pauvreté

La pauvreté à Bruxelles en 2021

Une personne sur quatre sous le seuil de pauvreté et une explosion des problèmes de santé mentale. C’est le portrait de la Région bruxelloise que dresse son « Baromètre social » 2021.

Baromètre social : près d’un tiers des Bruxellois sous le seuil de risque de pauvreté _ BX1
Baromètre social : près d’un tiers des Bruxellois sous le seuil de risque de pauvreté _ BX1

L’Observatoire de la Santé et du Social de Bruxelles-Capitale vient de publier son «  Baromètre social 2021 – Bruxelles » (1). Cette publication touffue rassemble les données quantitatives relatives à la pauvreté en Région bruxelloise. Sa publication annuelle permet de suivre ses évolutions dans le temps.

Le paradoxe bruxellois

Le Baromètre rappelle tout d’abord le « paradoxe » de la Région de Bruxelles-Capitale (RBC), qui conjugue en même temps une forte création de richesse économique et une importante pauvreté parmi ses habitants. En 2020, « le produit intérieur brut par habitant est de 68.777 en RBC contre 29.176 euros en Wallonie et 40.105 en Flandre » (2). Tandis qu’en RBC « le pourcentage de la population se situant sous le seuil de risque de pauvreté (25 %) (Lire ici) est significativement plus élevé qu’en Flandre (9 %) et en Wallonie (18 %). » (3). Plus globalement, en 2019, hors déclaration de revenu net imposable nul, le revenu net imposable médian des déclarations (20.427 euros) était plus bas en RBC qu’en Flandre (27.280 euros) ou en Wallonie (23.942 euros) (4). Ce paradoxe bruxellois, pointé par le rapport, renvoie à trois spécificités géographiques régionales. D’une part, la RBC a la spécificité de concentrer ses pauvres en son centre (le « croissant pauvre », le long du canal) plutôt qu’à sa périphérie, comme c’est le cas dans d’autres capitales (Paris, Londres…) où les pauvres ont été relégués dans des banlieues périphériques. Comme le relève le rapport : «  Les sept communes qui indiquent les revenus médians des déclarations les plus bas de toute la Belgique sont des communes bruxelloises (dans l’ordre : Saint-Josse-ten-Noode, Saint-Gilles, Molenbeek-Saint-Jean, Anderlecht, Bruxelles-Ville, Schaerbeek et Koekelberg) » (5). Deuxièmement, de par son rôle de capitale nationale et internationale, la RBC héberge de nombreuses institutions, administrations et sièges d’entreprises qui offrent des emplois avec des salaires importants. Inversement, les opportunités qu’elle offre et son ouverture internationale attirent des populations immigrées plus pauvres. Troisièmement, la RBC, institutionnellement limitée au carcan des dix-neuf communes, est séparée de son bassin d’emploi. Près d’un travailleur sur deux en RBC est un navetteur. Pour 385.610 Bruxellois travaillant en RBC, il y a 368.000 Flamands ou Wallons travaillant en RBC sans y payer leurs impôts, tandis que seulement 76.000 Bruxellois travaillent en Flandre ou en Wallonie. En particulier, Bruxelles a connu, depuis les années soixante, un exode continu de jeunes ménages à revenus plus confortables vers sa périphérie, qui continuent à travailler à Bruxelles mais préfèrent vivre dans une maison à quatre façades en Brabant flamand ou wallon. Le problème de la disparité entre le taux de pauvreté bruxellois et celui des deux autres régions est donc en bonne partie une question institutionnelle, de solidarité et de concurrence interrégionale.

Un rôle particulier de transferts sociaux en 2021

Quoiqu’il souligne que ce chiffre doit être interprété avec prudence (vu l’échantillon statistique limité sur lequel il se base), le rapport révèle qu’en 2020-21 le taux de pauvreté a significativement reculé en RBC, de 31 % en 2018 à 25 % en 2020 (6). Vive la crise ? « La baisse du taux de risque de pauvreté observée en 2020 s’expliquerait, d’une part, par le fait que les pertes de revenus ont concerné principalement la population occupée (en particulier les indépendants). D’autre part, les revenus de remplacement et allocations sociales ont été indexés et plus de personnes ont reçu des aides, faisant passer certaines personnes au-dessus du seuil de risque de pauvreté cette année-là. Cela ne signifie pas que moins de personnes vivent dans une situation financière difficile. Cela pourrait éventuellement témoigner d’un certain rapprochement entre une part des personnes avec un bas revenu et – a priori – de la classe moyenne, dont les revenus se sont dégradés pendant la crise. (…) Il faut souligner que, de manière générale en Belgique, l’effectivité des transferts sociaux avait tendance à diminuer pour la population d’âge actif ces dernières années. Si en 2005, les transferts sociaux réduisaient de 48 % la part de personnes en situation de risque de pauvreté, cette baisse n’était plus que de 40 % en 2018. Mais en 2020, dans le cadre de la crise du Covid-19, cette baisse a réduit de plus de moitié (- 54 %) le taux de risque de pauvreté en Belgique. En effet, suite à la crise, l’impact des transferts a été amplifié du fait des mécanismes de protection sociale mis en œuvre : chômage temporaire, droit passerelle, et autres aides diverses. En RBC, la baisse du taux de risque de pauvreté générée par les transferts sociaux est passée de – 31 % en 2018 à – 44 % en 2020 » (7). Notre système de protection sociale (chômage, aide sociale…) a donc joué à plein pour amortir la crise. Vive l’État social. Mais malheur à ceux et celles qui ne sont pas ou peu couverts par celui-ci : les 50.000 à 100.000 sans-papiers vivant à Bruxelles, les milliers de jeunes travailleurs.euses sous statut étudiant, qui n’ont pas eu droit au chômage alors qu’ils perdaient leur emploi durant la crise sanitaire, les intérimaires, etc.

Les effets des chasses aux chômeurs

Le rapport met, par ailleurs, en évidence les effets des chasses aux chômeurs que nous dénonçons depuis 2004, et en particulier concernant les jeunes. Inefficaces en termes de création d’emplois (de qualité), les chasses aux chômeurs et les exclusions auront eu, parallèlement à la diminution du nombre de chômeurs indemnisés, un triple effet mesurable et mesuré : l’augmentation du nombre de personnes émargeant au CPAS, celle du nombre de personnes à charge de l’assurance invalidité et celle du nombre de travailleurs pauvres. Selon les termes du rapport : « En RBC, environ un cinquième de la population d’âge actif (18-64 ans) vit avec une allocation d’aide sociale ou un revenu de remplacement. Si cette proportion totale a relativement peu varié au cours des dernières années, on peut néanmoins observer des évolutions notables au niveau de la nature des allocations perçues (…) » (8). Cette tendance est particulièrement marquée concernant les jeunes : le nombre de bénéficiaires d’une allocation de chômage ou d’insertion ayant de 18 à 24 ans en RBC est passé de 7.359 en 2011 à 2.093 en 2021, tandis que sur la même période le nombre de bénéficiaires du Revenu d’Intégration (RI) de la même catégorie d’âge est passé de 7.457 à 14.947. « La tendance à la baisse du nombre de bénéficiaires d’une allocation de chômage ou d’insertion parmi les jeunes adultes (- 72 % entre 2011 et 2021) et la tendance à la hausse du nombre de bénéficiaires du RI dans ce groupe d’âge (+ 100 % sur la période) sont particulièrement marquées. » (9). Le nombre d’invalides reconnus dans l’ensemble de la population bruxelloise a lui aussi considérablement augmenté durant cette période, en passant de 23.500 personnes en 2011 à 37.247 en 2020 (10). Quant-à l’importance du nombre de travailleurs pauvres, c’est devenu une spécificité du marché de l’emploi bruxellois : «  En RBC près d’un travailleur sur 10 (8 %) vit avec un revenu (équivalent par membre du ménage) inférieur au seuil de risque de pauvreté, contre 3 % en Flandre et 6 % en Wallonie » (11). Le Baromètre socioéconomique 2022 de la FGTB Bruxelles précise « Entre 2009 et 2019, 80 % des emplois supplémentaires occupés par les résidents bruxellois ont été des emplois à temps partiel ou temporaires. Les femmes et les jeunes sont particulièrement victimes de cette situation. Parmi les résidents bruxellois, 31 % des femmes travaillent à temps partiel contre 13 % des hommes. 53 % des jeunes de moins de 25 ans n’ont qu’un contrat à durée déterminée. (…) Parmi les moins de 50 ans, les emplois indépendants représentent […] 45 % des nouveaux emplois occupés par les Bruxellois (16.000 sur 35.000). » (12)

Seuil de risque de pauvreté

A l’instar des autres pays de l’Union européenne, la Belgique utilise un seuil de pauvreté relatif pour mesurer la part de la population présentant un risque de pauvreté. Ce seuil de revenus est fixé à 60 % du revenu disponible équivalent médian national. En Belgique, sur base de l’enquête EU-SILC 2021 (revenus de 2020), le seuil de risque de pauvreté est de 15.516 euros par an, soit 1.293 euros par mois, pour une personne isolée. Tous les détails sur les indicateurs de pauvreté sont à lire ici.

Entre janvier 2020 et décembre 2021, l'aide alimentaire a augmenté de 82 %

2021 : aide sociale en hausse, santé mentale en baisse

Au-delà des ces tendances de moyen terme, le rapport pointe des évolutions propres à 2020-2021 et liées à la crise du Covid. Un nouvel afflux de demandes d’aides aux CPAS a été constaté, tant concernant le revenu d’intégration (RI) : « Entre janvier 2020 et avril 2021, le nombre de RI octroyés a crû continuellement (+ 5.371 bénéficiaires, soit + 14 %) à un rythme supérieur à celui des deux autres régions.» (13) que concernant diverses aides, dont les aides alimentaires « entre janvier 2020 et décembre 2021, l’aide alimentaire a fortement augmenté (+ 82 %) » (14). Par ailleurs, l’explosion des problèmes de santé mentale est une autre caractéristique spécifique aux « années Covid »). En décembre 2021, les troubles dépressifs « touchaient 24 % de la population (contre 13 % en 2018) et les troubles anxieux, 26 % de la population (contre 12 % en 2018) en RBC.  (…) » (15). Tout comme les soignants, les travailleurs sociaux et les travailleurs « essentiels », nos systèmes de protection sociale ont fait partie des « héros » de la crise du Covid, sans lesquels la cohésion sociale se serait effondrée. Il n’y a pas eu « d’effondrement » bruxellois, mais il y a bien une fracture qui s’approfondit, non seulement au niveau économique et social, mais également sanitaire.

(1) Observatoire de la Santé et du Social de Bruxelles-Capitale (2022). Baromètre social 2021. Bruxelles : Commission communautaire commune, (disponible en ligne www.ccc-ggc.brussels).

(2) Ibid, p. 23.

(3) Ibid, p. 24.

(4) Ibid, p. 28.

(5) Ibid, p. 28.

(6) Ibid, p. 30. Pour des détails sur la manière dont le seuil de pauvreté est établi, lire p. XX.

(7) Ibid, p. 30 Il faut rappeler que le seuil de pauvreté est calculé par rapport aux revenus de deux ans auparavant. (Lire p. XX). A noter aussi le gel de la dégressivité pendant la pandémie.

(8) Ibid, p. 32.

(9) Ibid, p. 36.

(10) Ibid, p. 79.

(11) Ibid, p. 63.

(12) FGTB Bruxelles, Baromètre socio-économique 2022, mai 2022.

(13) Observatoire, ibid, p. 107.

(14) Ibid, p. 48.

(15) Ibid, p. 106.

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