emploi

J-F. Tamellini (FGTB) : « Des brols qui tirent vers le bas les conditions de travail »

Le Secrétaire général de la FGTB wallonne fait part de la perplexité de son organisation syndicale par rapport au projet du ministre Dermagne et indique qu’elle refusera la création de contrats au rabais pour « créer de l’emploi ».

J. F. Tamellini (FGTB) : « On ne peut pas, au nom de la lutte contre le chômage, déstructurer le marché du travail, contourner les commissions paritaires et les règles négociées entre les interlocuteurs sociaux. »
J. F. Tamellini (FGTB) : « On ne peut pas, au nom de la lutte contre le chômage, déstructurer le marché du travail, contourner les commissions paritaires et les règles négociées entre les interlocuteurs sociaux. »

Le numéro un de la FGTB wallonne, Jean-François Tamellini, nous a indiqué que son organisation avait « un peu du mal à s’y retrouver » dans l’avant-projet de loi soumis par le ministre Dermagne dont ce dernier n’a manifestement pas concerté le dépôt avec la FGTB. Il martèle tout au long de l’interview qu’il nous a accordée : « Démolir la qualité des emplois pour remédier au chômage, c’est une formule qui, en plus d’être inacceptable, ne fonctionne pas ». Et il ajoute : «C’est quelque chose que la FGTB n’acceptera pas», estimant que refuser de rentrer dans ce cadre-là est « une nécessité vitale pour la gauche ».

Ensemble ! : Comment la FGTB-ABVV perçoit-elle l’avant-projet de loi instaurant des territoires de soutien aux demandeurs d’emploi de longue durée ?

Jean-François Tamellini (FGTB) : À l’heure où on se parle, nous avons un peu du mal à nous y retrouver entre la proposition de Territoires zéro chômeur de longue durée (TZCLD) discutée au niveau wallon et l’avant-projet de loi déposé par le ministre Dermagne sur la table du Conseil national du travail. Concernant les dix-sept expériences de TZCLD mises en place au niveau wallon, nous avions déjà fait part de nos balises et points d’attention pour éviter qu’il y ait un dévoiement de cette initiative par rapport aux objectifs initiaux de ses promoteurs, dans lesquels nous pouvions nous retrouver. Nous sommes vigilants à cet égard et craignons que cette initiative passe à côté des objectifs de départ.

Ce qui est aujourd’hui mis sur la table au niveau fédéral à travers l’avant-projet de loi, qui ne s’appelle plus TZCLD, est encore pire. Nous n’y voyons pas clair, y compris au niveau des intentions, qui semblent procéder d’une volonté de développer une gestion asymétrique du marché de l’emploi selon les régions. Pour la FGTB, l’objectif est clair : proposer aux chômeurs de longue durée de vrais contrats de travail, c’est-à-dire non seulement rémunérés au minimum 17 euros de l’heure (qui est le montant de notre revendication pour le salaire minimum) mais qui s’alignent également sur les conventions sectorielles et les respectent pleinement. Il est pour nous hors de question de créer de nouvelles formes de mise au travail qui tirent vers le bas les salaires, les conditions de travail, le droit du travail et la représentation syndicale ou les protections sociales.

« Pas question de créer de nouvelles formes de mise au travail qui tirent vers le bas les salaires, le droit du travail et la représentation syndicale »

Par rapport à la Wallonie, notre première priorité en matière d’emploi, c’est de sortir de la précarisation de l’emploi : nous avons besoin d’emplois de qualité et d’aides effectives pour le retour à l’emploi des chômeurs « de longue durée ». Il faut à cet égard bien noter que parmi les chômeurs dits « de longue durée », il y a aussi des personnes qui travaillent régulièrement, mais dans des contrats trop courts, qui ne font pas trois mois de travail consécutifs. Ceux-ci ne leur permettent dès lors pas de sortir de la catégorie que l’ONEm désigne comme « chômeurs de longue durée » avec notamment toutes les conséquences que cela a sur le niveau – raboté – de leurs allocations de chômage. Ce qui importe pour nous, c’est donc que l’on offre à ces personnes des perspectives de sortir de la précarité. Passer d’un sous-statut actuel à un autre sous-statut qui serait organisé à travers des « territoires de soutien aux demandeurs d’emploi de longue durée » (TSDELD) ne serait en rien une avancée. S’agissant des chômeurs de longue durée, pour la Wallonie, j’aurais mille fois préféré que les plus de 450 millions d’aides à l’emploi payés par la région soient massivement réorientés vers les 66.000 chômeurs de longue durée wallons. Actuellement seulement 5 % de ce budget cible ce public qui est le plus précarisé. Il faut donner à ces personnes de vraies possibilités d’emploi, avec de vrais contrats qui leur permettent de réellement sortir de la précarité.

Je ne veux pas faire un procès d’intention au ministre Dermagne et au gouvernement fédéral, mais je crains que, dans les faits, au lieu de permettre aux demandeurs d’emploi de sortir de la précarité, le projet de TSDELD qui est mis sur la table ne ferait que les y maintenir. La droite martèle l’idée que la responsabilité du chômage n’incombe pas au capital mais aux chômeurs eux-mêmes. Si, faute de se démarquer suffisamment de ce discours, certains en arrivent à proposer, au nom de la lutte contre le chômage, des « brols » qui tirent vers le bas les conditions de travail, c’est quelque chose que la FGTB n’acceptera pas. On ne peut pas, au nom de la lutte contre le chômage, déstructurer le marché du travail, contourner les commissions paritaires et les règles négociées entre les interlocuteurs sociaux.

« Passer d’un sous-statut actuel à un autre sous-statut ne serait pas une avancée »

Le projet de TSDELD, tel qu’il est déposé, ne nous rassure pas non plus au point de vue de la concurrence que ce nouveau dispositif introduirait par rapport à des services qui sont ou pourraient être offerts par des entreprises existantes ou des services publics dans le cadre de contrats classiques. Le projet de TZCLD a été présenté à la base comme un dispositif qui serait proposé aux demandeurs d’emploi sur une base volontaire, sans risque de sanction des demandeurs d’emploi (DE) en cas de refus de cette forme de mise à l’emploi. Si ce n’était pas effectivement et sans ambiguïté garanti dans le cadre du dispositif proposé par le gouvernement, ce serait également une cause de rejet pour la FGTB. Imposer l’acceptation d’un sous-statut aux DE sous la menace de sanctions ou d’exclusion, ce ne serait qu’une variation du principe de l’imposition d’un « service communautaire », que nous combattons. Pour nous, il n’est pas non plus question de déroger pour ces emplois à la perception de cotisations sociales sur la rémunération, qui est essentielle pour permettre aux travailleurs de se constituer des droits sociaux. Et enfin, de manière plus globale, comment parler de base volontaire quand on s’adresse à des personnes totalement précarisées : le libre choix, ce n’est pas donné à tout monde.

Le cabinet du ministre du Travail indique, en gros, qu’il propose la moins mauvaise solution possible dans le cadre de leurs compétences pour mobiliser les allocations en soutien d’une création d’emploi pour les DE de longue durée inspirée du système français des TZCLD…

Une mauvaise proposition reste mauvaise, même si elle était « la moins mauvaise ». La FTGB peut accepter de faire des compromis, pas des compromissions. Le fond du problème n’est pas une question technique, c’est une question politique. Démolir la qualité des emplois pour remédier au chômage, c’est une formule qui, en plus d’être inacceptable, ne fonctionne pas. Je ne prétends pas qu’il est facile d’obtenir un accord au sein de la majorité au pouvoir au niveau fédéral sur des propositions progressistes, mais ça ne peut justifier de s’inscrire dans une telle vision d’avenir pour l’assurance chômage et le marché du travail.

L’avant-projet prévoit d’exclure, pour le secteur privé, l’application de la loi du 5 décembre 1968 sur les conventions collectives de travail et les commissions paritaires et reste très flou, concernant les pouvoirs locaux, sur l’application de la loi du 19 décembre 1974 organisant les relations entre les autorités publiques et les syndicats. Un tel cadre permettrait-il encore une défense syndicale de ces travailleurs ?

Il doit être clairement établi que ces dispositions légales générales sont applicables à ces travailleurs. Sans quoi le projet porterait gravement atteinte à la structuration du marché du travail. Il faut pouvoir travailler dans le cadre de ces lois et des commissions paritaires pour faire appliquer les normes en matière de rémunération, de conditions de travail et éviter le développement d’une concurrence malsaine et déloyale par rapport aux conditions de travail en vigueur, notamment dans le secteur public.

Le cabinet du ministre Dermagne met en avant le fait qu’il n’est pas cohérent avec le projet de faire rentrer cette nouvelle forme d’emploi dans le cadre des commissions paritaires, mais que les travailleurs pourraient saisir de leurs éventuels problèmes les futurs Comités locaux pour l’Emploi créés par le projet, où siégeront notamment des représentants des organisations syndicales et que ces comités pourraient interpeller les autorités régionales…

Ça ne tient pas la route. On ne peut pas renvoyer les travailleurs en difficulté à des démarches individuelles pour défendre leurs conditions de travail. En tant qu’organisation syndicale, nous savons comment fonctionne la défense des travailleurs par rapport à leurs conditions de travail et à leur employeur : pas comme ça !

Le projet présenté par le ministre Dermagne semble avoir du plomb dans l’aile, mais il ressemble à maints égards à l’idée de basisbaan promue par Vooruit et à celle de « garantie d’emploi » qui semble cheminer à l’intérieur du PS, dans la perspective de son programme électoral pour 2024…

Se mettre sur le terrain de la droite, qui elle-même fait la courte échelle à l’extrême droite pour nous pousser vers les pires scénarios, serait une lourde erreur. Précariser les conditions de travail pour créer de l’emploi, c’est inacceptable et ça ne fonctionne pas. On ne peut pas construire le progrès social dans ce cadre-là. Ce n’est pas seulement une vision idéologique, c’est une réalité de terrain. Refuser de rentrer dans ce cadre-là est une nécessité vitale pour la gauche.

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