médias

Le bon mot pour éviter les maux

Comment, par quels mots, nommer cet « autre » de couleur de peau, d’origine ethnique différente ? Le choix est rarement anodin, et le mot qui apparaîtra comme juste aux yeux des uns ne plaira pas nécessairement aux autres. D’où l’importance de l’échange.

Personne d’origine ethnique différente, personne racisée, Noir, Black, Afro-descendant, personne issue de la diversité, personne de couleur, personne noire, personne d’origine musulmane ou maghrébine, etc. : quel mot choisir pour parler des « autres » dans les médias ? La multiplicité des expressions, plus ou moins malhabiles, prouve la difficulté de l’entreprise. Un mot pourra être jugé adéquat en toute bonne foi par un journaliste, mais blessant pour son lecteur ou le téléspectateur. Tel autre, factuellement correct, pourra apparaître réducteur par les principaux concernés.
Noir. « Tel a été le mot le plus utilisé par la RTBF pour qualifier George Floyd après son décès, explique le journaliste Simon Bourgeois (1). Il a des avantages mais aussi des inconvénients. » Le problème, c’est qu’il renvoie à un imaginaire négatif et qu’il véhicule une série de clichés. « Dans les médias,appuie la militante Mireille-Tsheusi Robert, les personnes noires sont très souvent présentées (à part dans le sport et la culture) dans des postures agressives, en situation de pauvreté, d’humiliation, cela renforce l’idée, inconsciemment, dans la tête des téléspectateurs que noir = misère, soumission, délinquance, … » Ce n’est pas le mot en tant que tel qui pose problème mais sa charge symbolique. Et, même si les mentalités évoluent, même si les journalistes n’entendent connoter ce mot d’aucune couleur négative, sa signification stigmatisante demeure, car il reste associé à trop de clichés.

« Le mot parfait n’existe pas, confirme Dido Lakma, de l’ASBL Change, et coordinateur de la manifestation antiraciste du 7 juin dernier dans la foulée du meurtre de George Floyd. Même au sein de la communauté subsaharienne (vous voyez, j’utilise ce terme pour ne pas inclure les Maghrébins, par exemple), on a des positions différentes, tout le monde n’est pas d’accord. Certains veulent qu’on les appelle ‘‘afro-descendants’’, d’autres préfèrent le mot ‘‘noir’’, il n’y a pas de consensus », peut-on lire dans l’article « Comment nommer les personnes noires dans les médias ».
Par les mots qu’ils utilisent pour désigner les personnes dont ils parlent, les journalistes commettent donc souvent, et sans s’en rendre compte, des « micro-agressions », pour reprendre les termes de la journaliste Djia Mambu, auteure du livre « Peau noire, médias blancs » (2), dans une interview accordée à Axelle Mag (3). « J’ai décidé d’en faire une publication (…) Pointer ce problème du doigt, cela permet déjà d’en prendre conscience. »

« Comment je m’appelle ne peut être déterminé par moi seulement ou l’autre seulement : c’est un échange. »

« Il n’y a aucun problème de dire de quelqu’un qu’il est noir, mais parfois je me demande pourquoi c’est précisé. »

« Il est nécessaire de trouver les mots justes qui soient partagés et acceptés par tous, insiste Mireille-Tsheusi Robert, militante antiraciste et présidente de l’ASBL Bamko. L’appellation, ce sont les autres t’appellent, mais toi aussi qui t’appelles. Comment je m’appelle ne peut être déterminé par moi seulement ou l’autre seulement : c’est un échange. Pendant longtemps, on ne nous a pas, nous, les personnes noires, fait entrer dans cet échange. Se sommer fait partie du processus de résilience. C’est pour cela qu’il est nécessaire, aujourd’hui, que les médias soient attentifs à la manière la plus respectueuse de nommer les personnes. » (1)

Photographe Journaliste
Photographe Journaliste

Outre le choix du mot juste, respectueux et accepté par les principaux concernés, le challenge est celui-ci : ne pas ramener constamment une personne à sa condition raciale, sa couleur de peau, ses origines, tout en évitant de minimiser l’importance de cette réalité et l’impact qu’elle peut avoir, la stigmatisation qu’elle peut refléter. Dans un sujet où un journaliste fait intervenir un témoin issu de la diversité dans un sujet d’ordre « général », il n’est pas nécessaire de préciser, que ledit témoin est noir, jaune ou d’origine arabe : « Il n’y a aucun problème de dire de quelqu’un qu’il est noir, mais parfois je me demande pourquoi c’est précisé, s’interroge la journaliste Djia Mambu, auteure du livre « Peau noire, médias blancs ». Quand on parle d’un blanc, on ne dit pas qu’il est blanc. » Certes. En revanche, les origines ethniques ou la couleur de peau sont parfois des informations essentielles sans lesquelles il n’est pas possible de comprendre ce qu’il se passe.

Dans son livre, Djia Mambu fustige le titre d’un article du Vif/L’Express consacré à la mort de Semira Adamu, cette jeune Guinéenne dont la demande d’asile a été rejetée, et qui est décédée des suites du traitement brutal (le « coussin ») qui lui ont infligé des policiers belges au moment de son expulsion. Le titre en question ? « Semira Adamu, la mort d’une réfugiée » « Cet article aurait pu s’intituler ‘‘Semira Adamu, la mort d’une femme’’ ou ‘‘Semira Adamu, la mort d’une Guinéenne’’, évitant ainsi de déshumaniser l’intéressée en ne l’identifiant que comme réfugiée », estime la journaliste. Nous ne partageons pas cet avis : si cette femme est morte, si les policiers se sont acharnés si brutalement sur elle, c’est précisément parce qu’elle était une étrangère, une candidate réfugiée, bref, un être de peu d’importance. On ne l’a pas tuée parce qu’elle était femme. Ni parce qu’elle était « simplement » Guinéenne, mais parce qu’elle avait eu l’impudence d’espérer une vie meilleure… chez nous.

Les séries télé en mode diversité

Les séries télé en mode diversité
Les séries ont le vent en poupe, et les auteurs belges sont en veine d’inspiration. Dans ce domaine aussi, les esprits évoluent.
Le Fonds Séries de la FWB-RTBF soutient le développement et la production de nouvelles séries belges francophones. La FWB, en tant que pouvoir subsidiant et participant au jury de sélection, à part égale avec les représentants de la RTBF, peut refuser de financer un projet qui ne rencontrerait pas ses exigences : cela lui donne un pouvoir d’influence.
« Au lancement du Fonds, en 2013, la question de la diversité n’était pas prioritaire, explique Jeanne Brunfaut, directrice générale adjointe à l’administration générale de la Culture, service général de l’audiovisuel et des médias: notre préoccupation était de faire émerger des auteurs et des producteurs, de stimuler la création. Maintenant, nous sommes en vitesse de croisière, et on nous soumet beaucoup de projets : nous pouvons donc nous permettre d’être plus exigeants. Nous sommes attentifs à ce que les séries donnent à voir la société belge telle qu’elle est, dans toute ses richesses culturelle, historique, sociologique, géographique, etc. Nous veillons aussi, particulièrement, à l’équilibre entre les hommes et les femmes dans la distribution des rôles – et au fait que des rôles principaux soient attribués à des actrices – et aussi, de plus en plus, à la diversité d’origines des acteurs et actrices. » Encore faut-il que cette diversité d’origine ne soit pas instrumentalisée : « Il faut éviter que les acteurs ‘‘racisés’’ soient utilisés pour représenter, par exemple, les difficultés de ‘‘leur’’ communauté : quelle que soit leur origine, ils sont Belges et doivent, à ce titre, incarner ‘‘le Belge’’. » Les projets de séries télé sont soumis à l’approbation du jury du Fonds à chacune des trois étapes de leur fabrication : le développement, l’écriture, la production. Et, à chaque étape, ils peuvent se faire recaler : « Notre jury prend davantage de risques dans la phase de développement, puisque le but, là, est de susciter la création et de financer l’écriture proprement dite. Une fois le développement du projet accepté et subsidié, les auteurs se mettent à écrire, et sont soutenus dans le travail artistique par une équipe de la RTBF, qui les encadre, les aide, les conseille. Ils sont aidés dans leur travail, et payés pour travailler. S’ils se font recaler avant ou après la phase de production, ils ont appris des choses en étant payés pour ce faire – ce qui évite de trop grosses frustrations – et, généralement, ils nous reviennent plus tard, avec un autre projet. »

Impensable aussi, bien sûr, de passer sous silence la couleur de peau de George Floyd : c’est parce qu’il était noir que cet Américain a été tué par un policier… blanc. La cause de sa mort n’est donc pas « simplement » une dérive policière : elle est due au racisme qui gangrène les forces de l’ordre américaines.

(1) « Comment nommer les personnes noires dans les médias ? », par Simons Bourgeois (Inside/RTBF), 24 juin 2020 https://www.rtbf.be/info/inside/detail_comment-nommer-les-personnes-noires-dans-les-medias?id=10527824

(2) Peau noire, médias blancs, DjiaMambu, Ed. Kwandika, 2017

Partager cet article

Facebook
Twitter