aide à la jeunesse
Une journée au Service d’aide à la jeunesse de Bruxelles
Le quotidien des équipes du SAJ sont rythmées par les visites à domicile des jeunes – et des familles – qui vivent une situation difficile, les réunions dans les locaux du service, à Molenbeek, avec les jeunes et leurs parents pour formaliser les programmes d’aide, la permanence téléphonique et les réunions d’équipe. Une constante : les situations auxquelles est confronté le personnel sont délicates, singulières et souvent douloureuses.

Un lundi matin de printemps maussade, nous arrivons dans les locaux du Service d’Aide à la Jeunesse (SAJ) de Bruxelles, implantés dans un quartier animé de Molenbeek, non loin du Canal Charleroi-Bruxelles et à un jet de pierres de la station de métro Delacroix. Valérie Latawiec, conseillère au SAJ de Bruxelles, nous accueille dans son bureau lumineux et coloré, au deuxième étage du bâtiment. Sa semaine démarre sur des chapeaux de roue : « Aujourd’hui, j’enchainerai les réunions et les rencontres avec des familles, et ce jusqu’aux environs de 21h. Je devrai aussi me pencher sur le cas de cette jeune fille qui s’est défenestrée hier et se trouve entre la vie et la mort. La charge émotionnelle, dans notre boulot, est inouïe. On a à faire à des enfants en détresse, des parents fragiles, les enjeux sont énormes. Nous ne sommes que des êtres humains, et pourtant nous n’avons pas droit à l’erreur. Nous sommes bien conscients de cela, et nous faisons tout ce que nous pouvons pour aborder chaque cas sans idée préconçue, et en tentant d’identifier les compétences des parents et de nous appuyer sur leurs forces pour les aider à gérer mieux la situation, dans le seul but d’œuvrer dans l’intérêt de l’enfant. Des familles en colère parce que nous avons décidé de placer leur enfant, bien sûr qu’on en trouve, et c’est tout à fait compréhensible. Des jeunes qu’on n’a pas pu aider de la manière la plus efficace possible, parce qu’il n’y avait pas de solution d’hébergement immédiate, par exemple, il y en a aussi. Mais il y a aussi – surtout -des milliers de situations que nous avons contribué à améliorer, des milliers d’enfants et de familles que nous avons aidées. »
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Nous évoquons le reportage « Investigation » de la RTBF diffusé le 24 mars 2023 (1) : il a manifestement laissé des traces. « Dans le secteur qui est le nôtre, ce sont les gens en colère qui contactent les médias, pas les personnes satisfaites. Et donc, chaque fois qu’un article sort dans la presse écrire ou qu’un reportage audiovisuel est diffusé sur les ondes, c’est toujours l’aspect négatif, les erreurs que l’on nous impute, et les difficultés vécues par les familles et les jeunes en lien avec nos services qui sont placés sous les feux des projecteurs. Finalement, le plus difficile à gérer, pour nous, ce ne sont pas les familles et les jeunes :qu’ils jugent leurs interactions avec nos services difficiles, ça se comprend, comme nous comprenons aussi la violence verbale qu’ils manifestent parfois, vu la situation difficile dans laquelle ils se trouvent. Mais les professionnels – avocats, médecins, journalistes – qui nous jugent à l’aulne des possibles ratés et des cas difficiles dont ils ont connaissance, sans rien savoir de la réalité de notre travail quotidien : pour nous, c’est cela le plus violent. Nous en sommes venus à nous méfier de tout le monde, en particulier des journalistes, toujours prompts à dénoncer des dysfonctionnements, à choisir l’angle le plus ‘‘vendeur’’, sans réellement s’intéresser à notre travail. »
Notre interlocutrice attendrait-elle de nous que nous « réparions » l’image du SAJ ? « Nous avons le sentiment que vous ne venez pas ici avec une idée déjà toute faite, mais avec l’intention d’observer, d’écouter, de rendre compte du déroulement d’une journée de travail pour nos équipes, des personnes engagées et très soucieuses de bien faire, que nous encadrons du mieux que nous pouvons mais qui sont souvent en sous-effectifs. Là il nous manque d’équivalent de dix temps plein – malades longue durée, femmes enceintes et jeunes mamans qu’on ne remplace pas : vous pensez bien que cela complique considérablement notre travail. Bref : tout ce que nous attendons de vous, c’est que vous racontiez une journée au SAJ de Bruxelles. »
Verrons-nous des jeunes, leur famille ? « Cela aurait été trop difficile d’organiser cela : le contact avec les jeunes et les familles est délicat ; la présence de journaliste introduit fatalement un biais, influence les comportements. J’ai choisi de laisser les familles en-dehors de ça. »
Nous entamons donc notre journée aux côtés des travailleurs et travailleuses du SAJ de Bruxelles, pour mieux comprendre les activités qui se déroulent « au bureau ». Nous ne les accompagnerons pas sur le terrain, durant leurs visites aux familles, ni n’assisterons à l’élaboration d’un programme d’aide volontaire que la conseillère coconstruira avec des jeunes et des familles dans l’intimité de son bureau accueillant. Notre expérience sera donc fatalement parcellaire.
Quelques morceaux choisis d’une journée au SAJ de Bruxelles.
« C’est difficile à supporter »
L’immersion commence par un choc. Dans un bureau, deux déléguées téléphonent à tous les services résidentiels d’urgence pour voir si des places se sont libérées. Ce lundi (« comme souvent »), ces appels s’avéreront décevants : la liste d’attente des jeunes qui devraient être éloignés de leur milieu familial restera aussi longue que la veille. Parmi ces enfants en attente de solution (« depuis trois semaines ! »), un gamin de 14 ans qui subit des violences de la part de ses parents, et deux bébés placés à l’hôpital faute de mieux : « La maman a quitté l’hôpital avec son grand garçon venu lui rendre visite avec le papa, et toute la famille, venue de France, a disparu… » « Certains enfants pour qui une solution devrait intervenir en urgence doivent parfois subir leur situation pendant trois semaines, voire davantage, faute de place, explique Gaëlle. C’est difficile à supporter émotionnellement… »

Les traces de coups de Rachid
Quelques bureaux plus loin, Christine est de permanence téléphonique, comme trois autres de ses collègues. Tous les matins entre 9 et 12h, elle prend les appels de celles et ceux – parents, autres membres de la famille, voisins, responsables d’école, médecins, etc. – qui vivent une situation compliquée ou sont témoins d’une situation pour laquelle ils estiment qu’une intervention du SAJ serait nécessaire. Les premières sonneries retentissent : Abdel explique que Rachid (tous les prénoms ont été modifiés), son fils de 9 ans, a brossé l’école pour se réfugier chez lui, son papa (il est séparé de la maman, et ce n’était pas son temps de garde), en déclarant qu’il ne voulait plus retourner chez sa maman. « Rachid a des traces de coups sur le dos », explique Abdel. Claire questionne, apaise, explique qu’elle va expliquer la situation à sa déléguée en chef, et puis qu’elle rappellera avec une première piste de solution.
Direction le bureau de Marina, la déléguée en chef chargée de traiter les situations exposées par le biais de la permanence téléphonique. Première opération : voir si la situation déjà connue du SAJ, ou pas. « Grâce au système d’encodage, nous voyons s’il y a un dossier ouvert. Si c’est le cas, alors la demande est confiée à la personne qui, chez nous, est en charge de ce dossier. Dans le cas contraire, nous appliquons la procédure propre aux nouvelles demandes. » Rachid et sa maman sont déjà connus du SAJ, mais le dossier date de plusieurs années et a été refermé depuis plus de six mois, ce qui contraint le service à considérer cette demande-ci comme une nouvelle demande. Marina et Christine réfléchissent ensemble aux meilleurs conseils à donner au papa. « A la permanence téléphonique, explique Marina, nous jonglons en permanence entre deux états : l’urgence qu’il y aurait éventuellement à agir, et la nécessité, avant tout, de tenter de calmer les choses. Le plus souvent, dans un premier temps, nous orientons les personnes vers des services de première ligne ou, le cas échéant, vers le tribunal de la famille, ou encore vers l’Aide juridique si nous estimons qu’une des parties prenantes a besoin d’un avocat. »
Une petite explication s’impose : par services de « première ligne », on entend notamment les Services d’aide en milieu ouvert (AMO) – ils travaillent avec les jeunes dans leur milieu de vie (famille, école, quartier) et proposent un accompagnement éducatif ou social -, les services de santé mentale, les maisons de jeunes, les CPAS, les ASBL à vocation sociale, SOS Enfants, etc. Ces services, accessibles librement, se distinguent des services spécialisés (ou de « deuxième ligne ») tel le SAJ, dont l’intervention ne peut se faire que sur décision administrative. Hélas, ces services sont eux aussi fortement sous tension et ne parviennent pas toujours à répondre rapidement aux demandes d’aide…
Le nécessaire accord de toutes les parties
Revenons au cas de Rachid : Marina – Christine est d’accord avec son analyse – préconise de conseiller au papa de se rendre chez un.e pédiatre avec l’enfant pour faire constater les coups, avant de se rendre à la police pour faire une déclaration, et enfin de s’adresser à SOS Enfants pour demander de l’aide face aux maltraitances physiques de la maman.
« Ce dossier va peut-être nous revenir par la suite », précise Marina. Soit, par exemple, parce qu’un des parents de Rachid nous rappelle en sollicitant de l’aide, soit encore parce que quelqu’un de SOS Enfants s’adresse à nous par rapport à ce cas, en jugeant nécessaire une intervention administrative de deuxième ligne. Imaginons que le papa de Rachid ou SOS Enfants revienne vers nous, et que, après une période d’investigation, nous estimions l’intervention du SAJ nécessaire : dans ce cas, le dossier passera entre les mains d’un.e des délégué.es de suivi, qui sera chargée de construire un projet d’aide avec Rachid et sa famille. J’insiste sur le fait que, dans ce cas, il faut l’accord de toutes les parties, puisqu’il s’agit d’une aide négociée, à laquelle tous les intéressés doivent consentir. C’est cela, parfois, la difficulté. Imaginons que la maman ne soit pas preneuse : dans ce cas, si nous estimons que Rachid est en danger, nous devrons en référer au parquet, qui saisira un juge de la jeunesse. »
Mais nous n’en sommes pas là : Christine rappelle le papa, qui se trouve au commissariat de police avec Rachid et sa grand-mère, et a déjà fait constater les coups par le médecin. Elle le félicite pour sa démarche, et lui suggère aussi d’appeler SOS Enfants pour faire évaluer la situation de maltraitance, et de contacter le centre psycho-médicosocial (PMS) de l’école de Rachid. « Si vous trouvez que Rachid n’est pas en sécurité chez sa maman, ajoute Christine, je vous conseille de dire à la police que vous avez décidé de garder Rachid chez vous malgré le jugement du tribunal, et d’expliquer la raison. Ensuite, prévenez également la maman. C’est important que le juge dispose de toutes les informations pour la suite. Il reviendra sans doute vers nous pour nous demander d’intervenir. »
L’école inquiète pour Jordan
Quelques minutes plus tard, un autre appel entre à la permanence. La maman de Jordan, 8 ans, explique que son fils ne veut plus aller chez son papa qui en a pourtant la garde partagée depuis le divorce, voici trois ans : « Il pleure, fait des crises de colère, et ça se ressent aussi à l’école, qui voit bien ses difficultés. C’est d’ailleurs la directrice de l’école qui m’a demandé de prendre contact avec vous. » Christine pose patiemment des questions pour mieux comprendre la situation, récolte le maximum d’information, tente de rassurer la maman. Ensuite, direction le bureau de Marina, pour le debrief. « Si l’école est inquiète pour Jordan, c’est d’abord à elle, ou au centre PMS, de demander une réunion avec les parents, estime Marina. Ensuite, à l’école ou au PMS de prendre contact avec nous. Nous pouvons d’ores et déjà suggérer Madame de demander à son avocate d’introduire une demande de changement de garde auprès du tribunal de la famille. Si elle estime que son fils n’est pas en sécurité lorsqu’il est chez son papa, elle peut aussi se rendre à la police pour signifier qu’elle garde l’enfant chez elle, et expliquer la raison, et aussi prévenir le papa. »
« Ma femme est lunatique »
Retour dans le bureau de Christine, qui réceptionne un nouvel appel. Il s’agit cette fois de Philippe, dont la femme a quitté la maison, avec les deux enfants de 5 et 7 ans. « On s’est remis en couple depuis, mais chacun chez soi. Mais ma femme est lunatique: un jour elle est calme, l’autre jour, agressive. Je me demande si le mieux ne serait pas de la laisser tranquille, pour que je lui manque, et que ce soit elle qui revienne. Mais dans ce cas, est-ce que je ne me mets pas dans mes torts, par rapport aux enfants ? » Christine s’inquiète de savoir comment vont les enfants,écoute patiemment, ose quelques conseils : « Les enfants ont besoin de cadre et de sécurité. Si vous hésitez à vous remettre en couple, il faudrait décider – vous pouvez vous faire aider par un.e professionnelle pour cela – d’un système de garde formel : c’est important pour le bien-être des enfants. »« Les problèmes de couple évoqués ici ne concernent pas du tout le SAJ, sourit Christine en raccrochant. Nous recevons beaucoup d’appels de ce genre, qui ne nous concernent pas mais qui monopolisent néanmoins beaucoup de temps et d’énergie. Cela fait partie du job de la permanence. »
La matinée sera encore émaillée d’appels téléphoniques qu’il faudra gérer, en concertation avec Marina. A chaque fois, les difficultés du jeune sont liées à des difficultés du couple parental : « Les parents qui se déchirent oublient trop souvent l’intérêt de l’enfant. Ils sont aveuglés par leur conflit. »
Le SAJ de Bruxelles, porte d’entrée de l’aide consentie
Face aux situations de danger ou de difficultés vécues par certains enfants et leurs familles, le Service de l’Aide à la Jeunesse (SAJ) de Bruxelles agit comme premier maillon d’un accompagnement fondé sur le consentement, la co-responsabilité et la négociation. Retour sur ses missions, ses chiffres et ses pratiques.
Une aide fondée sur le dialogue
Le SAJ s’adresse à tout enfant en danger ou en difficulté, mais aussi à ses proches confrontés à des défaillances éducatives ou parentales. Il intervient à la demande de toute personne concernée (parents, jeunes, professionnels, citoyen « lambda ». Le principe fondamental est celui de l’aide consentie : un programme d’accompagnement est négocié avec les bénéficiaires, formalisé pour un an maximum et régulièrement évalué. Chaque jeune dès 12 ans y participe activement, assisté d’un avocat si nécessaire.
Une permanence spécialisée
Depuis 2023, chaque SAJ doit organiser une permanence spécialisée. À Bruxelles, l’équipe comprend un conseiller, deux délégués en chef et douze délégués, dont quatre affectés aux urgences. Leur rôle : analyser les demandes, orienter les situations et filtrer celles qui relèvent de l’aide spécialisée. En 2024, 2.910 demandes d’aide ont été traitées. Environ un tiers des demandes justifient l’ouverture d’un dossier ; les autres sont réorientées vers les services de première ligne (centres PMS, CPAS, etc.).
Accompagnement et formalisation
En 2024, le SAJ de Bruxelles suivait 1.874 dossiers, parmi lesquels des situations de danger, d’urgence ou de difficulté. L’accompagnement prend la forme d’un programme coconstruit, pouvant impliquer des services mandatés (Services d’Actions Psycho-Socio-Éducatives/SAPSE, Service Résidentiel Spécialisé/SRS, Service d’Accueil et d’Aide Éducative en milieu ouvert/SAAJ, etc.) ou des collaborations (écoles, hôpitaux, psychologues, etc.). L’objectif est d’assurer un suivi coordonné, respectueux des droits de l’enfant et de sa famille.
La judiciarisation en dernier recours
Lorsque l’aide consentie n’est pas possible et que le danger persiste, le SAJ peut saisir le Parquet de la jeunesse, voire solliciter une décision de placement d’urgence. En 2024, 375 demandes de judiciarisation ont été enregistrées. Un système de garde est en place pour assurer la continuité de la protection, y compris les week-ends.
L’enfant au centre du dispositif
Le SAJ accorde une place centrale à la parole du jeune : il peut être reçu seul, accompagné de la personne de son choix, et bénéficie d’un droit d’accès à son dossier. La transparence, la confidentialité et le secret professionnel sont garantis. En l’absence de collaboration, et si un danger est avéré, le SAJ sollicite l’intervention de la justice.
SAJ et aide consentie – SPJ et aide contrainte
Le SAJ (Service d’Aide à la Jeunesse) est dirigé par une conseillère ou un conseiller de l’aide à la jeunesse. Il intervient soit à la demande des intéressés, soit à la suite d’inquiétudes qui lui sont communiquées par des personnes ou des services extérieurs. Si le SAJ juge effectivement que la situation dans laquelle se trouve le jeune est difficile, ou encore que ce dernier se trouve en danger, il propose une aide au jeune et à sa famille. Il s’agit d’un processus d’aide consentie, qui requiert la participation active du jeune et de ses proches.
(supprimer le s de « dossiers » et ajouter « au SAJ »)
Il est des situations où, malgré un danger réel constaté par la (ou le) conseillère de l’aide à la jeunesse, la famille du jeune concerné n’est pas disposée à adhérer aux propositions d’aide qui lui sont formulées. Dans ces cas, l’intervention du Tribunal de la jeunesse est généralement requise pour imposer une mesure d’aide (aide contrainte). La situation diffère alors selon que l’on se trouve en Wallonie ou à Bruxelles.
En Wallonie, le Service de Protection de la Jeunesse (SPJ), dirigé par une directrice ou un directeur de l’aide à la jeunesse, est chargé de mettre en œuvre les décisions du Tribunal de la jeunesse. Le SPJ assure par ailleurs l’accompagnement des jeunes délinquants (NDLR : dans le jargon, on parle de jeunes qui ont commis un « fait qualifié infraction », c’est-à-dire un délit) qui ont été jugés par le Tribunal de la jeunesse.
Dans l’arrondissement de Bruxelles en revanche, c’est le ou la juge de la jeunesse en personne – les magistrats de la jeunesse ont donc davantage de latitude à Bruxelles qu’au sud du pays – qui met en œuvre sa décision, avec l’appui des agents du SPJ de Bruxelles.
IPPJ et EMA pour les jeunes ayant commis un délit
Les Institutions Publiques de Protection de la Jeunesse (IPPJ)– il y en a six en Fédération Wallonie-Bruxelles) ont pour objectif d’accueillir, en régime ouvert ou en régime fermé, des jeunes poursuivis du chef d’un fait qualifié infraction (NDLR : un délit), sur décision du juge de la jeunesse.
L’objectif du travail réalisé par les IPPJ est de permettre une réflexion sur les actes commis et leurs conséquences sur les victimes, de permettre aux jeunes d’acquérir une meilleure image d’eux-mêmes et de préparer leur réinsertion sociale, scolaire et professionnelle.
Notons aussi l’existence d’Équipes Mobiles d’Accompagnement (EMA), qui assurent l’accompagnement, au sein de leur milieu de vie, des jeunes poursuivis pour un fait qualifié infraction, dans le cadre d’une alternative à un placement ou suite à un placement en IPPJ.
Le soutien du groupe, pour tenir le coup
Un peu après-midi, l’équipe présente dans les locaux se retrouve à la cafétéria pour casser la croûte et papoter. On discute de tout et de rien, des vacances à venir, de la famille et, aussi, de l’une ou l’autre visite compliquée effectuée au domicile d’une famille : « Je me suis fait accueillir par trois pitbulls hurlants et la bave aux lèvres », « Le père saoul m’a ouvert, et il n’était pas vraiment content de me voir », « L’appartement était jonché de crottes », etc. Le quotidien pour ces délégué.es souvent jeunes, majoritairement des jeunes femmes, et qu’on ne peut s’empêcher d’estimer peu armées pour affronter pareilles situations. On pose le plus délicatement possible la question : « Comment vous sentez-vous le plus souvent, quand vous arrivez au domicile d’une famille ? » La réponse fuse : « Le plus difficile, et cela arrive souvent, c’est quand les parents nous disent qu’on n’est pas légitimes. »
L’après-midi est bien entamée, voici que sonne l’heure de la « réunion d’échanges de pratique » (REP). Une fois par quinzaine, les membres de l’équipe des délégué.es se réunissent en groupe d’une dizaine de personnes (il y a deux groupes). Le but est de discuter ensemble de certaines situations, des vécus difficiles, d’obtenir l’aide du groupe et, plus particulièrement, de Fatima, déléguée en chef du « pôle suivi » qui, comme son nom l’indique, gère le suivi des dossiers ouverts : « Ce .du groupe est indispensable pour tenir le coup, car on se sent quand même souvent seule ou seul dans ce boulot. »
Autour de la table, le groupe, disposé en cercle, est formé de sept femmes et de deux hommes. La réunion commence par un tour de paroles : comment a-t-on vécu les deux semaines qui viennent de s’écouler ? quelle est l’humeur du moment ?
Après cette prise de température, Valérie embraie en évoquant une maman de trois enfants (5, 4 et 2 ans) hébergée en maison d’accueil maternel. « La maison maternelle dit que les enfants ne vont pas bien, et la maman se sent dépassée, harcelée. Je ne sais trop quoi faire. » Le groupe questionne, demande des compléments d’informations, discute de la meilleure approche possible pour aider la maman sans déborder sur les responsabilités de la maison maternelle. La décision est prise de contacter l’assistante sociale de l’institution pour voir, avec elle, ce que l’on pourrait mettre en place pour étayer la position de la maman et faire en sorte que les enfants aillent mieux.
Les crises d’angoisse de Kevin
Alya enchaîne avec la situation de Kevin, 11 ans, qui fait de grosses crises d’angoisse la nuit et épuise sa maman qui, faute de sommeil, ne parvient pas à chercher du travail et délègue beaucoup à ses parents, les grands-parents de Kevin, à qui elle reproche en même temps de prendre trop de place dans sa vie et sa relation à son fils.
Jean évoque le cas de Naïma, 15 ans, violée par son grand-frère, lequel est protégé par les parents. Naïma craint d’expliquer les choses clairement : seul son psychologue et moi sommes au courant de la situation. « Je ne peux pas travailler la situation ni confronter les parents à la situation si Naïma reste dans le silence », se désole Jean. Une situation délicate, puisque Jean est tenu au secret professionnel et ne peut éventer le secret de Naïma sans son accord. Naïma a rendez-vous chez son psy cet après-midi : en accord avec elle et le psy, Jean s’invitera en visio à la réunion, afin de répéter à Naïma que, si elle veut recevoir de l’aide par rapport à la situation avec son frère, elle devrait accepter que ses parents soient mis au courant du problème.
Antony, 13 ans, dealer
Charles parle d’Antony, 13 ans, qui deale de la drogue durant la nuit, s’est déjà fait interpeller deux fois par la police qui s’est contentée de le ramener à la maison et de prévenir la maman. « Il a tout le profil d’un délinquant, mais comme il n’est pas officiellement ‘‘diagnostiqué’’ comme tel, on ne peut pas mobiliser autour de lui les outils adéquats, déplore Charles. Il faudrait pouvoir l’éloigner de son quartier, à Anderlecht, le mettre hors de portée de ceux qui l’ont recruté. » « Voici une situation typique où ce serait à la justice d’intervenir, avant qu’il ne soit trop tard pour Antony : il faudrait lui signifier clairement qu’il est hors des clous et que cela doit cesser avant qu’il ne soit majeur, souligne Fatima. Dans le contexte actuel, le SAJ ne peut malheureusement rien faire, pas plus que le SPJ d’ailleurs. Du coup, Antony reste livré à lui-même, ce qui est la pire des choses. »
Une architecture à trois têtes
Le SAJ fonctionne selon une organisation en trinôme : une conseillère ou un conseiller (le « mandant administratif »), un.e délégué.e en chef et un.e délégué.e de terrain. Lorsque la demande est validée, le dossier passe entre les mains d’un autre trio, qui assure le suivi : la ou le conseiller pilote l’intervention, la déléguée ou le délégué est présent sur le terrain, et le ou la conseillère adjointe agit en lien direct avec la famille pour négocier le programme d’aide.
Les mesures peuvent aller du simple soutien éducatif à un placement temporaire, en passant par un accueil en famille ou un hébergement en service résidentiel spécialisé. Le tout dans un cadre volontaire, sauf en cas de désaccord profond ou de danger imminent.
La maman refuse l’accès à son domicile
Le cas d’Abdel (4 ans) est évoqué. Abdel, qui présente des difficultés d’apprentissage et de langage, est le plus jeune d’une fratrie de trois enfants. Les deux aînés (11 et 13 ans) ont été placés par un juge, car la maman a refusé le programme d’aide consentie malgré les difficultés rencontrées par la famille. Les visites à domicile, censée assurer le suivi d’Abdel, ne se passent pas bien. La maman ne donne pas accès à son domicile. Lina se sent impuissante et en colère contre la maman. Fatima questionne : « Imagine un peu ce qu’il se passe dans la tête de cette maman, qui est fragile et dépassée, et dont deux de ses enfants ont été placés. On peut bien comprendre qu’elle n’ait pas vraiment envie de nous ouvrir sa porte… »
« La réunion ne va pas nécessairement permettre de trouver des solutions à toutes les situations compliquées, mais elle va permettre aux participant.es de se décharger, de se réassurer, d’éviter la culpabilisation ou la frustration de l’impuissance », souligne Fatima.
Les solutions, on l’aura en effet constaté tout au long de cette journée, s’imposent rarement d’elles-mêmes. Le quotidien des délégués du SAJ est fait de questionnements, de remises en question, de tâtonnements, de discussions. Comprendre avant tout, en évitant les jugements, afin d’agir au mieux de l’intérêt de l’enfant. « Au mieux » : on n’a pas dit « parfaitement » car, dans cette matière si délicate et compliquée, la perfection n’existe pas…
- Par Isabelle Philippon (CSCE)