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Kairos  : un dossier qui a fait mouche

Suite à la publication de notre dossier sur la dérive du bimestriel Kairos, celui-ci a tenté une attaque dans le registre judiciaire par l’entremise de son avocate. Pour ce qui est de notre demande réitérée d’interview, il a préféré botter en touche.

Une vidéo d’Alexandre Penasse sur la page Facebook de Kairos : le rédacteur en chef se félicite de la décision de la commission d’agrégation, prise en appel, de lui octroyer la carte de journaliste professionnel à partir de mai 2023. Commission d’agrégation qu’il disait pourtant vendue au pouvoir…
Une vidéo d’Alexandre Penasse sur la page Facebook de Kairos : le rédacteur en chef se félicite de la décision de la commission d’agrégation, prise en appel, de lui octroyer la carte de journaliste professionnel à partir de mai 2023. Commission d’agrégation qu’il disait pourtant vendue au pouvoir…

Le dossier fouillé que nous avons consacré au bimestriel Kairos dans le numéro 109 d’Ensemble !, titré « Kairos sur la vague du complotisme » (1) a été salué positivement par de nombreux lecteurs proches d’Ensemble !, certains évoquant une « œuvre de salubrité publique », mais il a également retenu l’attention de nouveaux lecteurs que la publication de ce dossier a attirés vers notre revue. Les écoles de journalisme et de communication – Ihecs, ULB, St Louis – se sont montrées particulièrement intéressées par ce celui-ci, « très instructif pour nos élèves, qui se méfient souvent des institutions – dans lesquelles ils rangent les médias traditionnels -, et sont tentés de s’informer auprès de médias dits ‘‘alternatifs’’ vis-à-vis desquels ils manquent parfois d’esprit critique. » En revanche, si l’on excepte les messages émanant de collègues journalistes et adressés personnellement à la coordinatrice du dossier, le silence de la presse mainstream fut tonitruant : sans doute notre regard critique sur la façon dont les médias traditionnels ont couvert la crise sanitaire et les mesures prises par le gouvernement à l’époque, n’est-il pas pour rien dans ce silence… L’intérêt de la profession pour cette radiographie du « cas » Kairos s’est cependant illustré à travers l’encart que lui a consacré Journalistes, le bimensuel de l’Association des Journalistes Professionnels, qui propose des réflexions et actualités relatives à la presse écrite, audiovisuelle et électronique de la Communauté française de Belgique.

La publication d’un dossier d’une certaine ampleur (cinquante pages) nous avait semblée utile pour mettre au jour la dérive éditoriale complotiste de Kairos, sous la houlette de son rédacteur en chef Alexandre Penasse, ainsi que celle de certains de ses contributeurs attitrés. Cette dérive, bien visible dans les pages du journal « papier » et plus encore dans ses déclinaisons sur le web et au travers d’évènements soutenus par les responsables de Kairos, allant jusqu’à des compagnonnages douteux avec des personnalités d’extrême droite auxquelles ils n’hésitent pas à offrir des tribunes..

« Retirer les deux publications litigieuses sous huitaine »

Bien sûr, des réactions en sens inverse nous sont revenues de la part de sympathisants de Kairos (lire ici). Quant à Kairos lui-même, champion auto-proclamé de la liberté de la presse, sa réaction fut sans surprise pour nous. Le 14 février dernier, Aude Tanghe, l’avocate du bimestriel, a adressé au nom de son client une lettre de mise en demeure à l’éditeur responsable d’Ensemble !, dans laquelle elle nous menaçait d’ « importantes astreintes » judiciaires au cas où nous refuserions de « retirer » notre publication, sous ses formes numérique et papier.

Morceaux choisis : « Ces atteintes supplémentaires (2) à la réputation « de notre client » sont inadmissibles et mon client ne fera plus preuve d’aucune mansuétude à votre égard si vous refusez de remédier à cette situation sans délai. Eu égard à ce qui précède, mon client, ainsi que son ASBL, vous invitent, et pour autant que de besoin vous mettent en demeure de retirer les deux publications litigieuses sous huitaine. Des excuses publiques sont également souhaitables et recommandées. Sans réaction favorable de votre part endéans le délai précité, je vous signale d’ores et déjà qu’une action judiciaire (action en cessation) sera diligentée à votre encontre, où d’importantes astreintes vous seront réclamées. A ce stade, vous êtes forcément conscient de l’embarras suscité par vos articles, ainsi que les nombreux préjudices qui en découlent. Or, je vous rappelle que vous êtes tenus à la déontologie journalistique, ce qui implique que l’usage inadéquat de termes portant atteinte à une personne, qui reprend en outre des propos mensongers, est source potentielle d’une demande en dommages et intérêts. C’est aussi pourquoi j’attire votre attention sur le caractère ultime de cette nouvelle mise en demeure. » (3)

La réponse d’Ensemble !

Le 17 février dernier, nous adressions une réponse à l’avocate de Kairos, signée par Arnaud Lismond-Mertes, secrétaire général de l’ASBL Collectif Solidarité Contre l’Exclusion (CSCE), éditeur responsable de la revue Ensemble ! et co-auteur de cet article. Cette réponse était rédigée en ces termes : « (…) votre lettre nous signalant que votre client s’estime ‘’diffamé’’ par les articles publiés par notre dossier ne donne aucune base factuelle concrète, pertinente et précise qui étayerait ces allégations. Nous nous permettons donc, une nouvelle fois, de vous faire remarquer le peu de fondement d’une telle action de votre client (lequel, parait-il, se proclame défenseur de la liberté de presse), qui tend à rien moins qu’à nous imposer, sous la menace d’une ‘‘action judiciaire (action en cessation)’’ réclamant d’ ‘’importantes astreintes’’ (sic !) de ‘‘retirer la publication litigieuse sous huitaine’’ (sic !). » Nous nous interrogeons dès lors sur le sens de la démarche que vous faites au nom de votre client. Celui-ci estime-t-il qu’il est en droit d’exiger le ‘‘retrait’’ de notre publication sans apporter aucun élément probant qui étaye de façon factuelle, précise, vérifiable et pertinente avoir été ‘‘calomnié’’ dans cette publication? Est-il incapable de l’étayer ou juge-t-il que cela est superflu? Estime-t-il réellement que nous ayons, en l’absence d’aucun élément probant, aussi peu de respect des faits, de nos lecteurs et de nous-mêmes pour donner une suite positive à ses prétentions extraordinaires et manifestement infondées ? Faut-il lui rappeler que notre constitution protège la liberté de la presse? Nous nous réjouissons, par ailleurs, que votre client et vous-mêmes nous indiquiez avoir connaissance des règles de la déontologie journalistique (que nous estimons avoir respectées) et que vous y fassiez vous-mêmes référence. Nous vous invitons à en approfondir l’étude pour mieux en mesurer l’objet et la portée.

Toute action judiciaire nous paraîtrait dès lors manifestement déraisonnable et avoir pour seul but de tenter de nous intimider. Nous nous réservons le droit de faire connaître les démarches faites par ou au nom de votre client visant à censurer notre publication.(…) Enfin, comme nous l’avions signalé à votre client, notre collègue Isabelle Philippon va le recontacter afin de réaliser son interview, selon les usages de la presse écrite, que nous proposons de publier dans le prochain numéro (110) de notre revue. Nous sommes convaincus que c’est notamment à travers le débat argumenté et contradictoire qu’il est possible de se forger une opinion la plus juste possible. En l’occurrence une telle interview serait l’occasion pour lui de répondre à nos questions et de faire connaître à nos lecteurs son point de vue par rapport aux analyses que nous avons publiées concernant Kairos et ses compagnonnages équivoques. Nous ne pouvons que regretter que votre client ait décliné la proposition d’interview que nous lui avions adressée en temps utiles pour le numéro 109. » (4) Au vu du silence de l’avocate de Kairos, plusieurs mois après la réception de notre réponse, il semble que celle-ci ait reconnu le bien-fondé de nos arguments. A tout le moins il faut constater que les rodomontades exigeant le « retrait sous huitaine » de notre publication, sous peine d’actions judiciaires ont cessé.

Notre demande réitérée d’interview

Durant l’élaboration de notre dossier sur Kairos paru dans notre précédent numéro, nous avons en effet, à plusieurs reprises, tenté d’obtenir un entretien avec Alexandre Penasse en vue de la publication d’une interview lui permettant d’exprimer son point de vue sur les éléments que nous mettions en débat. Celui-ci a d’abord décliné l’invitation (5), avant de nous proposer une interview… filmée par le bimestriel et réalisée aux conditions fixées par celui-ci. Outre le fait qu’une interview vidéo, destinée à être diffusée sur les réseaux sociaux de Kairos, ne répond pas à l’esprit et au mode de production d’une interview écrite telle qu’Ensemble !, cette « proposition » est intervenue… treize jours après la deadline du 1er décembre dernier, date de notre bouclage, laquelle avait été communiquée en temps utiles à Alexandre Penasse. Notons aussi que celui-ci exigeait à ses côtés, pour répondre à nos questions, la présence de Bernard Legros, collaborateur fidèle et membre du Conseil d‘administration de Kairos, une perspective qui ne nous dérangeait pas.

Puisque la réponse tardive du rédacteur en chef de Kairos ne permettait pas d’inclure son interview dans notre dossier du numéro 109 d’Ensemble !, nous avons réitéré la demande d’interview en vue d’une publication dans ce numéro 110, demande signée par Arnaud Lismond-Mertes. Dans la foulée de ce courrier, Isabelle Philippon, coordinatrice du dossier du n°109 et co-auteure de cet article, a à son tour envoyé un courriel à Alexandre Penasse, sollicitant une interview : « Bonjour Monsieur Penasse, Je me permets de revenir vers vous avec ma demande d’interview pour la revue Ensemble! Nous aurions souhaité pouvoir proposer à nos lecteurs votre interview, dans le cadre de notre dossier consacré à Kairos dans le numéro 109 récemment sorti de presse, mais cela ne s’est pas avéré possible pour vous dans nos délais de bouclage. Je réitère donc ma demande d’interview, qui paraîtrait dans le numéro 110 d’Ensemble! et permettrait de revenir sur certains aspects abordés dans notre dossier, et de faire entendre votre point de vue. »

Le refus « collectif » de Kairos

Dans une lettre (non datée) reçue à la rédaction d’Ensemble ! le 27 mars dernier, Kairos nous signifiait collectivement son refus d’interview. « Nous refusons votre proposition d’interview. Sans nous justifier davantage, nous préciserons simplement que nous n’avons aucune envie de continuer à alimenter votre règlement de comptes envers nous. Nous avons mieux à faire de notre temps et de notre énergie. Votre copieux dossier comporte un nombre incroyable d’attaques ad hominem qui ne vous honorent pas, ainsi que de nombreuses approximations, voire des contre-vérités. Ne prenons qu’un exemple. La citation, tout à la fin, que vous attribuez à Alexandre Penasse (NDLR : « La « montée de l’extrême droite » est un cliché mondain, un clin d’œil attristé entre démocrates inquiets ») est en réalité de Bernard Legros (voir Kairos n° 55, p. 8, § 1, lignes 3, 4 et 5). Clôturer vos anathèmes sur cette ultime erreur est d’une portée toute symbolique !  Plutôt que de nous laisser entraîner dans une polémique infondée et malveillante, nous invitons les lecteurs d’Ensemble ! à forger eux-mêmes leur opinion en lisant Kairos, lequel reste fidèle à sa ligne éditoriale de journal antiproductiviste pour une société décente. Et nous invitons les auteurs de ce dossier à relire de manière sérieuse et de bonne foi tous les numéros récents de Kairos. » Cette missive est signée de l’ « Equipe de Kairos » (neuf signatures et paraphes) (6).

Nous concédons volontiers qu’une erreur a été faite dans nos colonnes en attribuant à tort à Alexandre Penasse un propos qui émanait, vérification faite, de la plume de son collègue Bernard Legros. Mais le fait que Kairos n’avance que cette seule, unique et insignifiante contestation concrète d’un élément publié dans notre dossier tend à indiquer, en creux, que Kairos ne dispose d’aucun élément factuel probant pour contester les analyses que nous avons présentées. Cruel aveu, qui explique son refus de réaliser une interview contradictoire selon les normes de la presse écrite.

Logorrhée et attaques ad hominem

La réponse publique de Kairos à notre dossier est finalement venue sous la forme d’une vidéo sur le « Komplotisme » : dix-sept minutes d’un monologue interrompu du rédacteur en chef de Kairos, en mode chevalier blanc victime d’un grand complot « Kairos est complotiste! Pourquoi? Parce qu’il est complotiste? Qui a dit cela ? A. Mais aussi B, parce que A l’a dit, et C, parce que B l’a dit parce que A l’avait dit… En attendant, ils sont tous contents, car à nous catégoriser ainsi, ils veillent surtout à ce qu’on ne parle pas de tout ce que Kairos publie. » Force est de constater que les « raisonnements » d’Alexandre Penasse tournent, eux aussi, un peu un rond. Interpellez-le sur la dérive complotiste du média qu’il dirige, et il répond invariablement qu’il est victime d’un complot pour le faire taire.

Quant à sa réponse par rapport au dossier de cinquante pages publié par Ensemble !, c’est un modèle de victimisation, de diversion et d’attaques ad hominem. Elle tient en ceci : « La grande famille des libres-censeurs s’auto-légitime en permanence, vouant aux gémonies ceux qui les déconsidèrent. Et toutes les attaques arrivent en même temps et se coordonnent, les assaillants se félicitant entre eux. Isabelle Philippon, coordinatrice d’un dossier Kairos sur la vague complotiste, a commenté un post de Gilles Bailleux. Gilles Bailleux, proche du clan Reynders, exécutant du site de Philippe Goffin, exultant parce que deux de ses plaintes contre Kairos ont été déclarées fondées (NDLR : par le CDJ). Et Isabelle Philippon de le féliciter en ces termes : « Kairos, ou la triste dérive d’un journal « alternatif » devenu chantre de la désinformation et de la banalisation de l’extrême droite. Bravo à tous ceux qui, tels Gilles Bailleux, traquent les fake news. » L’ancienne de la RTBF et de Roularta, en manque de notoriété sans doute, passe le savon ou la vaseline, elle sait que c’est une façon idoine d’obtenir la reconnaissance du pouvoir. (…) » (7) Nous laissons aux lecteurs et aux lectrices le soin de juger par eux-mêmes du fondement et du niveau des arguments développés par l’auto-proclamé (seul?) défenseur de la liberté de la presse et de la vérité.

Le 26 avril, Kairos faisait la promo d’une conférence de la Française d’extrême droite Marion Sigaut. La vidéo de la conférence, elle, est passée à la trappe pour cause de dissensions internes…
Le 26 avril, Kairos faisait la promo d’une conférence de la Française d’extrême droite Marion Sigaut. La vidéo de la conférence, elle, est passée à la trappe pour cause de dissensions internes…

En attendant, Kairos continue de faire la promotion de conférenciers d’extrême droite sur sa page Facebook. Ainsi, le 26 avril dernier, il annonçait la venue, à Ittre, le 10 mai, de la Française Marion Sigaut, sur le thème de « Enfance et Sexualité, les dérives du système » (8). Marion Sigaut qui a été membre d’Egalité et Réconciliation (E&R), un mouvement d’extrême-droite proche (puis dissident) du Front National, de 2011 à 2020. Elle se serait depuis rapprochée de Civitas, le groupuscule d’extrême-droite catholique, déjà évoqué dans notre dossier. C’est ainsi que, le 23 mai dernier, elle prenait la parole à un « Hommage à Ste Jeanne d’Arc » organisé par Civitas (9). L’équipe Kairos se promettait de diffuser la vidéo de la conférence du 10 mai sur sa page Facebook, avant de revenir sur sa décision. Notre dossier aurait-il contribué à ouvrir les yeux de certains membres du comité de rédaction de Kairos sur la dérive idéologique du journal et des collaborations qu’il développe ? De certains, peut-être, mais manifestement pas de son rédacteur en chef qui, ce 18 mai encore, participait au nom de son média à une journée de conférences covido-sceptiques en France, où il introduisait l’intervention d’ « une des seules députées européennes à s’opposer au totalitarisme politique » (sic), en l’occurrence Virginie Joron, députée du Rassemblement National (lire ici).

(1) « Kairos sur la vague du complotisme », Ensemble ! n° 109 (décembre 2022 – mars 2023), pp. 4 à 53.

(2) L’avocate fait ici allusion à un autre article, baptisé « La transparence, le critère manquant des aides à la presse »  et paru en avril 2018 (Ensemble ! n° 96), dans lequel un ancien membre du CA de Kairos nous faisait part de l’absence de concertation et de collégialité au sein du CA de Kairos quant à l’affection des aides à la presse qu’avait touchées le bimestriel. Trois ans après la publication de cet article (!) la même Aude Tanghe nous mettait en demeure de retirer l’article « calomnieux et diffamatoire » de notre site internet, « sous peine d’importantes astreintes ». Ce que, en l’absence du moindre élément factuel démontrant la calomnie et la diffamation, nous n’avons bien entendu pas fait.

(3) Lettre de mise en demeure du 14 février 2023 adressée par Maître Aude Tanghe à Arnaud Lismond-Mertes, éditeur responsable de la revue Ensemble !

(4) Courrier du 17 février 2023 adressé par Arnaud Lismond-Mertes à Aude Tanghe, l’avocate de Kairos, en réponse à sa mise en demeure du 14 février.

(5) Lire l’article « Je ne vois pas l’intérêt de faire une interview avec vous », Ensemble ! n°109, pp. 8 et 9.

(6) Courrier reçu par Ensemble ! le 27 mars dernier et signé par l’ « équipe de Kairos », nous signifiant son refus de nous octroyer une interview.

(7) Alexandre Penasse, KOMPLOTISTE!, vidéo en ligne sur www.kairospresse.be, le 3 mai 2023

(8) Voir sur la page Facebook de Kairos (www.kairospresse.be), le 26 avril 2023.

(9) Hommage à Ste Jeanne d’Arc avec Marion Sigaut et Civitas ce dimanche 7 mai 2023, sur medias-presse.info le 6 mai 2023.

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