Emploi

Reprendre un travail « sur une base volontaire » ?

L’avant-projet de loi indique qu’il organise une forme de reprise du travail des demandeurs d’emploi de longue durée « sur base volontaire ». Pourront-ils vraiment refuser ou abandonner cette forme de mise au travail au rabais sans porter préjudice à leur droit aux allocations ? Nous en doutons.

Le flou qui entoure la « base volontaire » sur laquelle reposerait la reprise du travail révèle à la fois le manque de cohérence du projet et, sans doute, des dissensions au sein de la majorité gouvernementale sur la reconnaissance d’un droit pour les demandeurs d’emploi de longue durée de refuser cette mise au travail.

L’article 2 de l’avant-projet de loi « instaurant les territoires de soutien aux demandeurs d’emploi de longue durée » (1) stipule que celui-ci a pour but de créer un dispositif qui permette à des demandeurs d’emploi de longue durée de reprendre un travail « sur une base volontaire ». (Lire ici) Ce caractère « volontaire » du dispositif est répété dans l’exposé des motifs. Mais il n’est guère explicité ni mis en relation avec la législation et la réglementation de l’assurance chômage et du droit à intégration sociale. La mention de la « base volontaire » du dispositif laisse entendre que le chômeur pourrait refuser ou le travailleur abandonner cette forme de mise à l’emploi sans conséquence sur son droit aux allocations. C’est également ce que nous a confirmé le représentant du cabinet du ministre Dermagne dans l’interview qu’il nous a accordée. (Lire ici)

Contraire au principe même de l’assurance chômage, qui n’indemnise que le chômage involontaire des salariés

Un tel régime serait profondément contraire au principe même d’une part de l’assurance chômage, qui n’indemnise que le chômage involontaire des salariés, d’autre part du droit à l’intégration sociale, qui est résiduaire et ne s’adresse qu’aux personnes qui «ne disposent pas de ressources suffisantes, ni peuvent y prétendre ni être en mesure de se les procurer, soit par ses efforts personnels, soit par d’autres moyens» (2).

La privation involontaire de travail et l’indemnisation du chômage

Le chapitre dédié aux « conditions d’octroi » de l’arrêté royal du 25.11.1991 portant réglementation du chômage commence par une section relative à la « privation involontaire de travail et de rémunération » qui stipule que « Pour pouvoir bénéficier d’allocations, le chômeur doit être privé de travail et de rémunération par suite de circonstances indépendantes de sa volonté. » (art 44) et précise que pour l’application de cet article « est considérée comme travail : (…) 2° l’activité effectuée pour un tiers et qui procure au travailleur une rémunération ou un avantage matériel de nature à contribuer à sa subsistance ou à celle de sa famille. (…) ».

L’article 51, §1er de cet arrêté dispose quant à lui que : « Le travailleur qui est ou devient chômeur par suite de circonstances dépendant de sa volonté peut être exclu du bénéfice des allocations (…) » et que « par « chômage par suite de circonstances dépendant de la volonté du travailleur », il faut entendre : 1° l’abandon d’un emploi convenable sans motif légitime; 2° le licenciement pour un motif équitable eu égard à l’attitude fautive du travailleur; 3° le défaut de présentation, sans justification suffisante, auprès d’un employeur, si le chômeur a été invité par le service de l’Emploi compétent à se présenter auprès de cet employeur, ou le refus d’un emploi convenable; (…) 5° le refus du chômeur de participer ou de collaborer à un plan d’action individuel (…) qui lui est proposé par le service régional de l’emploi compétent; 6° l’arrêt ou l’échec du plan d’action individuel visé au 5° à cause de l’attitude fautive du chômeur (…) ».

L’article 52, §1er de l’arrêté dispose pour sa part que : « Le travailleur peut être exclu du bénéfice des allocations pendant 4 semaines au moins et 52 semaines au plus s’il est ou s’il devient chômeur au sens de l’article 51, § 1er, alinéa 2, à la suite : 1° d’un abandon d’emploi; 2° d’un refus d’emploi ou du défaut de présentation auprès d’un employeur; (…); 4° de l’arrêt ou l’échec d’un plan d’action individuel au sens de l’article 51, § 1er, alinéa 2, 6° ».

La disponibilité pour le marché de l'emploi dans l’assurance chômage

Une seconde section du chapitre sur les conditions d’indemnisation de l’arrêté est consacrée à la disponibilité pour le marché de l’emploi. En son article 56 §1er, elle stipule que « Pour bénéficier des allocations, le chômeur complet doit être disponible pour le marché de l’emploi. Par marché de l’emploi, il faut entendre l’ensemble des emplois qui, compte tenu des critères de l’emploi convenable fixés en vertu de l’article 51, sont convenables pour le chômeur. Le chômeur qui n’est pas disposé à accepter tout emploi convenable du fait qu’il soumet sa remise au travail à des réserves qui, compte tenu des critères de l’emploi convenable, ne sont pas fondées, est considéré comme indisponible pour le marché de l’emploi. »

La notion « d’emploi convenable » à laquelle cet article se réfère est quant à elle définie par l’arrêté ministériel du 26.11.1991 portant les modalités d’application de la réglementation du chômage. Pour la question qui nous occupe, le critère déterminant est fixé à l’article 24 : «  un emploi est réputé non convenable si : 1° la rémunération n’est pas conforme aux barèmes fixés par les dispositions légales ou réglementaires ou les conventions collectives de travail ou, à défaut, l’usage; 2° l’employeur persiste à ne pas respecter les dispositions légales et réglementaires en matière de paiement de la rémunération, de durée ou de conditions de travail; 3° étant exercé en Belgique, il ne donne pas lieu, au moins en partie, à assujettissement à la Sécurité sociale des travailleurs salariés. »

Quelle application aux « Dermagne jobs » ?

Que peut-on à ce stade conclure de ce qui précède par rapport à la question : un chômeur indemnisé pourra-t-il refuser un Dermagne job (« contrat de travail de soutien aux demandeurs d’emploi de longue durée ») ? Trois scénarios semblent possibles.

Le premier est celui défendu par le cabinet Dermagne. (Lire ici) Celui-ci estime que les contrats de soutien aux DE de longue durée organisés par l’arrêté prévoient le paiement de cotisations sociales (nous avons émis des doutes sur ce point qui ne nous semble pas assuré en l’état), mais que, vu que la rémunération n’est pas conforme aux barèmes fixés par les conventions collectives de travail, ces emplois devront être jugés « non convenables» en vertu de l’article 24 de l’arrêté ministériel du 26.11.1991 cité plus haut et que cela suffirait pour garantir l’absence de sanction des demandeurs d’emploi qui les refuseraient, refuseraient d’y postuler, etc. Il en conclut qu’il n’y a pas lieu de modifier les arrêtés de 1991 pour garantir l’absence de sanction en cas de refus d’un « contrat de soutien aux DE de longue durée  ». Cette affirmation nous paraît téméraire et trouver peu de fondement dans les textes réglementaires. En effet ce 1° de l’article 24 doit être lu dans son entièreté  : sont considérés comme non convenables les emplois dont «  la rémunération n’est pas conforme aux barèmes fixés par les dispositions légales ou réglementaires ou les conventions collectives de travail ou, à défaut, l’usage ». Or, s’il est adopté, l’avant-projet de loi « instaurant les territoires de soutien aux demandeurs d’emploi de longue durée » constituerait bien un fondement légal qui fixerait le barème de la rémunération de ces emplois. Il ne pourraient donc pas être considérés comme non convenables sur cette base-là.

Le cabinet Dermagne estime que, la rémunération n'étant pas conforme aux barèmes fixés par les CCT, ces emplois devront être jugés non convenables

La position du cabinet Dermagne est d’ailleurs sur ce point contradictoire avec son affirmation (Lire ici) selon laquelle la rémunération liée à ces emplois est soumise à des cotisations sociales et pourrait ouvrir des droits à l’assurance chômage, par exemple pour les personnes qui émargent au Revenu d’intégration. En effet, l’article 37 de l’arrêté royal de 1991 qui définit quelles sont les prestions de travail qui entrent en compte pour l’ouverture du droit au chômage indique que ce sont seulement celles qui ont été payées à « une rémunération au moins égale au salaire minimum fixé par une disposition légale ou réglementaire ou une convention collective de travail qui lie l’entreprise ou, à défaut, par l’usage ». On voit dès lors mal comment la base légale de l’avant-projet de loi pourrait être suffisante pour que les rémunérations liées aux contrats de soutien aux demandeurs d’emplois de longue durée puissent entrer en ligne de compte pour l’ouverture d’un droit au chômage, et en même temps qu’elle soit insuffisante, comme le prétend le cabinet Dermagne, pour que ces contrats soient considérés comme des emplois convenables.

Le second scénario possible serait que le gouvernement ne modifie pas les arrêtés de 1991 sur la réglementation du chômage pour garantir l’effectivité de la « base volontaire » de cette forme de mise à l’emploi au rabais mais que ces emplois ne donnent lieu à aucune forme d’assujettissement à la Sécurité sociale. Ils seraient alors réputés « non convenables » au sens de la réglementation de l’assurance chômage. Il s’ensuivrait alors que le demandeur d’emploi ne serait pas tenu d’accepter ce type d’emploi « non convenable » pour être considéré comme « disponible sur le marché du travail ». On pourrait également avancer que, dans ce cas, le chômeur ne devient pas « chômeur par suite de circonstances dépendant de sa volonté » s’il refuse ce type de job… puisque cet emploi a pour particularité de maintenir son statut d’allocataire de chômage. La disposition qui prévoit que, « pour pouvoir bénéficier d’allocations, le chômeur doit être privé de travail et de rémunération par suite de circonstances indépendantes de sa volonté » pourrait néanmoins trouver à s’appliquer. Idem pour celle qui prévoit que sont sanctionnés « le défaut de présentation, sans justification suffisante, auprès d’un employeur, si le chômeur a été invité par le service de l’Emploi compétent à se présenter auprès de cet employeur », « le refus du chômeur de participer ou de collaborer à un plan d’action individuel (…) qui lui est proposé par le service régional de l’emploi compétent » ou « l’arrêt ou l’échec du plan d’action individuel visé au 5° à cause de l’attitude fautive du chômeur (…) ». Dans cette hypothèse, a minima le chômeur serait tenu de poser sa candidature et de se présenter pour un entretien d’embauche pour un « contrat de travail de soutien aux demandeurs d’emploi de longue durée » si le service régional de l’emploi le lui impose. Idem, en l’absence de modification des arrêtés de 1991, la personne qui accepterait un Dermagne job resterait soumise au contrôle de sa disponibilité active par les services régionaux de l’emploi, puisqu’elle resterait titulaire d’une allocation de chômage.

Le troisième scénario possible est que le gouvernement modifie les arrêtés de 1991 pour y prévoir explicitement le droit pour les demandeurs d’emploi de refuser de poser une candidature pour ce type de job « non convenable », de refuser que ce type de candidature soit inscrit dans les « plans d’action individuels » conclus avec les services de l’emploi régionaux, de refuser ce type d’emploi, d’abandonner ce type d’emploi, etc. sans conséquences négatives pour leur droit aux allocations. Idem, une modification des arrêtés de 1991 permettrait de dispenser les allocataires occupés dans ce type d’emploi de leurs obligations de recherche active d’emploi et du contrôle régional de celles-ci.

Mais une série d’autres questions se poseraient alors, puisque cela introduirait dans la réglementation un traitement discriminatoire par rapport aux obligations qui sont faites par la réglementation aux demandeurs d’emplois à qui ce type de contrat n’est pas proposé, que ce soit en matière d’obligation de présentation auprès d’autres types d’employeurs, de suivi obligatoire de formations, d’obligations maintenues pour les chômeurs à qui on reconnaît des « problèmes sérieux, aigus ou chroniques de nature médicale, mentale, psychique ou psychiatrique », etc. (Lire ici)

L’incapacité de se procurer des ressources et la disposition au travail au sens du DIS

Pour l’octroi du droit à l’intégration sociale organisé par la loi du 26 mai 2002 , celle-ci y met notamment deux conditions à son article 3, qui doivent être vérifiés par le CPAS pour tout octroi du RI et pour son maintien : que le bénéficiaire « ne dispose pas de ressources suffisantes, ni puisse y prétendre ni être en mesure de se les procurer, soit par ses efforts personnels, soit par d’autres moyens » et qu’il soit « disposé à travailler, à moins que des raisons de santé ou d’équité l’en empêchent ».

A cet égard, l’article 31 de l’avant-projet de loi dispose que « le bénéficiaire du revenu d’intégration sociale qui effectue des prestations dans le cadre d’un programme territoires de soutien aux demandeurs d’emploi de longue durée est réputé remplir la condition d’être disposé à travailler telle que prévue par (…) la loi du 26 mai 2002 concernant le droit à l’intégration sociale pendant toute la durée du contrat » et le commentaire précise qu’en conséquence « il n’est pas tenu d’accepter un autre travail pendant cette période ».

En revanche, l’avant-projet de loi ne dit rien quant au droit pour le titulaire du RI de refuser de poser une candidature à ce type d’emploi sous-payé ni s’il doit l’accepter si on le lui propose. Si l’acceptation de ce type d’emploi est une façon de prouver sa disponibilité au travail au sens de la loi, il semble logique qu’inversement la non-acceptation de ce type d’emploi, par exemple proposé par le service ISP du CPAS, soit un indice de non-disposition au travail. De même, la personne qui refuse une proposition d’emploi qui lui offre un revenu se priverait elle-même de ressources, ce qui pourrait remettre en cause son droit au Revenu d’intégration. En l’absence de dispositions qui l’excluent explicitement, il semble que le refus de poser sa candidature à un Dermagne job, le refus de cet emploi, ou son abandon volontaire pourraient constituer des indices d’absence d’efforts pour se procurer des ressources suffisantes ou de disposition au travail au sens des conditions fixées pour l’octroi du revenu d’intégration dans la loi de 2002. Le déni du cabinet Dermagne sur ce point (Lire ici) n’est pas compatible avec la mise en rapport du texte de la loi de 2002 et de celui de l’avant-projet de loi présenté par le ministre.

Le cumul de l’allocation de chômage et d’un revenu

Le principe de l’indemnisation du chômage est d’accorder une allocation à la personne privée involontairement de travail. Et, si elle travaille, tout jour rémunéré, même pour une heure, la prive d’allocation pour cette journée : la fameuse case à noircir sur la carte de contrôle ! Cette règle est parfois mal vécue et/ou mal comprise. Ce qui donne des arguments aux partisans du revenu de base qui plaident pour un cumul allocation plus revenu. Pourtant, ce « tout ou rien » est essentiel : cela oblige l’employeur, même intérimaire, à engager la personne pour un nombre d’heures ou de jours suffisants. Le fait que le chômeur soit privé de son allocation dès la première minute de travail le protège contre une hyper flexibilisation. De même, cela protège son niveau de salaire. Pour qu’il accepte un emploi à temps plein, il faut que le salaire offert soit significativement supérieur à son allocation pour que cela en vaille la peine. Ce que d’aucuns qualifient de piège à l’emploi est donc en réalité une protection contre les bas salaires.

Il existe comme toujours des exceptions à cette règle. Il s’agit principalement du système des chèques ALE qui permet à un chômeur de prester un nombre limité d’heures de travail, sans percevoir un véritable salaire mais bien un chèque horaire entièrement cumulable avec l’allocation de chômage. Le dispositif ayant été régionalisé (entièrement depuis 2018), il est l’objet de réformes en cours.

Concernant les personnes qui travaillent à temps partiel de façon involontaire (qui ont donc accepté un temps partiel tout en étant demandeuses d’un temps plein), elles peuvent dans certaines conditions percevoir une allocation de garantie de revenu (AGR). Il s’agit d’un complément chômage qui s’ajoute au salaire (et non comme pour les ALE une rémunération en sus du chômage) afin de garantir, pour un tiers temps, que la rémunération totale soit au moins égale à l’allocation et, lorsque l’emploi à temps partiel dépasse un tiers temps, que la rémunération globale soit supérieure à l’allocation de chômage.

« Là où il y a un flou, il y a un loup »

Le flou qui entoure la « base volontaire » sur laquelle reposerait la reprise du travail dans le cadre du dispositif organisé par l’avant-projet révèle à la fois le manque de cohérence du projet et, sans doute, des dissensions au sein de la majorité gouvernementale sur la reconnaissance – ou non – d’un droit pour les demandeurs d’emploi de longue durée de refuser cette mise au travail au rabais sans mettre en péril leur droit aux allocations. Il suffit pour cela de se souvenir de la récente prise de position de Vooruit, à l’occasion du 1er mai, en faveur de « basisbanen » pour les demandeurs d’emploi de longue durée : « Celui qui n’a toujours pas d’emploi après deux ans de formation et d’encadrement intensif se verra offrir un emploi de base par le gouvernement. Si le demandeur d’emploi refuse cette offre, il perd définitivement son allocation. » (3) Une telle vision semble manifestement contradictoire avec le soutien à l’absence de sanction en cas de refus des Dermagne jobs. Quant au MR, contacté pour savoir s’il soutenait l’avant-projet de loi et s’il partageait l’interprétation selon laquelle celui-ci prévoit que les chômeurs indemnisés puissent refuser les contrats de « soutien aux demandeurs d’emploi de longue durée » sans risquer une sanction par rapport à leurs allocations, il ne nous a pas répondu, malgré nos relances.

Des dissensions au sein de la majorité sur la reconnaissance d’un droit de refuser cette mise au travail

Prétendre que des modifications ultérieures des arrêtés de 1991 par le gouvernement garantiront le droit au refus de ce type d’emploi – qui n’a pas été inscrit tel quel dans l’avant-projet de loi – relèverait au mieux de la naïveté, mais plus probablement de l’hypocrisie lorsque cela émane de responsables qui gèrent la Sécurité sociale et gouvernent l’appareil d’État.

(1) Pierre-Yves Dermagne, ministre du Travail, « Avant-projet de loi instaurant les territoires de soutien aux demandeurs d’emploi de longue durée », juillet 2023.

(2) Loi du 26 mai 2002 concernant le droit à l’intégration sociale, art. 3.

(3) Arnaud Lismond-Mertes, « Le 1er mai anti-chômeurs de Vooruit », Ensemble ! n°110, juillet 2023.

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