indépendants précaires

Ne dites pas à ma mère que je suis indépendant

Ni « patrons », pas vraiment « entrepreneurs », ni travailleurs salariés, les freelancers ne se retrouvent dans aucune des catégories qui segmentent le monde du travail. Souvent, ils n’ont d’autre choix que d’exercer à leur compte, sans droits, taillables et malléables à souhait. Et très peu de monde pour les défendre.

Beaucoup de jeunes lancent une activité indépendante pour tenter d’échapper au chômage. Avec, parfois, une issue dramatique. Comme pour Alysson Jadin, dont le suicide est devenu le symbole de la détresse des indépendants face à la crise sanitaire.
Beaucoup de jeunes lancent une activité indépendante pour tenter d’échapper au chômage. Avec, parfois, une issue dramatique. Comme pour Alysson Jadin, dont le suicide est devenu le symbole de la détresse des indépendants face à la crise sanitaire.

De plus en plus de travailleurs prestent sous statut d’indépendant sans personnel. Comme freelancer, puisque le terme anglais – souvent déformé en freelance – s’est imposé pour désigner une personne travaillant seule à son compte. Aujourd’hui, c’est le cas de cinq ‘‘petits’’ indépendants sur dix, et de sept indépendants sur dix si l’on inclut les professions libérales tels avocats et chirurgiens. « Et leur nombre augmente d’une dizaine de pourcents chaque année, souligne Martin Willems (CSC). »Ces freelancers exercent dans tous les secteurs : pigistes en presse écrite ou dans les médias audiovisuels, ouvriers en construction, chauffeurs de taxis, travailleurs dans Horeca, dans le domaine de l’IT, dans le secteur des soins aux personnes, de consultance en entreprise, de la formation, du coaching, du transport et de la livraison, dans le commerce, etc. Ils ont souvent les mêmes obligations que les travailleurs salariés – on leur impose un horaire, un rythme de travail et de production, les outils à utiliser – mais sans avoir les mêmes droits ni la même protection sociale.

« Personne ne veut être indépendant pour être exploité. La réalité est pourtant souvent celle-là. » (Martin Willems, CSC)

Certes, pour certains indépendants solo, ce statut relève d’un vrai choix, réfléchi, pesé, et d’un désir réel d’autonomie, d’une volonté de ne pas être soumis aux diktats d’un employeur : parfois, ils déchantent parce que l’horizon dont ils rêvaient n’est pas précisément celui qui leur est proposé ; d’autres, au contraire, s’accommodent des inconvénients parce qu’ils y trouvent, effectivement, la liberté à laquelle ils aspiraient, et ont des revenus décents.

Indépendants contraints

Mais beaucoup de ces indépendants freelancers n’ont pas eu le choix : soit ils ont été virés de l’entreprise où ils bossaient en tant que salariés et n’ont pas retrouvé d’autre emploi, soit ils ont cédé aux pressions de leur employeur les encourageant à passer sous statut indépendant (« On te garantit des commandes et tu gagneras davantage ! »), soit encore ils n’ont jamais trouvé de boulot salarié et n’ont connu des réalités du marché du travail que l’horizon « chômage/Onem/Actiris ».

« Les employeurs ont de plus en plus souvent recours aux travailleurs indépendants : cela modifie totalement les lignes de l’organisation sociale de la Belgique. » (Martin Willems, CSC)

Dans certains secteurs, les « offres d’emploi pour indépendants » pleuvent : impossible par exemple, en journalisme, dans le graphisme et dans le dessin de presse, de mettre le pied à l’étrier sans en passer par le statut de pigiste (indépendant), que l’on traîne parfois pendant de longues années. Signe des temps : il n’y a pas si longtemps, le contrat à durée déterminée (CDD) était considéré comme un contrat de seconde zone ; aujourd’hui, c’est un must. Le statut de pigiste, lui, est une promesse de dépendance à l’égard des « employeurs », et de soumission à l’arbitraire patronal : déplaisent-ils ? Renâclent-ils devant des exigences inatteignables ou changeantes ? Se raidissent-ils devant des changements de programme ou des engagements non tenus ? Ils se savent aussi jetables que de vulgaires kleenex. « Personne ne veut être indépendant pour être exploité. Mais la réalité est souvent celle-là, s’indigne Martin Willems. Les employeurs ont de plus en plus recours aux travailleurs indépendants, dans tous les secteurs – pas seulement dans les entreprises privées, mais également dans le monde associatif : cela modifie totalement les lignes de l’organisation sociale de la Belgique. »

« Patrons » ou travailleurs ?

Ces freelancers plus ou moins volontaires appartiennent-ils au camp des « patrons » ? « Bien sûr que non !!, cingle Willems.Leur réalité et leurs difficultés n’ont rien à voir avec celles des patrons. Rien à voir. Elles ont tout à voir avec celles des travailleurs, et des plus précaires d’entre eux. » Pourtant, le sort de ces indépendants freelances ne fait pas partie des préoccupations de Pierre-Yves Dermagne, ministre (PS) de l’Economie et du… Travail. Car qui dit « travail » dit « salariat ». Les indépendants tombent dans l’escarcelle de David Clarinval, ministre (MR, on l’aurait parié) des Classes moyennes, des Indépendants et des PME. Car qui dit « indépendants » renvoie automatiquement à l’Union des Classes moyennes (UCM) et à la réalité des PME, c’est-à-dire au monde patronal. Le Conseil National du Travail (CNT), les commissions paritaires et les conventions collectives du travail, qui encadrent le travail salarié et ouvrier, ne s’occupent pas de ces travailleurs « indépendants », qu’il serait plus juste de qualifier de travailleurs « isolés », « abandonnés ». Ceux-ci sont exclus de la concertation sociale. Ils tirent leurs (maigres) droits d’instances internationales telles l’Organisation internationale du travail (OIT) : rien au niveau belge.

Leurs« représentants officiels » ne sont jusqu’à présent que l’Union des Classes Moyennes (UCM) et l’Union des entrepreneurs indépendants (Unizo, côté flamand), qui défendent les intérêts des (petits et moyens) patrons dont les préoccupations et les positions en matière sociale se situent à des années lumières de celles des indépendants freelances. Au cours des négociations sociales, ces organisations siègent sur les rangs patronaux, aux côtés de la Fédération des entreprises de Belgique (FEB), et non aux côtés des travailleurs.

La voix des travailleurs freelancers n’est portée, jusqu’ici, par aucun syndicat de travailleurs. Ils sont supposés partager la vision patronale, dont ils sont pourtant, le plus souvent, très éloignés.

Les défis d’United Freelancers

« Le plus difficile, pour United Freelancers, c’est de se faire connaître auprès des travailleurs indépendants, témoigne Martin Willems (CSC). Difficile de leur montrer qu’on existe, car la plupart ne sont pas syndiqués vu que, traditionnellement les syndicats ne s’occupent pas des indépendants. » Mais les besoins existent, et de plus en plus. Du coup, le bouche-à-oreille commence à porter ses fruits. « La CSC compte 50.000 affiliés avec le statut d’indépendant complémentaire : à eux, nous avons accès. Et eux aussi sont souvent confrontés à des difficultés liées à leur activité indépendante et sont donc très heureux de pouvoir bénéficier de nos services. Cela finit par se savoir. Depuis la création de United Freelancers, en juin 2019, près de 700 nouveaux membres s’y sont affiliés. »

Jusqu’ici, quels services rend ce « département » du syndicat chrétien ? Il y a d’abord le volet individuel : « Nous aidons à la récupération de factures impayées de la part des clients ; si l’on nous soumet un projet de contrat, nous l’étudions et donnons des conseils ; nous nous battons avec nos affiliés en cas de problème de fin de contrat telle, par exemple, l’inacceptable clause de non-concurrence de plus en plus souvent imposée par le patron ; en cas de problèmes avec l’Inasti, nous défendons les intérêts des affiliés devant le tribunal du travail ; nous allons parfois devant le même tribunal en vue de faire requalifier un emploi de (faux) indépendant en emploi salarié, etc. Nous pouvons aussi aider nos affiliés indépendants à se défendre devant le tribunal de l’entreprise (1). Et la crise sanitaire nous a assigné d’autres tâches : aider les indépendants à obtenir le droit-passerelle ; tenter, pour ceux qui a priori n’y avaient pas droit,de l’obtenir ; soutenir les intermittents du spectacle dans la défense de leurs droits au chômage temporaire, etc.

L’intérêt syndical se porte aussi – davantage – sur le volet collectif de la défense des freelancers. « Les problèmes auxquels se heurtent les travailleurs indépendants sont souvent partagés. Voyez les étudiants en médecine spécialisée, qui sont payés en tant que stagiaires durant trois à cinq ans, et doivent prester des heures de travail hallucinantes, au mépris de la loi, mais aussi de la sécurité des patients. Voyez ces chauffeurs de taxi indépendants, qui possèdent leur propre voiture mais doivent s’affilier à une centrale de taxis pour obtenir des courses. Ces centrales utilisent de plus en plus les mêmes méthodes que celles d’usage chez Uber : les chauffeurs n’ont pas l’occasion d’accepter ou de refuser une course ; c’est à prendre ou à laisser. Exactement comme chez Uber. Les conditions de travail se détériorent très rapidement dans ce secteur : après avoir combattu Uber, les centrales traditionnelles utilisent désormais les mêmes recettes que la plateforme. »
Plus globalement, Martin Willems milite pour que, pour un même travail, les travailleurs bénéficient des mêmes droits et protections, et ce qu’ils aient le statut de salarié ou d’indépendant. « Il n’y a aucune raison pour que le droit du travail et les conventions collectives de travail ne concernent que les salariés. Un travailleur est un travailleur, quel que soit son statut. Il n’y a pas de raison, non plus, que les prestations de Sécurité Sociale soient différentes pour les salariés et les indépendants. »

Rêve-t-il que son « département » (il cherche les mots) devienne un jour une vraie « centrale professionnelle » de la CSC, au même titre, par exemple, que la centrale du Bâtiment, des Transports, de l’Alimentation, des Services, etc… ? « Non ! Mon rêve, ce serait que United Freelancers soit, à terme, intégrée à chacune des centrales professionnelles, et que le même permanent syndical s’occupe de la même manière de tous les travailleurs d’un même secteur d’activité, salariés comme indépendants. »

(1) Le tribunal de l’entreprise traite des contestations entre « entreprises », et ce qu’elles soient constituées de personnes physiques exerçant une activité professionnelle en tant qu’indépendant, ou bien de personnes morales (sociétés, associations) : c’est donc lui qui, le plus souvent, traite des différends impliquant les indépendants, y compris freelancers. Le tribunal du travail traite lui, des contentieux impliquant les travailleurs salariés, mais aussi des problèmes de Sécurité Sociale, tant pour les salariés que pour les indépendants.

United Freelancers : une nouvelle planète

Cependant, depuis juin 2019, la CSC offre un service – United Freelancers – qui s’adresse à tous les travailleurs autonomes qui ne sont pas employeurs, et ce, que leur statut soit celui d’ « indépendant personne physique », d’indépendant organisé en société, d’indépendant complémentaire, de travailleur intermittent (artistes et techniciens du spectacle, enseignants dans des écoles privées, saisonniers, etc.), de travailleur de plateforme « collaborative » ou encore de travailleur « occasionnel » (lire l’encadré )
Avec ce service, la CSC (NDLR : la FGTB ne propose, à ce stade, rien de comparable) entend offrir aux travailleurs autonomes et aux indépendants sans personnel des services similaires à ceux rendus aux salariés sous contrat de travail, adaptés à leur réalité : les accompagner dans leurs démarches administratives et les aider à éclaircir une situation parfois nébuleuse ; examiner leurs projets de contrats ; défendre leurs droits auprès de clients indélicats ; leur fournir des conseils juridiques ; les aider à obtenir les aides liées à la crise sanitaire (droit-passerelle), etc. « La différence entre un employé et un travailleur autonome est parfois artificielle. Même si vous êtes indépendant, vous travaillez souvent avec d’autres personnes : vous devez vous accorder avec elles sur la répartition des tâches, l’organisation du travail, les horaires et les congés. Et il est souvent difficile de peser dans la balance et de discuter d’égal à égal face à un donneur d’ordre ou un patron… », détaille la brochure United Freelancers. Et pour cause, insiste Martin Willems, cheville ouvrière et responsable de ce service : « On vient parfois nous soumettre des contrats de prestation de services ahurissants, plus contraignants qu’un contrat de travail salarié. On voit des clauses d’exclusivité et des clauses de non-concurrence qui courent après la fin du contrat ! »

« Nous tentons donc de parler en leur nom, et nous rêvons, à terme, qu’ils rejoignent le monde des travailleurs dans le paysage de la négociation sociale. Mais à l’UCM et à l’Unizo, on ne voit pas cela d’un bon œil : il est clair que si on leur ‘‘retire’’ les freelancers, leurs troupes fonderont d’un coup de plus de la moitié ! »

L’ADN syndical

Du côté syndical, on avoue quand même un manque d’expertise dans les sujets qui touchent aux réalités des indépendants : « L’ADN des syndicats, c’est le travail salarié, les négociations sociales, la Sécurité sociale, recadre, en off, un responsable de la FGTB. Nous ne sommes pas compétents pour traiter des thématiques chères aux indépendants, qui sont très différentes de celles des salariés. Selon que l’on est salarié ou indépendant, on va cotiser de manière différente à la Sécu, par exemple, et un indépendant cotisera beaucoup moins. Au syndicat, on connaît l’ONSS, pas l’Inasti(1). On connaît le tribunal du travail, où siègent d’ailleurs des représentants des travailleurs ; pas le tribunal de l’entreprise, où se règlent la plupart des différends impliquant les indépendants. Et puis, par définition, les indépendants ont un esprit… d’indépendants. Ils sont moins intéressés par les enjeux collectifs, moins impliqués dans les rapports de force entre patronat et travailleurs. Ils ne sont pas concernés, non plus, par les accords décrochés au sein des commissions paritaires (2). Pour nous, il est clair que l’avenir de la Sécu et de la solidarité entre les travailleurs passe par le travail salarié. C’est lui qui doit faire face aux coups de boutoir de la mondialisation, c’est lui que nous devons protéger. C’est donc à la défense des intérêts des travailleurs salariés que nous consacrons nos forces. Et nous nous battons pour que le travail salarié reste la norme. »

« L’avenir de la Sécu et de la solidarité entre les travailleurs passe par le travail salarié. C’est lui que nous devons protéger. » (Un syndicaliste FGTB)

Un clivage passéiste

Pour ceux qui souhaitent fédérer les travailleurs indépendants autour de la défense de conditions de travail de qualité et du respect de leurs droits, cette vision est passéiste. « Les patrons d’entreprise – notamment dans les secteurs des services et de la construction – ont plus en plus recours à des travailleurs indépendants, parce que les règles du droit du travail ne s’appliquent pas à eux et qu’ils sont donc plus ‘‘flexibles’’. », indique Willems. Dans les offres d’emploi publiées par Actiris, le Forem ou le VDAB, on trouve d’ailleurs régulièrement des offres à destination de travailleurs indépendants, ce qui est doublement discutable : d’une part, parce que les notions d’« offres d’emploi » et d’ « indépendants » sont a priori antinomiques, puisque les indépendants ne cherchent pas un emploi, ils le créent.. D’autre part, parce que qui dit « offre d’emploi » publiée par un employeur dit, aussi, lien de subordination entre le patron et le travailleur. Un lien de subordination auquel est normalement censé échapper le travailleur… indépendant !

« A l’époque de l’émergence des plateformes collaboratives, Actiris publiait des ‘‘offres d’emploi’’ pour des coursiers, émanant de Deliveroo, se rappelle Martin Willems, alors qu’il était clair pour tout le monde que Deliveroo ne recherchait que des (faux) indépendants. Le monde syndical s’en est ému, la presse a embrayé, et Kris Peeters, le ministre de l’Emploi de l’époque, a ouvert une enquête sur la légalité du statut d’indépendant proposé par Deliveroo à ses collaborateurs. » En janvier 2018, gêné aux entournures, Actiris a alors retiré ces annonces, s’estimant confronté à une « utilisation inappropriée » de sa plateforme de diffusion gratuite d’offres d’emploi.

Depuis lors, les fausses offres d’emploi, destinées en réalité à des indépendants, se font plus discrètes sur les plateformes des services publics de l’emploi. Disons plutôt qu’elles sont mieux déguisées. Car, en grattant un peu, on découvrirait peut-être que derrière la recherche d’un « head of seller business », d’un « délégué commercial », d’un « chauffeur de minibus », d’un « web developer », d’un « chargé de projet » ou d’un « collaborateur technico-commercial », se cache en réalité la volonté de l’entreprise de s’adjoindre les services d’un indépendant. « Il est totalement inacceptable que des organismes publics cautionnent ainsi le statut de faux indépendant », s’insurge Martin Willems.

Travailleurs de plateformes : les esclaves du libéralisme sauvage

Que faut-il entendre par « travailleur occasionnel » ? Ces termes visent principalement la réalité des travailleurs (très) précaires qui offrent « occasionnellement » leurs services aux plateformes d’économie « collaborative » telles Deliveroo ou Uber Eats : la loi De Croo du 18 juillet 2018 leur permet, en effet, d’exercer ce boulot en-dehors de tout statut, et leur rétribution est totalement exonérée d’impôts et de cotisations sociales, à condition qu’elle ne dépasse pas 6340 euros par an (montant 2020). Notons que cette rétribution n’est pas cumulable avec le chômage. Beaucoup d’étudiants complètent leur ordinaire avec ce genre de petit boulot, mais ceux qui dépassent – fut-ce d’un chouïa – le montant maximum, se voient réclamer impôts et arriérés de cotisations sociales, et leurs parents peuvent se voir réclamer les allocations familiales « indûment » perçues : un beau traquenard. Ceux qui exercent de petits boulots pour une ASBL, ou encore en faveur de proches ou de voisins, bénéficient eux aussi de cette exonération, mais doivent néanmoins eux, avoir un statut en bonne et due forme dans une autre activité : travailleur salarié, indépendant ou pensionné. Après avoir été retoquée par la Cour constitutionnelle le 23 avril 2020, la loi De Croo a été réactivée le 17 décembre dernier par le Parlement : le régime fiscal « spécial économie collaborative » reste donc d’actualité. Dans un cadre néanmoins un tout petit peu différent, puisque 10% des rémunérations des travailleurs seront prélevés automatiquement par les plateformes et reversés au fisc.

Le visage du travail change

Mais, une chose est de s’insurger contre des propositions de jobs (précaires) pour indépendants masquées sous l’apparence de travail salarié, une autre est de faire comme si l’époque « bénie » du travail salarié classique allait gagner la bataille contre la précarisation de l’emploi. A l’ère de l’économie numérique, les entreprises ont modifié leurs modes de production et de gestion sous la poussée des « besoins » des consommateurs, de la globalisation et des innovations technologiques. Dans la foulée, plein de nouveaux « emplois » ont vu le jour : intérim, contrats à durée déterminée, temps partiels, indépendants, freelancers, slashers (multisalariat ou multi-activités), travailleurs de plateforme (via des applications comme Uber ou Deliveroo), etc. « On peut le déplorer, voire s’insurger, cela n’y changera malheureusement rien : le monde du travail change, prend d’autres contours que ceux auxquels nous sommes habitués. Et les syndicats doivent s’y intéresser, s’en emparer, dans le but de mieux protéger ces nouveaux types de travailleurs. L’ADN syndical est de se battre -collectivement si possible- pour de meilleures conditions de travail et de rémunération pour tous les travailleurs qui en ont besoin ; pas seulement pour ceux qui ont déjà des droits. »

Un syndicalisme pour tous les travailleurs ?

Il est, en outre, un fait de société à ne pas négliger : de plus en plus de candidats à l’emploi – c’est surtout vrai dans la classe d’âge des 18-24 ans – sont, eux-mêmes, demandeurs d’un statut plus « flexible » que celui de salarié (3).« Le statut d’indépendant ou de freelancer n’est pas a priori un mauvais statut, précise Willems. Beaucoup de jeunes n’ont pas envie d’être liés à leur employeur par un lien de subordination. Je dirais même ceci : nombre de salariés rêveraient, aussi, d’un travail salarié n’impliquant pas un lien de subordination. D’un boulot qui leur offrirait la protection sociale du travail salarié, mais où ils auraient davantage d’autonomie et auraient la main sur la gestion de leurs tâches et de leur agenda, ce qui est censé être l’apanage des indépendants. Le hic c’est que, de plus en plus souvent, les indépendants, plutôt que de bénéficier de la liberté moyennant l’acceptation d’une certaine insécurité, cumulent les désavantages des deux régimes : ils ne bénéficient d’aucune sécurité et subissent, en plus, le même lien de subordination – voire un lien plus fort encore – que les salariés à l’égard de leur patron. A la CSC, on se bat pour qu’à terme ils puissent, au contraire, bénéficier des avantages des deux systèmes. Notre rôle, en tant que syndicat, c’est de faire du syndicalisme avec les indépendants. Pas de les ignorer ! »

(1) L’ONSS, Office national de Sécurité Sociale, est l’organisme central chargé de la perception, de la gestion et de la répartition des cotisations sociales des travailleurs salariés. Il est géré conjointement par les représentants patronaux et les syndicats. Des représentants du gouvernement y siègent également. L’Inasti, Institut national d’assurances sociales pour travailleurs indépendants,gère les cotisations sociales et le statut des entrepreneurs indépendants. Les partenaires sociaux ne siègent pas dans cet organisme public.

(2) Les commissions paritaires sont des organes institués au niveau des différentes branches d’activités économiques (marchandes ou non) : elles forment un lieu de négociations sociales composé de représentants du patronat et de représentants des organisations syndicales représentatives à nombre égal.Elles regroupent des entreprises exerçant des tâches similaires, afin de les soumettre à un règlement commun concernant les conditions de travail. En leur sein, des conventions collectives de travail sont conclues, lesquelles ne s’appliquent qu’aux travailleurs salariés, et non aux travailleurs indépendants de ces mêmes entreprises.

(3) « Oui à a nouvelle génération d’emplois », Le Soir du 7 octobre 2017, à propos d’une enquête mondiale menée par ManpowerGroup sur les tendances en matière d’ « emplois nouvelle génération ».

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