chômage
« Un instrument supplémentaire de précarisation des jeunes »
Nel Van Slijpe, responsable national des Jeunes CSC, dénonce le projet de création d’un « nouveau sous-statut pour les jeunes » sous le label du service citoyen.
Les Jeunes CSC et les Jong ACV ont pris une position nette par rapport à l’avant-projet de loi instaurant un Service citoyen présenté par le ministre Dermagne : « Bien qu’animé des meilleures intentions du monde, l’avant-projet de loi ne prend pas en compte une série de facteurs potentiellement néfastes pour les jeunes et pour le secteur du volontariat (…) dans les faits, le service civil va contribuer à l’éclatement et à la dualisation du marché du travail. Il risque fortement de rentrer en concurrence avec des emplois salariés. Il contribue également à faire le deuil d’un travail normal pour tous les jeunes.». Nel Van Slijpe, responsable national des Jeunes CSC, explique la position de son organisation.
Ensemble ! : Quelle est la position des Jeunes CSC par rapport à l’avant-projet de loi instaurant un Service citoyen ?
Nel Van Slijpe (Jeunes CSC) : Notre position sur cette question n’est pas nouvelle. En 2011, nous avions déjà pris position par rapport à un projet de loi sur ce sujet qui avait été élaboré à l’époque. Nous avons récemment confirmé ces orientations qui restent toujours celles à partir desquelles nous jugeons l’avant-projet actuel. Nous pouvons partager les objectifs proclamés par le ministre de favoriser l’engagement et la solidarité. Par contre, sur l’avant-projet en tant que tel, il y a toute une série de choses qui constituent pour nous des « feux rouges ». Le premier est la création d’un nouveau statut de mise au travail des jeunes, qui n’est ni un statut de volontaire bénévole, ni un statut de salarié classique, ni un statut de fonctionnaire ni même d’indépendant. Ce nouveau statut pour la mise au travail de jeunes rentrerait en concurrence avec les statuts existants de salarié ou de fonctionnaire, qui donnent accès à de vraies rémunérations fixées selon les barèmes, à des droits sociaux ainsi qu’à un encadrement syndical. Cela organiserait le contournement légal des droits sociaux et de la négociation collective. Un dumping social sous le couvert d’un « engagement citoyen », qui constituerait un précédent extrêmement grave. Plutôt que de créer un nouveau sous-statut pour les jeunes, l’État devrait donner plus de moyens aux services publics et au secteur non-marchand, afin de leur permettre de répondre aux besoins sociaux en créant de vrais emplois, payés selon les barèmes et avec toutes les protections sociales qui y sont liées.
Notre second « feu rouge » concerne la concurrence par rapport aux véritables engagements bénévoles. De nombreux jeunes s’engagent bénévolement pour des causes, notamment au sein des jeunesses syndicales ou dans d’autres organisations de jeunesse. L’avant-projet de loi créerait un double standard. Certains jeunes s’engageant sur une base réellement bénévole tandis que d’autres disposeraient d’une « indemnité » de « service citoyen », parce que leur engagement s’inscrirait dans la cadre fixé par le projet de loi et serait reconnu par « l’Agence du Service citoyen ». Si, par exemple, les Jeunes CSC ne sont pas reconnus en tant qu’organisation qui peut organiser ce service citoyen ou si nos militants ne rentrent pas dans les critères pour s’inscrire dans le dispositif, certains risquent de préférer s’engager ailleurs, pour bénéficier de l’indemnité prévue. Pour nous, ce projet est un camouflet. Il existe déjà des dispositifs qui permettent de s’engager pour la collectivité, soit dans le cadre d’un vrai de contrat de travail, soit dans celui d’un véritable bénévolat. Nul n’est besoin de créer un nouveau statut hybride, qui pervertit tant la régulation collective du travail salarié que celle de la notion d’engagement bénévole.
Dans l’avant-projet de loi, il est indiqué que « les activités effectuées dans le cadre d’un service citoyen ne peuvent correspondre à des emplois nécessaires au fonctionnement normal de l’organisme d’accueil ». Est-ce que cela peut être effectif et appliqué ?
Ce sont de belles intentions qui sont proclamées mais, vu le dispositif proposé, je doute qu’elles seraient suivies d’effets. Quand on voit comment ça se passe déjà aujourd’hui sur le terrain pour l’application de la législation sociale classique, pour des jeunes à qui on reconnaît un statut de travailleur intérimaire ou étudiant, il n’y a pas de raison de croire que ce genre de disposition aura un impact réel. Même dans les cas où la législation est bétonnée depuis des années, même dans les situations qui sont dans le champ de la concertation sociale (ce qui ne serait pas le cas pour le service citoyen), il est extrêmement difficile de faire respecter la législation sociale. Quels moyens sont prévus pour le contrôle d’une telle disposition ? Quelle garantie est donnée d’une application stricte ? Avec quelle place et quels moyens d’action pour les organisations syndicales ? Est-ce que, au sein de chaque entreprise concernée, l’ajout de ce nouveau statut précaire ne va pas diviser un peu plus les travailleurs et rendre plus difficile encore le travail syndical pour défendre des droits collectifs ? Poser ces questions, c’est déjà y répondre.
Vous pensez que le caractère volontaire de l’engagement des jeunes dans ce dispositif est réellement garanti ?
Le dispositif est présenté par le ministre comme étant organisé « sur base volontaire », mais il pourrait devenir de facto quasi obligatoire pour certains jeunes. Quels sont les jeunes de 18 à 25 ans qui vont rentrer dans ce dispositif ? Bien souvent pas ceux qui poursuivent des études supérieures, mais plutôt des jeunes qui ont des difficultés à rentrer sur le marché du travail et qui vont se retrouver face à Actiris, au Forem, au VDAB ou au service emploi de leur CPAS, qui risquent de leur dire : « si tu ne trouves pas de travail, on te propose de faire un service citoyen ». Ce « service citoyen » risque donc de devenir un passage obligé pour certains jeunes pour l’accès à des allocations de remplacement ou pour les conserver. Ça ne va peut-être pas être mis en place tout de suite, mais, en tant que Jeunes CSC, nous sommes bien placés pour savoir comment les législations évoluent depuis le début la mise en place de l’État social actif, il y a une vingtaine d’années. La conditionnalité des droits sociaux et la pression sur les jeunes pour accepter des conditions de travail dégradées a considérablement augmenté. Le dispositif prévu risque d’être un instrument supplémentaire de précarisation des droits sociaux des jeunes et de leurs conditions de travail.
- Par Arnaud Lismond-Mertes et Yves Martens (CSCE)