énergie

L’évolution des prix de l’énergie et des protections sociales à Bruxelles

Comment les prix du gaz et de l’électricité ont-ils augmenté depuis 2020? Quelles sont les protections sociales qui ont été développées? Focus sur la situation en région bruxelloise.

Dessin Manu Scordia
Dessin Manu Scordia

En septembre 2022, la CREG (c’est-à-dire l’autorité fédérale censée réguler le marché du gaz et de l’électricité en Belgique), prenait acte de l’explosion des prix du gaz et de l’électricité : « Les prix de marché de gros du gaz naturel et de l’électricité atteignent ces derniers jours des niveaux exceptionnellement élevés et jamais vus jusqu’ici. La hausse des prix du gaz naturel trouve son origine dans la réduction de l’offre en gaz russe à la suite de l’invasion de l’Ukraine. L’Europe est en compétition avec l’Asie pour attirer le gaz naturel liquéfié (GNL) pour compenser cette réduction, ce qui pousse les prix à la hausse. Le mécanisme de formation des prix de l’électricité, basé sur le dernier kWh produit, répercute la hausse actuelle des prix du gaz et du charbon sur le marché de l’électricité. » (1).

Par ailleurs, si l’indexation des salaires et des allocations reste le mécanisme le plus important pour la protection du pouvoir d’achat des ménages, une série de mesures spécifiques ont été adoptées. Au niveau fédéral il s’agit principalement de l’extension du bénéfice du tarif social en gaz et en électricité aux titulaires du statut BIM (« Bénéficiaire de l’intervention majorée ») (Lire l’encadré) et de la réduction de la TVA à 6 % sur le gaz et l’électricité. Le gouvernement fédéral a décidé d’accorder une aide supplémentaire aux ménages en matière d’énergie. Celle-ci consiste en un versement de 135 euros par mois pour le gaz et de 61 euros par mois pour l’électricité (soit 196 euros par mois pour les deux énergies) dont bénéficiera toute personne ayant conclu, pour son domicile, un contrat d’énergie de type résidentiel variable ou un nouveau contrat fixe conclu ou renouvelé après le 10.10.21. Cette formule sera appliquée à partir du mois de novembre 2022, jusqu’en mars 2023 (ce qui représente donc 980 euros pour la période de cinq mois). L’aide sera directement déduite de la facture du fournisseur. Elle n’est pas octroyée aux bénéficiaires du tarif social. Le mécanisme de l’indexation des salaires et des allocations, d’une part et le tarif social élargi aux bénéficiaires du BIM, d’autre part, se révèlent donc des mécanismes essentiels pour préserver le pouvoir d’achat des ménages dans ce contexte d’explosion des coûts de l’énergie. Ces mesures ont été complétées au niveau régional bruxellois. D’une part à travers l’octroi d’un budget de dix millions aux CPAS pour « soutenir les ménages face aux conséquences de la hausse des prix de l’énergie ». De l’autre via l’ouverture du statut de « client protégé » (fourni au tarif social) largement accessible aux personnes à revenus faibles ou moyens (inférieurs à 39.212 euros pour une personne isolée et 54.856 euros pour une déclaration commune, avec un supplément par personne à charge) et en difficulté de paiement. Enfin, pour éviter les coupures, par la création d’une possibilité de « fourniture garantie » auprès du gestionnaire public du réseau (Sibelga), sur injonction des CPAS (cette mesure était déjà prévue avant l’explosion des prix, mais prend plus de sens encore dans ce contexte) (2).

L’évolution de l’offre de fournisseurs et de prix

Quelle est la situation des ménages bruxellois par rapport à leur accès à l’énergie, dans le contexte de l’augmentation des prix du gaz et de l’électricité ? Comment les mécanismes de protection sociale sont-ils appliqués sur le terrain ? Pour en savoir plus, nous nous sommes tournés vers nos collègues de l’équipe du service Infor Gaz Elec (Lire l’encadré) qui nous ont donné un aperçu de l’évolution des offres de contrats en région bruxelloise (ci-dessous) et nous ont fait part de leur vision de la situation des ménages (Lire ici).

Plus que deux fournisseurs en Région bruxelloise

Tout d’abord, comment a évolué l’offre de fournisseurs, de contrats et de prix en région bruxelloise ? En octobre 2020, Infor Gaz Elec y répertoriait cinq fournisseurs d’énergie (Mega, Octa+, Engie Electrabel, Lampiris, Luminus) actifs. Ces fournisseurs offraient tous notamment des contrats à prix fixes, tant en gaz qu’en électricité. Pour un ménage ayant une consommation médiane d’énergie (c’est-à-dire, en Région de Bruxelles Capitale, 2.036 kwh en électricité et 12.728 kwh en gaz), le contrat fixe le plus intéressant était offert par Mega (« Super Fixe un an ») à 450 euros pour l’électricité et à 562 euros pour le gaz. Si le ménage avait et faisait valoir son droit au « tarif social » (TS), sa facture annuelle était alors estimée à 357 euros en électricité et 247 euros en gaz. En octobre 2021, l’offre de fournisseurs s’est considérablement réduite (seulement Engie, Luminus et Lampiris). Pour les mêmes consommations, la meilleure offre à prix fixe était alors celle d’Engie Electrabel en électricité à 625 euros (« Direct 3 ans ») et, toujours chez Engie Electrabel, à 997 euros en gaz (« Easy 3 »). Le prix annuel estimé de la fourniture au tarif social était alors de 483 euros en électricité et de 361 euros en gaz. En octobre 2022, il n’y avait plus que deux fournisseurs actifs en Région bruxelloise (Engie et Total), et plus d’offre à prix fixe ni pour le gaz ni pour l’électricité (sauf un contrat « TotalEnergies Emobibity » à 1.447 euros, spécifique pour les détenteurs d’une voiture électrique). La meilleure offre, à prix variable, était à 1.179 euros en électricité (« Engie Electrabel Flow ») et, en gaz, à 2.048 euros (« Engie Electrabel Direct »). Tandis que le tarif social donnait lieu à une estimation de facture de 425 euros pour le gaz et de 548 pour l’électricité, soit de 973 euros pour les deux énergies, ce qui est 70 % moins cher que le prix du marché (Lire le graphique).

L’augmentation entre octobre 2020 et octobre 2022 du coût annuel estimé de la facture d’un consommateur médian bruxellois qui doit souscrire un nouveau contrat d’énergie est de + 109% en électricité et + 355% en gaz.
L’augmentation entre octobre 2020 et octobre 2022 du coût annuel estimé de la facture d’un consommateur médian bruxellois qui doit souscrire un nouveau contrat d’énergie est de + 109% en électricité et + 355% en gaz.

Il n’empêche, vu l’ampleur des augmentations des prix du gaz et de l’électricité, l’augmentation des prix est difficilement supportable pour certains. Par exemple, parce qu’ils habitent dans un immeuble trop énergivore, mal isolé (« passoire énergétique ») et qu’ils sont donc exposés à une consommation de chauffage plus importante, ou encore parce qu’ils passent « à côté » des principaux mécanismes de protection existants. Soit que leur revenu est juste un peu trop élevé pour ouvrir le droit au tarif social, soit que leur fourniture de chauffage relève d’une chaudière collective dans un logement privé, soit parce qu’ils ne connaissent pas leurs droits et/ou ne savent pas les faire valoir, etc. Les mesures adoptées ne corrigent pas toutes les inégalités. Face à la crise de l’énergie, mieux vaut avoir deux salaires à temps plein qu’un salaire à temps partiel, mieux vaut habiter dans un immeuble social bien isolé que de louer une passoire énergétique sur le marché privé, etc.

Le tarif social, 70 % moins cher que le prix du marché

Le tarif social pour les BIM

Le statut de « bénéficiaire de l’intervention majorée » (BIM) est attesté par la mutuelle, soit en fonction de la situation, soit en fonction du revenu. Il permet entre autres un meilleur remboursement des frais et soins médicaux. En raison de la crise de l’énergie, le gouvernement fédéral a prévu que les personnes qui ont droit à l’intervention majorée et qui ont conclu un contrat pour l’achat d’énergie pour leur propre usage (clients résidentiels) bénéficient temporairement du tarif social. Cette mesure est prolongée jusqu’au 31 mars 2023.

Plusieurs catégories de personnes peuvent prétendre au statut :

– Les personnes bénéficiaires de certaines allocations sociales (revenu d’intégration , garantie de revenus aux personnes âgées, allocation de personne handicapée etc.).

– Les personnes dans une situation particulière (veuf, invalide ou pensionné par exemple) dont les revenus bruts imposables de l’année en cours ne dépassent pas un certain plafond.

– Les personnes à bas revenus, sans situation particulière, dont les revenus bruts imposables de l’année précédente ne dépassent pas un certain plafond (environ 23.000 euros + un montant par personne à charge).

Dans certains cas, le statut BIM est octroyé automatiquement. Dans d’autres, il faut contacter sa mutuelle pour vérifier si l’on y a droit et, le cas échéant, transmettre au fournisseur une attestation de celle-ci.

Selon la CREG, l’élargissement du tarif social spécifique (TSS) aux bénéficiaires du statut BIM double potentiellement le nombre de personnes qui peuvent prétendre au tarif social (a). Plus spécifiquement pour la région bruxelloise, selon Brugel, le régulateur régional du marché « sur un ensemble d’environ 530.000 ménages en Région de Bruxelles-Capitale, 67.500 (13% ) bénéficient du TSS [non élargi] et 79.500 (soit 15%) sont sous le statut BIM » (b).

(a) CREG, Avis A.2082, 28 mai 2020.

(b) Brugel, Étude 20211109-40, 9/11/2021, p. 10.

Une large protection via l’index et le tarif social

L’augmentation de « l’indice santé », qui sert entre autres au calcul de l’indexation des salaires et des allocations sociales a été de 1 % en 2020, 2 % en 2021. Elle devrait être, selon le Bureau fédéral du plan, de 9 % en 2022 et 7,3% en 2023 (3). En mai 2022, le prestataire de services RH SD Worx indiquait que le salaire médian brut (temps plein) avait déjà fortement progressé à Bruxelles au premier trimestre de 2022, s’établissant désormais à 3.321 euros bruts, soit une hausse mensuelle de 137 euros par rapport à l’année précédente selon les données (4). On peut aussi conjuguer les chiffres donnés par le Bureau du Plan et ceux de RH SD Worx pour extrapoler les augmentations des salaires bruxellois. Selon RH SD, le salaire médian brut bruxellois mensuel pour un temps plein était de 3.187 euros en 2021. Si on applique à ce montant les indexations prévues par le Bureau du plan pour 2022 et 2023, on arrive à un salaire médian brut bruxellois mensuel pour un temps plein de 3.474 euros en 2022 et de 3.727 euros pour 2023. Ce qui représente une augmentation mensuelle de 287 euros pour 2022, à laquelle devrait s’ajouter une nouvelle augmentation de 253 euros pour 2023. Soit une augmentation mensuelle totale de 540 euros, ce qui pour une année représente une augmentation de 6.480 euros du salaire brut annuel… si les prévisions du Bureau du plan se réalisent et si le gouvernement fédéral ne bloque pas l’indexation des salaires, En outre, vu que les indexations des salaires sont lissées dans le temps et appliquées seulement selon la périodicité propre aux différentes commissions paritaires ou réglementations, cette augmentation ne produirait pleinement ses effets qu’en 2024.

Infor Gaz Elec, pour mieux informer et défendre les consommateurs bruxellois

En 2007, lors de la transposition en région bruxelloise des directives européennes libéralisant le marché du gaz et de l’électricité, le Collectif solidarité contre l’exclusion asbl avait identifié une pièce manquante au dispositif de protection sociale prévu par la région. La libéralisation du marché entraînant une complexification de celui-ci, il était essentiel pour garantir le droit à l’énergie des ménages, et en particulier pour les plus précaires, de les aider à accéder aux informations nécessaires et à défendre leurs droits. Il nous avait semblé que le secteur associatif avait un rôle à jouer pour la défense des consommateurs. Avec le soutien de la Coordination gaz eau électricité Bruxelles ainsi que de la FGTB Bruxelles et de la CSC Bruxelles, nous avons donc proposé de prendre en charge l’organisation d’un tel service. Cette initiative a rencontré un accueil favorable de la part de la ministre de l’Energie (Evelyne Huytebroeck), de Bruxelles-Environnement ainsi que de l’ensemble du gouvernement bruxellois.

Quinze ans plus tard, le service a largement fait la preuve de son utilité. La complexification du marché de l’énergie, impulsée par l’Union européenne, a été croissante (et elle devrait encore augmenter à l’avenir avec les projets de « compteurs intelligents » et de « tarification dynamique »). Aujourd’hui, le besoin d’information et d’accompagnement en la matière est doublement exacerbé. Premièrement, par l’augmentation des prix de l’énergie, qui fait que ces dépenses prennent de plus en plus de poids à l’intérieur du budget des ménages. Deuxièmement, de par la rapidité des changements qui interviennent dans le marché, qu’il s’agisse des prix, des fournisseurs actifs, des offres de contrats, des réglementations ou des aides disponibles.

Grâce au soutien de la Région bruxelloise, le service Infor Gaz Elec et son équipe (accueil, conseillers.ères, juristes) offrent à tous les ménages bruxellois qui les sollicitent des informations et un accompagnement pour comprendre leur facture d’énergie, effectuer un choix pertinent de contrat, souscrire un contrat, résoudre leurs problèmes avec leurs fournisseurs, faire face à une menace de coupure, activer les protections sociales auxquelles ils ont droit, porter plainte et faire valoir leurs droits de consommateurs en général, etc. Le tout gratuitement, avec un accueil bienveillant et dans une optique non commerciale. Contact : Infor Gaz Elec – Chaussée de Haecht, 51 B-1210 Bruxelles – 02/209 21 90 – info@gazelec.infowww.inforgazelec.be

Il n’empêche, vu l’ampleur des augmentations des prix du gaz et de l’électricité, l’augmentation des prix est difficilement supportable pour certains. Par exemple, parce qu’ils habitent dans un immeuble trop énergivore, mal isolé (« passoire énergétique ») et qu’ils sont donc exposés à une consommation de chauffage plus importante, ou encore parce qu’ils passent « à côté » des principaux mécanismes de protection existants. Soit que leur revenu est juste un peu trop élevé pour ouvrir le droit au tarif social, soit que leur fourniture de chauffage relève d’une chaudière collective dans un logement privé, soit parce qu’ils ne connaissent pas leurs droits et/ou ne savent pas les faire valoir, etc. Les mesures adoptées ne corrigent pas toutes les inégalités. Face à la crise de l’énergie, mieux vaut avoir deux salaires à temps plein qu’un salaire à temps partiel, mieux vaut habiter dans un immeuble social bien isolé que de louer une passoire énergétique sur le marché privé, etc.

(1) CREG, Communiqué de presse, Etude de la CREG sur l’impact de la persistance de prix élevés sur les marchés de gros du gaz et de l’électricité, 13.09.22.

(2) A. Maron : « Allier transition énergétique et justice sociale », Ensemble ! n° 106, décembre 2021, p. 88 ; Paul Vanlerberghe, « Fuite des fournisseurs mais fourniture garantie », Ensemble ! n° 107, mai 2022, p. 6.

(3) Bureau Fédéral du Plan, Indice des prix à la consommation – Prévisions d’inflation, 04/10/2022.

(4) La Libre / Belga, Voici le salaire médian brut dans les trois Régions du pays, 23-05-2022, www.sdworx.be, La moitié des salariés wallons gagnent plus de 2.700 euros bruts par mois, 23 mai 2022

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