dossier justice de la jeunesse

« L’urgence ? Des formations dignes de ce nom, et en commun »

Le mauvais état des relations entre les différents intervenants de l’aide à la jeunesse, et entre ces intervenants et les familles, s’explique avant tout par l’ignorance que chacun a des réalités de l’ « autre », estime Amaury de Terwangne, avocat spécialisé en droit de la jeunesse. Il plaide donc pour la multiplication des lieux d’échanges et l’acquisition d’outils permettant la vraie écoute. Nous lui avons tendu le micro.

Amaury de Terwangne
Amaury de Terwangne

« Déjudiciarisation » = tensions

« Trente ans après le décret du 4 mars 1991 relatif à l’aide à la jeunesse (NDLR : qui, a confié les compétences relatives à l’aide à la jeunesse aux Communautés, privant ainsi la justice – fédérale – d’une grande partie de ses prérogatives), les juges vivent encore avec la désagréable sensation que l’Administration de l’aide à la jeunesse (NDLR : de la Fédération Wallonie-Bruxelles) prétend faire « mieux » qu’eux et leur fait sentir.
Nous ne devrions pas être tant occupés à débattre de l’opportunité du passage devant un magistrat ou une autorité administrative, mais bien du meilleur moyen de permettre aux parents et au mineur de retrouver les commandes de leur vie malgré la crise qu’ils traversent. Il faut donc apprendre à réfléchir autrement.

La volonté de déjudiciarisation de l’aide et de la protection de la jeunesse repose sur cette croyance que, pour un jeune et ses proches, se retrouver devant un directeur de SPJ ou même un conseiller, c’est moins traumatisant que de se retrouver devant un juge. Ma pratique m’amène à un autre constat : le directeur d’un service de protection de la jeunesse (SPJ) incarne autant l’autorité que le juge ; pour le mineur et sa famille, ça ne fait guère de différences. Ils ressentent violemment le fait que quelqu’un de l’extérieur intervienne dans leur vie privée qu’il soit juge, directeur ou même conseiller, c’est l’intervention dans leur famille qui reste difficile. Par ailleurs, en Wallonie, quand ils ont à faire à un directeur de SPJ et à un juge, ça fait deux autorités, deux interventions au lieu d’une. Si ces deux autorités se parlent et prennent des mesures cohérentes les unes avec les autres, passe encore. Mais si elles ne se parlent pas et qu’elles agissent chacune sans en référer à l’autre, alors c’est la cacophonie. Si l’on avait voulu aller jusqu’au bout de la logique de déjudiciarisation de l’aide à la jeunesse, alors il aurait fallu donner tout le pouvoir au directeur de SPJ, et sortir le juge du jeu, même en cas d’échec de l’aide consentie. Sauf qu’alors, en cas de contestation des mesures imposées par le SPJ, les familles auraient pu introduire un recours de type administratif et non judiciaire. Or l’administration n’est pas outillée pour traiter des milliers de recours. Donc il a bien fallu maintenir le juge, qui rend un jugement contre lequel on peut faire appel le cas échéant.

Des outils pour faire face aux tsunamis émotionnels

Travailler dans l’aide et la protection de la jeunesse, c’est être confronté de manière très régulière à des tsunamis émotionnels provenant des situations parfois dramatiques à gérer, du stress lié à l’impossibilité de trouver la bonne solution faute de moyen, des émotions (colère, tristesse, …) de parents ou du jeune qui explosent souvent lors des temps de rencontre au service de l’aide à la jeunesse (SAJ), de protection de la jeunesse (SPJ) ou tribunal.

Mais quelle préparation ont les mandants pour gérer tout cela ? Les conseillers et directeurs de l’Administration de l’aide à la jeunesse, qui viennent, en grande majorité, du champ psychosocial, sont a priori mieux outillés pour faire face aux émotions parfois violentes qui s’expriment quotidiennement dans ce genre de dossiers. Les magistrats ne sont pas formés à cela. Ils ne bénéficient d’aucune supervision qui leur offrirait un lieu pour déposer ce lourd fardeau.

L’empathie, le sens – et les techniques – de l’écoute, la recherche du dialogue et de la collaboration sont des ingrédients indispensables à la prise en charge de mineurs en danger et de leur entourage. Mais ces qualités ne sont pas innées. Actuellement, elles ne se construisent quasiment que par l’expérience acquise sur le terrain. Dans certains dossiers, cela fait des dégâts. Souvent, c’est assez maltraitant pour les mandants eux-mêmes qui doivent rentrer chez eux avec ce sac à dos lourdement rempli.

Repenser des formations dignes de ce nom

Les moyens du secteur de l’aide et de la protection de la jeunesse sont hélas limités, il faut donc les utiliser au mieux. Un secteur où, à mon avis, avec peu de budget, nous pourrions augmenter la qualité des interventions, c’est celui des formations multisectorielles des différents responsables des dossiers des mineurs. En vertu de leur parcours professionnel et leurs formations de base, les juges et les procureurs, d’une part, et les conseillers et directeurs des services de l’aide et de la protection de la Jeunesse (SAJ et SPJ) évoluent dans des réalités, des mondes, très différents. La qualité de leurs relations dépend donc souvent de leur personnalité, et il n’est pas rare d’observer des logiques institutionnelles, voire des petites ‘‘gueguerres’’ qui desservent les bénéficiaires de l’aide. Par ‘‘formation’’, j’entends des mises en situation, des jeux de rôle, des partages d’expériences, et pas des formations ex catedra. Cela leur permettrait de prendre connaissance des réalités de l’autre et de mieux se reconnaitre dans leurs fonctions mutuelles. Hélas, l’idée de se former ensemble passe mal aujourd’hui, car les uns et les autres sont souvent prisonniers d’une logique clanique et ont le sentiment qu’il ne faut surtout pas risquer de montrer ses difficultés et ses faiblesses aux autres.

Dans les formations que je dispense – il y en a, mais trop peu -, j’utilise souvent un jeu de rôle basé sur une métaphore. Si les intervenants de l’aide et la protection de la jeunesse se retrouvaient sur un jeu d’échecs, quelle place occuperait le jeune, ses parents, le conseiller, le juge, les avocats et services, etc… C’est un exercice passionnant qui nous permet de mieux saisir la réalité de l’autre et, par la suite, de construire des modes d’intervention où chaque fonction contribue à aider l’autre. »

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