droit à l'énergie

Fuite des fournisseurs mais fourniture garantie

Une nouvelle ordonnance relative à l’organisation du marché de l’électricité et du gaz en Région de Bruxelles-Capitale a été adoptée au parlement bruxellois ce 11 mars. Analyse de son contenu.

L’usager doit donner explicitement la permission pour que son compteur intelligent envoie des données en permanence
L’usager doit donner explicitement la permission pour que son compteur intelligent envoie des données en permanence

L’annonce de l’adoption d’une ordonnance modifiant l’encadrement régional du marché du gaz et de l’électricité avait été lancée dès le début de la législature. C’est depuis peu chose faite. La première version du projet d’ordonnance avait été finalisée en décembre 2020 et fut soumise à l’avis des partenaires sociaux et environnementaux au printemps de 2021. Le ministre Maron (Ecolo) nous en avait dévoilé fin 2021 les principaux axes. (Lire ici). Ce 3 mars 2022, après 14 mois de stagnation du projet, un paquet de 400 pages, contenant la nouvelle version du projet d’ordonnance (et également une proposition d’ordonnance du MR), fut transmis aux parlementaires. Quatre jours plus tard, la Commission de l’Energie du parlement régional se réunissait pour discuter du projet et, le 11 mars, le texte était voté en séance plénière, malgré les récriminations de l’opposition (tant MR que PTB), contre cette adoption expresse.

Siblega, fournisseur de dernier ressort

Que contient cette ordonnance longtemps attendue ? Tout d’abord, elle facilite le basculement des personnes en difficulté de paiement vers le « fournisseur de dernier ressort », à savoir l’intercommunale en charge de la distribution (Sibelga). En matière de protection sociale, la mesure la plus importante est sans doute la mise en place d’une fourniture garantie pour toute personne qui n’a pas pu conclure un contrat de fourniture sur le marché commercial de l’énergie. C’est le gestionnaire de réseau de distribution (Sibelga) qui est chargé de fournir ces usagers sur injonction du CPAS. Cette fourniture est assurée au tarif social comme pour les autres clients protégés. Le texte de l’ordonnance stipule (en son article 25 octies, § 9 ) que :« Dans l’hypothèse où l’alimentation fait défaut ou dans l’hypothèse où le ménage a des dettes auprès d’au moins deux fournisseurs, le CPAS peut, après enquête sociale, imposer au fournisseur de dernier ressort une fourniture garantie à charge du ménage pour une durée déterminée de douze mois. ». Deux conditions restrictives à l’octroi de la fourniture garantie sont cependant prévues : il faut non seulement que l’usager soit endetté chez au moins deux fournisseurs commerciaux mais encore que l’usager n’ait pas de dettes de 300 euros ou plus chez le fournisseur de dernier ressort (Sibelga). Le CPAS peut demander un renouvellement du statut pour douze nouveaux mois.

Par ailleurs, l’ordonnance adoptée renforce doublement le système de « clients protégés ». D’une part, il prévoit que le statut sera accordé pour une durée de cinq ans, sauf pour les ménages concernés par une médiation de dettes ou un règlement collectif de dettes, pour lesquels le statut est octroyé à durée indéterminée. De l’autre, il dispose que, lorsqu’un usager aura des factures impayées de 150 euros ou plus par énergie (électricité ou gaz) ou de 250 euros ou plus pour les deux énergies, et après envoi d’une mise en demeure, le fournisseur commercial pourra demander à Sibelga de reprendre ce client comme client protégé. Le statut rentrera alors en vigueur 60 jours après l’envoi de la mise en demeure. Enfin, l’ordonnance fait également obligation à Sibelga de retirer d’ici trois ans les limiteurs de puissance déjà installés et de rapporter à Brugel (l’autorité bruxelloise de régulation) chaque année l’avancement de ce retrait.

Pas trop vite, pas trop lentement

Le déploiement des compteurs communicants, ce sera « pas trop lentement, pas trop vite » a déclaré Alain Maron, le ministre de l’Energie, lors des débats au parlement. Et Tristan Roberti (Ecolo), député et président de la Commission de l’Energie d’ajouter : “Ces compteurs représentent un coût et rien ne justifierait le report de ce coût sur les ménages, qui n’ont pas besoin d’une difficulté supplémentaire. (. . . ) Par conséquent, quel serait l’intérêt de remplacer un compteur qui fonctionne par un nouveau type de compteur plus cher et qui ne servirait pas ?”. (1) Concrètement cela veut dire que les catégories de consommateurs pour lesquelles l’installation d’un compteur intelligent est obligatoire – “Nul ne peut refuser l’installation ou le maintien d’un compteur intelligent ni en demander la suppression” (2) – restent les mêmes qu’avant. Cela comprend toutes les situations où un usager peut prélever du courant du réseau et injecter du courant (des panneaux solaires) sur le réseau : ,les usagers qui ont des panneaux solaires, mais aussi les usagers qui ont une voiture électrique, ou qui sont devenu partenaires dans une communauté de partage d’énergie. Les usagers qui consomment plus que 6.000 kWh d’électricité par an sont obligés également d’accepter le placement un compteur intelligent. Enfin, Sibelga pourra encore, de sa propre initiative, proposer le placement d’un compteur intelligent, mais il faudra alors le consentement préalable de l’usager avant l’installation.

Pas de transmission de données sans consentement explicite

La nouvelle ordonnance marque un revirement remarquable concernant la collecte de données à partir d’un compteur intelligent. L’article 26 octies, § 4 mentionne que «  Le gestionnaire du réseau de distribution ne peut collecter des données à caractère personnel à distance qu’après avoir obtenu le consentement de l’utilisateur du réseau de distribution identifié sur le point d’accès. » C’est un revirement par rapport au projet d’ordonnance initial de décembre 2020, où le consentement était inversé, dans le sens où la collecte de données à partir d’un compteur intelligent aurait été automatique, et que l’usager aurait dû explicitement marquer son refus pour obtenir que ses données ne soient pas transmises. C’est une confirmation de la situation qui prévalait dans l’ancienne ordonnance qui exigeait elle aussi un consentement explicite préalable de l’usager pour la communication automatique de ses données.

Une exception est prévue à l’obligation d’accepter le placement d’un compteur intelligent lorsqu’on se trouve dans les catégories de consommateurs concernées. Les personnes électrosensibles devraient pouvoir être exemptées de cette obligation, même si le texte de l’ordonnance formule ce droit de façon très prudente : « Le gouvernement détermine la procédure et les mesures particulières à prendre par le gestionnaire du réseau de distribution lorsque le client final, ou un membre de son ménage, qui est ou serait amené à être exposé aux champs électromagnétiques émis par un compteur intelligent dans les conditions définies par le gouvernement, déclare que cette exposition présente un risque pour sa santé dûment objectivé. » En cette matière, rien n’est donc fermement tranché. L’ordonnance se contente de prévoir la possibilité d’organiser ce type de dérogation, sans imposer un calendrier pour les initiatives du gouvernement en cette matière.

Transparence pour les petits indépendants aussi

Une autre amélioration apportée par cette ordonnance concerne l’obligation faite à Sibelga de faire un rapport sur le nombre et la nature de toutes les coupures dans la Région. La nouvelle ordonnance impose que l’information concernant les coupures ne soit plus restreinte aux coupures effectuées chez les ménages, mais concerne les coupures chez tous les clients finaux, y compris les coupures chez les clients professionnels (voir l’article 25 bis). C’est un enjeu important car, à l’heure actuelle, et en dépit de la nouvelle ordonnance, les petits commerçants et les PME, qui ont normalement des contrats professionnels, ne sont couverts par aucune protection sociale en matière de droit à l’énergie. Ils sont sujets à être coupés suivant une simple résiliation de leur contrat par le fournisseur, souvent à cause d’un retard de paiement. Pour les intéressés, cela peut dans pas mal de cas impliquer l’arrêt complet de leur commerce ou de leur activité professionnelle. Dans ces situations, coupure d’énergie égale coupure de revenus professionnels. Il était donc impératif, pour remédier à cette situation d’absence de protection sociale, de connaître l’évolution des coupures dans ce segment de la société. Ces informations n’étaient jusqu’ici pas communiquées. Les problèmes engendrés pour une série d’indépendants par la pandémie ont rendu particulièrement nécessaire le suivi de la situation dans ce secteur.

La nouvelle ordonnance de l’énergie comporte donc de multiples améliorations, mais il reste des chantiers à poursuivre ou à ouvrir, dont l’élaboration d’une protection élémentaire contre les coupures arbitraires pour les indépendants, les petits commerçants et les PME. A cet égard, il est important qu’une transparence complète soit faite par le distributeur (Sibelga) et par le régulateur du marché (Brugel) sur les coupures d’énergie, y compris ce qui concerne les contrats professionnels.

(1) Parlement bruxellois. Séance plénière du vendredi 11 mars 2022 (matin). Compte rendu intégral. p. 41

(2) Ordonnance modifiant l’ordonnance du 19 juillet 2001 relative à l’organisation du marché de l’électricité en Région de Bruxelles-Capitale, l’ordonnance du 1er avril 2004 relative à l’organisation du marché du gaz en Région de Bruxelles-Capitale (. . . ). Art. 46 octies. Par. 6.

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