dossier justice de la jeunesse

Les « maladresses » de l’administration

Pour pouvoir rencontrer des responsables des services d’aide et de protection de la jeunesse, il faut être muni de l’autorisation en bonne et due forme de l’Administration générale de l’aide à la jeunesse (AGAJ). Et celle-ci n’est pas qu’une formalité. Comme un petit goût de censure ? Disons plutôt d’une méconnaissance du fonctionnement des médias et du tempérament des journalistes…

Dasemarcalvarez
Dasemarcalvarez

« Les collaborateurs des services de l’aide et de la protection de la jeunesse sont muselés par l’Administration générale de l’aide à la jeunesse et n’ont aucune autonomie », nous avait confié un juge de la jeunesse. Malgré cet avertissement, c’est sans aucun a priori que nous avons contacté certains acteurs de terrain, travaillant sous la tutelle de l’administration, que l’on nous avait présentés comme intéressants. Parmi eux, Valérie Latawiec et Anne de Keyser, respectivement conseillère au service de l’aide à la jeunesse (SAJ) et directrice du service de protection de la jeunesse (SPJ) de Bruxelles.
Les étapes d’une saga, dont la conclusion semble donner raison au juge.

1/ Valérie Latawiec avait spontanément accepté de nous rencontrer dans un premier élan : rendez-vous avait été fixé dans ses locaux, rue de Birmingham, à Molenbeek. Mais, quelques jours après notre premier échange de mails, elle nous a fait savoir qu’elle devait en référer à l’administration centrale :

De Valérie Latawiec, conseillère du SAJ de Bruxelles, le 11/02/22
Madame Philippon,
Concernant la possibilité de nous rencontrer sur le thème de l’aide à la jeunesse, je me suis engagée trop rapidement.
Je me dois de m’en référer à mon administration centrale
Pour ce faire, je vous propose de prendre contact notre chargé de communication (…)
Bien à vous
Valérie LATAWIEC
Conseillère
Service de l’Aide à la Jeunesse (SAJ), Bruxelles

2/ Anne De Keyser, quant à elle, nous avait d’emblée prévenue qu’elle aurait besoin de l’accord de son administration, et qu’elle reviendrait vers nous dès qu’elle le pourrait. Las ! L’administration ne lui a pas donné cet accord, elle a donc dû décliner l’entretien…

De Anne De Keyser, directrice du SPJ de Bruxelles, le 22/02/2022
Bonjour,
J’ai reçu ce jour une réponse de l’administration qui ne m’autorise pas à vous rencontrer. Monsieur Delcommune va pouvoir vous répondre.
Bien à vous
Anne De Keyser
Déléguée-Chef
Service de la Protection de la Jeunesse de Bruxelles

3/ Nous avons dès lors réitéré notre désir de rencontrer les mandatrices Latawiec et De Keyser à la porte-parole de l’Administration générale. En réponse à notre demande, elle nous a transmis les coordonnées d’une autre actrice de terrain, de son choix :

De Angela Scillia, porte-parole de l’administration générale de l’aide à la jeunesse

Bonjour Madame Philippon,

Pour l’entretien demandé avec un mandant, c’est Mme Muguette PONCELET, Directrice de la Protection de la Jeunesse à Neufchâteau, qui nous lit en copie, qui se rendra disponible. Elle vous contactera en direct pour vous proposer un RDV.
Cordialement,
Angela Scillia
Attachée de communication
Administration générale de l’aide à la jeunesse et du Centre pour mineurs dessaisis (AGAJcmd)

4/ Peu de temps après, nous avons été reçue par Valérie Glatigny, ministre de l’Aide à la jeunesse, ainsi que par son conseiller de l’Aide à la jeunesse au sein de son cabinet. Ce dernier, à qui nous témoignions de notre surprise par rapport à ces consignes de l’administration, nous a assuré que ces autorisations étaient une procédure normale au sein de l’administration (il nous a rappelé les spécificités de la fonction publique). Mais, nous a-t-il assuré, il s’agissait là de simples formalités et il ne faisait guère de doutes que les personnes dont nous convoitions le témoignage obtiendraient l’autorisation requise.

Nous avons donc relancé l’administration, en insistant sur les raisons pour lesquelles nous souhaitions parler avec Valérie Latawiec et Anne De Keyser (parmi ces raisons, le fait qu’elles interviennent à Bruxelles, qui constitue un terrain très particulier pour l’exercice de l’aide et de la protection de la jeunesse). « Nous n’avons pas encore de nouvelles par rapport à cette demande », nous a-t-on répondu, tout en nous proposant les noms et coordonnées de deux actrices de terrain en Wallonie.

5/ Nous avons relaté les faits au porte-parole du cabinet Glatigny :

De Isabelle Philippon à Samy Sidis, porte-parole au cabinet de Valérie Glatigny, le 19/02/22
Bonjour Samy
Cela fait déjà un petit temps que j’ai demandé les autorisations d’interview de Valérie Latawiec (SAJ Bxls) et de Anne De Keyser (SPJ Bxls), mais celles-ci tardent manifestement à arriver, et le temps commence à presser pour moi.
La porte-parole de l’administration m’a dit vendredi, alors que je la relançais (j’avais normalement une rencontre prévue avec V. Latawiec ce lundi), qu’elle n’avait pas encore de nouvelles à ce sujet.
Merci si vous pouvez y faire quelque chose.
Bien à vous
Isabelle

6/ Lequel nous a fourni cette réponse :

De Samy Sidis, porte-parole au cabinet de Valérie Glatigny, le 2/03/22
Bonjour Isabelle
Je comprends que l’administration a désigné trois personnes (*) pour s’exprimer en son nom et répondre à vos questions.
Nous n’avons pas d’objection à ce que vous interrogiez Mme Latawiek mais il est clair que celle-ci s’exprimera alors en son nom propre et pas au nom de l’administration.
Cordialement, 
Samy Sidis (porte-parole au cabinet de Valérie Glatigny)
(*) NDLR : En l’occurrence Joëlle Piquard (SAJ Liège), Muguette Poncelet (SPJ Neufchâteau) et Jean-Marie Delcommune (Administration Générale de l’Aide à la Jeunesse/AGAJ)

7/ Forte de cette avancée concernant l’autorisation de Valérie Latawiec de s’exprimer « en son nom », nous lui avons envoyé un nouveau message :

De Isabelle Philippon à Valérie Latawiec, le 2/03/22
Bonsoir Madame Latawiec
Je me permets de revenir vers vous car je suis têtue et que, comme tout journaliste, lorsque j’ai le sentiment que l’on m’interdit l’accès à une source d’information, cela accroît ma volonté d’y avoir accès…
Vous avez donc l’ « autorisation » du cabinet Glatigny de vous exprimer à titre personnel (lire l’échange de mails ci-dessous).
Accepteriez-vous, dès lors, de me rencontrer ou d’avoir une conversation téléphonique avec moi ?
(…)
Merci pour votre retour
Cordialement
Isabelle

8/ Et voici sa réponse :

De Valérie Latawiec, conseillère du SAJ de Bruxelles, le 3/03/22

Bonjour Madame Philippon,
J’apprécie la ténacité, c’est une qualité dont nous avons tous besoin.
Je ne me sens pas interdite, j’ai toute confiance en mes collègues pour parler de notre réalité de travail, celle de l’aide à la jeunesse.
Si un jour il me venait l’envie, la nécessité, je retiens vos coordonnées.
Que votre article n’oublie pas que les juges ne sont pas les seuls acteurs de l’enfance en détresse, d’autres et nombreux professionnels s’investissent – les conseillers de l’aide à la jeunesse, les directeurs de la protection de la jeunesse et les délégués -, et ceux-ci sont souvent oubliés.
L’aide à la jeunesse souffre d’un manque de moyens, d’un manque de reconnaissance, pourtant nous parlons de nos enfants, de notre avenir, d’enfants en souffrance. Que dire de plus ?  
Merci pour votre intérêt   
Valérie Latawiec

En conclusion

Valérie Latawiec a préféré jeter l’éponge, ce que nous pouvons comprendre, vu les obstacles dressés par l’Administration devant la perspective de notre rencontre. Nous ne doutons pas de la qualité des intervenantes – Joëlle Piquard et Muguette Poncelet – vers laquelle l’Administration générale nous a orientée. Nous les avons d’ailleurs rencontrées longuement (lire leur interview ci-après): elles n’ont pas manié la langue de bois, et leurs témoignages sont très riches. Mais il n’en reste pas moins que l’image de l’administration sort largement écornée par ce qui ressemble à une maladroite tentative de museler ses collaboratrices et d’imposer « ses » interlocuteurs à la presse. « Je pense sincèrement que l’administration centrale était tout simplement guidée par le désir de donner davantage de visibilité aux services de l’aide et de la protection de la jeunesse wallons, car la presse a le plus souvent tendance à parler de la réalité bruxelloise, nous explique Joëlle Piquard. Mais elle ne s’y est pas prise de la bonne manière, je le concède. La culture de l’administration gagnerait à s’assouplir : elle aurait besoin d’un petit vent de modernité. »
De fait…

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