sent de faire ça… Ensuite, il y a un délai de réflexion de minimum vingt-quatre heures après lequel chaque partie accepte ou pas cette espèce de « semi-contrat », ce qu’ils appellent une « mission ». La Plateforme insiste beaucoup sur ce délai de réflexion et sur le fait qu’il faut dire si ça ne nous convient pas.

Il y a un contrat qui est signé ?

M. : Pas vraiment. On signe une « Convention de volontariat dans le cadre du Service Citoyen » car l’activité s’effectue dans le cadre de la loi de 2005 sur le volontariat. (lire ci-dessous) D’autre part, pour être dispensé de recherche active d’emploi par Actiris et obtenir une évaluation positive de son stage d’insertion, il faut prester au moins vingt-huit heures semaine pendant six mois. C’est ce qui explique ce statut un peu bâtard entre occupation bénévole et emploi. Là où moi j’ai presté, il y avait des « vrais » bénévoles qui venaient quatre heures par semaine, une seule journée. Alors que moi je me retrouvais à vraiment travailler, vingt-huit heures sur quatre jours semaine.

La « Convention de volontariat dans le cadre du Service Citoyen » stipule que la plateforme « fait appel aux services du/de la Jeune en Service Citoyen en dehors de tout contrat de travail dont le lien de subordination et la rémunération propres à cette relation de travail sont ici expressément écartés ».
La « Convention de volontariat dans le cadre du Service Citoyen » stipule que la plateforme « fait appel aux services du/de la Jeune en Service Citoyen en dehors de tout contrat de travail dont le lien de subordination et la rémunération propres à cette relation de travail sont ici expressément écartés ».

A. : Et ce pendant six mois, avec tout de même dix jours de congé défrayés…

Vous étiez conscients que le défraiement quotidien était en fait calculé en prenant le maximum annuel divisé par le nombre de jours (cinq jours semaine pendant six mois) ?

M. : La Plateforme explique clairement que le Service citoyen est une institution jeune, qui fonctionne pour l’instant dans un cadre qui ne lui est pas adapté spécifiquement dont ils veulent à l’avenir sortir pour obtenir un statut propre, avec une meilleure indemnisation.

A. : Par ailleurs on te prévient que, si tu fais tes six mois, tu ne pourras plus ou quasi plus faire de volontariat ailleurs durant le reste de l’année car tu auras atteint le maximum autorisé ou presque. Et le discours est clairement de dire que le Service citoyen, ce n’est pas la même chose que le volontariat et qu’ils militent pour obtenir un autre statut, mieux rémunéré.

M. : À ma séance d’info, il y avait un gars, dans une situation familiale difficile, qui voulait se lancer dans le Service citoyen parce qu’il avait besoin de thunes et il lui a été clairement dit qu’il ne fallait pas s’engager pour la rémunération car celle-ci était trop limitée. Il lui était explicitement déconseillé de venir si c’était dans un but lucratif.

Mais finalement on vous présente davantage un engagement pour la collectivité ou une forme de mise au travail ?

A. : Moi je trouve que la dimension engagement sociétal est bien présentée mais, en même temps, tout le monde sait qu’il y a un petit nombre de personnes qui le font pour des raisons principalement ou totalement altruistes mais que, pour beaucoup, il s’agit surtout d’acquérir une expérience. Moi clairement, je l’ai fait pour acquérir des compétences, découvrir un métier, tout en ayant le droit de faire des erreurs sans avoir des obligations de productivité envers un patron. J’avais envie d’aider mais surtout d’apprendre, sans trop d’obligations.

Cela dit, une fois « en service », on attend quand même de vous un certain rendement, non ?

M. : On attend de toi du sérieux, de la ponctualité et une certaine rigueur mais c’est plus une question de respect que de rendement.

A. : Par exemple, on ne m’a jamais demandé de faire des heures sup parce que j’avais été trop lente pour terminer quelque chose. On ne m’en a jamais voulu d’avoir cassé quelque chose, d’avoir trop traîné. On ne m’a jamais laissé seule face à quelque chose non plus, sauf après plusieurs mois.

C’est le tuteur sur place, dans l’organisme d’accueil, qui vous encadre ?

A. : Le tuteur est THE responsable mais, dans les faits, ce n’est pas souvent lui qui vous encadre. C’est plutôt l’un de ses collaborateurs, comme pour moi le sous-chef d’atelier. Le tuteur vérifie de temps en temps si tout va bien.

M. : La particularité de ma mission, c’est que je voulais m’occuper de l’école de devoirs. Mais, comme celle-ci ne fonctionnait que deux heures par jour, c’était insuffisant pour remplir la condition du nombre minimal d’heures (et cela faisait que je voyais peu mon tuteur). Donc j’avais une mission « secondaire » qui, en termes d’heures, était donc la principale, c’était dans la section « aide alimentaire ». Cela aurait pu fonctionner sans moi mais comme le personnel salarié est fort occupé déjà, les tâches déléguées aux volontaires sont remplies par des bénévoles qui sont des personnes porteuses de handicap ou des retraités, relativement « limitées » dans ce qu’elles peuvent faire. Dès lors, même si je n’étais pas indispensable, dans les faits, j’abattais beaucoup de boulot et on me laissait principalement les tâches lourdes (porter les caisses et autres charges).

A. : Le premier jour, on m’a demandé quelle était mon expérience. J’ai répondu « Aucune ». On m’a dit qu’on allait me faire poncer une table. On m’a mis la ponceuse entre les mains, on m’a dit de mettre le casque sur les oreilles et que je pouvais mettre un masque anti-poussière. Le lendemain, on me propose d’utiliser une « défonceuse », une machine portative qui est plutôt dangereuse. Ce n’est pas une scie circulaire mais quand même. J’ai fait une ligne droite avec et j’ai arrêté les frais. Je trouvais tout de même que, dans l’atelier, on ne donnait pas toujours toutes les consignes nécessaires. J’en ai parlé à mon responsable de promotion qui m’a remercié, en disant que c’était important pour la suite de ma mission mais aussi pour les jeunes qui viendraient après moi.

Vous vous sentiez traités comme les autres travailleurs ?

A. : Moi j’étais traitée comme quelqu’un en soutien mais qui n’a pas les compétences des autres. Je ne faisais pas le travail de quelqu’un d’autre. Cela n’aurait pas changé grand-chose que je sois là ou non.

Mais vous avez aussi travaillé pendant les spectacles ?

A. : Oui, j’ai aussi bossé en régie. Là si je n’étais pas là, cela aurait été la m… car chacun a son rôle très précis dans les changements de décors. Dans ce boulot-là, si j’avais été absente, quelqu’un d’autre aurait dû le faire.

Que pensez-vous de l’indemnité perçue ? Car, le volontariat pur et dur, il n’est pas nécessairement défrayé.

A. : Je ne l’ai pas fait pour l’indemnité mais je n’ai pas craché dessus bien sûr. Et, pour la régie des spectacles, le théâtre nous donnait un petit quelque chose en plus, en black…

M. : Je trouve que ça montre tout de même que, dans certaines missions, l’organisme d’accueil nous considère, si pas comme un employé, au moins comme un travailleur nécessaire.

A. : Moi j’ai ressenti plus ça comme de l’inclusion dans l’équipe que comme de l’exploitation.

M. : Mouais… Moi j’ai parfois trouvé quand même que c’était un peu de l’exploitation. On a bien profité de mes bras…

Qu’en avez-vous retiré comme expérience ?

A. : Pour moi, cela m’a clairement permis de m’orienter pour la suite. À côté de la mission principale, on a aussi une mission complémentaire. Sur tes six mois, tu dois donc faire pendant au moins deux semaines une autre mission, pour découvrir autre chose. J’ai ainsi fait deux semaines de maraîchage. Et j’ai trouvé ça éreintant, j’ai bien compris que ce n’était pas pour moi. Et j’étais toute contente de retourner à l’atelier. Après ça, je me suis décidée à faire mon apprentissage en menuiserie. J’avais envie de cette expérience et ça s’est bien passé. Matthieu, lui, n’avait pas vraiment envie de la faire et en plus la rémunération était importante pour lui, alors que pour moi c’était secondaire.

M. : Oui moi je savais ce que c’était le monde du travail et d’être payé pour. Et, franchement, je n’ai pas vu une énorme différence entre le boulot pour lequel j’étais payé et celui que je faisais pour le Service citoyen alors que la différence de rémunération était elle abyssale. En plus, moi je savais ce que je voulais faire l’année d’après, alors je n’avais pas non plus la dimension expérience en vue d’une orientation.

Si vous aviez eu juste l’école de devoirs, cela vous aurait davantage plu ?

M. : Sans doute même si ce n’était pas top non plus, faute d’élèves en suffisance. Mais j’ai surtout trouvé que la partie « aide alimentaire » de la mission, c’était vraiment abusé. Il n’était pas rare qu’à quinze heures je n’aie pas encore pu prendre ma pause repas. Pour un bénévolat censé être juste un soutien, je trouve qu’on faisait, au propre comme au figuré, peser beaucoup de boulot sur mes épaules. Je continuais à bosser en Horeca et ça me plaisait davantage. J’ai fini par abandonner un peu avant la moitié des six mois.

Donc tous deux en année sabbatique, avec l’envie d’avoir une activité, une certaine pression familiale, vous avez tenté le Service citoyen. L’aspect financier a joué fort pour Mathieu, peu pour Alice…

A. : Mathieu avait déjà travaillé pas mal, moi jamais à part quelques heures dans une galerie d’art…

M. : Moi j’avais bossé deux fois un mois à l’usine d’embouteillage de Delhaize puis j’ai fait des semaines bien costaudes en Horeca. Et je me suis vraiment dit : quitte à nous donner de vrais horaires, pourquoi ne pas nous donner de vrais salaires ? Et ce n’est pas parce qu’une mission est intéressante, que ça nous fait une expérience, que notre travail ne mérite pas d’être rémunéré correctement.

Ce serait quoi un barème « correct » pour vous ?

M. : On recevait donc 10 € pour une journée de sept heures. Bon moi je travaille surtout dans l’Horeca où le barème n’est pas mirobolant, j’ai 14,20 € par heure. Il faut reconnaître aussi que les contraintes, l’intensité et les responsabilités sont moins fortes que dans un emploi classique, donc on pourrait imaginer un barème un peu en deça… Il n’empêche, on voit quand même que, dans la plupart des missions, on travaille vraiment. Je n’y ai pas vraiment réfléchi mais la moitié d’un salaire, cela me semblerait le strict minimum.

Avez-vous ressenti que vous aviez un lien de subordination envers l’organisme d’accueil, le tuteur ?

M. : Un peu quand même. Surtout pour ceux qui n’ont pas autant d’expérience du marché du travail que moi. Il m’est arrivé de dire « Je vais prendre ma pause » et qu’on me dise « Tu as fini de manger ? Tu peux reprendre ? » alors que j’en étais à seulement quarante-cinq minutes d’une pause censée durer une heure. Évidemment, cela peut varier fort d’un organisme d’accueil à un autre. Mais il me semble que face à un « chef », le jeune n’a souvent pas vraiment les outils pour contester. Certains jeunes m’ont raconté qu’on leur faisait faire des choses que moi je n’aurais pas acceptées. Je dirais que le lien de subordination existe mais qu’il est plus induit qu’imposé. Alice a vécu une expérience particulièrement bonne, moi beaucoup moins sans que ce soit la pire. J’ai entendu des choses bien plus graves. Il faut dire d’ailleurs que la plateforme met fin à la collaboration avec les organismes d’accueil qui exagèrent.

Vous trouvez que l’accompagnement de la plateforme est bon ?

A. : Oui les  responsables de promotion sont au taquet, ils viennent régulièrement aux nouvelles. Il y a aussi une psychologue disponible pour soutenir les jeunes.

M. : En outre, la plateforme offre des journées de formation, comptabilisées et défrayées comme les autres. Ce sont des moments très intéressants qui regroupent tous les jeunes d’une promotion. On peut suivre des formations sur l’écologie, la communication non violente, le genre etc. On a eu notre brevet premiers soins aussi.

A. : Cela tisse des liens avec les autres jeunes. Je me suis fait des vrais potes qui le sont restés. La plateforme fait vraiment beaucoup pour la cohésion et les échanges entre jeunes.

L’avant-projet de loi propose une indemnisation de 550 € par mois…

A. : Pour moi j’étais vraiment perdue après l’arrêt de l’unif, l’expérience m’a beaucoup aidée et j’ai appris plein de choses. Ce n’est vraiment pas l’aspect financier qui a compté pour moi.

M. : C’est clairement mieux que la situation que nous avons vécue. Mais franchement, je n’ai connu personne au Service citoyen qui n’aurait pas mérité de recevoir au moins la moitié d’un vrai salaire…

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