déontologie journalistique

L’info de qualité, c’est l’affaire de tous

Toutes celles et ceux qui se sentent interpellés par la manière dont un média traite l’information peuvent porter plainte devant le Conseil de déontologie. Un droit essentiel, dont les citoyens s’emparent de plus en plus.

Le citoyen choqué par le traitement de l’information réalisé par un média peut déposer une plainte devant le CDJ.
Le citoyen choqué par le traitement de l’information réalisé par un média peut déposer une plainte devant le CDJ.

Pas besoin d’être un spécialiste des médias pour être acteur en matière de déontologie journalistique : toute personne physique ou morale estimant qu’une pratique journalistique est contraire à la déontologie peut déposer une plainte devant le Conseil de déontologie journalistique (CDJ).

Cette approche non restrictive tranche avec celle en vigueur dans les conseils de presse de nombreux pays européens, où seule la personne directement concernée par la faute journalistique présumée peut introduire une plainte. Pour l’AADJ (Association pour l’Autorégulation de la Déontologie Journalistique), l’association qui organise le Conseil de déontologie, la réflexion sous-jacente est qu’une plainte introduite sans aucun intérêt personnel est emblématique de l’intérêt du citoyen à l’égard de la presse, en devenant en quelque sorte acteur de l’information et aidant à faire progresser la déontologie. « Ce choix est révélateur de l’approche éthique adoptée par le CDJ : elle se situe moins du côté d’une éthique journalistique ancrée sur la production et la « punition » de la faute, que du côté d’une éthique de l’information pensée en lien avec le public. Ce choix apparaît également révélateur d’une tentative de rechercher des liens et des interactions avec le public : à une époque d’extrême méfiance à l’égard des médias et d’espaces publics multiformes, donner la possibilité au public d’interagir avec le journalisme par le biais de l’autorégulation demeure une des manières d’éviter que le fossé entre public et médias se creuse davantage »analysent Lavinia Rotili et Charlotte De Condé, assistantes en journalisme (UCL) (1).

Les plaignants sont en majorité (68% pendant la période 2019-2021) des citoyennes et des citoyens ordinaires. Ce phénomène reflète sans doute deux faces d’une même médaille : d’une part, il révèle la méfiance du public à l’égard du système médiatique ; de l’autre, son intérêt pour le traitement médiatique de l’actualité.
C’est précisément pour protéger ce droit du public à la remise en question des médias que le CDJ a choisi de maintenir la possibilité, pour tout citoyen interpellé par le traitement médiatique de l’actualité (et ce sans être nécessairement directement concerné par l’article ou le sujet audiovisuel), d’introduire une plainte devant le Conseil de déontologie. La seule condition qui s’impose aux plaignants est le respect d’un délai : la plainte doit être déposée au plus tard endéans les deux mois suivant la date de parution ou de diffusion de la production journalistique visée par la plainte.

Des plaignants « interpellés » par le traitement de l’info

Les citoyens ordinaires portent plainte principalement en tant qu’auditeurs/lecteurs (30 avis sur les 110 avis liés à une plainte) qui se sentent « simplement » interpellés par la manière dont une actualité a été traitée, ou parce qu’ils ont été directement cités dans l’actualité (23 cas). Il arrive aussi que des plaignants concernés par l’actualité (8 cas) (par « concerné », il faut entendre quelqu’un qui n’est pas affiché dans une production, mais qui se dit concerné par la problématique abordée), et des personnes exposées dans l’article ou l’émission (6 cas) (par « exposé », il faut entendre quelqu’un qui n’est pas nommément cité et n’est donc a priori pas identifiable).

Les personnes morales – partis politiques, syndicats, entreprises privées, institutions, ONG, etc. -, quant à elles, se tournent vers le CDJ lorsqu’elles sont directement citées dans l’actualité (10 cas), ou se sentent concernées par celle-ci (4 cas). Trois personnalités publiques ont porté plainte parce qu’elles étaient concernées par l’actualité, deux parce qu’elles étaient nommément citées.

Les médias portent parfois plainte eux aussi, soit lorsqu’ils sont cités dans l’actualité (6 cas), concernés par celle-ci (2 cas) ou directement exposés (1 cas).
Le CDJ est pour sa part intervenu de sa propre initiative dans trois cas, dont celui concernant la publication, par Métro, d’un « environnement éditorial » publicitaire en faveur d’un parti politique à la Une du gratuit. Au fil du temps le nombre de plaignants agissant en tant que simples citoyens a augmenté : le CDJ constatait déjà cette hausse dans son rapport de 2020 (CDJ, 2021, p.5), et la tendance s’est confirmée depuis lors.

Pourquoi porte-t-on plainte ?

La catégorie d’informations mise en cause qui revient le plus souvent est, sans surprise, celle liée au traitement des affaires judiciaires (21 avis). Suit celle des enquêtes d’investigation/révélations (13 avis), la pandémie de Covid-19 (9 avis) – la période étudiée, comprise entre 2019 et 2021, est évidemment propice à cet égard -, les élections (7 avis), la stigmatisation/incitation à la discrimination (7 avis), et l’exposition de la personne (6 avis). Notons qu’en 2021, plus d’une plainte sur trois (54 sur 146 plaintes déposées) concernait la crise sanitaire, cristallisée sur la polarisation entre vaccinés et non-vaccinés. Les griefs invoqués dans le cadre des plaintes liées au coronavirus concernaient l’ensemble des quatre chapitres du code de déontologie, à savoir le devoir d’informer dans le respect de la vérité, le devoir d’informer de manière indépendante, celui d’agir dans la loyauté, et le respect des personnes. Les thèmes liés au coronavirus et à la vaccination, observe le CDJ dans son rapport 2022, « témoignaient d’une méfiance à l’égard des médias d’une part, et d’une tentative d’instrumentalisation de l’instance pour servir un objectif de nature plus politique, de l’autre. »

En règle générale, cinq griefs à l’encontre du traitement de l’info sont le plus souvent évoqués : ils se réfèrent aux articles 1 (recherche et respect de la vérité et vérification/déformation), 24 (droit des personnes) et 25 (respect de la vie privée) du Code de déontologie journalistique (lire « La quête de la vérité, axe central du travail journalistique »)

(1) « La déontologie belge à l’ère du transmédia : une analyse de la jurisprudence », Lavinia Rotili et Charlotte De Condé, in Recherches en Communication n°54, 7/12/2022. Notons que la période étudiée s’étend de janvier 2019 à décembre 2021, soit sur deux années.

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