santé
L’exclusion par la pollution électromagnétique État des lieux (I) : Une vie sociale à rude épreuve
Première partie – sur deux – de l’exposé de la situation sociale des personnes dites « électrosensibles », dont la vie est totalement bouleversée par les effets biologiques des rayonnements électromagnétiques des nouvelles technologies.
Après la publication d’un appel à témoignages ayant pour titre « L’Exclusion par la pollution électromagnétique », nous avons durant l’été 2020 recueilli la parole de dizaines de témoins, exposant les effets des technologies sans fil sur leur corps et dans leurs vies sociale et professionnelle. (Lire l’encadré « Méthodologie ») Après une introduction dans notre numéro précédent, pour poser les balises du débat, livrer les définitions et concepts nécessaires à la compréhension de l’ampleur du problème sanitaire (Lire l’encadré « Un travail en évolution »), nous présentons aujourd’hui un aperçu du vécu de ces personnes communément nommées « électro-hypersensibles », selon l’appellation fixée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en 2004, dans une définition du « syndrome des micro-ondes ».
Chacune de ces rencontres a enrichi la compréhension de la situation, dont nous allons tenter ici une « synthèse ». En regard de cette richesse, nous sommes hélas condamné à rester relativement succinct. Afin de favoriser un récit « vivant », la base de cette présentation repose sur de nombreuses citations de nos témoins. Selon nous, ancrer les bouleversements dans ces existences – évoluant parmi nous – est le meilleur moyen de permettre une identification à ce vécu. L’idée est d’avancer dans une meilleure connaissance de réalités dramatiques, trop peu connues, et parfois même disqualifiées par les autorités politiques et sanitaires. Nous agrémentons ce « récit synthèse » d’encadrés, exemplifiant chacun une situation précise, emblématique de l’invasion de la pollution électromagnétique dans toutes les dimensions du quotidien. Ces courts textes sont également basés sur des citations de nos témoins. En outre, à la suite du présent article de synthèse, nous ajoutons trois témoignages plus détaillés, émanant de médecins. (Lire « Électrosensibilité : des médecins témoignent »)
Voir sa vie perturbée par les rayonnements électromagnétiques et l’électrosensibilité ne représente nullement un détail, mais une véritable catastrophe, personnelle et sociale. Lorsque le corps n’est plus, nulle part, « accueilli » par l’air ambiant, dénaturé par des rayonnements de plus en plus puissants, il en résulte une incapacité à fréquenter la plupart des lieux publics, ainsi qu’un inévitable isolement. Outre les rayonnements des antennes, actives partout en extérieur, il faut en effet également éviter les espaces fermés où sont présents le wifi ou les utilisateurs de smartphones. Si les niveaux de sensibilité et de perturbation semblent variables, jamais il ne s’agit d’un léger trouble qu’il serait possible de contourner. Non, tous les moments du quotidien sont à réfléchir autrement.
Le fil rouge de cet état des lieux est de démontrer l’exclusion sociale entraînée par la pollution électromagnétique et le syndrome des micro-ondes, dans une société où tout semble devoir se convertir au numérique. Chaque nouveauté technologique est bien entendu vantée, par ses promoteurs et marchands, comme le sommet de l’innovation. Plus encore, on nous parle d’évolution indispensable, à ne même pas débattre, malgré l’énormité des changements humains et sociaux à l’œuvre. Si l’exclusion des individus peut se manifester dans un large panel de situations sociales, résumées ici, l’impossibilité de poursuivre une vie professionnelle est bien entendu un élément crucial d’exclusion sociale. Dans notre prochain numéro, nous compléterons donc cet état des lieux par une seconde partie focalisée sur l’impact de ces questions sur la vie professionnelle de nos témoins.
Notre préoccupation est limpide : documenter le réel, afin de favoriser une prise en compte des effets de cette pollution électromagnétique. En d’autres mots, nous tentons ici d’accélérer l’inévitable moment où tout un chacun se rendra à l’évidence et s’exclamera : « Incroyable ! On ne les a pas écouté, on s’est parfois moqué d’eux et on les a maintenu dans des situations hallucinantes… Pourtant, simplement, ils nous alertaient sur une pollution délétère et nous prévenaient de faire attention à nous ».
Notre préoccupation est limpide : documenter le réel, afin de favoriser une prise en compte des effets de cette pollution électromagnétique
Qui sont nos témoins ?
Le profil de nos témoins est extrêmement varié. Tous les âges sont concernés, de même pour les parcours professionnels, souvent à l’arrêt : cheminot, architecte, ouvrier en usine, employée administrative, informaticien, fonctionnaire européenne, institutrice, pilote aérienne, formatrice en entreprise, comédienne, travailleuse sociale, auteur-compositeur-interprète, consultante, indépendant retraité, réalisatrice,… Et même… médecin. (Lire « Électrosensibilité : des médecins témoignent ») Le genre est un élément marquant. Sur quarante-trois témoignages, trente-quatre émanent de femmes, moins d’une dizaine concernent donc des hommes. Les femmes sont-elles davantage touchées par l’électrosensibilité, ou bien ont-elles été plus enclines à répondre à cet appel ? En l’absence de réelle prise en main de ce problème de santé publique par les autorités sanitaires, et sans enquête au niveau national, nous n’en savons rien.
Tous les âges sont concernés, de même pour les parcours professionnels, souvent à l’arrêt
Avant de démarrer la présentation du vécu de nos témoins, un mot sur celles et ceux que nous… n’avons pas rencontrés. Pour certains, la désocialisation est telle qu’un appel publié dans une revue d’actualités sociales ou circulant sur internet a peu de chances d’atteindre sa cible. D’autres raisons existent, comme nous le faisait remarquer une jeune femme : « Les personnes dans les pires situations, vous ne pourrez sans doute pas les rencontrer. Il y a ceux qui vivent dans leur voiture ou en caravane, chez un ami ou dans une région peu habitée et qui ne reçoivent ni courrier ni e-mails. Il y a aussi ceux qui ont dû se réfugier dans des bois et ont presque disparu, n’ayant plus de contact avec personne. Ils sont comme des SDF (Sans domicile fixe) mais en pire, car les SDF, eux, sont encore visibles. »
Elle a pu être en contact avec ce type de personnes, dont « deux dames très mal physiquement. J’ai essayé de les mettre en contact mais elles étaient réticentes. Mon impression est que, issues de milieux assez aisés, elles se voyaient comme ‘tombées très bas’, il y avait une sorte de honte de montrer la déchéance dans laquelle elles se trouvaient. La première refusait absolument de me donner son adresse. J’imaginais qu’elle pourrait mourir sans que je puisse l’aider, c’était terrible. La seconde cherchait un pied à terre pour pouvoir quitter son compagnon, un type vraiment pas bien, mais elle était finalement gênée de venir au sein d’une famille… Au final, je n’ai plus eu de nouvelles, ni de l’une, ni de l’autre… Qui sait ce qu’elles sont devenues ? »
Une première réflexion à ce stade : l’exclusion sociale entraînée par la pollution électromagnétique peut aggraver d’autres problèmes sociaux, comme ici la difficulté de prendre son autonomie face à un compagnon nocif. Si la plupart de nos témoins connaissent la bienveillance de leur compagne ou compagnon, il ne s’agit cependant pas d’une généralité. La non-reconnaissance du problème par les autorités s’insinue parfois au sein des couples et, si un parcours commun se poursuit, les difficultés sont cependant nombreuses dans la vie commune. Toutes les activités d’une vie quotidienne normale sont freinées, voire mises à l’arrêt, par exemple la fréquentation des lieux culturels, ou des hôtels et gîtes de vacances. En outre, pour le conjoint soutenant, il subsiste cependant une grande difficulté à comprendre précisément à quel point le corps est touché tout le temps, par une pollution présente partout mais néanmoins invisible. Pour certains célibataires, l’électrosensibilité a été évoquée comme un élément de quasi-impossibilité de rencontre amoureuse, soit car les conditions de vie imposées sont difficilement vivables, soit simplement en regard de possibilités de rencontres grandement réduites.
La non-reconnaissance du problème par les autorités s’insinue parfois au sein des couples et, si un parcours commun se poursuit, les difficultés sont cependant nombreuses dans la vie commune
L’exclusion par la pollution électromagnétique : un travail en évolution
Ce dossier est à situer au sein d’un travail de plus grande ampleur, dont l’introduction a paru dans notre numéro précédent. Même si la préoccupation est bien entendu d’être pleinement compréhensible lors de chacune des parutions, nous ne pouvons nous répéter d’un numéro à l’autre.
Nous renvoyons dès lors le lecteur à notre numéro 104, disponible en ligne, pour consulter un balisage des différentes notions utiles pour considérer l’ampleur du problème, aujourd’hui, en Belgique. (Lire « L’exclusion par la pollution électromagnétique », aux pages 22 à 27) Nous y présentions également le lobbying industriel, en partie responsable de la méconnaissance des problèmes liés à la pollution électromagnétique, une trentaine d’années après la mise sur le marché de la téléphonie mobile. Grâce à une contextualisation et à des comparaisons historiques avec d’autres problèmes sanitaires aujourd’hui établis – pollution de l’air, amiante, tabac -, nous évoquions les pressions et tactiques industrielles pour étouffer les méfaits sanitaires des technologies sans fil. (Lire « Problèmes sanitaires et science sous influence », aux pages 28 à 32) Le lecteur pourra également y trouver des pistes de lecture pour un compte-rendu des connaissances scientifiques au sujet des effets biologiques des rayonnements électromagnétiques. En fin de dossier, nous avons publié trois premiers témoignages détaillés, parmi les dizaines recueillis pour cette étude (Lire « Pollution électromagnétique et santé : trois générations de femmes exposent les impacts sociaux », aux pages 33 à 45).
Enfin, pour cerner pleinement le sujet, nous encourageons le lecteur à se tourner vers notre numéro 102, où se trouve un dossier publié lors de l’arrivée de la 5G, lancée en Belgique au cœur du premier confinement du début de l’année 2020. Nous y faisons le point sur les normes censées encadrer les rayonnements en Belgique, pour constater comment elles reposent en fait sur des critères fixés par l’industrie. Lire « Dans le futur jusqu’au cou », « Rayonnements électromagnétiques : aucune norme sanitaire n’existe » et « Pour favoriser la 5G, les autorités ignorent la situation sanitaire », aux pages 26 à 37. L’appel qui nous a mis en contact avec nos témoins s’y trouve à la page 37.
Ensemble 102 (juin 2020) et 104 (décembre 2020) disponibles sur : www.ensemble.be
Un parcours du combattant
Lors de nos entretiens, nous avons invariablement posé la même première question : « Comment avez-vous découvert votre électrosensibilité ? » Le premier élément fondamental est qu’à peu près toutes et tous n’avaient jamais entendu parler du syndrome des micro-ondes avant d’en subir les symptômes. Pour disqualifier l’alerte sanitaire lancée par les électrosensibles, il est parfois affirmé que cette explication leur aurait été « suggérée », les mettant en quelque sorte sur une « mauvaise piste » pour expliquer leurs problèmes de santé. Or, précisément, avant d’identifier la source du problème, toutes les pistes ont généralement été explorées, parfois sans réponse concluante des professionnels de santé de diverses disciplines. Cette situation entraîne un parcours d’incertitude long et chaotique.
Dans le même ordre d’idées, on qualifie souvent les personnes se plaignant des effets des rayonnements électromagnétiques de « rétrogrades » : elles seraient opposées au progrès et aux nouvelles technologies. Nos témoins ne correspondent nullement à cette image, bien au contraire : avant de voir leur santé touchée par les engins sans fil, ils en étaient parfois carrément de fervents amateurs, ce qui peut d’ailleurs expliquer la fréquence et l’intensité des expositions subies.
Avant de voir leur santé touchée par les engins sans fil, ils en étaient parfois carrément de fervents amateurs, ce qui peut d’ailleurs expliquer la fréquence et l’intensité des expositions subies
L’existence d’une description par l’OMS du syndrome des micro-ondes n’était parfois jamais arrivée à l’oreille de nos témoins. La découvrir provoque alors une incompréhension totale face au déni rencontré auprès du corps médical. Sidéré, un témoin s’est exclamé : « Mais alors, à quoi sert donc l’OMS ? » Car la description de leur état physique, évoquée avec nous avant la lecture des termes de l’OMS, rejoint parfaitement le contenu de cette définition. Pour une personne, l’OMS a servi de véritable « soulagement » par la confirmation, enfin, de l’expérience vécue. Les larmes aux yeux, elle se voyait en outre légitimée envers son conjoint, présent lors de l’entretien. Nous avons vécu là la démonstration concrète de l’urgence d’organiser une campagne d’information envers le grand public : ne pas être reconnu par les proches peut ajouter d’autres difficultés à celle de l’état physique dégradé.
Que nous dit l’OMS sur le syndrome des micro-ondes ? « La sensibilité vis-à-vis des champs électromagnétiques a reçu la dénomination générale : Hyper sensibilité électromagnétique. Elle comprend des symptômes exprimés par le système nerveux comme les maux de tête, la fatigue, le stress, les troubles du sommeil, des symptômes cutanés comme des picotements, des sensations de brûlure, des démangeaisons, des douleurs et des crampes musculaires ainsi que beaucoup d’autres problèmes de santé. » (1) Voilà pour la théorie.
En pratique, comment nous ont été décrits les symptômes ? Pour une jeune femme, les principaux tiennent en « des endolorissements des membres, jusqu’à une impression de suppression de ceux-ci. Au niveau de la tête, j’ai l’impression qu’on me coule du béton sur la boîte crânienne, et à l’intérieur ça chauffe. Cela s’accompagne d’une perte d’énergie colossale, ça me vide… Mon corps lutte contre cette agression en permanence. » Une seconde nous dit avoir ressenti « de grandes inflammations à l’arrière de la tête, au point que la nuit, je ne pouvais pas poser la tête sur l’oreiller, ça brûlait. Regarder l’écran de mon ordinateur était devenu une souffrance, j’avais des spasmes dans les mains et dans les pieds, des picotements, des paralysies faciales… Une fois, dans le train, j’ai ressenti une sorte de paralysie sur tout un côté… J’ai eu très peur de quelque chose de grave et suis allée à l’hôpital : ils n’ont rien compris à ce qui m’arrivait… »
La prise de conscience de la sensibilité aux rayonnements engendre un sentiment de catastrophe car « c’est présent absolument partout. Comment va-t-on faire ? Hélas, tout ce qui suit est à la hauteur de ce sentiment premier de catastrophe. » Dans un contexte environnemental où cette pollution est omniprésente, il n’y a aucune échappatoire, aucun moyen de reposer son corps, l’épuisement est total et les symptômes s’aggravent souvent avec le temps. En guise de déclenchement du syndrome, les personnes évoquent l’atteinte d’un seuil, au-delà duquel l’exposition globale supportable par leur corps a été dépassée. En outre, par la suite, le seuil de tolérance quotidien semble baisser progressivement. Pour un problème dû à une pollution invisible, incolore et inodore, aux conséquences également invisibles sur le corps, nos témoins recourent souvent aux métaphores pour exposer leur situation. « En m’éveillant, j’ai l’impression d’être une baignoire, dont l’eau serait mon énergie du matin, nécessaire pour la journée. Chaque confrontation avec des rayonnements représente l’enlèvement du bouchon, et l’énergie s’en va progressivement. Ça peut aller très vite, selon l’intensité, la proximité et la durée du rayonnement, mais en plus certains matins il n’y a carrément pas d’eau dans la baignoire ! Je peux commencer la journée déjà très mal. Ça fait des années que ça dure, je suis totalement épuisée… »
L’ampleur de la catastrophe est palpable car « c’est présent absolument partout. Comment va-t-on faire ? Hélas, tout ce qui suit est à la hauteur de ce sentiment premier de catastrophe. »
La découverte est progressive, les doutes plus ou moins prégnants. Certaines personnes ont un parcours très long, composé de mois et années de symptômes inexpliqués, accompagnés du manque de soutien et d’information du monde médical. Souvent, l’exposition sur le lieu de travail a une part importante dans le déclenchement de l’électrosensibilité. Pour cette jeune femme : « Il m’a fallu plus ou moins un an avant de faire le lien, un an d’errance médicale. Je souffrais au début d’acouphènes, d’insomnies très fortes et de troubles cognitifs, principalement des troubles de la mémoire. J’ai consulté des neurologues mais ils me disaient qu’il n’y avait aucun souci. Au bout d’un an c’est devenu beaucoup plus grave, j’ai commencé à me rendre compte que j’étais mieux à certains endroits, et quand j’allais sur mon lieu de travail les symptômes étaient très présents. J’ai tout envisagé, mais ça ne pouvait pas être psychologique car j’y étais depuis un an à mi-temps, je n’étais pas submergée de travail et surtout je l’aimais bien, je m’entendais bien avec mes collègues, ça correspondait à ce que je voulais à l’époque… Tout allait bien, je ne pouvais pas mettre ça sur du stress, ça n’avait aucun sens. »
Souvent, l’exposition sur le lieu de travail a une part importante dans le déclenchement de l’électrosensibilité
Il est évident qu’une prise de conscience précoce, avec un soutien médical, éviterait des aggravations et des basculements terribles, ainsi que la poursuite de l’exposition. « Ces différences selon les lieux m’ont fait penser à un problème environnemental, mais je ne pensais pas aux rayonnements… Jusqu’à ce que j’atteigne ce que j’appelle un ‘point de rupture’, c’est pour moi le moment où mon corps a été dépassé et n’arrivait plus à se rééquilibrer. Avec mon mi-temps je rentrais chez moi et, après quelques jours, je retrouvais une forme d’équilibre. Mes symptômes se calmaient puis je retournais au travail et ça recommençait, etc. Je n’avais pas encore complètement basculé dans la ‘maladie’ et l’invalidité. » Après un moment, fin 2012, tout s’est emballé. « Mes symptômes se sont considérablement aggravés, d’autres sont apparus : vertiges, pertes d’équilibre, picotements et rougeurs sur la peau, maux de tête, j’avais mon cerveau comme une pile électrique, comme incapable de se calmer, des insomnies terribles,… J’en étais à prendre plusieurs somnifères à la fois et à ne pas dormir malgré eux. J’ai commencé aussi à tout ressentir de manière extrêmement forte, c’était cauchemardesque. C’est à ce moment-là que j’ai pu faire le lien entre mes symptômes et mon exposition aux ondes électromagnétiques. Trop tard malheureusement…»
Signalons l’évidence qu’une prise de conscience, le plus tôt possible et avec un soutien médical, éviterait des aggravations et des basculements terribles, notamment en raison de la poursuite de l’exposition importante
L’information sur l’électrosensibilité, à grande échelle, est une urgence. Au moment où le lecteur consulte ces lignes, des personnes en Belgique sont dans une situation d’« errance sanitaire », en souffrance sans identifier l’origine de leur problème. Par manque d’information, ils continuent en outre à utiliser les engins sans fil et à subir des rayonnements proches : avec la complicité du déni officiel, ils aggravent leur état de santé.
Méthodologie
Pour réaliser le présent « état des lieux » des conséquences de la pollution électromagnétique, nous nous sommes basé sur le récit du vécu des personnes dites « électrosensibles ». Après la publication de notre appel à témoignage, nous avons constaté une grande attente de pouvoir s’exprimer sur ce problème sanitaire mal connu du grand public, et surtout encore non reconnu par les autorités de notre pays.
Nous avons sillonné la région wallonne et les dix-neufs communes bruxelloises, entre le dernier jour du mois de juin et le dernier du mois d’octobre 2020, pour des entretiens semi-structurés. Parmi la cinquantaine de contacts établis, trente-six personnes ont finalement pu être rencontrées pour livrer leur récit de vie, auxquelles il faut ajouter sept témoignages reçus par écrit. Nombreuses sont les personnes à avoir évoqué le soulagement de pouvoir être écoutées sans jugement, tellement les interlocuteurs dans la vie quotidienne – parfois depuis de nombreuses années – ont pu être dans le scepticisme et le déni, voire carrément le rejet et la disqualification. Le socle de cette présentation est donc l’expérience vécue directement par nos témoins.
Nous ne pourrons hélas pas tout aborder ici, nous exposerons dès lors les traits les plus importants pour démontrer l’urgence d’une prise en compte de la situation par les autorités sanitaires. Les constats établis seront ultérieurement soumis aux instances citées par nos témoins dans leurs récits et nous tenterons de recueillir leurs réactions au contenu de ces témoignages, leur état de (re)connaissance du problème, et surtout tenterons de connaître leurs éventuelles initiatives ou projets à ce sujet : l’Inami, la médecine du travail, les syndicats, les associations de patients, les associations luttant contre les discriminations, les parlementaires travaillant à la reconnaissance de l’électro-hypersensibilité, etc.
Nous avons bien entendu assuré l’anonymat à tous nos témoins, le but étant de réaliser une « photographie » du problème, aujourd’hui, en Belgique (francophone). Même si la plupart des personnes sont prêtes à en parler tout à fait ouvertement, l’anonymat a joué un rôle dans le succès de l’appel, car comme nous le dit une personne au parcours difficile sur son lieu de travail : « Le fait que ce soit anonyme est important, en tout cas pour l’instant. Parce que les réactions sont encore parfois violentes ! » Que toutes les personnes ayant répondu à l’appel à témoignages soient ici chaleureusement remerciées.
Réconfort médical ?
Après la description de la découverte des maux, nous avons évoqué les rapports avec le médecin, logiquement l’un des premiers interlocuteurs au sujet de l’état de santé. Dans la prise en compte de ce problème sanitaire, dit « émergeant », les médecins ont un rôle crucial à jouer, c’est évident. Dans le parcours de nos témoins, les rapports avec le monde médical ont été extrêmement variés, et peuvent être classés grosso modo en trois catégories « d’accueil ».
En tête, plaçons les médecins traitants parfaitement informés du problème posé par les effets biologiques des micro-ondes. En guise de soutien, ils ont parfois acté la situation dans un certificat médical en bonne et due forme, dont l’effet peut s’avérer capital dans le parcours social d’un électrosensible. (2) La seconde catégorie de médecins, tout en avouant une certaine méconnaissance du problème et une impuissance face à celui-ci, ont cependant fait preuve d’une écoute bienveillante. Cela représente selon nous un minimum, et dénote en outre d’un degré fondamental de curiosité personnelle sur l’évolution de notre société. Les membres de la troisième catégorie, hélas, ont réservé un accueil problématique aux personnes décrivant les manifestations du syndrome des micro-ondes dans leur existence. En regard de leur rôle social, les réactions ont parfois pu être carrément scandaleuses.
Certains professionnels de la santé sont dans une situation de déni extrême, voire partent dans la colère, tel ce neurologue criant en pleine consultation sur son patient, très calme : « Qu’est-ce que vous voulez ? Qu’on arrête le téléphone ? Je vois qu’on ne peut pas parler avec vous… », un cri accompagné de la rédaction d’une lettre recommandant l’envoi en psychiatrie. Comment est-il possible pour un médecin d’accueillir un patient de cette façon ? Comme nous le disait une dame, « Mon mari et moi avons la chance d’avoir pu mettre les pièces ensemble, mais il y a beaucoup de gens pour qui ce n’est pas évident de comprendre… » Il n’est pas incongru d’imaginer des parcours de vie totalement bouleversés par cet « accueil » problématique : des patients ont-ils remis ce type de lettre à leur médecin généraliste ? Quelle a été la réaction de celui-ci, face au conseil d’une psychiatrisation ?
Au fond, pourquoi ce neurologue est-il heurté au point de crier sur un patient ? L’analyse de certains témoins au vécu similaire identifie ces derniers comme d’intenses utilisateurs des nouvelles technologies, sans doute incapables de remettre en question leurs pratiques personnelles. Si ces faits datent de plusieurs années, des descriptions plus récentes nous sont parvenues. Une personne chez qui le syndrome vient de se déclarer nous a écrit en décembre 2020, le dernier mois d’une année marquant donc le début de son parcours médical d’électrosensible. « Aujourd’hui je suis allée faire des tests auprès d’un neurologue et j’en suis sortie en pleurant. J’espérais trouver de l’aide et du soutien, je me disais que c’était la personne idéale par rapport à mes acouphènes dont le volume a augmenté, un symptôme parmi d’autres apparus depuis l’installation de nombreuses nouvelles antennes dans mon quartier… Mais le ‘spécialiste’ était coincé dans son schéma mental et n’a tenu aucun compte de mon vécu au contact des micro-ondes. Il essayait par ses questions normées de me faire entrer dans ses cases à lui. Je lui ai parlé de l’effet du wifi sur le volume de mes acouphènes, il ne s’arrêtait même pas et posait la question suivante… Ça me heurte à chaque fois de me confronter à des ‘soignants’ dénués de toute capacité d’écoute. »
Quel pourcentage de professionnels des soins de santé connaissent en 2021 les manifestations du syndrome des micro-ondes ? Comment risquent-ils d’accueillir les gens ? Impossible de le savoir et, en outre, aucune information officielle ne semble diffusée auprès du monde médical. Les électrosensibles, quand ils en ont les « capacités », doivent s’informer eux-mêmes pour ensuite croiser les doigts au moment d’en parler à leur médecin. Soulignons qu’en raison des réactions médicales, certains patients décident simplement de ne plus en parler ! « Quand j’en parlais à mon médecin, il m’écoutait poliment mais ça le faisait plutôt rire, donc je n’en ai pas parlé à d’autres médecins. En me renseignant, j’ai constaté l’absence de traitement contre l’électrosensibilité, donc j’ai assez vite compris qu’on se retrouve bien seul là-dedans ». Voilà donc l’une des explications de l’étouffement et de la méconnaissance de l’ampleur exacte du phénomène.
Quel pourcentage de professionnels des soins de santé connaissent en 2021 les manifestations du syndrome des micro-ondes ? Comment risquent-ils d’accueillir les gens ?
L’impossibilité de recevoir une réponse médicale et un réconfort auprès de ces acteurs fondamentaux du bien-être sanitaire peut aller très loin. Une jeune femme raconte qu’il s’est bien agi d’un véritable « parcours du combattant où j’ai dépensé beaucoup d’argent. Les spécialistes sont encore souvent dans leur tour d’ivoire. Les généralistes sont des gens de terrain, ils prennent plus de temps pour dialoguer. Enfin, je crois… Pour ceux que j’ai rencontrés, ils commencent à se rendre compte qu’il y a un problème, puisqu’ils sont de plus en plus sollicités. Il est logique de les interpeller lorsqu’on se lève trois fois par nuit, en se disant qu’on va crever ou que la seule solution est de se défenestrer… Parce que j’y ai pensé. Je suis quelqu’un de lucide, je ne pars pas du tout en vrille au niveau émotionnel, mais c’était un tel désespoir, tellement épouvantable, que j’y ai pensé. Les médecins de proximité doivent entendre ce genre de récit et, à terme, y être sensibles ». Parmi nos témoins, une dizaine de personnes ont déclaré avoir pensé, durant ce parcours d’errance médicale, à « en finir ». Le constat, implacable, est là : retrouver son corps d’avant, libéré de l’agression électromagnétique – ne fût-ce que pour quelques jours ! – est un désir irréalisable. Le corps, la santé et le quotidien sont parfois tellement démolis, constamment et tous les jours de l’année, que tout arrêter apparaît comme le seul moyen de connaître soulagement et apaisement. Pour être clair : le déni du monde médical est, en soi, un grave problème de santé publique.
Par ailleurs, il ne s’agit pas seulement du syndrome des micro-ondes, mais aussi des pathologies à venir dont il est le signe. Une témoin a jugé important de nous faire part, des mois après notre entretien, de cette information : « Un ami a eu une tumeur au cerveau il y a une dizaine d’années. À cette époque-là, le neurochirurgien décrivait comme improbable un lien avec le téléphone portable. Il parle tout à fait autrement aujourd’hui ! Durant des examens récents, mon ami a demandé innocemment s’il y a plus de tumeurs au cerveau qu’avant… » Réponse ? « Il lui a dit que : ‘Ça explose. Avant, dans les années nonante, nous avions surtout des personnes de plus de soixante ans, aujourd’hui ils sont plus jeunes, il y en a beaucoup entre vingt et trente ans’. » Toujours naïvement, il lui en demande la cause, « le neurochirurgien répond tout de suite : ‘les pollutions de toutes sortes, les ondes électromagnétiques, le téléphone portable, le wifi,… Il n’y a pas de doute’. Il semblait exaspéré en disant ‘rien à faire, ils vont continuer’. » Comment dire ? Face à ce type de constat sur le terrain, les autorités de ce pays vont-elles réagir ? Quand ?
Pourquoi un tel rejet, se demandent les électrosensibles, émanant notamment du monde médical ? Si les médecins interrogés aux pages suivantes livreront des éléments de réponses dans leurs témoignages, notons ici la déclaration d’une jeune femme : « Ils sont sur la défensive… Aujourd’hui je sais pourquoi, car c’est comme une drogue, je le sais car je l’ai vécu moi-même. Par la force des choses, j’ai du recul puisque je ne peux plus utiliser de smartphone, mais en repensant rétrospectivement à mes comportements, il est clair que nous sommes face à des comportements addictifs. Le rejet vient aussi parce qu’ils ont peur pour leur gadget, quelque part ils ont tous peur, le médecin comme les autres. »
Sémantique électrosensible
Si l’Organisation mondiale de la santé nous parle d’ « électrohypersensibilité », nous désignons cependant les personnes touchées par le « syndrome des micro-ondes » sous le simple terme d’ « électrosensibles », pour une facilité de lecture. Signalons en outre que, bien entendu, le terme ne vise pas à créer une catégorie de gens qui seraient « différents » : tous les Belges sont concernés par les interactions du vivant avec l’environnement électromagnétique qui est désormais le nôtre.
L’organisme humain – par son cerveau notamment – fonctionne avec des influx nerveux électriques, tout individu est donc lui-même, dans sa chair, concerné par le vécu de nos témoins. Si le corps de ces derniers a lancé l’alerte sur l’agression électromagnétique envers le vivant, s’ils sont en état de conscience directe des comportements à risque, les pathologies favorisées par ces rayonnements concernent potentiellement tout individu. S’il faut bien utiliser un terme pour décrire une réalité, nous réfutons cependant la « stigmatisation » des électrosensibles comme des « gens à part », une attitude propice à l’exclusion et à une poursuite de la fuite en avant technologique dans laquelle nous sommes plongés. « Faire société », cela signifie se soucier de tous ses membres, et des nécessités de permettre une vie normale et satisfaisante à toutes et tous.
Tentons de terminer cette section du récit par une note quelque peu optimiste, avec un de nos témoins : « Cela semble évoluer, aujourd’hui quand je demande aux médecins de couper les machines durant la consultation, ils sont plus nombreux à le faire, j’ai donc l’impression que ça commence à être acquis. Avant, on me regardait comme si je venais de la planète Jupiter ». Dans le positif toujours, rappelons un autre signe d’évolution favorable : la publication d’un appel à la réaction du monde médical en Belgique, signé par plus de cinq cents médecins, accompagnés d’autant de professionnels de secteurs paramédicaux. La première phrase de celui-ci est claire : « À l’aube du déploiement de la 5G, des professionnels de la santé belges sonnent l’alerte ». (3) Face à un appel de plus de mille professionnels de la santé, ne serait-il pas logique qu’une prise en main du problème soit mise à l’agenda par le ministre de la santé ? Va-t-il convoquer les signataires de cet appel, pour une audition ? Ce serait le minimum…
Durant la rédaction des résultats de cette enquête, nous avons rencontré trois étudiantes en Santé environnementale, dont deux effectuaient un stage à l’institut de santé publique Sciensano. L’objet de leur stage tenait dans la rédaction d’outils d’informations sur l’électrosensibilité à destination des professionnels de la santé, afin d’améliorer l’accueil et la prise en charge dans le monde médical en Belgique. Ces outils d’information ont également pour but d’élaborer une présentation vulgarisée du vécu des électrosensibles à destination du grand public. Leur démarche, extrêmement louable, nous mène cependant vers cette interrogation : faut-il que des étudiantes portent de l’intérêt à ce grave problème de santé publique – et se chargent du travail – pour améliorer les soins de santé dans notre pays ? Sur le site de l’institution publique accueillant ces stagiaires, la première phrase est la suivante : « Sciensano, ce sont plus de 700 collaborateurs qui s’engagent chaque jour au service de notre devise ‘toute une vie en bonne santé’. » (4)
Coupable d’être victime
Parallèlement aux contacts médicaux, nous avons évoqué avec nos témoins les réactions de l’entourage, pour constater que l’exclusion sociale peut commencer au sein même de la famille ou du cercle d’amis proches. Souvent, après le parcours du combattant de la découverte, un autre combat commence : se confronter aux réactions sociales.
Les problèmes résultent en général de l’incompréhension et de l’incrédulité, mais trouvent également leur source dans des questions « pratiques », car parfois les membres de la famille ont envie de poursuivre avec les technologies sans fil, ce qui est impossible physiquement. Le rythme de vie imposé par les troubles du sommeil peut également créer des problèmes au sein d’un couple ou d’une famille. Une jeune femme expose : « Les réactions étaient terribles, j’ai vécu du rejet, c’était d’ailleurs la première fois de ma vie… J’ai eu la naïveté de dire ouvertement ce dont je souffrais, et j’ai vu les regards changer. En parler aujourd’hui avec vous m’émeut encore, huit ans plus tard, parce qu’en fait c’est un peu comme la double, et même la triple peine. On souffre terriblement, ensuite on n’a aucune reconnaissance, aucun soutien médical, mais en plus on se prend ce rejet de la société. J’ai vécu une forme de mise à l’écart sur mon lieu de travail, ce qui a aggravé le traumatisme et la souffrance que je vivais déjà. Je n’arrive toujours pas à comprendre ce rejet, venant parfois de gens qui travaillent justement dans des associations de soutien social et psychologique. Je ne m’attendais pas du tout à ces réactions. »
Les électrosensibles doivent sans cesse s’opposer au scepticisme d’autrui, voire à un farouche négationnisme. La violence est d’autant plus forte qu’elle est incompréhensible pour la personne en souffrance : pourquoi donc inventerait-elle cette expérience négative ? Cette absurdité ajoute une épaisse couche de difficultés. Il semble que l’omniprésence des technologies et l’intense publicité réalisée pour ces produits font entrer ceux-ci dans une certaine forme de « normalité incontestable », le grand public n’arrive pas à croire possible une telle promotion pour des produits nocifs. En corollaire, nier les constats des électrosensibles en devient « légitime », au-delà du vécu et des observations des victimes de la pollution électromagnétique. De ce discrédit résulte souvent un isolement social, s’ajoutant à la nécessité de ne pas fréquenter les lieux où les rayonnements sont très présents.
Violation de domicile
Un des problèmes de la pollution électromagnétique tient précisément dans son omniprésence. Même confinés chez eux, les électrosensibles ne sont nullement à l’abri, ni des émissions par les opérateurs de téléphonie mobile, ni des installations des voisins. Il n’est donc pas question de pouvoir se réfugier chez soi pour y trouver du réconfort, bien au contraire.
Un monsieur nous a raconté ses problèmes de voisinage à ce sujet : « J’habite dans une petite maison à deux étages, je suis en haut et j’ai une voisine dessous. Avec les précédents voisins, ça se passait bien, c’était vivable. Avec elle, c’est différent, elle ne veut rien entendre. Quand je cherche un accord, elle me répond ‘tout le monde a du wifi’ ! Moi pas, c’est mon choix en plus d’être une nécessité physique. Elle me dit : ‘Si c’est comme ça, va vivre dans les bois !’ Évidemment, je ne suis pas d’accord, je suis censé avoir le droit de vivre où je le désire, et je n’ai pas à subir l’environnement qu’elle a choisi, elle. C’est totalement intrusif. Un jour, je suis allé lui montrer le bouton à pousser pour éteindre le wifi quand elle n’est pas là. Elle m’a hurlé dessus : ‘NON, NE TOUCHE PAS ! Pas question, dehors, tu es chez moi’. Sauf que c’est elle qui est chez moi, avec son installation, en permanence, et je ne suis plus d’accord. Elle m’a même hurlé : ‘Tu n’as qu’à mettre des protections !’*
Nous sommes dans l’irrationnel, dans une situation où on ne peut même pas discuter… Depuis, le dialogue est rompu, j’écris des lettres, elle ne répond pas, j’écris un recommandé, elle ne répond pas… J’ai donc contacté le propriétaire, plutôt d’accord avec moi, mais il ne peut pas lui imposer de couper le wifi, ce n’est pas dans le bail. J’ai essayé qu’il demande de couper de 22h à 8h, que je puisse au moins dormir… Il lui a parlé de savoir-vivre, ‘même si tu ne sens rien, tu es aussi impactée’, lui a-t-il dit. Je fais déjà d’énormes concessions, j’accepte d’encaisser physiquement le soir et le week-end quand elle est là et qu’elle coupe la nuit et quand elle est absente. Normalement elle devrait câbler son internet, ce n’est pas compliqué, c’est ce à quoi j’aurais droit. Elle ne veut rien savoir, je suis forcé de vivre dans sa pollution et d’être mal en permanence. Je vais donc devoir aller en justice de paix. Pour le moment, deux nuits sur trois, je dors à huit kilomètres de mon domicile, dans un chalet… »
* Les protections évoquées par cette voisine consistent en des matériaux de blindage, extrêmement onéreux, bloquant les rayonnements par l’effet « cage de Faraday ». Voir à ce sujet l’encadré « Matériaux de protection » dans « L’exclusion par la pollution électromagnétique », Ensemble n°104, page 24.
L’omniprésence des technologies et l’intense publicité réalisée pour ces produits font entrer ceux-ci dans une certaine forme de « normalité incontestable »
Le « réflexe » de rejet est parfois plus intime, car l’existence de ces troubles de santé va à l’encontre de pratiques personnelles totalement banalisées. La remise en question n’est pas simple, les gens n’imaginent plus comment fonctionner sans ces engins technologiques voire, pour les plus jeunes, n’ont connu que ça. Une jeune femme raconte : « dans ma famille ils en ont eu marre, ça a été très compliqué. Bizarrement, les réactions les plus positives venaient des étrangers à mon entourage direct. Vous n’imaginez pas tout ce que j’ai entendu pour contourner une remise en question personnelle, car reconnaître mon problème signifierait en quelque sorte que ça peut leur arriver un jour… On m’a même dit : ‘Mais enfin, pourquoi aller te protéger des ondes, des choses fabriquées par des humains avec du matériel humain’. C’est totalement absurde, les catastrophes nucléaires sont aussi causées par des humains, par exemple… Je n’avais pas l’impression d’être reconnue ni prise au sérieux. D’autres disaient comprendre mais ajoutaient qu’ils ne pouvaient rien pour moi ».
S’il est impossible d’échapper aux rayonnements, certains actes minimalistes permettent cependant d’atténuer les maux, par exemple le fait de couper les sources les plus proches, le wifi et les smartphones. Lors de nos visites nous avons constaté, sur les portes de nos témoins, un avis tenant en un logo avec un téléphone barré. Cette « demande » n’est pas toujours suivie d’effet, « ils estiment que je perturbe leur liberté et leur ‘confort’ en leur demandant de couper leurs machines, alors que c’est ma santé qui est en jeu ! Car en cas d’exposition importante, la souffrance reste encore présente après leur départ, mon corps met du temps à se ‘remettre’. Malgré cela, soit ils ne coupent pas et il faut le supporter, soit ils acceptent d’éteindre et on constate progressivement une coupure du contact avec ces personnes, ils finissent par ne plus nous voir… Tout cela a une incidence sur la vie sociale, c’est une réelle exclusion. » Souvent, la pression sociale est telle que les électrosensibles cessent carrément d’en parler avec leurs proches ou leurs relations plus éloignées. Ne pas être pris au sérieux, voire pire, pousse à ne plus rien dire… Le scandale sanitaire est de ce fait étouffé un peu plus encore, par son « invisibilisation sociale ».
Souvent, la pression sociale est telle que les électrosensibles cessent carrément d’en parler avec leurs proches ou leurs relations plus éloignées
Cynisme industriel
Deux personnes ont relaté leurs discussions sur l’agression électromagnétique avec les employés des boutiques des opérateurs de téléphonie mobile. Les réactions sont plutôt intéressantes. La première dame, résidant dans une petite ville de Wallonie, raconte qu’elle y a « demandé si Proximus risquait d’un jour supprimer les téléphones fixes, ce qui serait catastrophique. Le vendeur m’a répondu que non, car on ne peut pas obliger quelqu’un à acheter un portable. Je me suis dit ‘ouf’!’, tout de même une bonne chose… Puis il me dit : ‘oui, je suis au courant, je sais que je vends des choses qui vous tuent. Je conscientise sur ma page Facebook personnelle’. Je n’en revenais pas ! » Lors du lancement de la 5G, elle a en outre contacté l’Institut belge des services postaux et des télécommunications (IBPT), l’organe régulateur du secteur, en expliquant ne pas supporter les rayonnements (déjà des 2G-3G et 4G), et ne pas pouvoir envisager une couche supplémentaire. Réponse de la fonctionnaire ? « Elle m’a dit : ‘partout il y aura la 5G. Si vous ne supportez pas, si vous en êtes malade, vous n’avez qu’à rester chez vous ! »
Chez Orange, même type de discussion inattendue pour une autre témoin. « Il faut faire l’exercice d’aller parler dans les boutiques de télécom, ça peut valoir la peine. J’ai un jour demandé au vendeur ce qu’il pensait de la 5G : ‘la 5G c’est trop fort. La 4G c’est déjà trop fort, et c’est suffisant, on n’a pas besoin de la 5G’. J’étais déjà très étonnée, puis il enchaîne, ‘regardez les ordinateurs, ils sont câblés, beaucoup de ‘collaborateurs’ sont tombés malades… On n’a plus qu’une borne wifi, placée le plus loin possible des vendeurs, à part ça on a décidé de tout recâbler dans la boutique’. Est-il au courant que c’est nocif ? ‘Oui, on est tous au courant, chez moi j’interdis le téléphone dans la chambre, je n’ai pas de wifi, que de l’internet câblé. Je n’ai pas d’enfants, mais si j’en avais je ne les laisserais pas toucher une tablette’. Il semblait dire qu’Orange les prévient, mais je ne sais pas comment, il a coupé court à la discussion… Je lui ai tout de même signalé l’absence d’information envers le public. Sûr de lui, il dit : ‘nous devons suivre la loi, elle exige uniquement les indications de valeurs de rayonnement dans le mode d’emploi de la machine, ce sont aux gens à s’informer’. Incohérence totale, en repassant devant le magasin j’ai un jour aperçu une vidéo exposant comment booster le wifi à la maison… »
Nous ne savons pas comment ce second opérateur communique à ses travailleurs au sujet de la nocivité de ses produits, mais pour le premier, rappelons l’existence d’une vidéo interne destinée aux travailleurs de Proximus, dans laquelle l’employeur tient un discours différent de celui tenu en direction du grand public : il y invite son personnel à la prudence au contact de ses propres produits*.
* La vidéo « Solutions sans fil – quelques conseils malins » est disponible en ligne, sur le site de la revue Ensemble. Lire également « Proximus invite ses travailleuses et travailleurs à la prudence au contact de ses produits ! », 23 septembre 2020, sur le site d’Inter-Environnement Bruxelles. www.ieb.be
Une personne évoque son « avant » l’électrosensibilité, et l’« après ». « Je suis extrêmement pessimiste pour l’avenir car je repense aussi à moi-même auparavant : au départ je ricanais… C’est dramatique : sans être électrosensible – puisque je ne l’ai pas été pendant des décennies -, quand j’entendais des témoignages j’imaginais ces gens avec un souci psychologique. Je les voyais attribuer la responsabilité de leurs problèmes à un autre endroit que là où ils devaient se remettre en question… En toute bonne foi, c’est ce que j’ai pensé en voyant les comportements de certaines personnes. Quand ça s’est déclaré chez moi, j’ai compris l’ampleur du problème devant lequel on se trouve. J’en ai parlé autour de moi et j’ai eu les mêmes réactions que j’avais pu avoir, parfois pire… » Tout montre pourtant que la réaction du corps est salutaire, une dame explique : « Tant qu’ils ne ressentent rien, tout va bien… Je n’essaie plus de les alerter. Pourtant c’est dans leur intérêt, car nous ressentons les douleurs, quelque part notre corps fonctionne bien, notre cerveau également. Si un danger visible se présente, on s’écarte, ici le danger est invisible mais bien présent… Or nous, nous le sentons, notre corps capte le danger et envoie le signal de s’en écarter. Malgré ces explications, quand des gens viennent chez moi, j’ai encore des difficultés à ce qu’ils coupent leur machine en entrant. Même s’ils disent me comprendre, ils ne changent rien pour eux ! Rien ! »
Comme nous l’a dit un témoin, « quel serait donc l’intérêt à inventer ces symptômes, par ailleurs décrits dans le monde entier… ? » Une dame réagit à ce sujet : « De fait, nous ne sommes pas entendu. Tant que les gens ne sont pas touchés, ils n’y croient pas… Mais pourquoi ? Nous sommes tous différents, ma belle sœur a une allergie : lorsqu’elle mange de la roquette, elle a l’œdème de Quincke, dont elle risque de mourir. Moi, je ne suis pas touchée par ce problème, ce n’est pas pour ça que je ne la crois pas. Elle n’y peut rien, ce n’est pas de sa faute, mais elle a ça. Je suis bien obligée de la croire parce que c’est comme ça, c’est la réalité. Je ne vais pas lui dire qu’elle est folle parce qu’elle développe cet œdème. » En matière de pollution électromagnétique, il semble nécessaire de toujours devoir énoncer de simples évidences de ce type.
Soumis aux rayonnements dès la crèche
À ses débuts, l’information circulait sur une nocivité à long terme du téléphone portable, et la nécessité de ne pas l’utiliser avant seize ans. Par la suite, des médecins ont lancé des appels à ne pas exposer les enfants de moins de douze ans. (1) Des conseils non respectés, nous le savons aujourd’hui. Ensuite le wifi est apparu, les smartphones, etc. Quel est donc, aujourd’hui, l’âge en-dessous duquel ne pas descendre ?
Lorsqu’une femme découvre son électrosensibilité et la violence des rayonnements électromagnétiques sur le corps humain, elle cherche logiquement à protéger son enfant. « Mon fils va à la crèche. Du jour au lendemain, j’ai remarqué des tablettes connectées dans les mains des travailleuses pour enregistrer l’arrivée et le départ des enfants. Par la suite, on a commencé à recevoir des e-mails journaliers sur l’heure à laquelle il arrive et part, s’il a bien mangé, etc. J’ai demandé à mon compagnon s’il les reçoit, et oui. J’y ai évidemment vu plusieurs problèmes. Au niveau de la vie privée, c’est intrusif. Ça va bien entre nous, mais je ne trouve pas normal que mon compagnon sache nécessairement à quelle heure je suis allée à la crèche ! Je ne comprends pas pourquoi je reçois ça, en plus parfois les heures sont erronées, j’y vais à 16h et il est marqué 17h30, ça pourrait donc entraîner des problèmes pour des couples où il y aurait des tensions. Et ne parlons même pas du nombre de messages annuels stockés sur les boîtes mails des deux parents… Nous savons aujourd’hui que les mails ont un coût environnemental en regard de leur stockage dans des centres de données. »
Ensuite, il y a également le problème des rayonnements sur les enfants. « Dans les locaux il y a également une borne wifi et un DECT, je suis donc allée voir la directrice pour parler de mon inquiétude par rapport aux émetteurs et récepteurs, placés à côté des enfants. Je ne désire pas de rayonnements de micro-ondes dans l’espace où mon enfant va passer huit ou neuf heures… Elle a répondu qu’elle va en parler avec la plus haute direction sans penser pouvoir faire quelque chose, car ça vient d’être installé. Le lendemain, je propose de câbler moi-même l’internet, elle me dit qu’on ne peut pas faire de trou. Je demande s’il y a moyen d’éteindre au moins quand les enfants font la sieste, par précaution… Mais non, éteindre une machine semble être de l’ordre de l’impossible. Elle finit par me dire de ne pas m’en faire, que mon fils va quitter la crèche en septembre… Mais je ne suis pas inquiète uniquement pour mon fils, mais pour tous les enfants ! Elle m’a dit d’aller en parler à la télé ! J’ai contacté l’Office de la naissance et de l’Enfance (ONE) qui nous a envoyé ses recommandations, disponibles sur internet. Ils ne pouvaient pas intervenir car il s’agit d’une crèche néerlandophone. J’ai donc téléphoné à Kind en Gezin, l’équivalent néerlandophone de l’ONE, où on m’a dit : ‘On vous comprend, on vous encourage à créer un groupe de parents pour faire évoluer les choses.’ À la crèche ils m’ont dit que tant qu’il n’y a pas une loi, ils feront ce qu’ils veulent. ‘On respecte la loi, les boîtes wifi ont été achetées au centre commercial. Aucune loi ne dit qu’on ne peut pas en mettre dix, si on veut mettre dix boîtiers, on le fait.’ Je tiens à préciser que le DECT se trouvait sur un meuble dans l’espace d’activité. Derrière celui-ci se trouve le dortoir, avec un mur fin d’à peine 10 cm. Le premier lit double pour deux bébés, de trois à dix-huit mois, est collé au mur, donc au DECT ! Les recommandations n’ont pas été respectées et il semble que personne ne soit conscient ou sensibilisé à la puissance de ces technologies… Qui est en charge de contrôler ces installations?
On pourrait croire que la balle est dans le camp du monde politique, mais notre témoin a également « téléphoné au ministère de la petite enfance francophone, ils m’ont dit ‘on vous comprend, on est au courant, mais seuls les parents peuvent bouger et faire évoluer les choses’ ! Personne ne veut prendre ses responsabilités, que faut-il faire ? Un jour, je suis arrivée et la puéricultrice était occupée sur la tablette avec de la musique (d’adulte), tous les enfants étaient agglutinés autour d’elle, voir mon fils avec la tête contre ça, ça me rend malade. Quand elle m’a vu, elle a essayé de cacher la tablette… »
Le site de l’ONE renseigne ceci au sujet des babyphones, des engins fonctionnant également avec des micro-ondes : « Placez le babyphone à minimum un mètre du lit (une distance de trois mètres serait idéale). Éteignez l’appareil quand il n’est pas utilisé. N’allumez pas la base si le récepteur est éteint, sinon votre bébé absorbera des ondes pour rien. Évitez si possible les babyphones à micro-ondes (DECT notamment) » (2)
(1) Voir par exemple « Téléphone portable : appel à la prudence », Le Devoir, 16 juin 2008.
(2) Brochure « Le matériel de bébé, petit guide pour bien choisir », ONE, 2016, page 52.
Isolement social
Enfin, c’est dramatique, mais une personne avoue que « ça aurait été plus facile d’avoir un cancer diagnostiqué, car socialement c’est plus facile ».
Tous les éléments évoqués ci-dessus entraînent un inévitable isolement social, ne fût-ce que par la fatigue. « Souvent, quand on ne dort pas, on doit annuler des rendez-vous, ce qui irrite les gens… À raison, d’ailleurs. Mais comme on ne peut pas vraiment entrer dans les détails des raisons derrière l’annulation, puisque c’est soit inconnu soit rejeté, et parfois violemment, on s’isole inévitablement… » Un autre élément tient dans le lieu de vie, s’il doit changer. Forcément, lorsque des déménagements s’imposent pour tenter de trouver ailleurs un peu d’apaisement, le départ s’accompagne de ruptures de liens. La personne quitte son environnement de vie et, si elle part loin, elle est forcée de supprimer des activités épanouissantes, de ne plus fréquenter les groupes sociaux de l’entourage, etc. La vie sociale antérieure peut se réduire grandement, se limiter à la cellule familiale ou à quelques proches, mais parfois à… personne.
L’isolement est évoqué par de nombreux témoins, telle cette dame déclarant que « Familialement, j’en souffre, je ne vois plus mon fils, il prend sa mère pour une folle » ou ce monsieur : « Je suis très isolé. Le manque de compréhension crée de l’exclusion. Je ne sais plus aller à des fêtes de famille, car plus il y a de gens un peu moins proches, plus c’est difficile. Plus une personne est proche de moi, plus elle sera tolérante face aux plaintes, aux attentes, aux demandes. Par sympathie, on a peut-être dit à l’assemblée que je vais arriver, qu’il faut couper les smartphones, mais pfff… Tôt ou tard, un smartphone apparaît, un jeune enfant prend celui de papa ou maman, joue avec… Donc finalement, au fil des années, au fil des répétitions de ce genre de moments, on commence à fatiguer, on n’y va plus… » Il poursuit en exprimant, à nouveau, l’incompréhension face au manque de prudence d’autrui. « Malgré cela, même les très proches ne semblent pas suffisamment conscientisés au travers de mon expérience que pour réellement mettre des choses en place dans leur quotidien à eux. Mes enfants pensent que ce n’est pas du pipeau, je le sais, ils ont sans doute aussi de la compassion par rapport à la souffrance, mais ça ne suffit pas pour installer une vie différente de ce qui est devenu le standard. Par exemple j’ai peur pour une de mes filles, enceinte, qui continue malgré tout avec le smartphone, comme si les effets sanitaires n’existaient pas… »
Nous l’avons évoqué, des personnes parfois très proches s’écartent progressivement de leur ami électrosensible. Un élément d’explication parmi d’autres tient dans le rythme de vie, devenu de fait « décalé ». Avec les technologies sans fil, les gens se placent souvent dans une situation d’« urgence permanente », dans un rythme où tout doit aller vite. Pour l’amateur de téléphone portable, celui qui ne suit pas ce rythme est parfois considéré comme prétendument « injoignable ». Il n’est pourtant simplement pas joignable dans l’immédiateté d’une vie devenue ultra-rapide, jusqu’à outrance. « Dans une phase transitoire, lorsque j’avais encore un portable sans pouvoir l’utiliser, en rentrant j’avais parfois des messages hallucinants : un interlocuteur avait appelé, puis rappelé, s’était énervé, avait envoyé des SMS furieux,… Tout cela en une après-midi ! Il avait mené une sorte d’engueulade seul avec lui-même, sauf qu’à la fin c’est sur moi que ça retombait. Il m’est arrivé de constater une quinzaine d’appels de la même personne, en même pas autant de minutes… C’est de la pure folie, il faudrait être disponible et à leur service de suite. En dehors de l’électrosensibilité, ça m’a fait comprendre que ces engins ne sont pas souhaitables dans une vie normale. »
Avant l’omniprésence technologique, lorsqu’une rencontre devait s’organiser dans la vie privée, cela se faisait le soir ou le week-end. Si la personne n’était pas là, on rappelait ou on laissait un message, les électrosensibles sont forcés de fonctionner comme cela. Plusieurs témoins ont évoqué cette question, dont un monsieur : « Les gens appellent sur mon fixe mais ne laissent plus de message, ça sonne et si ça ne répond pas, il semble que ce n’est plus concevable dans leur esprit d’avoir une réponse un peu plus tard… Progressivement, on n’est plus ‘calculé’ dans l’esprit des gens, on n’est soi-disant pas joignable donc on n’existe plus ». Si ce rythme modifié est vécu par les utilisateurs du sans fil, ses conséquences se répercutent donc néanmoins sur la qualité de vie de l’ensemble de la société. Dans cette course éperdue, le stress d’immédiateté se répercute sur les autres, et alimente… le stress général. Le puits est sans fond.
Objets connectés
Les déplacements sont extrêmement compliqués pour les électrosensibles. Un voyage en train, par exemple, représente une souffrance assurée en raison du nombre de smartphones utilisés par les voyageurs. A priori, on imagine l’air plus sain au sein d’un véhicule individuel, mais des surprises peuvent être au rendez-vous… Un couple raconte : « Acheter une voiture aujourd’hui, c’est se confronter aux rayonnements au sein même de la voiture, nous l’avons découvert. Notre nouveau véhicule roulait merveilleusement bien, mais j’ai ressenti une énorme pression au niveau de la tête. On a alors constaté la présence de Bluetooth. Avec l’appareil de mesure des rayonnements, on ne voyait rien à l’arrêt du véhicule, mais dès qu’on enclenchait le contact, bouf, ça montait…
Un nouveau parcours du combattant s’annonce pour pouvoir utiliser au mieux le véhicule acheté à grand frais. « On a appelé chez Citroën mais ils ne voulaient pas intervenir, car ce n’est pas un ‘défaut’. Au garage où on l’a acheté, ils étaient prêts à nous aider, ils ont démonté pas mal de trucs pour savoir d’où ça venait… À chaque essai, les ondes montaient. Au final, ça nous a coûté 300 euros pour tenter de débrancher les rayonnements mais, bien que nous n’ayons rien connecté, nous n’arrivons pas à supprimer la connexion relative au système de géolocalisation installé lors de la fabrication du véhicule… Au minimum, ça devrait être signalé dans le manuel, avec un choix de couper les rayonnements ». Voilà le genre de déboires relatifs à l’achat d’un engin relativement banal, tel qu’une voiture. Qu’en sera-t-il lorsque nous serons face à des milliers voire millions d’objets connectés dans notre société, projet annoncé des industriels pour le futur de la 5G ? Le choix existera-t-il lors de l’achat d’un frigo, d’un aspirateur, d’une brosse à dent… ? Pour ne prendre que quelques exemples parmi le meilleur des mondes annoncé…
Le vécu des électrosensibles semble être de plus en plus connu, en parallèle à l’augmentation de leur nombre « J’ai un jour voulu essayer un autre modèle, et j’arrive donc avec mes vêtements de protection… J’avais des appréhensions sur les réactions, mais le vendeur n’avait pas l’air surpris ! Il me dit : ‘Vous m’auriez parlé de ça il y a 48 heures, j’aurais écarquillé les yeux tout grands, mais figurez-vous qu’hier une personne est venue avec le même problème que vous’. Notre témoin termine : « Quand on pense que les camions sont équipés d’office de ces systèmes et que cette ‘technologie’ s’étendra obligatoirement à tous les véhicules dans un avenir proche, il y a de quoi paniquer car les phénomènes ne se limitent pas à des pressions au niveau de la tête. J’ai constaté, entre autres, de l’arythmie cardiaque, des troubles de la vue et un dysfonctionnement quant aux temps de réaction et d’appréciations, tels que pour une conduite en état d’ébriété. » Où l’on se rend compte qu’il ne s’agit pas seulement de santé publique, mais également de sécurité routière…
En outre, ce rythme de vie n’est pas sans effet sur d’autres graves problèmes de santé publique, favorisés par la suppression des limites entre vie professionnelle et vie privée. Les individus se trouvent placés en permanence en « mode travail », susceptibles d’être contactés à toute heure et tous les jours de la semaine par un chef ou un collègue. Psychologiquement, il n’y a plus jamais de répit. Avec d’autres facteurs, cet élément intervient dans l’explosion du nombre de burn-out, les indicateurs sanitaires sont à ce sujet plus qu’inquiétants, avec des coûts colossaux pour la Sécurité sociale.
Les individus se trouvent placés en permanence en « mode travail », susceptible d’être contacté à toute heure et tous les jours de la semaine par un chef ou un collègue
Pour conclure, soyons précis même si c’est l’évidence : lorsqu’il faut éviter les rayonnements, il faut éviter les événements culturels, sportifs, les manifestations, les festivals, les salons, etc. L’exclusion sociale est donc également une exclusion culturelle. (5) Le lecteur l’aura compris, nous n’aurons pas la place d’évoquer toutes les dimensions de ce problème sanitaire inédit, d’une ampleur également inédite… Mais le nécessaire isolement des sources de rayonnements présents partout, dans l’espace public et les espaces privés, ainsi que dans les poches et sacs de nos contemporains, excluent de la possibilité de fréquenter désormais tous les événements où sont présents… des êtres humains (connectés).
Lorsqu’il faut éviter les rayonnements, il faut éviter les événements culturels, sportifs, les manifestations, les festivals, les salons, etc. L’exclusion sociale est donc également une exclusion culturelle
Au niveau du rythme de vie, qui adopte le plus adéquat ? Les relations sociales doivent-elles dépendre de machines favorisant l’immédiateté ? Différentes pratiques ne peuvent-elles pas cohabiter ? Car ne l’oublions pas, certaines personnes ne désirent simplement pas vivre avec un téléphone portable et son rythme de vie imposé. En parallèle aux considérations sanitaires des micro-ondes sur les organismes vivants, il va également falloir prendre ces questions à bras le corps, pour favoriser une vie sociale harmonieuse et enrayer l’exclusion sociale en cours de développement. Le mouvement général nous montre que la lenteur se perd, jusqu’à devenir un acte « déviant »… voire carrément révolutionnaire !
Santé et droits de l’homme
Les statuts de l’Organisation mondiale de la santé sont assez clairs : « La possession du meilleur état de santé qu’il est capable d’atteindre constitue l’un des droits fondamentaux de tout être humain. Le droit à la santé comprend l’accès, en temps utile, à des soins de santé acceptables, d’une qualité satisfaisante et d’un coût abordable ».
La Belgique ne souscrit-elle plus à ces droits fondamentaux ? Une jeune maman raconte avoir été « confrontée à une psychomotricienne qui a refusé de s’occuper de mon enfant parce que j’ai demandé de couper la 4G pendant la séance. J’avais compris qu’elle désirait rester joignable. Je lui proposais, pour réduire au maximum les ondes, de garder la fonction appel sur son téléphone portable, tout en coupant wifi, bluetooth, 4G,… Elle a refusé : ‘Je choisis mon mode de communication avec les autres, j’ai l’habitude de communiquer avec mes enfants en 4G, non, je ne couperai pas la 4G, je vous invite à trouver quelqu’un de plus adapté à vos problèmes’. À la suite de cette aventure, j’ai contacté Unia*, qui a été clair sur le fait qu’elle n’avait pas le droit d’agir de cette manière car, m’a-t-on répondu, ‘Elle est sur son lieu de travail, et vous demandez un aménagement raisonnable’ ».
Outre le refus de l’accès aux soins, soulignons que la raison invoquée par cette professionnelle de la santé représente une nouvelle invasion de la vie privée au sein du cadre professionnel. Comme de nombreux individus parmi nos contemporains, toutes les temporalités du quotidien se mélangent à présent dans sa vie. Dans sa situation, elle devrait connaître le caractère nocif de ces pratiques, ainsi que l’existence de campagnes sanitaires invitant à la déconnexion, au respect des horaires de travail, etc.
* Unia est un service public indépendant de lutte contre la discrimination et de promotion de l’égalité des chances.
www.unia.be
Quoiqu’il en soit dans le futur sur ces questions, dans l’immédiat il nous faut prendre conscience qu’asséner à un électrosensible « c’est pénible, tu n’es pas joignable », le renvoyant ainsi à ses impossibilités physiques, équivaut à déclarer à un paralytique : « c’est pénible, tu ne marches pas » !
Notre société va devoir prendre conscience qu’asséner à un électrosensible « c’est pénible, tu n’es pas joignable » équivaut à déclarer à un paralytique « c’est pénible, tu ne marches pas »
Réfugié électromagnétique
Terminons ce tour d’horizon par l’une des principales problématiques liées à la pollution électromagnétique : celle de l’habitat. Comment et où encore s’installer lorsque les sources de la pollution agressive sont omniprésentes et traversent les murs ? Le constat dramatique est qu’un air sain – non traversé de rayonnements de hautes fréquences – n’existe plus, y échapper totalement est donc désormais impossible… Que faire ? Afin que le lecteur puisse se projeter dans la difficulté, imaginez que dans votre logement – là où vous vivez, seul ou avec votre famille, là où vous lisez peut-être ces lignes – vous ne pouvez jamais vous sentir bien… Que feriez-vous ?
Comment et où encore habiter lorsque les sources de la pollution attaquant le corps sont omniprésentes et traversent les murs ?
Dans notre dossier d’introduction, nous avons présenté le témoignage détaillé d’une jeune femme expliquant avoir déménagé une cinquantaine de fois sur trois ans, en louant des gîtes de vacances quelques semaines ou mois, avec un vécu de personne itinérante très difficile à supporter. Avec ce qui lui restait d’économies, elle a finalement acheté une roulotte, pour laquelle d’autres problèmes se présentent, notamment pour obtenir le droit de la poser quelque part. (6) Elle n’est pas la seule à évoquer l’itinérance, une autre jeune femme nous dit : « Je ne peux plus dormir dans l’appartement que je loue, en raison de l’importance de son exposition aux antennes. Je suis donc devenue une sans domicile fixe électrosensible. En dormant à gauche et à droite, j’arrive à tenir, et j’ai un entourage clair sur ce qu’il me proposera, je peux donc savoir où dormir pour combien de temps et m’organiser… J’ai dû arrêter toutes mes activités les unes après les autres, j’ai vécu une pulvérisation en chaîne de ma vie, due à l’industrie technologique. Je n’ai toujours pas changé de logement car c’est très difficile à trouver. À Bruxelles je fais carrément une croix dessus quand je vois la multiplication des antennes… En Wallonie c’est un peu mieux, mais il y a en général des mâts d’antennes, à maximum 1,5 km, une forte proximité… Cela fait huit mois que je cherche, armée de mon appareil de mesure. Et en fait, c’est impossible de trouver des lieux peu exposés. Je n’en peux plus. Le logement est dans les éléments fondamentaux pour survivre, rien de bien inédit. Tant qu’on n’a pas la base, avoir un toit et un système nerveux qui peut se restaurer lors du sommeil, tout le reste est perturbé. ». La détresse extrême est palpable, « Je ne sais pas où aller vivre dans les cinq ans à venir, c’est catastrophique. J’ai vraiment peur du déracinement. Je n’ai pas envie d’aller m’enterrer à la campagne, quitter mes amis et tout ce que je vis au quotidien. Franchement, quand je vois des reportages sur les réfugiés, je les vois comme des héros et, en fait, à mon échelle je me sens réellement devenir comme eux ».
Atmosphère hospitalière… ?
Outre l’accueil problématique reçu auprès des professionnels de la santé (Voir la section de texte « Réconfort médical ? », page XXX), l’un des plus gros problème des électrosensibles tient dans les soins hospitaliers, la pollution électromagnétique étant extrêmement présente au sein de ces institutions de soins. Comme pour tout lieu public, énormément de personnes y évoluent avec un téléphone portable, souvent allumé et, même si les hôpitaux voient leurs murs couverts de logos interdisant de téléphoner, tout le monde le fait, y compris le personnel de l’hôpital. Il faut ajouter à cela la présence de réseaux wifi internes, ainsi que d’un réseau DECT propre à l’institution. En outre, il n’est pas rare de voir une aile de l’hôpital arrosée par un site d’antennes de téléphonie mobile situé sur une autre aile. Un funeste cocktail de micro-ondes.
Fréquenter un hôpital est devenu une véritable souffrance pour les électrosensibles. Certains de nos témoins ne peuvent plus fréquenter les salles d’attente, doivent trouver un arrangement et attendre dehors avant leur consultation. En outre, tous nos témoins ont expliqué leur hantise de devoir un jour être hospitalisé. Doivent-ils faire une croix sur le droit à un accès aux soins ? La situation peut parfois être carrément aberrante, comme lors de consultations liées aux problèmes de sommeil. « J’avais de gros troubles, des insomnies catastrophiques, j’ai donc décidé de réaliser les tests du sommeil. J’arrive dans la chambre, on me montre le matériel, où je vais passer la nuit, etc. Je regarde partout, notamment sous le lit, et je demande où sont les câbles. Réponse ? ‘Le matériel n’est plus câblé’. Ha ? Merci, au revoir. J’ai pris ma veste et je suis parti. »* D’un côté, nous avons donc une définition de l’Organisation mondiale de la santé plaçant les troubles du sommeil dans les manifestations du syndrome des micro-ondes, de l’autre nous avons des hôpitaux installant toujours plus de systèmes sans fil émettant ces mêmes micro-ondes, au point de réaliser les tests de sommeil avec ceux-ci. On pourrait en rire tellement c’est énorme, si toutefois les conséquences n’étaient si dramatiques…
La même personne a dû être hospitalisée pour une opération d’un cancer. Auparavant, une biopsie est prévue un matin à 9h, elle aura lieu finalement à 14h, un joli supplément au sein de l’atmosphère hospitalière. Il le signale au médecin. « Bah ça va, sauf ma tête, je suis hélas resté cinq heures dans les ondes de la chambre. Réponse du médecin : ‘Il fallait prendre votre casque !’ » Pour tenter de désamorcer l’ironie, pour l’examen suivant le patient s’arme de documents disponibles sur internet, décrivant l’électrosensibilité. « J’ai commencé à signaler que je n’accepterais plus de réponse ironique, mais surtout que j’aimerais trouver la chambre la moins exposée de l’hôpital. Il a alors cherché sur son écran les chambres en bout de couloir, le plus loin de l’exposition des antennes présentes sur les toits du site et j’ai demandé d’en bloquer une. Au cours de l’hospitalisation, j’ai dû sans arrêt demander aux infirmières si elles avaient laissé leurs engins dehors, malgré un logo posé sur ma porte. Le troisième jour je n’en pouvais plus, j’ai demandé à rentrer chez moi. Le médecin disait que je n’étais pas en état, mais je devais absolument sortir de là… À force d’insistance, il a donné son feu vert ».
Ce patient a apporté sa pierre au travail colossal de sensibilisation – tout reste à faire – du monde médical dans notre pays, en écrivant a posteriori à la direction de l’institution hospitalière. « J’ai accompagné la lettre d’un dossier décrivant l’électrosensibilité, des mesures minimales d’accompagnements des patients, etc. La médiatrice de l’hôpital a répondu transmettre le tout à la direction médicale, au service des soins infirmiers et au service technique… De ceux-ci, je n’ai jamais eu de nouvelles. »
(Lire également « Électrosensibilité : des médecins témoignent », aux pages suivantes)
* Notre témoin a finalement réalisé les tests de « polysomnographie » à domicile, à l’aide d’un appareil doté de batteries, sans ondes dans l’espace de test et dans l’environnement habituel de vie.
Au sujet de l’habitat, les situations de nos témoins sont variables. Pour revenir à notre fil rouge de l’exclusion sociale, la question des inégalités saute ici aux yeux car, bien entendu, les réactions possibles et nécessaires, après le déclenchement de l’électro-hypersensibilité, varient selon que l’on est locataire ou propriétaire. Pour le premier, en général, l’errance démarre. Une jeune mère célibataire raconte. « Le gros problème se situe au niveau du logement, il nous faut vivre loin des ondes, idéalement il faut une maison quatre façades, éloignées de voisins, or la plupart des électrosensibles ont perdu leur emploi. Trouver une maison dans cette situation, c’est mission impossible. La première chose que les agences demandent est si on a un contrat de travail… Non ? Au revoir. J’ai eu une cinquantaine de refus de ce genre. Même avec des personnes garantes, ce n’est pas suffisant. Je connais plusieurs personnes qui sont dans une impasse. Clairement, si on n’a pas de famille, on va à la rue. Certaines restent avec leur ancien compagnon, faute de solution, alors que ça ne va pas entre eux. C’est extrêmement stressant, nous sommes dans des situations précaires, devons être hébergés chez des amis ou vivre en colocation de façon obligatoire. Or, les personnes prêtes à accepter les contraintes liées à l’électrosensibilité sont rares, ce contexte peut créer des tensions au quotidien… On n’a plus aucune liberté concernant notre mode de vie. »
La recherche d’un logement est donc devenue un nouveau parcours du combattant, se réalisant avec un appareil de mesure, ce qui oblige une confrontation sur le sujet de la pollution électromagnétique avec l’éventuel futur bailleur. En outre, certains propriétaires ont connaissance du problème et ne voient pas arriver un électrosensible avec des yeux compatissants : ils ont peur de la mauvaise publicité pour leur bien peut-être fortement exposé. Une jeune femme énonce cette revendication sur le droit au logement : « Quand on doit rompre un contrat de bail pour cette raison-là, j’aimerais que ce soit pris en compte, que ce soit possible, car si après quelques mois on vient installer des antennes pas loin, ou si la sensibilité se développe dans ce logement-là, on ne devrait pas devoir payer des indemnités de rupture ».
Certains propriétaires ont connaissance du problème et ne voient pas arriver un électrosensible avec des yeux compatissants : ils ont peur de la mauvaise publicité pour leur bien peut-être fortement exposé
Cette nécessaire rupture du contrat de bail s’est réalisée pour une autre personne, qui nous a contacté fin 2020, après la période de recueil de nos témoignages. Les problèmes de sommeil se sont invités dans son existence, gravissimes et accompagnés d’autres symptômes physiques et cognitifs. Quelque chose semblait avoir changé. Après consultation du cadastre des antennes, elle a découvert qu’en six semaines, deux mois plus tôt, trois nouveaux sites d’antennes étaient apparus dans son quartier. Les dates d’installations par les opérateurs correspondent à la période d’apparition des symptômes. Résultat, identique que pour les personnes témoignant ci-dessus : fuite du logement et recherche de lieux hypothétiquement meilleurs, période durant laquelle il faut pouvoir être hébergé chez autrui. Ensuite, les symptômes ne disparaissent évidemment pas car, même si l’exposition est moindre, une fois déclenchée la sensibilité ne disparaît plus. Dans ce cas précis, l’ex-propriétaire tenait à ne pas ébruiter la mésaventure.
Après consultation du cadastre des antennes, elle a découvert qu’en six semaines, deux mois plus tôt, trois nouveaux sites d’antennes étaient apparus dans son quartier. Les dates d’installations par les opérateurs correspondent à la période d’apparition des symptômes
Être propriétaire, pour un électrosensible, n’immunise pas contre l’errance. Un couple rencontré est installé dans un container métallique en pleine campagne wallonne, tout en étant propriétaire d’une maison où ils ne peuvent plus résider. D’autres propriétaires vendent leur bien, en achètent un autre éloigné de la ville… Mais campagne ne rime pas forcément avec possibilité de se sentir bien, des mâts d’antennes existent et, là aussi, peuvent être implantés après l’emménagement. Les éventuels voisins ont leurs installations. D’autres personnes restent dans leur logement, en l’aménageant avec des matériaux de protection : en appliquant de la peinture au plomb sur les murs, ou encore en installant des tissus de protections aux fenêtres et autour du lit, extrêmement onéreux. Va-t-on poursuivre avec une pollution contre laquelle de plus en plus de gens vont devoir se « bunkériser » ?
Être propriétaire n’immunise pas contre l’errance. Un couple rencontré est installé dans un container en pleine campagne wallonne, tout en étant propriétaire d’une maison où ils ne peuvent plus résider
Industrie : 29 – Santé : 24
Le vendredi 21 mai, le Sénat devait statuer sur la proposition de reconnaissance de l’électro-hypersensibilité. Tout en rappelant que cela peut arriver demain à chacune et chacun d’entre nous, Fatima Ahallouch (PS), qui portait ce texte, a notamment évoqué les nombreuses alertes sanitaires sur les effets délétères des rayonnements électromagnétiques. « En Belgique, en mai 2019 le Conseil supérieur de la santé en parle dans son Avis 9404 et décrit des impacts biologiques à des niveaux non thermiques. Plus globalement, depuis les années 2000 des centaines de scientifiques indépendants n’ont cessé de signer des appels pour mettre en garde contre les effets nocifs sur les êtres humains, la faune et la flore, des ondes électromagnétiques nécessaires pour l’utilisation des communications sans fil. Ils ont choisi de rendre public ce qu’on peut lire dans l’abondante littérature scientifique. Des milliers d’études attestent de rupture de simple et doubles brins d’ADN, d’une réduction de la fertilité, du déséquilibre du système immunitaire, de perturbation métabolique et de biens d’autres effets au rang desquels figure l’électrohypersensibilité. » Elle a également rappelé que « Depuis 21 ans des reconnaissances sont apparues dans les pays nordiques. Le Danemark, la Finlande, l’Islande et la Norvège ont reconnu l’électrohypersensibilité comme maladie professionnelle, et la Suède comme handicap fonctionnel depuis 2002. »
Malgré tout cela, le vote a été serré et la résolution a finalement été rejetée. Sur les 53 sénateurs qui ont pris part au vote, 24 ont voté pour, les représentants du PS, d’ECOLO-GROEN, de Vooruit, du PTB et du cdH. Les 29 sénateurs contre le texte (Vlaams Belang, N-VA, CD&V, OPEN-VLD et MR), ont notamment déclaré avoir peur – en cas de reconnaissance – de devoir faire face à une entrave au développement technologique. Ils estiment également que créer des zones blanches pour permettre aux électrosensibles de trouver un relatif apaisement n’est pas souhaitable… car les voitures sans chauffeur ne pourraient pas y circuler !
Bien entendu, il aurait été bon de voir ce texte voté. Il aurait dû l’être ! Cependant, malgré l’échec final, le processus parlementaire est une relative avancée… On vient de très loin. Face à la pollution électromagnétique, les personnes qui continuent à dire qu’ « il n’y a rien », vont-elles décemment prétendre que 24 sénateurs votent pour la reconnaissance de l’électrosensibilité sur base de « rien » ? Vont-elles continuer sans honte à proférer cette injure aux nombreuses victimes de l’industrie ? Le type d’arguments utilisés pour refuser le vote, ainsi que les partis les utilisant, éclaircissent selon nous la situation : la fuite en avant technologique et le commerce sont, dans notre société, prioritaires face à la santé humaine.
La motivation de faire avancer cette reconnaissance à tous les niveaux (social, politique, médical, grand public) est plus forte que jamais, renforcée par ce commentaire de la parlementaire socialiste, signalant que « bien sûr le sujet est controversé, la communauté scientifique est divisée mais le simple fait qu’une partie très importante de celle-ci lance des avertissements ne devrait-il pas suffire pour que l’on adopte une attitude prudente ? Ce n’est pas la première fois dans l’histoire de l’industrie qu’une telle situation se produit et l’agence européenne de l’environnement s’est elle-même interrogée pour savoir s’il avait déjà existé une situation où des médecins et scientifiques avaient averti d’un danger pendant des années sans qu’il n’y ait un danger… Hé bien on n’a trouvé aucune situation qui correspondait à cela. » (1) Le combat continue ! En compagnie, nous l’espérons, de ces 24 sénateurs et de leurs partis.
Cela semble hélas mal parti : le 23 juillet le gouvernement régional bruxellois a annoncé accéder aux demandes de l’industrie en remontant la norme d’émission maximale. « Il ‘a décidé de valider le principe d’une hausse limitée de la norme d’émissions actuelle en la portant à 14,5 V/m (Volts par mètre, NDLR) et en y intégrant les antennes radio et télévision’, communique-t-il en milieu de journée. La future norme restera malgré cette hausse ‘la plus stricte du pays’, souligne l’exécutif dans un communiqué. » (2) Nous savons ce qu’il en est de ces prétendues normes strictes, nullement liées à la santé publique et élaborées au départ de critères fixés par l’industrie. (3) Tous les éléments présentés dans notre étude, et discutés au Sénat sous l’initiative de la sénatrice socialiste Fatima Ahallouch, vont donc s’aggraver dans un futur proche, parallèlement à l’augmentation des émissions de rayonnements de micro-ondes en Région Bruxelloise. Parmi les partis au pouvoir dans celle-ci, nous trouvons le PS, Vooruit, GROEN et ECOLO. D’une main ils votent pour la reconnaissance de l’électrosensibilité, de l’autre ils votent pour l’augmentation des rayonnements… Cohérence : zéro.
(Nous reviendrons ultérieurement, de manière plus détaillée, sur ce processus parlementaire)
(1) La séance est visible sur internet en tapant « Séance plénière du Sénat de Belgique – 21/05/2021 »
(2) « 5G à Bruxelles : le gouvernement régional donne son feu vert à une hausse de la norme d’émissions », rtbf.be, 23 juillet 2021.
(3) Lire « Rayonnements électromagnétiques : aucune norme sanitaire n’existe », Ensemble 102, pages 30-32, juin 2020.
Pour réaliser l’un de nos entretiens, nous avons marché une heure trente depuis une gare flamande, afin de rejoindre une jeune femme vivant en camping-car. Elle vit ce nouveau type d’itinérance, à la recherche de terrains où l’exposition n’est pas trop forte, où des propriétaires lui permettent de s’arrêter et, éventuellement, d’utiliser les sanitaires. Elle expose : « Aux hôtels, je demande s’il y a moyen de visiter plusieurs chambres pour tenter de voir si ce sera possible pour moi ou pas. J’ai été très étonnée des réponses cette dernière année, où les gens ne demandaient rien. Au début, ils tiquaient : ‘Quoi ? Pardon ? C’est quoi ça ?’, il fallait tout expliquer. Aujourd’hui apparemment il y a eu de l’information auprès du grand public, les gens commencent à savoir de quoi on parle, donc depuis peu je le dis directement. Cela dit, il y a de tout, parfois les gens sont très gentils, d’autres fois pas du tout. Ce problème est déjà difficile à supporter, mais quand en plus la personne à la réception fait barrage sur un mode agressif, en disant que toutes les chambres sont pareilles, c’est usant ! Non, elles ne sont pas toutes pareilles, en fonction d’où est la borne wifi par exemple… Je suis partie de plusieurs hôtels comme ça, en raison du négativisme envers moi. Je ne veux pas avoir affaire à des gens comme ça. En plus de tout supporter, devoir prouver à ces gens que vous êtes sain d’esprit, c’est plus que lourd. S’il vous plaît, je veux juste un lit : dormir ! »
Pour terminer ce tour d’horizon, une autre témoin dont l’électrosensibilité s’est déclarée lors de la période forcée de télétravail du premier confinement de mars-avril 2020 – effectué dans une pièce de son rez-de-chaussée bruxellois à côté d’une borne wifi – nous envoie ceci cinq mois après notre entretien : « Écrivez qu’une des personnes interrogées est partie vivre loin de la ville dans un camping-car, réfugiée sur le terrain d’une connaissance. La vie en ville et les symptômes comme les maux de têtes, les tachycardies, la nervosité, la fatigue chronique… sont devenus insupportables. Ici, quand je fais mes courses et repasse dans une zone avec antennes, je le sens… Il me semble complètement anticonstitutionnel de ne plus avoir de zone d’habitation qui ne soient pas hostiles à la vie. Or, notamment avec la 5G, c’est bien ce qu’ils veulent faire, couvrir au maximum tout le territoire ».
Aujourd’hui, dans notre société, des individus en augmentation vivent l’errance pour simplement tenter de trouver des lieux propices à la poursuite de leur existence, où l’air serait un peu plus naturel qu’ailleurs
Aujourd’hui, dans notre société, des individus dont le nombre augmente vivent l’errance pour simplement tenter de trouver des lieux propices à la poursuite de leur existence. Des lieux où l’air serait un peu plus naturel qu’ailleurs. Ils déménagent, parfois à répétition, vivent une rupture sociale nette, quittent tout pour chercher un environnement plus sain, ou… un peu moins malsain. Dans certains pays, quand l’environnement et la géographie le permettent, il existe des rassemblements d’électrosensibles en caravanes, partis vivre au sein de ce qu’il reste de zones blanches. D’autres élaborent des projets de logements collectifs dans des bâtiments construits sur le principe de la cage de Faraday (7), dont les murs sont hermétiques aux technologies sans fil. Inutile de préciser que ce type de projet demande des moyens colossaux. Au final, la question est simplissime : allons-nous devoir nous barricader pour nous protéger de l’air ambiant ? Est-il illégitime de vouloir vivre dans un environnement sain ?
Laissons le mot de la fin à une jeune femme dont l’état d’esprit se résume en quelques mots : « J’ai parfois l’impression d’être un ‘poilu’, un soldat qu’on a emmené dans les tranchées, qui n’a rien à dire, peut juste la fermer et prendre les bombes ! Il risque d’y perdre une jambe, un bras, ou la vie… »
… et ça continue !
Juste avant de boucler ces pages, une jeune femme nous envoie une missive, avec cette introduction : « Ce matin j’ai écrit mon ressenti. Si vous le souhaitez et s’il y a l’espace, vous pouvez le publier comme témoignage de l’expérience d’une personne catapultée dans le monde de l’hyper-sensibilité aux ondes électro-magnétiques. » Ce texte poignant tombe à point pour conclure ce premier pan de notre état des lieux consacré à l’exclusion par la pollution électromagnétique.
« Ma vie se délite s’amenuise se complique. Ma vie part à vau-l’eau à vol d’oiseau s’éparpille s’effiloche se fracture s’émiette. La fatigue s’accumule les cernes se creusent au passage de mes nuits. Ma peau brûle ma peau crame ma peau crie. Mes oreilles sifflent jour et nuit jour et nuit jour et nuit. Je n’ai pas d’ombre où m’abriter. Pas de paravent de parapet de parade pour échapper à l’ennemi invisible qui me poursuit. Ma vie bascule ma vie recule mes pensées rétrécissent se concentrent sur un seul objet l’objet de mon désarroi de ma solitude des turpitudes qui m’assaillent depuis des mois. Des mois où j’avance en zombie automate pour tenter de ne pas vaciller me perdre totalement. Pas d’écran total contre les ondes. Pas de lunettes protectrices de combinaison de plongée en eaux troubles. Je perds mes forces ma lucidité s’épuise petit à petit j’ai l’impression que je vais mourir bientôt. Affaiblie effondrée foudroyée par cette nouveauté qui a pénétré ma vie je ne sais plus où donner de la tête. Je suis déboussolée. Esseulée dans ma camisole de sensations physiques nouvelles abruptes et douloureuses. Je cherche une solution mais la médecine n’a pas encore ouvert les yeux. N’a pas encore vu. N’a pas encore compris. Alors j’erre de rendez-vous raté en rendez-vous frustrant blessant écorchant. Je me relève, je poursuis ma route chamboulée habitée par une lancinante question : combien d’énergie ai-je encore en réserve pour tenir ? »
- Par Gérald Hanotiaux (CSCE)
(1) « Electromagnetic Hypersensitivity, Proceedings International Workshop on EMF Hypersensitivity », Prague, Czech Republic, October 25-27, 2004. Editors Kjell Hansson Mild, Mike Repacholi, Emilie van Deventer, Paolo Ravazzani, WHO (Organisation mondiale de la santé), 2006.
(2) Un témoin a évoqué la légitimité acquise auprès du Centre public d’action sociale (CPAS), reconnaissant à la demandeuse son impossibilité de prétendre à travailler dans cette situation de santé. Lire à ce sujet « Le problème principal est lié à l’habitat », dans « Pollution électromagnétique et santé : trois générations de femmes exposent les impacts sociaux », Ensemble n° 104, pages 33 à 45. www.ensemble.be
(3) « Face au déploiement massif et inconsidéré des technologies sans fil, nous, professionnels de la santé, demandons au gouvernement de faire appliquer le principe de précaution afin de protéger la population et plus particulièrement les groupes les plus vulnérables dont font partie, notamment, les femmes enceintes et les enfants ». En plus de l’appel, un rapport de mars 2021 fait le point sur les effets des technologies sans-fil sur la santé humaine, disponible sur le site :
www.hippocrates-electrosmog-appeal.be
(5) Lire « Nous ne sommes pas malades, on nous rend malades », dans « Pollution électromagnétique et santé : trois générations de femmes exposent les impacts sociaux », Ensemble n° 104, pages 33 à 45. www.ensemble.be
(6) Lire « le problème principal est lié à l’habitat », idem.
(7) Pour une explication précise de l’effet « Cage de Faraday », lire l’encadré « Matériaux de protection » dans « L’exclusion par la pollution électromagnétique », Ensemble n°104, page 24.