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Marc Becker (CSC) : « À cent mille lieues de ce que nous voulions »

Pour le responsable de la CSC wallonne, le projet du ministre Dermagne « pervertit » l’idée initiale soutenue par les organisations syndicales et est, à ce stade, inacceptable.

Marc Becker (CSC) : « Sans vrai contrat de travail et sans commission paritaire, je ne vois pas très bien comment on fixerait les protections sociales de ces personnes ».
Marc Becker (CSC) : « Sans vrai contrat de travail et sans commission paritaire, je ne vois pas très bien comment on fixerait les protections sociales de ces personnes ».

Marc Becker, Secrétaire national de la CSC en charge des affaires wallonnes, nous a fait part de sa déception par rapport à l’avant-projet du ministre Dermagne. Tandis que le projet initial de Territoires zéro chômeur de longue durée (TZCLD) visait, selon lui, à donner aux chômeurs mis au travail un « vrai statut de travailleur » avec « l’ensemble des droits sociaux », le responsable de la CSC wallonne pointe le fait que « le projet actuel n’a aucun intérêt : les gens restent chômeurs, on ne sait pas dans quel type de statut ils vont être mis au travail, si ça va leur être imposé par les accompagnateurs du Forem… ». Au passage, il éclaire sa vision du compromis politique avec la Flandre dans le cadre duquel le projet initial aurait pu être adopté : «  Quand la Flandre a mis sur la table de négociation la question du développement de politiques de l’emploi différentiées [ndlr : entre les régions], les Wallons ont mis sur la table la question du soutien fédéral aux TZCLD ». Force semble être de constater que le projet porté par le ministre du Travail traduit bien mal un compromis de ce type.

Ensemble ! : Le ministre Dermagne a déposé pour avis au Conseil national du travail (CNT) un avant-projet de loi instaurant des Territoires de soutien aux demandeurs d’emploi de longue durée. Comment, au sein de la CSC-ACV, analysez-vous ce projet ? Notamment par rapport au cumul qu’il organise entre un statut d’allocataire et de travailleur à temps plein, aux conditions de travail de ces personnes et à leur encadrement syndical.

Marc Becker  (CSC) : Je ne vais pas rentrer dans le détail des questions de droit qui se posent, car je ne suis pas juriste. Pour notre part, nous avions placé de gros espoirs dans le concept des Territoires zéro chômeur de longue durée (TZCLD), car nous pensions que c’était une piste intéressante qui pouvait être développée à une série d’endroits pour supprimer le chômage de longue durée et montrer ainsi que l’existence du chômage de longue durée relève d’un choix politique, que le monde politique peut trouver des solutions s’il se saisit véritablement du problème. L’expérience française présente des résultats intéressants en la matière.

La proposition présentée par le ministre du Travail pervertit l’idée que nous avions avancée en tant qu’organisation syndicale, à partir de l’expérience française. Les personnes pour lesquelles serait ouvert le mécanisme proposé resteraient dans un statut de chômeur. Cela ne correspond pas à notre idée initiale, qui était de donner aux personnes concernées un véritable statut de travailleur. Nous voulions également un mécanisme qui leur permette de refuser ce type d’emploi sans remettre en cause leur droit aux allocations. Or, selon les derniers échos que j’ai reçus, le caractère réellement volontaire de cette mise au travail n’est pas à ce stade établi (1).

« Après Uber, on créerait ainsi encore une nouvelle forme de sous-emploi ? »

Quant au statut des personnes mises au travail dans ce cadre, ce n’est pas non plus clair pour moi pour le moment. Est-on occupé à inventer un nouveau statut de travailleur précaire ? Après Uber, on créerait ainsi encore une nouvelle forme de sous-emploi ? Sans vrai contrat de travail et sans commission paritaire, je ne vois pas très bien comment on fixerait les protections sociales de ces personnes. Ce qui est certain, c’est que cela ne rencontre pas les aspirations que nous avions par rapport au projet initial. Le projet actuel n’a aucun intérêt : les gens restent chômeurs, on ne sait pas dans quel type de statut ils vont être mis au travail, si ça va leur être imposé par les accompagnateurs du Forem… Si ça devenait un nouveau mécanisme d’activation des demandeurs d’emplois, ce serait plus dangereux pour les demandeurs d’emploi que la situation actuelle.

Nous avions imaginé un système dans lequel le demandeur d’emploi serait mis au travail dans le cadre d’un contrat de travail au sens classique du terme, bénéficierait de l’ensemble des droits sociaux qui y sont liés et sortirait de son statut de chômeur. Nous imaginions que l’allocation de chômage serait mobilisée sous forme de subvention à l’emploi au bénéfice de l’employeur, pas un système qui maintient les personnes dans un statut d’allocataire. La région flamande ayant émis des demandes en termes de différentiation des politiques de l’emploi selon les régions, par exemple en matière d’activation plus rapide, il nous semblait qu’il y avait moyen de faire prendre en compte le projet de TZCLD par le fédéral, par exemple par le biais d’accords de coopération entre le fédéral et les régions.

Est-ce qu’une activation des allocations telle que vous la souhaitez ne relève pas des régions (et de leurs budgets propres) selon la répartition des compétences fixées par la loi de 1980 ? Par ailleurs, cela ne risque-t-il pas de crisper une bonne partie du monde politique flamand, qui ne verrait pas d’un bon œil que la Sécurité sociale fédérale subventionne des emplois locaux wallons et bruxellois, alors qu’il y a un certain nombre d’offres d’emploi non pourvues en Flandre?

C’est une question de deal politique. Quand la Flandre a mis sur la table de négociation la question du développement de politiques de l’emploi différentiées, les Wallons ont mis sur la table la question du soutien fédéral aux TZCLD. C’était l’idée d’un donnant-donnant équilibré qui devait pouvoir satisfaire tout le monde. C’est un projet qui heurte peut-être certains néerlandophones, mais je pense que, s’ils y réfléchissent un peu, ils peuvent comprendre que c’est l’intérêt bien compris de tous et toutes d’éradiquer les poches de chômage de longue durée.

Il faut également déconstruire le mythe des emplois en Flandre auxquels les francophones « refuseraient de postuler ». Le Comité de gestion du VDAB a pris une position très claire : la mobilisation du Forem pour inciter des travailleurs wallons à prendre des emplois en Flandre ne doit s’exercer que pour les emplois qui sont en pénurie en Flandre, pas pour les autres types d’emplois, qui ont vocation à être occupés par des travailleurs flamands. Or, les pénuries d’emploi sont les mêmes en Flandre qu’en Wallonie. Je ne vois dès lors pas pourquoi un travailleur wallon qui, par exemple suite à une formation, s’orienterait vers un métier en pénurie, irait l’exercer en Flandre plutôt qu’en Wallonie. Ce ne sont pas les chômeurs wallons qui sont responsables des pénuries d’emploi en Flandre.

Pour la FEB et pour certains responsables politiques flamands, l’aboutissement de la différentiation régionale des politiques de l’emploi, c’est la régionalisation de l’assurance chômage des demandeurs d’emploi de longue durée. Je suppose que ce n’est pas ce que souhaite la CSC-ACV…

Pour nous il n’est pas question de rentrer dans une régionalisation de ce type, c’est hors de question. Nous avons récemment adopté une position très claire au sein du bureau national de la CSC-ACV par laquelle nous avons réaffirmé notre opposition à toute introduction d’une limitation dans le temps des allocations, que nous avons communiquée à tous les partis politiques tant flamands que francophones dans la perspective des élections de 2024. La position de l’ensemble de notre organisation syndicale est claire : pas de limitation dans le temps des allocations de chômage et pas de régionalisation de celles-ci, même partielle.

« Ce n’est pas acceptable comme tel pour notre organisation »

Pour le moment, l’avant-projet de loi du ministre Dermagne est-il acceptable pour la CSC-ACV ?

A ce stade, l’avant-projet est à cent mille lieues de ce que nous voulions et n’est pas acceptable comme tel pour notre organisation.

Source : ONEm.Ces deux tableaux permettent de visualiser en détail (selon la région, la catégorie familiale et le sexe) quels chômeurs seraient potentiellement concernés par l’avant-projet. Le premier tableau concerne les chômeurs sur la base du travail qui sont en fin de dégressivité et reçoivent donc une allocation forfaitaire. Voir aussi le graphique p. XXX qui montre après combien de temps un chômeur se retrouve dans cette situation. Le second concerne les chômeurs sur la base des études qui le sont depuis au moins deux ans (leur allocation est forfaitaire dès le début du chômage). Nous n’avons malheureusement pas pu réaliser le même exercice pour les bénéficiaires du droit à l’intégration sociale. En 2022, ils étaient en moyenne 60.981 à Bruxelles, 63.427 en Flandre et 102.727 en Wallonie. Mais il ne nous a pas été possible de savoir combien étaient bénéficiaires depuis au moins deux ans.
Source : ONEm.Ces deux tableaux permettent de visualiser en détail (selon la région, la catégorie familiale et le sexe) quels chômeurs seraient potentiellement concernés par l’avant-projet. Le premier tableau concerne les chômeurs sur la base du travail qui sont en fin de dégressivité et reçoivent donc une allocation forfaitaire. Voir aussi le graphique qui montre après combien de temps un chômeur se retrouve dans cette situation. Le second concerne les chômeurs sur la base des études qui le sont depuis au moins deux ans (leur allocation est forfaitaire dès le début du chômage). Nous n’avons malheureusement pas pu réaliser le même exercice pour les bénéficiaires du droit à l’intégration sociale. En 2022, ils étaient en moyenne 60.981 à Bruxelles, 63.427 en Flandre et 102.727 en Wallonie. Mais il ne nous a pas été possible de savoir combien étaient bénéficiaires depuis au moins deux ans.

(1) L’interview a été réalisée le 29.09.23

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