revenu de base

Les Jeunes CSC disent non à l’allocation d’autonomie jeunes

Le débat sur l’opportunité de la mise en place d’une « allocation d’autonomie » spécifique aux 18 – 25 ans a été ouvert au sein des Jeunes CSC. Une option finalement rejetée, explique leur responsable national, Nel Van Slijpe, au profit de demandes de renforcement des mécanismes de Sécurité sociale existants.

Nel Van Slijpe, responsable national des Jeunes CSC : « Les effets négatifs potentiels d’un revenu de base sont trop nombreux ».
Nel Van Slijpe, responsable national des Jeunes CSC : « Les effets négatifs potentiels d’un revenu de base sont trop nombreux ».

Depuis plusieurs années, les Jeunes CSC mettent l’accent sur l’appauvrissement croissant et alarmant de la jeunesse. La tranche d’âge des 15-24 ans est la deuxième à présenter le risque de pauvreté le plus important. Aujourd’hui (1), plus de 30 % des bénéficiaires du revenu d’intégration (RI) en Belgique sont des jeunes âgés entre 18 et 24 ans (alors qu’ils ne représentent que 10,2% de la population). Près de la moité (44%) de ces jeunes sont des étudiants alors que ceux-ci n’étaient que 22 % en 2003. (Lire le graphique.) Ils sont ainsi plus de 20.000 à émarger au CPAS, pour 4.251 en 2003 (2). Les étudiants, bénéficiaires ou non du CPAS, doivent également de plus en plus souvent trouver des jobs pour faire face aux frais de leurs études. Quant aux jeunes qui ne sont plus étudiants, ils sont évidemment pénalisés par la restriction de l’accès aux allocations d’insertion (droit au chômage ouvert sur la base des études et non du travail) et par le manque d’emplois qui leur sont accessibles. Quand ils trouvent des jobs, ceux-ci sont souvent précaires et de mauvaise qualité (intérim, CDD, temps partiels, etc.).

Le Congrès national 2019 de la CSC avait demandé aux Jeunes CSC de formuler des propositions concrètes afin d’assurer l’autonomie financière et la sécurité du revenu des travailleurs en début de carrière et des jeunes à partir de 18 ans. En mars 2021 encore, la Secrétaire générale de la CSC, Marie-Hélène Ska, avait déclaré au journal l’Echo qu’elle estimait qu’il serait utile de plancher sur l’instauration d’une branche de la Sécurité sociale dédiée aux jeunes, à l’instar de la pension pour les plus de 65 ans : « Les jeunes passent souvent à travers les mailles du filet de la Sécurité sociale, parce que tout est très compliqué pour eux, et ils ont dès lors du mal à accéder à l’indépendance financière », indiquait-elle (3). De facto, une telle mesure convergerait avec la proposition de « Revenu de base jeunes » adoptée par Ecolo et intégrée au sein de son programme électoral en 2019 (4).

Qu’en est-il in fine du positionnement des Jeunes CSC ? Nous avons posé la question à leur responsable national, Nel Van Slijpe, qui nous a expliqué qu’à travers leur processus démocratique interne et les assemblées générales qu’ils ont tenues en 2020 et 2021, les Jeunes CSC ont débattu de ces questions et se sont ouvertement positionnés contre le fait de considérer la jeunesse en elle-même comme un « risque social » et ont préféré privilégier des mesures pour l’autonomie financière des jeunes suivant leur statut (étudiants, sans-emploi, travailleurs) plutôt qu’une approche universelle de type revenu de base. Ils ont donc rejeté la proposition « d’allocation d’autonomie jeunes ». Le choix des Jeunes CSC est de construire les droits sociaux des jeunes à l’intérieur de la Sécurité sociale existante, ce qui ne les empêche pas de réfléchir notamment, vu leur précarité grandissante, à la création d’une allocation spécifique au bénéfice des étudiant.e.s, sous condition de revenus.

Les positions de l’Assemblée générale de 2020

Les Jeunes CSC se sont emparé.e.s du mandat que leur a confié le Congrès national 2019. Le constat de risque de pauvreté grandissant auquel les jeunes font face est largement partagé. Malgré cela, les Jeunes CSC ne considèrent pas la jeunesse comme un nouveau risque social. Leur positionnement est clair : ce sont les décisions politiques passées qui ont fait basculer une partie de la jeunesse dans le risque de précarité, et c’est d’abord en revenant sur ces décisions qu’il peut y être remédié.

Voici les points qui ont été soumis au vote de l’AG.

Les JCSC considèrent-il.elle.s que la jeunesse constitue dorénavant un risque social ?
OUI : 33% – NON : 67%

Les JCSC sont-il.elle.s d’accord pour que les propositions élaborées par les Jeunes CSC/Jong ACV dans le cadre du mandat confié par le congrès, se formulent à l’intérieur de la Sécurité sociale ?
OUI : 100% – NON : 0%

Les propositions élaborées doivent-elles être universelles (même solution pour tous les jeunes indépendamment de leur statut) ou spécifiques par public (NEET – étudiant-demandeur d’emploi – travailleur n’ayant pas ouvert ses droits au chômage) ?
Universelles : 25% – Spécifiques : 75%

Les JCSC désirent-il.elle.s que les propositions élaborées par les Jeunes CSC/Jong ACV comprennent un accompagnement obligatoire des jeunes ?
OUI : 42% – NON : 58%

Ensemble ! : La situation des jeunes inquiète les Jeunes CSC depuis plusieurs années…

Nel Van Slijpe (Jeunes CSC): En effet. Nous constatons depuis une décennie une dégradation manifeste, largement causée par des décisions politiques fédérales. Fin 2011, le gouvernement Di Rupo (2011 – 2014) a décidé de restreindre l’accès aux allocations d’insertion, d’allonger le stage d’insertion (durant lequel le jeune ne touche pas d’allocation) de six mois à un an et de limiter le bénéfice de ces allocations à trois ans. Ensuite, c’est le gouvernement Michel (2014 – 2018) qui en a encore davantage durci l’accès en abaissant à moins de vingt-cinq ans (au lieu de moins de trente) la limite d’âge à laquelle on peut ouvrir son droit aux allocations d’insertion et en le rendant impossible pour les moins de vingt et un ans sans diplôme. Par ailleurs, le gouvernement Di Rupo, puis plus fortement encore le gouvernement Michel, ont assoupli les règles limitant le travail étudiant de telle sorte qu’il ne reste plus guère de balises, tant en termes de périodes de prestation (plus de distinction entre congés et année scolaires) que de nombre d’heures. (5) Enfin, et cela ne concerne pas que les étudiants, la flexibilisation et donc la précarisation des emplois ont aussi augmenté.

Quelles ont été les réactions des Jeunes CSC à ces mesures ?

Outre un cahier de revendications remettant en cause ces mesures, une discussion a émergé entre 2017 et 2020 au niveau des Jeunes CSC et dans l’ensemble de la CSC sur l’opportunité de reconnaître la jeunesse en elle-même comme un nouveau risque social à couvrir collectivement à travers la création d’une allocation d’autonomie, qui serait accordée à tous les jeunes de dix-huit à vingt-cinq ans et qui serait donc basée sur l’âge et non pas sur le statut (étudiant/salarié/ indépendant/chômeur/bénéficiaire du RI…).

Près de la moité (44%) des jeunes bénéficiaires du RI sont des étudiants alors que ceux-ci n’étaient que 22 % en 2003.
Près de la moité (44%) des jeunes bénéficiaires du RI sont des étudiants alors que ceux-ci n’étaient que 22 % en 2003.

Même pour ceux qui ne seraient plus étudiants donc ?

Oui, la proposition débattue était l’idée était d’octroyer une « allocation d’autonomie jeunes » à la fois aux étudiants et aux travailleurs, tant avec que sans emploi, qui la percevraient donc de dix-huit à vingt-cinq ans. Avec toutefois cette particularité que le montant de l’allocation aurait été dépendant des ressources du jeune afin que son revenu total atteigne un montant minimum, un complément aux revenus propres du jeune pour atteindre le montant de l’allocation d’autonomie.

L’idée n’était donc pas celle d’un revenu de base inconditionnel ?

Non, il était question de tenir compte des ressources. L’objectif était la création d’une branche spécifique pour les jeunes au sein de la Sécurité sociale, ce qui aurait donc signifié, dans la logique d’assurance sociale, de considérer qu’être jeune constitue en soi un risque social qui justifierait, sous conditions, de recevoir une allocation.

Vous utilisez le conditionnel, cela ne s’est donc pas concrétisé ?

Le Congrès national 2019 de la CSC avait donné mandat aux Jeunes CSC (et à leurs homologues flamands les Jong ACV) de formuler des propositions concrètes afin d’assurer l’autonomie financière et la sécurité du revenu des travailleurs en début de carrière et des jeunes à partir de dix-huit ans. La proposition d’allocation d’autonomie avait été imaginée dans ce but. Mais elle devait être soumise aux comités jeunes des différentes régions, qui sont au nombre de huit. J’insiste beaucoup sur le processus démocratique qui a été mis en place pour adopter notre position. Cela s’est déroulé juste avant le Covid, à partir de fin 2019 jusque début 2020, et cela s’est conclu par une Assemblée générale des Jeunes CSC le 8 février 2020. Lors de cette AG, les revendications existantes et la proposition d’allocation d’autonomie ont été présentées puis débattues et soumises au vote des militants.

Avec quels résultats ?

L’AG s’est très majoritairement prononcée pour le renforcement des revendications spécifiques à certains publics au sein de la Sécurité sociale plutôt que pour la création d’une nouvelle branche « jeunes » sur une base universelle au sein de la Sécu. A la question de savoir si être jeune constitue un risque social, la réponse a été clairement non ! (Lire l’encadré) Certes, les jeunes sont confrontés à des études trop chères, des conditions de travail difficiles, des salaires insuffisants, un manque d’emplois, etc. Les besoins et difficultés des jeunes sont avérés, mais l’AG a donné mandat de dire que la proposition d’allocation d’autonomie telle qu’elle était formulée ne répondait pas aux attentes des militants. Ceux-ci ont exprimé leur conviction que la solution n’est pas de revenir sur le principe de la Sécurité sociale mais au contraire de reconstruire et de renforcer des parties de celle-ci qui ont été démantelées. Il faut continuer à lier les allocations de remplacement à un statut et pas juste à un critère d’âge. En effet, toute une partie de la jeunesse n’a pas besoin d’une telle allocation alors que la partie qui en a vraiment besoin pourrait être pénalisée par un système universel qui distribuerait la même chose à tout le monde. En outre, un revenu de base peut mettre en danger la négociation collective et la formation des salaires, en mettant sur le marché un stock de jeunes travailleur.euse.s prêt.e.s à travailler même à un niveau de salaire minime, afin de compléter le revenu constitué par l’allocation. Ce n’est pas à l’État de suppléer aux salaires trop bas, c’est aux patrons de payer des salaires suffisants. Bref, l’AG a estimé que les effets négatifs potentiels d’une telle allocation étaient trop nombreux.

Quelles propositions avez-vous adoptées dès lors ?

Pour réaliser ce qu’a demandé l’AG, c’est-à-dire formuler de nouvelles propositions concrètes pour les jeunes à l’intérieur de la Sécurité sociale, spécifiques à chaque situation qu’un.e jeune peut vivre et sans accompagnement obligatoire, nous avons poursuivi le même processus démocratique, avec les différents comités, pendant une année supplémentaire. Cela a débouché sur une nouvelle AG le 20 février 2021 qui, à cause des mesures sanitaires, s’est tenue via Discord. (6) Le résultat a été l’adoption de sept revendications visant à renforcer l’autonomie financière des jeunes en début de carrière. La première est l’individualisation des droits en Sécurité sociale, en commençant par la suppression du statut cohabitant et une automatisation de l’octroi des droits qui peuvent l’être pour lutter contre le non-recours et les obstacles administratifs.

« Notre première revendication est l’individualisation des droits en Sécurité sociale, en commençant par la suppression du statut cohabitant »

Ce qui répondrait à pas mal d’aspirations des partisans d’un revenu universel…

En effet. Secundo, pour favoriser l’engagement des jeunes travailleurs, nous plaidons pour une réduction collective du temps de travail avec maintien du salaire et embauche compensatoire en CDI (contrat stable et de qualité). Alors qu’aujourd’hui plus de 70 % des contrats intérim sont occupés par des jeunes de moins de 35 ans, si l’on prend l’ensemble des jeunes de moins de 25 ans qui ont un emploi, la moitié ont des contrats temporaires. Notre troisième revendication vise dès lors à permettre à ces jeunes en CDD, intérim ou temps partiel, par exemple, d’accéder plus facilement au chômage sur la base du travail. Il s’agirait de réduire à six mois, au lieu de douze actuellement, la période de travail initiale nécessaire pour avoir droit au chômage si l’on perd son emploi.

Stop à la galère !

Depuis l’été 2021, les Jeunes CSC mènent la campagne « STOP à la galère en début de carrière ! » avec le slogan « + de blé, + de Sécurité sociale, + de dignité ! » Tout d’abord, un appel à témoignages a été lancé en juin 2021 à l’attention des jeunes victimes des restrictions d’accès aux allocations d’insertion. Résultat ? Près de trois cents jeunes se sont manifestés dans le but de constituer un dossier auprès du service juridique. Ensuite, les Jeunes CSC sont allés sur le terrain, munis d’une enquête. Cet outil leur a permis de parler de leur campagne à plus de trois cents autres jeunes?! Elle leur a également servi à tirer davantage d’enseignements à propos des situations concrètes de ces jeunes et de les sensibiliser à la problématique. Les témoignages récoltés ont malheureusement confirmé leurs inquiétudes puisque :
* 50% des jeunes (ayant répondu à l’enquête) finiront leurs études après 25 ans et n’auront donc pas accès aux allocations d’insertion ;
* 47% pensent qu’ils auront beaucoup de mal à trouver du travail après leurs études ;
* 35% comptent déjà aujourd’hui sur leur job étudiant pour leurs dépenses quotidiennes.

La campagne a été lancée en juin 2021 à l’attention des jeunes victimes des restrictions d’accès aux allocations d’insertion.
La campagne a été lancée en juin 2021 à l’attention des jeunes victimes des restrictions d’accès aux allocations d’insertion.

Et pour le chômage sur la base des études ?

Nous voulons que l’âge limite pour ouvrir son droit aux allocations d’insertion soit ramené à trente ans, au lieu de la limite de vingt-cinq introduite par le gouvernement Michel. Nous souhaitons réduire le stage d’insertion à septante-cinq jours et exigeons, bien sûr, la suppression de la limitation dans le temps des allocations d’insertion. Cette limitation est l’une des causes importantes de la précarisation des jeunes sur le marché de l’emploi.

Vous n’avez pas encore évoqué les étudiants…

Ils sont concernés par les revendications cinq à sept. Tout d’abord, pour les jeunes en formation en alternance, nous demandons que leur contrat soit davantage calqué sur le contrat d’apprentissage industriel en vigueur précédemment. Nous voulons également qu’ils soient rémunérés sur une base horaire, au salaire minimum du secteur, et non plus de façon forfaitaire. Cela ne peut être que positif pour leur implication dans l’entreprise. Un employeur qui paie un jeune au salaire minimum sera plus attentif à ce que sa formation soit de qualité. Et ce sera bien sûr plus motivant pour les jeunes eux-mêmes. Revaloriser la formation en alternance participerait au fait que ce ne soit plus une filière de relégation.

Quid des étudiants jobistes ?

Notre sixième revendication porte sur la revalorisation de leur salaire brut avec une part de cotisations sociales patronales qui passerait à 25 % (au lieu d’une cotisation de solidarité de seulement 5,42% actuellement, dérogatoire au régime général des salariés) ou au moins à un niveau suffisant pour que le jeune commence à constituer des droits en Sécurité sociale. Nous reconnaissons que l’engagement des étudiants doit rester attractif étant donné que beaucoup d’étudiants ont absolument besoin de travailler, tant qu’il n’existe pas – suffisamment – d’autres moyens de s’en sortir. Idéalement le travail étudiant ne devrait pas exister, mais force est de constater qu’il est actuellement indispensable pour beaucoup de jeunes. Il n’empêche que nous rappelons sans relâche que le travail principal de l’étudiant, c’est d’étudier.

« Revaloriser le salaire brut des étudiants et augmenter à 25 % la part des cotisations patronales pour le travail étudiant, afin de leur permettre de constituer des droits en Sécurité sociale »

Comment faire alors pour que les étudiants ne soient pas obligés de bosser pour obtenir un revenu ?

Notre septième revendication vise les étudiants en général. La revendication doit encore être développée mais elle vise d’abord la réduction du coût des études. D’autres outils sont à discuter comme les bourses d’études, une allocation étudiante ou allocation d’autonomie sous une forme spécifique pour les étudiants, etc. Toutes nos revendications continueront d’être enrichies et affinées par les retours du terrain, notamment grâce à notre campagne en cours. (Lire l’encadré) Signalons aussi que nos revendications sur les allocations d’insertion et sur les salaires des jobistes ont déjà été adoptées par nos homologues flamands des Jong ACV, qui soutiennent également l’idée de renforcer la Sécurité sociale existante.

(1) Nous nous basons sur les chiffres de 2019, les deux années de pandémie étant particulières et demandant encore un peu de recul pour que les chiffres soient consolidés et analysés.

(2) « Jeunes et étudiants bénéficiaires d’un revenu d’intégration », FOCUS numéro 25 – Novembre 2019, SPP Intégration sociale.

(3) Jean-Paul Bombaerts, « Georges-Louis Bouchez (MR) lance au sein de son parti le débat sur le revenu universel. », L’Echo, 05.03.21.

(4) Pour une présentation et une analyse de la proposition, voir le dossier qui y a été consacré dans Ensemble ! n°97, septembre 2018.

(5) Lire pour les détails Y. Martens, « Travail étudiant : stop ou toujours plus ? », Ensemble ! n° 94, septembre 2017. A noter que le gouvernement De Croo vient encore d’augmenter (de 475 à 600 heures par an) la limite d’heures avec cotisations sociales réduites.

(6) Discord est un logiciel propriétaire gratuit de VoIP (pour voix sur IP, comme Skype) et de messagerie instantanée. Conçu initialement pour les communautés de joueurs de jeux vidéo, son utilisation s’est diversifiée avec le temps.

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